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Date : 20171013


Dossier : T-1977-16

Référence : 2017 CF 914

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 13 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

INTHUNATHAN NADESU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Dans les motifs datés du 10 octobre 2016, la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) a rejeté la demande de réhabilitation du demandeur relativement aux déclarations de culpabilité prononcées à son endroit entre 1997 et 2004. La Cour est appelée à décider si la décision est entachée d’une erreur de droit.

[2]  Il est entendu que la disposition de la Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c C‑47 (la Loi), que la Commission devait appliquer au moment où la décision a été rendue, est rédigée comme suit :

Suspension du casier

4.1 (1) La Commission peut ordonner que le casier judiciaire du demandeur soit suspendu à l’égard d’une infraction lorsqu’elle est convaincue :

a) que le demandeur s’est bien conduit pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) et qu’aucune condamnation, au titre d’une loi du Parlement, n’est intervenue pendant cette période;

b) dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), que le fait d’ordonner à ce moment la suspension du casier apporterait au demandeur un bénéfice mesurable, soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Fardeau du demandeur

(2) Dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), le demandeur a le fardeau de convaincre la Commission que la suspension du casier lui apporterait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société.

[3]  Pour plus de précision, la mention de l’« alinéa 4(1)a) » figurant à l’alinéa 4.1(1)b) renvoie aux délais qui doivent s’écouler à l’égard d’une infraction particulière avant qu’une demande de réhabilitation puisse être présentée. En l’espèce, il est entendu que la demande de réhabilitation du demandeur était conforme à la disposition.

[4]  Il est également entendu qu’une approche séquentielle est nécessaire concernant l’application du paragraphe 4.1(1) :

[traduction] En ce qui concerne le critère cumulatif à deux volets prévu à la Loi sur le casier judiciaire, le demandeur doit d’abord satisfaire au premier critère énoncé à l’alinéa 4.1(1)a), soit qu’il « s’est bien conduit », avant de pouvoir passer à la série suivante de critères prévue à l’alinéa 4.1(1)b).

(Mémoire des faits et du droit du défendeur, au paragraphe 85)

[5]  Par conséquent, l’article 4.1 exige que la Commission tire cinq conclusions favorables selon l’ordre suivant avant qu’une réhabilitation puisse être accordée : le demandeur s’est bien conduit depuis la date des déclarations de culpabilité visées par la demande de réhabilitation; il n’a fait l’objet d’aucune condamnation depuis les déclarations de culpabilité visées par la demande de réhabilitation; la réhabilitation apporterait un bénéfice mesurable au demandeur; elle soutiendrait la réadaptation du demandeur; elle ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. En conséquence, selon cette interprétation, si les éléments de preuve dont dispose la Commission donnent lieu à une conclusion fondée selon laquelle un demandeur ne s’est pas bien conduit, l’analyse prend immédiatement fin. C’était le cas en ce qui concerne la décision visée par le présent contrôle judiciaire.

[6]  Lors de l’examen initial de la demande de réhabilitation du demandeur, la Commission est parvenue à la conclusion préliminaire suivante :

[traduction] En mars 2016, la Commission a proposé de rejeter votre demande de réhabilitation. La Commission a tenu compte de renseignements indiquant qu’il se pourrait que vous ne répondiez pas au critère de bonne conduite. La Commission a tenu compte du fait qu’une mesure de renvoi en matière d’immigration a été prise à votre égard en décembre 2004. Vous avez omis à deux reprises de vous présenter à l’entrevue préalable au renvoi. En mai 2005, vous avez été arrêté et vous avez fait l’objet d’une enquête pour tentative de meurtre, mais vous n’avez été accusé que d’agression armée. À ce moment-là, vous étiez considéré comme un fugitif qui tentait d’échapper à la police depuis juillet 2004. Le 17 juin 2015, les chefs d’accusation de possession ou d’utilisation d’une carte de crédit obtenue de manière frauduleuse, d’utilisation non autorisée des données de cartes de crédit et de fraude ne dépassant pas 5 000 $ ont été retirés. Les chefs d’accusation avaient trait à un incident survenu en 2014.

La Commission a également tenu compte du fait que votre casier judiciaire vise une période s’étendant sur plus de sept ans, et qu’il compte bon nombre de condamnations et de chefs d’accusation de nature grave et violente qui ont par la suite été retirés, notamment pour usage d’une arme, intimidation, menaces et gestes de violence. Selon ces renseignements, y compris votre conduite depuis 2004, la Commission était d’avis que le fait d’ordonner la suspension de votre casier pourrait déconsidérer l’administration de la justice.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, aux paragraphes 3 et 4)

[7]  La Commission a donné au demandeur l’occasion de répondre avant de rendre une décision finale, et a tiré les conclusions suivantes en ce qui concerne les observations du demandeur :

[traduction] En réponse, vous avez fourni des observations détaillées et des documents. Ceux-ci comprennent des descriptions des facteurs contextuels qui ont contribué à votre criminalité, la preuve d’un mode de vie positif et productif, et une évaluation psychosociale récente affichant l’opinion que vous avez changé et que vous êtes un homme réadapté. Dans un affidavit, vous avez expliqué que les chefs d’accusation de 2014 ont été retirés en 2015 parce que des employés du magasin ont confirmé que ce n’était pas vous qui aviez utilisé une carte frauduleuse pour acheter des articles. Votre explication n’était pas conforme aux renseignements des services de police, ou à l’enquête de la Commission. Selon le rapport de police pertinent, la carte que vous avez fournie ne correspondait pas aux renseignements figurant sur votre facture, et la carte était frauduleuse. L’avocat de la Couronne a informé un agent d’enquête de la Commission que les chefs d’accusation ont été retirés parce que votre frère et vous avez fait des dons importants à deux œuvres de bienfaisance. Vous avez maintenu votre innocence à l’égard de toutes les accusations depuis votre dernière condamnation.

(Décision, au paragraphe 6)

[8]  En toute justice, la Commission a demandé et a obtenu d’autres observations du demandeur :

[traduction] Par l’intermédiaire de votre avocat, vous avez répondu que votre explication antérieure constituait une erreur innocente. Dans votre dernier affidavit, vous expliquez que votre avocat à ce moment-là vous a dit que les identifications faites par les employés du magasin étaient faibles, et que la Couronne était disposée à laisser tomber les chefs d’accusation si vous et votre frère faisiez des dons de bienfaisance importants. Vous indiquez que vous comprenez que votre déclaration antérieure ne constituait pas une description complète des événements. Vous soutenez que vous vous êtes mal exprimé en toute bonne foi, que vous n’avez pas fourni des détails complets et clairs sur les événements, et que vous êtes désolé. Vous avez fourni des documents officiels conformes aux renseignements dont dispose la Commission, y compris la preuve du don que vous avez effectué. Vous faites valoir que votre intention n’était pas d’induire la Commission en erreur.

(Décision, au paragraphe 8)

[9]  En conséquence, la Commission est parvenue à la conclusion finale suivante :

[traduction] Vos observations écrites ne convainquent pas la Commission que vous répondez aux critères pour obtenir une réhabilitation. La Commission estime que les renseignements de la police et de la Couronne sont fiables et convaincants. Il existe des renseignements fiables et convaincants selon lesquels vous avez participé à des activités criminelles aussi récemment qu’en 2014. En outre, vous avez donné des renseignements faux et trompeurs dans un affidavit portant sur la raison pour laquelle ces chefs d’accusation ont été retirés. La Commission conclut que vous ne répondez pas aux critères en matière de conduite pour obtenir une réhabilitation. De plus, après avoir examiné vos antécédents criminels graves qui comprennent l’utilisation d’armes et le recours à la violence, ainsi que votre conduite depuis votre dernière condamnation et le fait que vous vous êtes montré prêt à fournir des renseignements faux et trompeurs en vue d’obtenir une réhabilitation, la Commission conclut que le fait d’ordonner la suspension de votre casier à ce moment-ci risque de déconsidérer l’administration de la justice.

La Commission rejette votre demande de réhabilitation.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, aux paragraphes 9 et 10)

[10]  L’avocate du demandeur conteste la décision de la Commission de rejeter la demande du demandeur, mais elle ne remet pas en question le caractère exact des éléments de preuve sur lesquels la Commission a fondé sa décision. L’avocate du demandeur soutient que la décision visée par le contrôle comporte une erreur de droit susceptible de révision :

[traduction] Le demandeur soutient que la commissaire [qui a rendu la décision au nom de la Commission] a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle [le demandeur] ne s’était pas bien conduit en ne tenant pas compte de l’ensemble des éléments de preuve. En outre, la commissaire a commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs atténuants pertinents par rapport au souci de déconsidérer l’administration de la justice. Le demandeur soutient qu’en raison des erreurs susmentionnées, la commissaire n’était pas en mesure de soupeser de manière adéquate les facteurs nécessaires pour décider si le demandeur méritait une réhabilitation. Par conséquent, la décision était déraisonnable.

[...]

Il est allégué qu’il incombait à la commissaire d’examiner et d’analyser de manière appropriée les éléments de preuve concernant la bonne conduite, et la considération dont jouit l’administration de la justice en général, une fois penchée sur le bien-fondé de la demande du demandeur. Il semble plutôt que la commissaire a tiré une conclusion fondée uniquement sur des facteurs négatifs ou aggravants. Ce faisant, elle a écarté entièrement tous les autres éléments de preuve présentés concernant la réadaptation et le mode de vie pro-social du demandeur. Il s’agit là précisément du type de scénario envisagé dans la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 FTR, au paragraphe 27.

(Mémoire des arguments du demandeur, aux paragraphes 14 et 32)

[11]  Dans sa décision, la Commission a reconnu les efforts faits par le demandeur pour devenir un citoyen respectueux des lois :

[traduction] En réponse, vous avez fourni des observations détaillées et des documents. Ceux-ci comprennent des descriptions des facteurs contextuels qui ont contribué à votre criminalité, la preuve d’un mode de vie positif et productif, et une évaluation psychosociale récente affichant l’opinion que vous avez changé et que vous êtes un homme réadapté.

(Décision, au paragraphe 6)

[12]  L’avocate du demandeur soutient qu’il fallait prendre en considération les éléments de preuve favorables figurant au dossier avant de tirer la conclusion relative à la conduite. Je ne peux souscrire à cet argument. Il est manifeste que les attentes de la Commission quant à savoir si le demandeur s’était « bien conduit » visaient exclusivement le demandeur et sa criminalité, et à cet égard, le demandeur n’a pas satisfait au premier critère très important énoncé à l’alinéa 4.1(1)a). En conséquence, la Commission dans sa conclusion sur la conduite du demandeur a écarté la possibilité de tenir compte des éléments de preuve favorables concernant le critère énoncé à l’alinéa 4.1(1)b) et portant sur le fait qu’octroyer la suspension de son casier lui apporterait un « bénéfice mesurable » et « soutiendrait sa réadaptation ».

[13]  En conclusion, la Commission a conclu que, puisque le demandeur ne répondait pas au critère relatif à la conduite, on ne pouvait lui accorder une suspension de son casier, parce que le faire équivaudrait à déconsidérer l’administration de la justice.  J’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions de droit et, par conséquent, je conclus que la décision visée par le contrôle est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  • a) La présente demande est rejetée.

  • b) La question liée aux dépens est mise en délibéré jusqu’à ce que la Cour reçoive les arguments des avocats.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1977-16

 

 

INTITULÉ :

INTHUNATHAN NADESU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Natalie Domazet

Pour le demandeur

 

Haniya Sheikh

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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