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Date : 20170419


Dossier : T-219-17

Référence : 2017 CF 382

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2017

En présence de monsieur le juge en chef

Dossier : T-219-17

ENTRE :

RAKUTEN KOBO INC.

demanderesse

et

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE, HACHETTE BOOK GROUP CANADA LTD., HACHETTE BOOK GROUP, INC., HACHETTE DIGITAL, INC., HOLTZBRINK PUBLISHERS, LLC ET SIMON & SCHUSTER CANADA, UNE DIVISION DE CBS CANADA HOLDINGS CO.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Dans la présente requête, Rakuten Kobo Inc. [Kobo] sollicite trois principaux types de réparation.

[2]               Premièrement, elle sollicite une ordonnance suspendant sa demande de contrôle judiciaire [la demande] dans la présente instance en attendant qu’une décision finale soit rendue relativement à une autre requête, déposée par HarperCollins Publishers L.L.C. et HarperCollins Canada Limited [collectivement, HarperCollins], devant le Tribunal de la concurrence [le Tribunal]. Dans cette requête, HarperCollins demande, entre autres choses, qu’une demande déposée contre elle par le commissaire en vertu de l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 [la Loi], soit rejetée sommairement [la requête en rejet sommaire].

[3]               Deuxièmement, Kobo sollicite une ordonnance obligeant le commissaire de la concurrence [le commissaire] à produire les versions non expurgées de tous les documents communiqués par le commissaire en lien avec la demande de Kobo, en application de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106. Comme je l’expliquerai plus en détail ci-après, cette demande concerne des consentements que le commissaire a conclus avec les autres défendeurs nommés dans l’intitulé ci-dessus [les éditeurs défendeurs].

[4]               Troisièmement, Kobo sollicite une ordonnance modifiant l’échéancier relatif à sa demande, afin de lui permettre de déposer des documents modifiés ou supplémentaires, une fois que les documents non expurgés cités précédemment auront été produits.

[5]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente requête sera accueillie en partie. La demande de Kobo sera suspendue jusqu’à ce que le Tribunal ait rendu sa décision concernant la requête en rejet sommaire. Étant donné que les observations des parties auront été signifiées et déposées à ce moment-là, il est prévu que l’instruction de la demande aura lieu peu de temps après le prononcé de la décision du Tribunal, à moins que Kobo ne retire sa demande suivant la décision rendue par le Tribunal et les mesures prises en conséquence, relativement aux consentements.

[6]               Les demandes de Kobo en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le commissaire à communiquer à Kobo les versions non expurgées de tous les documents pour lesquels il continue d’invoquer un privilège, ainsi que l’autorisation de déposer des documents modifiés ou supplémentaires, seront rejetées.

II.                Contexte

[7]               Les consentements concernent un changement effectué par les éditeurs défendeurs d’ouvrages d’intérêt général et de livres numériques non romancés [livres numériques], de passer d’un modèle de distribution en gros à un modèle de distribution par mandataire. En raison de ce changement, la concurrence sur les prix de détail dans le marché des livres numériques au Canada aurait prétendument été faussée. Les consentements ont été enregistrés auprès du Tribunal en février de la présente année. Chacun des éditeurs défendeurs a signé un consentement distinct avec le commissaire.

[8]               Dans sa demande sous-jacente en l’espèce, Kobo veut contester les consentements, pour des motifs liés à la compétence.

[9]               Le 8 mars 2017, j’ai rendu une ordonnance, sur consentement, suspendant la mise en œuvre des consentements, jusqu’au cinquième jour ouvrable suivant la décision rendue par notre Cour relativement à la demande déposée par Kobo.

[10]           Les attendus dans chacun des consentements mentionnent que le commissaire a conclu que l’éditeur défendeur en cause avait mis en œuvre au Canada un arrangement signé aux États-Unis avec au moins un autre éditeur concurrent, en rapport avec la vente de livres numériques dans ces deux pays [l’arrangement]. Entre autres choses, ces attendus indiquent également que le commissaire a conclu que l’arrangement comportait des dispositions qui limitaient la capacité des détaillants de livres numériques à réduire le prix de détail des livres numériques, qu’il empêchait ou diminuait sensiblement la concurrence dans le marché de détail des livres numériques au Canada, ou aura vraisemblablement cet effet, au sens de l’article 90.1 de la Loi.

[11]           De manière générale, les consentements portent sur des accords de distribution conclus entre les éditeurs défendeurs et les détaillants de livres numériques. Les consentements interdisent notamment aux éditeurs défendeurs de restreindre, limiter ou empêcher, directement ou indirectement, un détaillant de livres numériques dans sa capacité de fixer, modifier ou réduire le prix de détail d’un livre numérique pour vente aux consommateurs au Canada, ou de consentir des rabais ou toute autre forme de promotion pour encourager les consommateurs au Canada à acheter un ou plusieurs livres numériques. Les consentements interdisent également aux éditeurs défendeurs de conclure avec un détaillant de livres numériques un accord ayant l’un ou l’autre de ces effets. Ces interdictions s’appliquent pour une période de neuf (9) mois, commençant au plus tard 120 jours après la date d’enregistrement des consentements.

[12]           D’autres dispositions des consentements interdisent aux éditeurs défendeurs de conclure avec des détaillants de livres numériques un accord, relativement à la vente de livres numériques aux consommateurs au Canada, contenant des genres particuliers de clauses de la nation la plus favorisée [clauses de prix NPF], et cela pour une période de trois ans à compter de la date d’enregistrement des consentements.

[13]           En outre, les consentements obligent les éditeurs défendeurs à prendre des mesures pour que soient résiliés, sans qu’ils soient reconduits ou prorogés, les accords conclus avec des détaillants de livres numériques qui les empêchent de consentir des rabais ou qui contiennent une clause de prix NPF. En lieu et place d’une résiliation, les consentements autorisent les éditeurs défendeurs à prendre certaines autres mesures pour répondre aux préoccupations du commissaire.

[14]           Les interdictions prévues dans les consentements sont essentiellement les mêmes que celles contenues dans un consentement antérieur conclu entre le commissaire et les éditeurs défendeurs et HarperCollins en 2014 [le consentement initial]. Toutefois, le consentement initial a été annulé par le Tribunal après qu’il eut été conclu qu’il contenait des lacunes à certains égards.

[15]           Sur ce dernier point, le consentement initial ne permettait pas au Tribunal d’avoir une compréhension suffisante de l’objet de l’arrangement contesté pour le convaincre que les interdictions prévues dans le consentement initial concernaient des modalités de l’arrangement, comme le prévoit l’alinéa 90.1(1)a) de la Loi. De plus, il ne permettait pas d’établir de façon satisfaisante si l’arrangement était conclu ou proposé à ce moment-là, si deux ou plusieurs parties à l’arrangement étaient des concurrentes, ou si l’arrangement empêchait ou diminuait sensiblement la concurrence, ou avait vraisemblablement cet effet. Sur ce dernier point, le consentement initial indiquait simplement que la concurrence avait sensiblement été empêchée ou diminuée par le passé.

[16]           La résiliation par le Tribunal du consentement initial ne portait pas atteinte à la capacité du commissaire de conclure un nouveau consentement avec les éditeurs défendeurs, fondé sur les conclusions qu’il peut tirer concernant les six éléments du comportement susceptible de révision décrit au paragraphe 90.1(1) de la Loi.

[17]           Les consentements qui font l’objet de la présente demande de Kobo visaient supposément à répondre aux lacunes susmentionnées figurant dans le consentement initial. Toutefois, alors que HarperCollins était partie au consentement initial, elle a apparemment refusé de conclure un consentement révisé. En conséquence, le commissaire a déposé une demande contestée devant le Tribunal contre HarperCollins.

[18]           Dans sa demande dans la présente instance, Kobo a soulevé trois motifs liés à la compétence à l’appui de la demande de contrôle. D’abord, elle affirme que le commissaire a agi sans compétence en concluant les consentements afin de remédier à une conspiration en place aux États-Unis, et non au Canada, et qui a été résolue par les tribunaux américains et les autorités chargées de faire appliquer les règles antitrust en 2012-2013. Deuxièmement, Kobo fait valoir que le commissaire a agi sans compétence en concluant les consentements pour remédier à « un arrangement » qui n’a jamais existé. Troisièmement, Kobo soutient que si un tel arrangement a déjà existé, il n’était plus « conclu ou proposé », comme l’exige l’article 90.1 de la Loi, au moment où les consentements ont été conclus.

[19]           Les première et troisième contestations de la compétence mentionnées ci-dessus et soulevées par Kobo ont également été avancées par HarperCollins devant le Tribunal, dans sa réponse à la demande du commissaire, de même que dans sa requête en rejet sommaire. Toutefois, alors que Kobo affirme que c’est le commissaire qui a agi sans compétence, HarperCollins prétend que c’est le Tribunal qui n’a pas compétence.

[20]           Étant donné que l’audition de la demande de Kobo est prévue demain, la présente requête a été entendue en urgence jeudi dernier, à la veille du congé de Pâques, après le dépôt par le commissaire de sa réponse plus tôt dans la semaine.

[21]           La requête en rejet sommaire de HarperCollins devant le Tribunal doit être entendue le 3 mai 2017.

III.             Demande présentée par Kobo en vue d’obtenir la suspension de sa demande de contrôle judiciaire

A.                Dispositions législatives pertinentes

[22]           Le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, est libellé ainsi :

50(1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

B.                 Principes généraux

[23]           La Cour ne reportera pas une affaire de manière inconsidérée (Mylan Pharmaceuticals ULC c. Astrazeneca Canada inc., 2011 CAF 312, au paragraphe 5 [Mylan]).

[24]           Conformément à un courant jurisprudentiel qui s’est développé relativement à l’alinéa 50(1)a) et sur lequel s’appuie le commissaire, une suspension d’instance ne devrait être accordée que dans les cas les plus patents. Cette jurisprudence prescrit notamment que la partie qui demande la suspension doit démontrer que la poursuite de l’instance pour laquelle la suspension est demandée lui causerait un préjudice ou entraînerait pour elle une injustice, et qu’elle ne causerait pas d’injustice aux autres parties à l’instance. De plus, sauf s’il y a un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour hésitera à rendre une ordonnance de suspension quand les parties à des procédures parallèles ne sont pas identiques, que la compétence des deux tribunaux en cause est différente, ou quand les droits d’action exercés sont différents (Corporation Développement GDC Gatineau c. Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CF 1295, aux paragraphes 4 à 7; Jazz Air LP c. Toronto Port Authority, 2009 CF 253; Advanced Emissions Technologies Ltd. c. Dufort Testing Services Ltd., 2006 CF 794, aux paragraphes 9 et 10; White c. EBF Manufacturing Ltd, [2001] A.C.F. no 1073 (QL), au paragraphe 3 (C.F. 1re inst.)).

[25]           Toutefois, la jurisprudence plus récente concernant des procédures parallèles indique que la Cour doit simplement se demander « si, eu égard à l’ensemble des circonstances, l’intérêt de la justice justifie que [l’instance] soit retardé[e] » (Mylan, précité, au paragraphe 14). En fait, le commissaire a lui-même affirmé que [traduction] « il serait dans l’« intérêt de la justice » que la Cour tranche [les questions soulevées par Kobo dans sa demande] en respectant l’échéancier initial ».

[26]           Quoi qu’il en soit, la Cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire dans l’examen d’une demande de suspension de ses procédures, et ne se limite pas à prendre en considération les facteurs mentionnés au paragraphe 24 ci-dessus (1395804 Ontario Ltd (Blacklock’s Reporter) c. Canada (Attorney General), 2016 CF 719, aux paragraphes 38 à 41 [Blacklock’s]).

C.                 Analyse

[27]           Kobo affirme qu’il serait dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instruction de sa demande dans la présente instance en attendant qu’une décision finale soit rendue relativement à la requête en rejet sommaire déposée par HarperCollins.

[28]           En bref, Kobo fait valoir que la décision du Tribunal concernant la requête en rejet sommaire viendra éclairer une ou plusieurs des principales questions de compétence soulevées dans sa demande déposée auprès de notre Cour, et que [traduction] « poursuivre les deux instances, en même temps, pourrait donner lieu à ce que des conclusions contradictoires soient tirées et à un gaspillage de ressources, pour la Cour et le Tribunal, et les parties au litige ». Kobo ajoute que le Tribunal devrait être autorisé à définir la portée de sa compétence, avant que la Cour ne le fasse, et qu’il serait plus efficace que le Tribunal tranche cette question, parce que les questions de preuve en litige dans la requête en rejet sommaire de HarperCollins sont beaucoup moins nombreuses que celles en litige dans la demande de Kobo présentée à notre Cour. Kobo affirme également que l’accueil de sa demande de suspension ne causerait aucun préjudice au commissaire ou au public.

[29]           Étant donné la portée limitée des questions à trancher dans la requête en rejet sommaire, Kobo affirme que [traduction] « on peut prévoir qu’il s’agit d’une suspension qui se mesurera en semaines, et non en années ».

[30]           Le commissaire s’oppose à la demande de suspension de Kobo pour plusieurs motifs.

[31]           Je ne suis pas convaincu que le commissaire ait établi l’existence de l’un ou l’autre de ces motifs, que j’examinerai un à un dans l’ordre ci-après.

[32]           D’abord, le commissaire prétend que Kobo n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle subira un préjudice si sa demande de suspension de sa demande n’est pas accueillie. De plus, le commissaire soutient que l’octroi de la suspension porterait préjudice à l’intérêt du public, parce que cela retarderait le règlement des questions en litige dans la demande de contrôle judiciaire déposée devant notre Cour. Le commissaire affirme qu’un tel report [traduction] « priverait le public d’au moins la possibilité d’un marché où les détaillants de livres numériques ont la possibilité de livrer concurrence au niveau des prix », durant des mois, et peut-être plus longtemps.

[33]           Compte tenu des circonstances de l’espèce, il ne convient pas d’accorder à ces considérations une grande importance militant en faveur du rejet de la demande de suspension présentée par Kobo. En ce qui concerne le préjudice causé à Kobo, il est bien évident qu’en l’absence d’une suspension de l’instruction de sa demande, Kobo et le commissaire devront consacrer beaucoup de temps et d’argent en lien avec les instances devant la Cour et le Tribunal, qui sont toutes deux prévues dans un délai très rapproché l’une de l’autre, soit moins de deux semaines. Le contribuable devra également assumer la dépense importante associée aux audiences devant la Cour et le Tribunal. À mon avis, exiger que les deux instances aient lieu presque simultanément ne constituerait pas une utilisation efficace des ressources publiques et judiciaires limitées et ne serait pas conforme à l’esprit de l’article 3 des Règles des Cours fédérales, qui fait référence à la nécessité d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, aux paragraphes 12 et 13; Turmel c. Canada, 2016 CAF 9, au paragraphe 17; Blacklock’s, précitée; Korea Data Systems (USA), Inc c. Aamazing Technologies Inc, [2012] OJ no 5195 (QL), au paragraphe 19 (CA)).

[34]           Pour autant que le préjudice pour le public associé à l’octroi de la suspension, selon les allégations du commissaire, soit concerné, il est important de souligner que les interdictions prévues dans les consentements sont limitées dans le temps et sont de très courte durée. Comme il est souligné aux paragraphes 11 et 12 ci-dessus, les interdictions concernant les clauses visant à empêcher les détaillants de livres numériques à consentir des rabais ne seraient en vigueur que pour neuf mois, alors que les interdictions concernant les clauses de prix NPF seraient en vigueur pendant trois ans. Cela ne changera pas si la mise en œuvre des consentements est reportée. Autrement dit, contrairement à une situation où la période durant laquelle le public profiterait d’une mesure de réparation en vertu de la Loi serait réduite à la suite d’une suspension d’instance, la période durant laquelle les interdictions énoncées dans les consentements seraient en vigueur ne changerait aucunement. Je souligne que c’est là une des raisons pour lesquelles le juge Rennie, tel était alors son titre, a refusé de conclure que la prépondérance des inconvénients favorisait le commissaire quand il a examiné la demande de Kobo en vue de suspendre la mise en œuvre du consentement initial (Kobo Inc c. The Commissioner of Competition, 2014 CACT 2, au paragraphe 43).

[35]           Le commissaire ajoute en outre que les parties aux instances introduites devant le Tribunal et la Cour sont différentes, et que la réparation demandée devant le Tribunal diffère de celle demandée devant la Cour. En conséquence, il fait valoir que le risque que le Tribunal et la Cour tirent des conclusions différentes est très faible. Je ne suis pas d’accord.

[36]           Malgré les différences que le commissaire a relevées dans les instances engagées devant le Tribunal et devant la Cour, respectivement, le risque que les parties ou le public aient l’impression que les conclusions relatives à l’une ou l’autre des questions examinées dans ces instances sont contradictoires ou difficilement conciliables n’est pas que simple conjecture (Blacklock’s, précitée, aux paragraphes 52 à 53). Par exemple, il est objectivement possible que le Tribunal puisse conclure qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse parce que l’arrangement anticoncurrentiel auquel HarperCollins est apparemment partie a été conclu aux États-Unis, alors que la Cour pourrait conclure qu’il n’était pas déraisonnable pour le commissaire d’avoir conclu les consentements, même si l’arrangement contesté a été conclu à l’extérieur du Canada.

[37]           À mon avis, les parties et le public pourraient très bien avoir de la difficulté à concilier ces conclusions apparemment contraires. C’est le cas même si l’avocat des parties comprendrait que la détermination de la Cour quant au caractère raisonnable de l’interprétation faite par le commissaire de sa compétence à l’égard d’arrangements étrangers ne représenterait pas le point de vue de la Cour quant à l’exactitude de cette interprétation.

[38]           Il ne faudrait pas croire qu’avec l’exemple que j’ai donné ci-dessus, j’accepte l’observation du commissaire selon laquelle la Cour devrait examiner les questions soulevées par Kobo dans sa demande de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

[39]           Il est préférable que la Cour puisse profiter des décisions du Tribunal concernant les questions de compétence soulevées dans les deux instances avant de se pencher elle-même sur ces questions (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 24 et 25; Alberta (Éducation) c. Access Copyright, 2010 CAF 198, au paragraphe 70, infirmée pour d’autres motifs, 2012 CSC 37, aux paragraphes 10 et 11, 59 et 60; Liquor Control Board of Ontario c. Vin de Garde Wine Club, 2013 ONSC 5854, au paragraphe 48). Cela pourrait notamment bien aider la Cour à trancher ces questions, et réduire les possibilités que des conclusions soient perçues comme étant contradictoires ou difficilement conciliables. Si cet objectif pouvait en fin de compte être atteint, il permettrait, en retour, de limiter le risque de litige supplémentaire concernant les consentements.

[40]           Dans un effort manifeste de réduire le tort qui serait associé au fait que la Cour et le Tribunal rendent des décisions contradictoires ou difficilement conciliables, le commissaire a indiqué que la Cour pourrait choisir de suspendre sa décision en attendant que le Tribunal rende sa décision relativement à la requête en rejet sommaire de HarperCollins. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il serait prudent de s’engager dans une voie où il resterait une possibilité non hypothétique que la Cour se retrouve en position de rendre une décision qui donnerait lieu à un tel tort. Si le commissaire pense que la Cour pourrait, à ce moment-là, éviter le tort en question en s’abstenant en permanence de rendre sa décision, je considère que ce serait injuste pour Kobo et les éditeurs défendeurs, qui auraient alors consacré du temps et des frais pour participer à l’instruction de la demande de Kobo.

[41]           J’ajouterai simplement en passant que je suis d’accord avec Kobo que la compétence du commissaire en vertu de l’article 105 de la Loi dérive de la compétence du Tribunal, de telle sorte que si le Tribunal n’a pas compétence concernant une conduite en particulier, il en va de même pour le commissaire (Kobo Inc c. Commissioner of Competition, 2014 CACT 14, aux paragraphes 76 et 77, 91 et 124). Ainsi, je n’attribue pas beaucoup d’importance au fait que c’est la compétence du Tribunal qui est en cause dans la requête en rejet sommaire, alors que c’est la compétence du commissaire qui est en cause dans la demande présentée par Kobo devant notre Cour.

[42]           En résumé, après avoir soupesé l’ensemble des facteurs examinés ci-dessus, j’ai conclu qu’il serait justifié de suspendre l’instruction de la demande de Kobo dans la présente instance, pendant la courte période nécessaire pour que le Tribunal entende la requête en rejet sommaire de HarperCollins et rende une décision à cet égard.

[43]           À mon avis, les éventuelles conséquences défavorables pour le commissaire et le public qui pourraient découler d’un bref report dans le règlement des questions que Kobo a soulevées dans sa demande sont par essence négligeables. Ces conséquences sont beaucoup moins importantes que les éventuelles conséquences défavorables qui pourraient être associées au fait que la Cour entende la demande de Kobo moins de deux semaines avant que le Tribunal n’entende la requête en rejet sommaire. Ces éventuelles conséquences défavorables incluent la possibilité que la Cour et le Tribunal rendent des décisions contradictoires ou difficilement conciliables, qu’il y ait gaspillage des ressources publiques et judiciaires limitées, et que la Cour et les parties perdent la possibilité de profiter de l’examen par le Tribunal des deux questions de compétence qui sont communes aux deux instances. Dans leur ensemble, ces éventuelles conséquences défavorables surpassent considérablement les éventuelles conséquences défavorables très négligeables qui seraient associées au fait de ne pas instruire la demande de Kobo demain.

[44]           Autrement dit, il s’agit d’un cas où il convient manifestement d’accorder une brève suspension. Il serait également dans l’intérêt de la justice que l’instruction de la demande de Kobo soit suspendue pour une courte période.

[45]           Dans son avis de requête et ses observations écrites, Kobo a demandé que sa demande soit suspendue en attendant le règlement définitif de la requête en rejet sommaire de HarperCollins. Cette demande laisse croire que Kobo cherche peut-être à obtenir la suspension de sa demande jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue relativement à tout appel qui pourrait être interjeté de la décision du Tribunal.

[46]           Toutefois, Kobo n’a pas fait référence dans ses observations écrites ou orales à de possibles appels de la décision du Tribunal. Au contraire, Kobo a à maintes reprises souligné la nature « temporaire » de la suspension qu’elle demande, et a affirmé que [traduction] « on peut prévoir qu’il s’agit d’une suspension qui se mesurera en semaines, et non en années ». Durant l’instruction de la présente requête, l’avocat de Kobo s’est également engagé à se rendre disponible pour une instruction de la demande de Kobo à l’intérieur de ce délai, et en tout état de cause, avant la fin du mois de juin.

[47]           Un autre facteur à prendre en compte en fixant la durée de la suspension est que le commissaire et les éditeurs défendeurs ont consenti à la suspension sous-jacente de la mise en œuvre des consentements. Ils l’ont fait afin que la demande de Kobo puisse être directement instruite par voie expéditive, évitant ainsi d’engager le temps et les frais qu’il aurait fallu engager si la demande de suspension de Kobo avait été instruite séparément. Dans cette optique, je considère qu’il serait injuste pour eux de maintenant suspendre l’instruction de la demande de Kobo au-delà d’une très courte période.

[48]           Compte tenu de ce qui précède, et après avoir établi que l’instruction de la demande de Kobo n’aurait pas lieu demain, j’ai modifié l’échéancier pour la signification et le dépôt des dossiers de réponse et de toute réponse que le commissaire souhaiterait déposer concernant les observations des éditeurs défendeurs. J’ai agi ainsi afin de m’assurer que la demande de Kobo puisse être instruite rapidement, une fois que le Tribunal aura rendu sa décision concernant la requête en rejet sommaire de HarperCollins.

[49]           En conséquence, j’ordonnerai une suspension de l’instruction de la demande de Kobo, jusqu’à ce que le Tribunal rende une décision relativement à la requête en rejet sommaire de HarperCollins.

IV.             Demande de Kobo en vue d’obtenir les versions non expurgées de documents

A.                Les thèses des parties

[50]           La veille du jour où le commissaire devait contre-interroger le souscripteur de l’affidavit établi sous serment et déposé par Kobo dans la présente demande, le commissaire a envoyé des copies révisées de quatre documents à l’avocat de Kobo à titre de documents destinés exclusivement à l’avocat externe (« outside counsel only »). Ces copies révisées contenaient de nouveaux renseignements non expurgés [les renseignements additionnels], pour lesquels le commissaire avait précédemment invoqué un privilège.

[51]           Kobo fait valoir que le commissaire a délibérément procédé de cette façon afin de bénéficier indûment de la divulgation de renseignements qu’il jugeait utiles à sa cause, après que Kobo eut déposé sa preuve par affidavit et après que le commissaire eut eu la possibilité de préparer le contre-interrogatoire du souscripteur de l’affidavit de Kobo, M. Michael Tamblyn. Kobo soutient que cela donnera lieu à une instruction « manifestement inéquitable » de sa demande.

[52]           Kobo affirme que lorsque le commissaire a renoncé au privilège sur une partie des renseignements additionnels, il a renoncé au privilège sur le reste des renseignements privilégiés contenus dans les quatre documents en question, de même que sur tous les autres renseignements pour lesquels il avait invoqué un privilège.

[53]           À l’appui de sa thèse, Kobo se fonde sur le principe voulant que [traduction] « la renonciation au privilège d’une partie d’une communication sera considérée comme une renonciation à l’ensemble de cette communication » (S & K Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd. (1983), 45 BCLR 218, au paragraphe 6 (CS) [S&K]). Kobo soutient que « [u]ne partie ne peut divulguer partiellement le contenu d’un document confidentiel et préserver indûment la confidentialité du reste du document » (Slansky c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 199, au paragraphe 261).

[54]            Le commissaire soutient qu’il n’a pas expressément ou implicitement renoncé au privilège sur une partie ou l’autre des autres renseignements, autres que les renseignements additionnels, pour lesquels il a invoqué un privilège. De plus, il nie avoir divulgué uniquement les parties des quatre documents en question qui lui étaient favorables.

[55]           Le commissaire affirme qu’en l’absence de la preuve par Kobo que les renseignements additionnels sont trompeurs, la Cour ne devrait pas conclure qu’il a implicitement renoncé au privilège sur tout autre renseignement pour lequel il a invoqué un privilège.

B.                 Règles de droit applicables

[56]           Le fardeau d’établir la renonciation à un privilège repose sur la partie qui fait valoir cette renonciation (Smith c. Jones, [1999] 1 RCS 455, au paragraphe 46; Canada (Revenu national) c. Thornton, 2012 CF 1313, au paragraphe 26).

[57]            Les privilèges invoqués par le commissaire sont le privilège du secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif à des techniques d’enquête et le privilège d’intérêt public, lequel s’étend à [traduction] « une catégorie de documents créés ou obtenus durant une enquête du Bureau de la concurrence » (Canada (Commissioner of Competition) c. Air Canada, 2012 CACT 21, au paragraphe 3 [Air Canada]).

[58]           [traduction] « De toute évidence, le droit ne prévoit pas que la production d’un document tiré d’un dossier entraîne une renonciation à l’immunité se rattachant aux autres documents qui figurent au même dossier » (Transamerica Life Insurance Co of Canada c. Canada Life Assurance Co., [1995] OJ no 3886 (QL), au paragraphe 41 (Div. gén.) [Transamerica]). Le même principe s’applique à la renonciation à un privilège relatif à certains renseignements d’un même document pour lequel un privilège a été invoqué (Stevens c. Canada (Prime Minister), [1997] 2 CF 759, au paragraphe 34 (C.F. 1re inst.)).

[59]            En s’appuyant sur le passage tiré de l’arrêt S&K reproduit ci-dessus, Kobo omet de mentionner que la juge McLachlin, tel était alors son titre, a clairement indiqué que, dans les cas de renonciation partielle, il ne s’agissait pas de se demander s’il y a eu renonciation involontaire relativement à des renseignements supplémentaires, non divulgués, mais plutôt de savoir si « l’équité et la cohérence l’exigent » (S&K, précité, aux paragraphes 6 et 10).

[60]           En conséquence, « [d]ans une analyse fondée sur “l’équité et la cohérence”, il s’agit de déterminer si la divulgation partielle de renseignements privilégiés peut entraîner une iniquité pour l’autre partie » (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 27, au paragraphe 13 [Merck]).

[61]           À cet égard, « la présence d’une intention de tromper le tribunal ou un autre plaideur [est] d’une importance capitale » (Stevens c. Canada (Premier ministre), [1998] FCJ no 794 (QL), au paragraphe 51 (CAF) [Stevens]). Toutefois, la Cour doit aussi décider si, de façon objective, la Cour ou un autre plaideur est susceptible d’être trompé par la divulgation partielle. Autrement dit, il faut prouver que sans les renseignements supplémentaires pour lesquels il n’y a pas eu renonciation au privilège, les renseignements divulgués sont d’une manière quelconque trompeurs (Transamerica, précitée; Commissioner of Competition c. United Grain Growers Limited, 2002 CACT 35, au paragraphe 82; K.F. Evans Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1996] A.C.F. no 30 (QL), aux paragraphes 22 à 24 (C.F. 1re inst.)).

[62]           Ainsi, il ne peut y avoir iniquité à l’égard de la partie invoquant la renonciation si cette partie se trouve exactement dans la même position ou, de toute façon, dans une position pas moins favorable dans le litige l’opposant à l’autre partie, que s’il n’y avait eu aucune divulgation partielle (Merck, précité, au paragraphe 17).

[63]           En l’absence d’une intention de tromper la Cour ou une autre partie à l’instance, ou d’une conclusion selon laquelle la Cour ou une autre partie est susceptible effectivement d’être trompée, la divulgation par une autorité publique, par souci de transparence, de plus de renseignements qu’il n’était légalement nécessaire est louable et ne fait aucunement obstacle à la protection que le privilège accorde (Stevens, précitée, au paragraphe 52).

C.                 Analyse

[64]           Le premier des quatre documents à l’égard duquel des renseignements additionnels ont été fournis est le document no 12 de l’index modifié des documents pertinents que le commissaire a communiqué à Kobo [l’index modifié]. Ce document est une note d’information interne adressée par le sous-commissaire principal au commissaire. Les renseignements additionnels qui ont été communiqués dans ce document concernent le texte de la note de bas de page 3, qui est rédigé comme suit : [traduction] « Cette recommandation est conforme à la démarche décrite adoptée par le Bureau où les parties demeurent déterminées à régler la question. Voir Bureau de la concurrence, Communication pendant les enquêtes, 26 juin 2014, à la page 6 ». Kobo soutient que l’équité et la cohérence exigent qu’elle puisse avoir l’occasion de connaître la nature de la recommandation en question, et en fait de connaître le reste des renseignements non divulgués dans le document.

[65]           Je ne suis pas d’accord. Après avoir examiné une version non expurgée du document no 12, je suis convaincu que la divulgation du texte cité plus haut n’a entraîné aucune iniquité pour Kobo. Kobo n’est actuellement pas dans une position où elle a été trompée par le commissaire, que ce soit parce qu’elle n’a pas accès au reste des renseignements non expurgés de ce document, ou parce qu’elle ne connaît pas la nature de la recommandation à laquelle on fait référence dans le passage cité ci-dessus. Qui plus est, il est difficile de voir comment le fait que cette divulgation ait eu lieu pourrait profiter d’une quelconque façon au commissaire dans son litige avec Kobo. Les impératifs d’équité et de cohérence n’exigent pas la divulgation de renseignements additionnels à Kobo, en raison de la divulgation par le commissaire des renseignements additionnels du document no 12.

[66]           Le deuxième document à l’égard duquel des renseignements additionnels ont été fournis est le document no 15 de l’index modifié. Les renseignements additionnels qui ont été communiqués dans ce document se trouvent à la deuxième, à la quatrième et à la cinquième pages, et concernent une question que Kobo a elle-même soulevée dans sa demande. Cette question veut que [traduction] « si “un arrangement” au sens de l’article 90.1 de la Loi a déjà existé, le commissaire a agi sans compétence en concluant [les consentements] pour remédier à “un arrangement” qui n’était ni “conclu ou proposé” au moment où il a conclu [les consentements], compte tenu du passage du temps et de la résolution de l’affaire par les tribunaux américains et les autorités chargées de faire appliquer les règles antitrust ».

[67]           Les renseignements additionnels qui ont été communiqués sur les deuxième et quatrième pages du document no 15 (notamment dans une phrase qui se poursuit sur la cinquième page) révèlent simplement que cet argument a été avancé par une ou plusieurs parties. À mon avis, ni la Cour ni Kobo ne pourrait être trompée par la divulgation de ces renseignements.

[68]           Les seuls autres renseignements additionnels qui sont communiqués dans le document no 15 concernent un passage de la cinquième page qui souligne que, malgré certaines observations (non expurgées) présentées au commissaire, l’équipe chargée de l’affaire [traduction] « souligne que les éditeurs faisant l’objet de l’enquête continuent d’utiliser des ententes avec des mandataires qui empêchent de consentir des rabais de prix au Canada et qui contiennent, pour un bon nombre, des clauses de la nation la plus favorisée. En d’autres termes, aucun des éditeurs n’a adopté les conditions de fond des jugements définitifs des tribunaux américains au Canada... ».

[69]           Une fois encore, je ne crois pas que la Cour ou Kobo pourrait être trompée par la divulgation de ces renseignements, incluant le fait qu’une ou plusieurs personnes ont présenté certains arguments inconnus au commissaire. Les faits allégués pertinents qui ont été divulgués par le commissaire dans ce passage étaient que les éditeurs en question continuent d’utiliser des ententes avec des mandataires qui empêchent de consentir des rabais au Canada, que certaines de ces ententes contiennent des clauses de prix NPF, et que par conséquent ces éditeurs n’ont pas adopté les conditions de fond des jugements définitifs des tribunaux américains au Canada. Après avoir examiné la version non expurgée de l’ensemble du document, je suis convaincu que l’équité et la cohérence n’exigent pas que d’autres renseignements contenus dans ce document, ou dans d’autres documents pour lesquels le commissaire a invoqué un privilège, soient divulgués.

[70]           Le troisième document à l’égard duquel des renseignements additionnels ont été fournis est le document no 16 de l’index modifié. Les renseignements additionnels qui ont été communiqués dans ce document consistent en les quatre catégories suivantes de renseignements : (i) l’identité des sources de renseignements précédemment non identifiées qui a volontairement été fournie au commissaire, soit, les éditeurs défendeurs et HarperCollins; (ii) certains renseignements fournis par HarperCollins concernant les origines et le lancement du modèle de distribution par mandataire aux États-Unis et au Canada, et concernant une réunion contemporaine entre les cinq principaux éditeurs de livres et un ou plusieurs représentants de Apple Inc.; (iii) les renseignements obtenus de Apple Inc. et de Apple Canada Inc. à cet égard, y compris relativement aux questions qui restent à résoudre et aux options qui ont été envisagées au Canada à ce moment; et (iv) des explications au sujet de ce qui aurait pu amener Amazon à retarder la mise en œuvre du modèle de distribution par mandataire pour la distribution de livres électroniques au Canada.

[71]           Après avoir examiné la version non expurgée complète du document no 16, je ne vois pas comment la divulgation des renseignements additionnels mentionnés ci-dessus pourrait tromper la Cour ou Kobo, ou entraîner une iniquité pour Kobo. En fait, les renseignements additionnels placent Kobo dans une position où elle en sait plus qu’elle n’en savait avant d’obtenir ces renseignements. Quoi qu’il en soit, il est difficile de voir comment Kobo pourrait se trouver dans une position moins favorable, dans son litige avec le commissaire dans le contexte de la présente demande, qu’avant la divulgation de ces renseignements. Il n’y a rien dans le reste du document qui demeure expurgé et qui devrait être divulgué à Kobo pour garantir l’équité et la cohérence.

[72]           Enfin, le quatrième document à l’égard duquel des renseignements additionnels ont été fournis est le document no 17 de l’index modifié. Les renseignements additionnels qui ont été communiqués dans ce document consistent en (i) un libellé indiquant qu’un certain tableau qui apparaît à la page 10 du document est un tableau interne de ventilation des coûts du Bureau de la concurrence comprenant les dépenses que l’équipe chargée de l’affaire s’attend à engager; (ii) les titres dans ce tableau, selon lesquels il est évident que le tableau est en fait un tableau interne de ventilation des coûts; (iii) un bref énoncé de la décision du Comité des grandes initiatives d’application et de promotion [CGIAP] du Bureau de la concurrence de tenter de négocier un nouveau consentement avec les éditeurs de livres numériques concernés, et de la recommandation du CGIAP selon laquelle le commissaire approuve provisoirement le dépôt d’une demande auprès du Tribunal, conformément à l’article 90.1 de la Loi. De plus, les termes [traduction] « en cas d’échec des négociations en vue d’un consentement [révisé] » ont été insérés avant les termes [traduction] « le CGIAP recommande que le commissaire approuve » un plan d’action non divulgué.

[73]           Une fois encore, après avoir examiné une version complète non expurgée du document no 17, je ne vois pas comment la divulgation des renseignements additionnels mentionnés ci-dessus pourrait tromper la Cour ou Kobo, ou entraîner une iniquité pour Kobo. Aucun de ces renseignements ne semble se rapporter, de quelque façon que ce soit, aux questions soulevées par Kobo dans sa demande. Je conclus que l’équité et la cohérence n’exigent pas que d’autres renseignements contenus dans le document, pour lequel le commissaire continue d’invoquer un privilège, soient divulgués.

[74]           Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais simplement ce qui suit. Premièrement, Kobo n’a avancé aucun élément de preuve pour établir que le commissaire avait l’intention de tromper la Cour ou Kobo quand il a fourni les renseignements additionnels à Kobo à titre de documents destinés exclusivement à l’avocat externe. Deuxièmement, à l’exception des renseignements additionnels contenus dans le document no 16 à l’égard duquel le commissaire a demandé une ordonnance de confidentialité, le commissaire soutient que l’avocat de Kobo est libre de divulguer les renseignements additionnels à Kobo. Enfin, le commissaire n’a pas contre-interrogé le souscripteur de l’affidavit déposé par Kobo concernant les renseignements additionnels.

V.                Demande de Kobo en vue d’obtenir une ordonnance modifiant l’échéancier de la présente demande

[75]            Étant donné les conclusions que j’ai tirées dans la partie IV qui précède, il n’est pas nécessaire que je me penche sur cette demande présentée par Kobo, puisqu’elle était conditionnelle à ce qu’il soit ordonné au commissaire de produire les renseignements additionnels pour lesquels il continue d’invoquer un privilège.

VI.             Conclusion

[76]           Pour les motifs énoncés dans la partie III qui précède, l’instruction de la demande dans la présente instance sera suspendue jusqu’à ce que le Tribunal rende sa décision relativement à la requête en rejet sommaire présentée par HarperCollins.

[77]           Pour les motifs énoncés dans la partie IV qui précède, la demande de Kobo en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le commissaire à communiquer à Kobo les versions non expurgées de tous les documents pour lesquels il continue d’invoquer un privilège sera rejetée.

[78]           Par conséquent, la demande de Kobo en vue d’obtenir l’autorisation de déposer des documents modifiés ou supplémentaires sera elle aussi rejetée.

[79]           Étant donné que Kobo et le commissaire remportent chacun une victoire concernant l’une ou l’autre des deux principales questions de la présente requête, il n’y aura pas d’adjudication quant aux dépens pour cette requête.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.      L’instruction de la demande dans la présente instance est suspendue jusqu’à ce que le Tribunal de la concurrence rende sa décision relativement à la requête en rejet sommaire présentée par HarperCollins.

2.      La demande de Kobo en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le commissaire à communiquer à Kobo les versions non expurgées de tous les documents pour lesquels il continue d’invoquer un privilège est rejetée.

3.      La demande de Kobo en vue d’obtenir l’autorisation de déposer des documents modifiés ou supplémentaires est rejetée.

4.      Kobo et le commissaire sont chacun responsables de leurs propres dépens pour cette requête.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-219-17

 

INTITULÉ :

RAKUTEN KOBO INC. c. LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE, HACHETTE BOOK GROUP CANADA LTD., HACHETTE BOOK GROUP, INC., HACHETTE DIGITAL, INC., HOLTZBRINK PUBLISHERS, LLC ET SIMON & SCHUSTER CANADA, UNE DIVISION DE CBS CANADA HOLDINGS CO.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Nikiforos Iatrou

Bronwyn Roe

 

Pour la demanderesse

RAKUTEN KOBO INC.

 

John Syme

Esther Rossman

Pour le défendeur

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

 

James Gotowiec

Linda Plumpton

POUR LES DÉFENDEURS

HACHETTE BOOK GROUP CANADA LTD., HACHETTE BOOK GROUP, INC. ET HACHETTE DIGITAL, INC.

 

Randal Hughes

Emrys Davis

POUR LE DÉFENDEUR

HOLTZBRINCK PUBLISHERS, LLC

 

Peter Franklyn

POUR LE DÉFENDEUR

SIMON SCHUSTER CANADA, UNE DIVISION DE CBS CANADA HOLDINGS CO.

 

Jessica Kimmel

POUR LE DÉFENDEUR

SIMON SCHUSTER CANADA,

UNE DIVISION DE CBS CANADA HOLDINGS CO.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nikiforos Iatrou

WEIRFOULDS, LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

RAKUTEN KOBO INC.

 

John Syme

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Services juridiques du Bureau de la concurrence

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

 

Linda Plumpton

James Gotowiec

TORYS LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

HACHETTE BOOK GROUP CANADA LTD., HACHETTE BOOK GROUP, INC., ET

HACHETTE DIGITAL, INC.

 

Randal Hughes

Emrys Davis

BENNETT JONES LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

HOLTZBRINCK PUBLISHERS, LLC

 

Peter Franklyn

OSLER, HOSKIN & HARCOURT S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

Jessica Kimmel

GOODMANS LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

SIMON SCHUSTER CANADA,

UNE DIVISION DE CBS CANADA HOLDINGS CO.

 

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