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Date : 20171101


Dossier : T-84-17

Référence : 2017 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er novembre 2017

En présence de madame la juge Simpson

Dossier : T-84-17

ENTRE :

M. RENWYCK QUIANO

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  En application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision qu’une déléguée du ministre de l’Emploi et du Développement social (la déléguée) a rendue le 14 décembre 2016, dans laquelle elle concluait que le demandeur n’était pas admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de juillet 2003 (la décision).

I.  Question en litige

[2]  La question à trancher est celle de savoir si la déléguée a raisonnablement conclu, en application du paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, LRC (1985), c C-8 (le Régime), qu’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative lorsque la demande de prestations d’invalidité du RPC présentée par le demandeur avait été refusée en 2003.

[3]  Le paragraphe 66(4) est ainsi libellé :

(4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

(4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

II.  L’ordonnance demandée

[4]  Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre délégué du ministre pour nouvel examen. Le demandeur a également sollicité des dépens, mais il a retiré cette demande.

III.  Le contexte factuel

[5]  Le demandeur est un homme qui est né aux Philippines en 1959 et a immigré au Canada en juin 1995. Il est handicapé à la suite d’un accident survenu pendant qu’il travaillait au Canada comme manutentionnaire de bagages. Le demandeur a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC à trois reprises : en 2003, en 2006 et en 2011.

[6]  Dans une lettre en date du 29 août 2003, le demandeur a reçu un document de quatre pages intitulé [traduction] « Qui est admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada? » (le guide). Il est rédigé en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Que se passe-t-il si j’ai versé des cotisations dans un autre pays?

Le Canada a conclu des accords avec plusieurs pays au sujet des prestations d’invalidité et d’autres programmes d’aide sociale. Si vous avez versé des cotisations dans un pays avec lequel nous avons conclu un accord, nous tenons compte de ces cotisations au moment de décider si vous êtes admissible à toucher des prestations d’invalidité du RPC.

[7]  Il n’est pas contesté que le demandeur avait le guide entre les mains lorsqu’il a rempli sa demande de prestations d’invalidité du RPC en 2003 (la demande de 2003).

[8]  Cependant, lorsqu’il a rempli sa demande de 2003, le demandeur a répondu [traduction] « Non » à la question 6, où il était demandé ceci : [traduction] « Avez-vous déjà travaillé dans un autre pays? » Même si le demandeur a répondu qu’il n’avait jamais travaillé aux Philippines, le défendeur savait que le demandeur y avait vécu avant d’immigrer au Canada, parce qu’il avait fourni son passeport dans le cadre de sa demande.

[9]  La demande de 2003 a été examinée en fonction des cotisations que le demandeur avait versées au Régime de pensions du Canada, et elle a été refusée parce qu’elle ne répondait pas aux exigences en matière de cotisation (le refus de 2003). Le demandeur n’a pas demandé le réexamen du refus de 2003.

[10]  Le demandeur a écrit deux lettres dans lesquelles il a établi les faits. La première était adressée à Service Canada et était datée du 27 juin 2012. Le demandeur y affirme qu’après le refus de 2003, il s’est adressé à une représentante autochtone de Service Canada à Vancouver et, par téléphone depuis ce bureau, à un représentant de Service Canada à Victoria. Ces deux personnes l’ont avisé que le refus de 2003 se fondait sur l’insuffisance des cotisations. Les représentants ne sont pas nommés. Le demandeur affirme dans sa lettre leur avoir dit qu’il était originaire des Philippines, mais il n’affirme pas leur avoir dit qu’il avait travaillé aux Philippines et y avait versé des cotisations à la sécurité sociale. Le défendeur n’a aucune trace de ces conversations.

[11]  Dans la deuxième lettre du demandeur, qui a été rédigée le 11 avril 2016, les renseignements fournis sont quelque peu différents. Le demandeur affirme qu’après le refus de 2003, il a téléphoné à Développement des ressources humaines Canada et leur a dit qu’il avait travaillé et cotisé aux Philippines. Il n’y a aucune trace de cette conversation.

[12]  Une autre version des faits figure dans le sommaire d’une entrevue téléphonique avec le demandeur en date du 15 septembre 2011. En voici un extrait :

[TRADUCTION]

Il s’est plaint à plusieurs reprises de ne pas avoir été avisé de l’accord entre le Canada et les Philippines auparavant. Il dit que lorsqu’il a présenté sa première demande, en 2003, ils lui ont dit qu’il n’avait pas cotisé suffisamment au RPC; lorsqu’il leur a dit qu’il avait travaillé dans son pays de naissance pendant de nombreuses années, on lui a dit que seules les cotisations au RPC comptaient.

[13]  Le 13 février 2006, le demandeur a présenté sa deuxième demande de prestations d’invalidité du RPC (la demande de 2006). Il a de nouveau répondu à la question 6 par la négative, en disant qu’il n’avait jamais travaillé à l’extérieur du Canada. La demande de 2006 a également été refusée parce qu’elle ne répondait pas aux exigences en matière de cotisation.

[14]  Le demandeur explique ses réponses par la négative à la question 6 en 2003 et en 2006 du fait qu’il n’avait pas compris le contexte de la question, puis il ajoute qu’en 2003, il avait aussi des problèmes de santé.

[15]  Le 1er juin 2011, le demandeur a été réputé avoir soumis une demande de prestations d’invalidité du RPC pour la troisième fois lorsqu’il a présenté un formulaire intitulé [traduction] « Demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada en application de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et la République des Philippines ». Dans sa demande, le demandeur a indiqué qu’il avait déjà travaillé aux Philippines.

[16]  Le 3 octobre 2011, l’intimé a reconnu avoir commis une [traduction] « erreur d’écriture » concernant la demande de 2006, parce que le mot « Philippines » était écrit à la main et encerclé à côté de la question 6 sur le formulaire. L’écriture était la même que celle qui apparaissait dans un registre des appels téléphoniques en date du 15 juin 2006, ce qui démontrait qu’il y avait eu des échanges avec le demandeur. Le défendeur a conclu que le demandeur avait mentionné avoir travaillé aux Philippines, puis a décidé qu’une erreur administrative avait été commise, dans la mesure où la demande de 2006 aurait dû être transmise aux Opérations internationales aux fins d’examen dans le cadre de l’accord entre le Canada et les Philippines.

[17]  Par suite de l’erreur, le défendeur a versé au demandeur 14 296,16 $ en prestations fondées sur la demande de 2006. La seule question à trancher maintenant est donc celle de savoir si des prestations additionnelles fondées sur la demande de 2003 devraient être versées. La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a décidé qu’un tel paiement ne pouvait être autorisé que par le ministre, en application du paragraphe 66(4) de la Loi, et a proposé que le ministre se penche sur cette question.

[18]  Le ministre a accepté la proposition, et la décision découle de l’examen de cette question en application du paragraphe 66(4) de la Loi.

IV.  La décision

[19]  La décision concernant le droit aux prestations du demandeur sur le fondement de la demande de 2003 est rédigée en ces termes :

[TRADUCTION]

Notre ministère a établi que les renseignements versés à votre dossier n’étayent pas l’allégation selon laquelle une erreur administrative a été commise dans le traitement de votre demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada présentée en 2003.

Après un plus ample examen, il a été décidé que votre demande de 2003 avait été évaluée en fonction des cotisations nationales, et qu’elle avait été refusée parce que vous ne répondiez pas aux exigences en matière de cotisation. Dans la demande, vous avez déclaré que vous n’aviez jamais travaillé dans un autre pays.

Notre décision de refuser votre demande de 2003 était juste selon les renseignements accessibles à l’époque. Vous n’avez pas demandé un nouvel examen de cette décision dans le délai de 90 jours.

V.  Analyse

[20]  Il ne fait pas de doute que la décision est peu étoffée. Elle se fonde simplement sur les [traduction] « renseignements versés au dossier » et le fait que le demandeur a répondu à la question 6 par la négative et n’a pas demandé de nouvel examen, pour conclure qu’aucune erreur administrative n’a été commise.

[21]  La décision n’a pas tenu compte de l’allégation du demandeur selon laquelle il avait dit aux représentants du défendeur, en 2003, qu’il avait travaillé aux Philippines. Cette décision ne faisait pas non plus état des raisons pour lesquelles la demande de 2006 avait été accueillie et celle de 2003 avait été refusée, même si les deux étaient similaires. Les deux demandes comportaient une réponse inexacte à la question 6, les deux ont été refusées pour cause de cotisations nationales insuffisantes et aucun des refus n’a été suivi d’une demande de nouvel examen.

[22]  Cependant, la Cour suprême du Canada a affirmé que si un dossier révèle des motifs, il devrait être utilisé pour compléter les motifs énoncés, et qu’une décision peut être jugée raisonnable sur ce fondement : voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 12 et 15. À mon avis, c’est le cas en l’espèce. Le dossier révèle en effet ce qui suit :

  • a) Contrairement à la demande de 2006, celle de 2003 n’est pas associée à un registre d’appels téléphoniques ni à une note démontrant qu’à l’époque de la demande, le demandeur avait communiqué avec le défendeur et l’avait avisé de son travail aux Philippines;

  • b) La correspondance du demandeur, qui est censée donner des précisions, est contradictoire en ce qui concerne la question de savoir si le demandeur a discuté de ses antécédents professionnels avec le défendeur en 2003, et la lettre rédigée à la date la plus rapprochée n’indique pas que cette conversation a eu lieu;

  • c) Les explications que le demandeur a fournies pour avoir répondu à la question 6 par la négative sont déraisonnables, compte tenu du fait qu’il disposait du guide qui lui précisait le contexte de la question et que celle-ci est brève et clairement formulée.

[23]  Le demandeur a aussi prétendu qu’il incombait au défendeur, conformément à sa politique, de prendre l’initiative de transmettre les documents, afin de donner effet à ses droits éventuels en application de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et les Philippines, qui est entré en vigueur le 1er mars 1997, simplement parce qu’il savait que le demandeur avait vécu aux Philippines.

[24]  La difficulté tenait au fait que la politique qui s’appliquait en 2003 n’était pas indiquée dans le dossier. Le document auquel le demandeur a renvoyé était sans date et incomplet. Son avocat a demandé un délai supplémentaire pour examiner le document, mais l’ajournement à cette fin lui a été refusé. Il a reconnu qu’il avait été en possession du document incomplet pendant plusieurs mois.

VI.  Conclusion

[25]  Pour ces motifs, je conclus que la décision est raisonnable, en ce sens qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’a prescrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.


ORDONNANCE

CONSIDÉRANT la demande de contrôle judiciaire du demandeur à l’encontre d’une décision datée du 14 décembre 2016;

ET APRÈS avoir lu les pièces déposées et entendu les observations des avocats des deux parties à Vancouver le 30 octobre 2017;

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-84-17

INTITULÉ :

M. RENWYCK QUIANO c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 octobre 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

Le 1er novembre 2017

COMPARUTIONS :

David A. Hunter

Pour le demandeur

Faiza Ahmed-Hassan

Michael Stevenson

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hamilton Duncan

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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