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Date : 20171010


Dossier : IMM-1054-17

Référence : 2017 CF 896

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

SALAH EDDINE CHEIKH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Contexte

[1]               Le demandeur est citoyen de l’Algérie. Il arrive au Canada comme résident permanent en 2001, alors âgé de onze (11) ans, accompagné de sa mère et de sa sœur cadette.

[2]               Le 7 juin 2010, le demandeur est condamné pour des infractions de vol qualifié avec arme à feu, de séquestration, de possession d’une arme à autorisation restreinte, d’usage négligent d’une arme et pour défaut de se conformer à une décision. Il écope de quatre (4) ans de prison et d’une ordonnance de probation de trois (3) ans. De plus, il lui est interdit de posséder des armes à feu, des munitions ou des matières explosives et ce, à perpétuité.

[3]               Le 7 juin 2011, un rapport d’interdiction de territoire est rédigé contre le demandeur pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le 16 juin 2011, le rapport est déféré à la Section de l’immigration [SI] pour fins d’enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la LIPR. Le 21 juillet 2011, la SI prend une mesure d’expulsion contre le demandeur, celui-ci étant interdit de territoire pour grande criminalité conformément à l’alinéa 36(1)a) et au paragraphe 44(2) de la LIPR.

[4]               Le 20 décembre 2013, un avis d’intention de demander l’avis du ministre en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR est remis au demandeur.

[5]               Le 1er février 2017, le délégué du ministre conclut que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Il affirme être satisfait que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR en raison de ses condamnations pour vol qualifié avec usage d’une arme à feu restreinte, que le demandeur représente actuellement et présentera ultérieurement un danger pour le public au Canada au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, que le demandeur ne fera pas personnellement face à un risque à sa vie, sa liberté et sa sécurité s’il est retourné en Algérie et enfin, que le demandeur n’a pas soulevé de considérations humanitaires suffisantes pouvant l’amener à conclure que le demandeur ne devrait pas être renvoyé du Canada.

[6]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cet avis de danger. Il soutient que les conclusions du délégué du ministre quant au danger présent ou futur qu’il représente pour le public au Canada sont déraisonnables.

[7]               Plus précisément, le demandeur prétend que la preuve ne permet pas de conclure qu’il représente un risque inacceptable de récidive, aujourd’hui et pour le futur. Selon le demandeur, la preuve relative à sa criminalité est clairement désuète. Les dernières infractions remontent à 2012 et avant cela, à 2009. Il plaide qu’il n’y a aucune preuve démontrant qu’il est un récidiviste potentiel. Au contraire, son dossier fait état d’une preuve plus contemporaine de sa réadaptation qui ne permet pas de conclure raisonnablement qu’il représente un risque présent ou futur pour la société canadienne selon la prépondérance des probabilités.

[8]               Le demandeur reproche également au délégué du ministre de lui avoir imposé le fardeau injustifié de prouver qu’il gagne légalement sa vie pour démontrer qu’il ne représente pas un « risque inacceptable » pour la société canadienne.

[9]               Le demandeur ne conteste pas les conclusions du délégué du ministre portant sur l’interdiction de territoire dont il fait l’objet, ni celles portant sur le risque qu’il pourrait encourir s’il est retourné en Algérie ou sur les considérations d’ordre humanitaire.

[10]           Après avoir examiné les observations des parties, l’avis du délégué du ministre ainsi que le dossier certifié du tribunal, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

II.                 Analyse

[11]           Les parties conviennent que l’avis de danger d’un délégué du ministre en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR est une décision soumise à la norme de la décision raisonnable. Il s’agit d’une question mixte de faits et de droit qui commande la retenue de la Cour en contrôle judiciaire (Nagalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 153 au para 32; Alkhalil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 976 au para 16; Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 231 au para 33; Reynosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1058 au para 11).

[12]           Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[13]           En général, il est interdit, selon le paragraphe 115(1) de la LIPR, de renvoyer les réfugiés au sens de la Convention et les personnes protégées vers un pays où ces personnes risquent d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques, ou encore, si elles risquent la torture ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités. Ce principe du non-refoulement ne s’applique pas cependant lorsque la personne est interdite de territoire au Canada pour grande criminalité et qu’elle constitue un danger pour le public selon l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Emporte l’interdiction de territoire pour grande criminalité selon l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, le fait d’être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix (10) ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six (6) mois est infligé.

[14]           Si la personne est interdite de territoire pour raison de grande criminalité et qu’elle constitue un danger pour le public canadien, le délégué du ministre doit également, pour respecter les droits garantis à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, la personne sera exposée à une menace à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne, et mettre ce risque en balance avec la nature et la gravité de la conduite de la personne au Canada, le danger qu’elle constitue pour les Canadiens et les considérations d’ordre humanitaire applicables (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 aux para 76-79; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151 aux para 18-19).

[15]           Contrairement aux prétentions du demandeur, le délégué du ministre a pris en compte ses observations relativement à son absence de récidive depuis 2012. Il a aussi considéré les éléments de preuve soumis par le demandeur. Le délégué du ministre indique en fait que les documents fournis sont très positifs quant aux progrès accomplis par le demandeur.

[16]           Cependant, en évaluant le risque de récidive, le délégué du ministre retient que les infractions commises par le demandeur ont un trait commun, soit qu’elles ont un but lucratif. La preuve démontre que le demandeur est déclaré coupable entre 2007 et 2013 de plusieurs infractions criminelles, dont certaines à caractère violent impliquant la possession et l’utilisation d’armes contre les personnes et ayant pour objectif de voler de l’argent et des biens.

[17]           C’est dans cette optique que le délégué du ministre examine la situation d'emploi du demandeur. Notant que le demandeur a fourni peu d’information récente sur sa situation pouvant démontrer qu’il a entrepris un comportement pro social, le délégué du ministre lui demande de fournir certaines preuves et de clarifier certaines informations. À la lumière des informations fournies par le demandeur, le délégué du ministre retient l’absence de déclaration de revenus pour les années 2013 et 2014 ainsi que le fait que le demandeur n’a pas les qualifications professionnelles pour exercer son métier et qu’il est sans permis de travail depuis juillet 2014. Considérant le statut précaire de l’emploi du demandeur ainsi que l’aspect lucratif des infractions commises par ce dernier dans le passé, il était raisonnable pour le délégué du ministre de tenir compte de ces éléments puisqu’un besoin éventuel d’argent pourrait être la source d’un risque de récidive dans le futur.  Il était également approprié pour le délégué du ministre de considérer les rapports au dossier datant de 2010 faisant état du niveau élevé de dangerosité, de la violence de ses crimes, et notamment, de son risque de récidive.

[18]           Ainsi, il était loisible pour le délégué du ministre de conclure que le demandeur représente un risque inacceptable de récidive, aujourd’hui et pour le futur. Cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et la décision est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[19]           Essentiellement, le demandeur est en désaccord avec l’évaluation de la preuve qu’a faite le délégué du ministre. Cette évaluation de la preuve commande toutefois une grande retenue de la Cour, qui n’a pas pour rôle de soupeser celle-ci à nouveau (Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 393 (QL) (CAF) au para 29; Derisca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 524 au para 25; Mzite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 284 au para 48; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 315 au para 20). Par ailleurs, le délégué du ministre n’avait pas l’obligation de commenter chacun des éléments de preuve (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] ACF no 1425 au para 16, 157 FTR 35 (1re inst); Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF)).

[20]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1054-17

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1054-17

INTITULÉ :

SALAH EDDINE CHEIKH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SEPTEMBRE 2017

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 10 OCTOBRE 2017

COMPARUTIONS :

Vincent Desbiens

Pour le demandeur

Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique de Montréal

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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