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Date : 20170608


Dossier : IMM-1168-16

Référence : 2017 CF 561

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

SANAZ NAZARI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Sanaz Nazari, est une citoyenne iranienne de confession chiite. Son mari est citoyen pakistanais de confession sunnite. En novembre 2000, ils se sont mariés aux Émirats arabes unis où le mari de la demanderesse travaillait comme ingénieur agricole. La demanderesse résidait avec son mari dans une maison fournie par son employeur, laquelle se trouvait dans un camp situé en dehors d’Abu Dhabi.

[2]               Leur fils est né aux Émirats arabes unis en juin 2003. Le fils de la demanderesse est un citoyen du Pakistan étant donné que le père de celui-ci est pakistanais. Il ne possède ni la nationalité des Émirats arabes unis ni celle de l’Iran.

[3]               En juillet 2005, la demanderesse a déménagé en Iran avec son fils pour vivre avec ses parents, car l’employeur de son mari n’était plus en mesure d’accueillir les familles dans le camp de chantier où ils vivaient. En Iran, la demanderesse a fréquenté l’université et a étudié la gestion des entreprises. Tous les quelques mois, elle allait aux Émirats arabes unis pour rendre visite à son mari. Cela a permis à la demanderesse de conserver son statut de résident permanent aux Émirats arabes unis et de renouveler le visa iranien de son fils.

[4]               Lorsque le mari de la demanderesse a obtenu un nouvel emploi en 2008, lequel permettait à sa famille de venir vivre avec lui, la demanderesse est retournée aux Émirats arabes unis avec son fils. La demanderesse et son fils se sont régulièrement rendus en Iran, au moins une fois par an. La famille a résidé aux Émirats arabes unis jusqu’à ce que la demanderesse aille au Canada avec son fils en février 2015, où ils vivent actuellement avec la sœur de la demanderesse.

[5]               En juin 2015, la demanderesse a demandé l’asile pour elle et son fils. Alléguant que son mari risquait de perdre son statut aux Émirats arabes unis et qu’il envisageait de retourner dans son village natal au Pakistan, près de la frontière de l’Afghanistan, car il était devenu très religieux et proche de sa famille, la demanderesse a affirmé qu’elle serait tuée ou persécutée dans une région dominée par la religion sunnite et qu’elle serait rejetée par la famille dévote de son mari à cause de sa confession chiite. Elle a également prétendu qu’il serait trop dangereux pour son fils de vivre seul avec son père et que, de toute façon, son mari ne voulait pas s’occuper de l’enfant.

[6]               La demanderesse a également affirmé qu’il lui serait impossible de vivre avec son fils en Iran étant donné qu’il n’aurait jamais obtenu la citoyenneté ou la résidence permanente là-bas. Bien que les hommes iraniens puissent transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à leurs femmes de nationalité étrangère, les femmes iraniennes n’ont pas le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à leurs maris de nationalité étrangère conformément à l’article 976 du Code civil de la République islamique d’Iran [Code civil]. Cela signifiait que le fils de la demanderesse ne pourrait pas aller à l’école ou obtenir des soins médicaux ou d’autres avantages sociaux. De plus, son fils ne pouvait aller au Pakistan pour faire renouveler son permis de visite en Iran que tous les trois (3) mois et cela serait trop dangereux pour lui.

[7]               Le 28 septembre 2015, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a accepté la demande d’asile du fils de la demanderesse contre le Pakistan, en concluant que, si le fils de la demanderesse vivait dans le village de son père dans les zones tribales du Pakistan, il était fort possible qu’il soit contraint de rejoindre un groupe de milice taliban ou qu’il soit pris pour cible, puisqu’il était en âge de se battre et qu’il était le fils d’une femme chiite.

[8]               Bien qu’elle ait déterminé que le fils de la demanderesse était un réfugié au sens de la Convention, la SPR a néanmoins rejeté la demande de la demanderesse contre l’Iran. La SPR a noté que lorsque la demanderesse résidait en Iran avec son fils, ses problèmes majeurs étaient principalement des complications administratives liées au fait que son fils n’était pas un citoyen iranien. Par ailleurs, sa vie en Iran était normale et elle n’avait pas été exclue à cause de son mariage avec un citoyen du Pakistan. La SPR a conclu que le fait qu’elle retournait régulièrement en Iran avec son fils de 2008 à 2014 démontrait qu’elle ne craignait pas d’être persécutée ou que son fils soit en danger. En outre, la SPR a conclu que si les lois sur la nationalité de l’Iran étaient discriminatoires à l’égard des femmes, cela ne constituait pas une persécution, car l’unité familiale n’est pas un concept reconnu par le droit canadien des réfugiés. Enfin, en s’appuyant sur la décision de notre Cour dans Nakawunde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 309, aux paragraphes 29 et 30, la SPR a conclu que la séparation forcée de son fils ne constituerait pas pour la demanderesse une peine ou un traitement cruel et inusité en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR]. Les préoccupations de la demanderesse étaient plus pertinentes dans le contexte d’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la LIPR.

[9]               La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés [SAR].

[10]           Dans une décision datée du 24 février 2016, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a confirmé que la demanderesse n’était ni une réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de protection en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[11]           La demanderesse présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR.

II.                Analyse

[12]           La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsque notre Cour examine la décision de la SAR sur une question de fait et de droit mixte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). La Cour n’interviendra pas si la décision de la SAR est justifiable, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[13]           Bien qu’il ait été formulé différemment dans sa demande de contrôle judiciaire, l’argument principal de la demanderesse est que la SAR aurait dû tenir compte du droit canadien et international qui considère que l’ingérence discriminatoire dans la vie, l’unité et l’intégrité des familles constitue une persécution et qu’elle aurait dû y accorder plus de poids. La demanderesse fait valoir qu’un droit fondamental de la personne est violé lorsqu’un État ne reconnaît pas la relation fondamentale entre un parent et un enfant ou interfère avec le maintien de cette relation. Selon la demanderesse, la violation est encore plus complexe lorsque le déni de cette relation est ancré dans la discrimination fondée sur le genre.

[14]           Je suis d’avis que la décision de la SAR est raisonnable pour les motifs suivants.

[15]           Contrairement à l’affirmation de la demanderesse, la SAR a effectivement pris en considération les arguments de la demanderesse selon lesquels son droit à l’unité familiale devrait être interprété de manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme. La SAR a admis qu’il y a des normes internationales en jeu, citant par exemple le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle a toutefois ajouté que le législateur est la source ultime de la loi au Canada et que la demande de la demanderesse doit faire l’objet d’une décision en fonction de « dispositions claires d’une loi du Parlement » qui, dans le cas de la demanderesse, se rapportent aux articles 96 et 97 de la LIPR et aux règlements, aux règles et à la jurisprudence qui découlent d’une telle loi.

[16]           S’appuyant sur la jurisprudence canadienne en ce qui concerne la signification de la persécution, la SAR a indiqué qu’elle ne pouvait tout simplement pas accepter la proposition selon laquelle les exigences administratives pour maintenir la proximité de la demanderesse avec son fils constituaient une persécution. La SAR a conclu que, même si elle admettait que la demanderesse appartenait à « un groupe social particulier » conformément à l’article 96 de la LIPR – les femmes iraniennes qui épousent des hommes étrangers et ne peuvent transmettre leur nationalité à leurs maris et à leurs enfants ou une famille chiite-sunnite issue d’un mariage mixte – la situation de la demanderesse n’équivalait pas à de la persécution au sens ou l’entend le droit canadien.

[17]           La jurisprudence canadienne reconnaît le droit général des États de réglementer l’entrée et la résidence des non-citoyens dans leur territoire (De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, au paragraphe 97). Le législateur l’a fait principalement au moyen de la LIPR (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 9; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. J.P., 2013 CAF 262, au paragraphe 14, inf. pour d’autres motifs dans l’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58).

[18]           La jurisprudence canadienne prévoit également que si un pays ou un État exerce ce droit de manière discriminatoire qui impose des restrictions fondées sur l’un des motifs de persécution énumérés, une telle discrimination est un facteur qu’il faut prendre en compte dans la question de savoir si un demandeur d’asile a une crainte objective d’être persécuté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Hamdan, 2006 CF 290, aux paragraphes 23 et 24).

[19]           Cela dit, même si l’on était d’accord avec la demanderesse pour dire que la discrimination alléguée dans cette affaire est fondée sur le genre et que la demanderesse appartient à un « groupe social particulier » tel que défini à l’article 96 de la LIPR, la question au cœur de l’argument de la demanderesse est de savoir si la définition de réfugié au sens de la Convention incorpore le concept d’unité familiale. La demanderesse a effectivement admis devant la SPR qu’à part des problèmes administratifs, elle n’était exposée à aucun préjudice personnel en Iran, éliminant toute question de risque personnel.

[20]           Bien que les lois canadiennes sur l’immigration peuvent viser à promouvoir l’unité familiale dans certaines circonstances, comme celles que prévoit l’article 25 de la LIPR, le droit canadien des réfugiés ne reconnaît pas le droit fondamental qu’auraient les demandeurs d’asile de vivre ensemble (Chavez Carrillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1228, aux paragraphes 15 et 17; Jawad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1035, au paragraphe 10; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ali Khan, 2005 CF 398, au paragraphe 11). En outre, le concept d’unité de la famille ne retire pas à un revendicateur le fardeau de démontrer qu’il est visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention » (Garcia Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 847, au paragraphe 15).

[21]           La décision de la SAR est donc conforme à la jurisprudence de notre Cour.

[22]           Je ne crois pas que le fait que la SAR n’a pas abordé plus en détail certains éléments de la preuve ou des arguments de la demanderesse indique que la SAR les a ignorés (Thiara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 387, aux paragraphes 18, 28 et 41, conf. par Thiara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 151, au paragraphe 9). Il n’était pas nécessaire pour la SAR de le faire étant donné que la question déterminante pour la SAR était qu’elle considérait que la demande de la demanderesse reposait à la fois sur des hypothèses et des invraisemblances.

[23]           La SAR a considéré comme hypothétique l’allégation de la demanderesse selon laquelle il serait impossible pour son fils d’immigrer en Iran. À l’instar de la SPR, la SAR a eu du mal à croire qu’il n’y avait pas de mécanisme en place, aussi difficile soit-il, pour que la demanderesse obtienne un statut permanent pour son fils en Iran, à condition que son mari soit prêt à coopérer. La SAR a noté que le fils de la demanderesse avait pu entrer en Iran et en sortir à maintes reprises pour maintenir son statut dans le pays et a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’il était impossible pour son fils d’obtenir un statut permanent en Iran.

[24]           Cette conclusion est à la fois raisonnable et étayée par la preuve au dossier. Dans l’un des articles fournis par la demanderesse, l’auteur discute de capacité limitée des femmes iraniennes à transmettre la citoyenneté à leurs enfants. Si l’article aborde essentiellement la situation des enfants [traduction] « nés en Iran » de mères iraniennes et de pères étrangers, je note que l’auteur indique également que les enfants de femmes iraniennes nés en dehors de l’Iran [traduction] « doivent chercher à obtenir la citoyenneté au moyen d’autres procédures de naturalisation du Code civil, une tâche qui s’avère difficile ». Cette déclaration est appuyée par une note de bas de page faisant référence à l’article 983 du Code civil de l’Iran qui énonce le processus de soumission d’une demande de naturalisation. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il lui était impossible de garantir son statut en Iran, même si cette tâche s’avérait difficile.

[25]           La SAR a également jugé incohérent l’argument de la demanderesse selon lequel elle était en danger en Iran parce qu’elle s’était mariée avec un sunnite. La SAR a noté à juste titre que la demanderesse avait vécu en Iran et était sortie de l’Iran et y était revenue à maintes reprises depuis son mariage en 2000 et qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle avait eu des problèmes entre 2000 et 2015.

[26]           En plus de conclure que certaines des allégations de la demanderesse étaient hypothétiques, la SAR a également considéré que l’allégation de la demanderesse selon laquelle son mari voudrait retourner dans un petit village au Pakistan était [traduction] « tout simplement invraisemblable». Son mari avait vécu aux Émirats arabes unis depuis au moins 2000 et au moins deux (2) de ses frères étaient également présents aux Émirats arabes unis, dont l’un vivait là-bas depuis plus de vingt-cinq (25) ans.

[27]           Dans l’ensemble, la SAR était d’avis que toutes les allégations de la demanderesse [traduction] « pouvaient être remises en question » et que, si la demanderesse retournait en Iran, elle n’avait pas défini un réel danger de persécution ou un risque en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[28]           Bien que la demanderesse puisse être en désaccord avec l’évaluation de la SAR et le poids qu’elle a attribué à la preuve de la demanderesse, il ne revient pas à notre Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de substituer la solution qu’elle‑même jugerait appropriée à celle qui a été retenue et de réévaluer les éléments de preuve présentés à la SAR et à la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61). Il faut considérer la décision de la SAR comme un « tout » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013, CSC 34, au paragraphe 54) et le caractère approprié des motifs ne constitue pas un motif de contrôle (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 16).

[29]           En fin de compte, je conclus que les préoccupations de la demanderesse seraient mieux traitées dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la LIPR. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a indiqué qu’une demande en ce sens avait été déposée, mais je ne sais pas si cette demande a été tranchée à ce stade.

[30]           Pour terminer, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable, car elle est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

[31]           La demanderesse propose plusieurs questions aux fins de certification. Étant donné qu’à mon avis, elles ne sont pas déterminantes en l’espèce, je ne certifierai pas ces questions (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 12; Pierre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1249, aux paragraphes 46 et 47).


JUGEMENT dans l’affaire IMM-1168-16

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1168-16

INTITULÉ :

SANAZ NAZARI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2017

COMPARUTIONS :

David Berger

Pour la demanderesse

Evan Liosis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldberg Berger

Avocats

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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