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Date : 20171106


Dossier : IMM-1635-17

Référence : 2017 CF 1000

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

SIMRANJIT SINGH BHATIA

GURSHARAN KAUR BHATIA

EKAM SINGH BHATIA

ACHINT BHATIA

MAHINDER KAUR BHATIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, M. Simranjit Singh Bhatia, son épouse Mme Gursharan Kaur, ses fils Ekam Singh et Achint, ainsi que sa mère Mme Mahinder Kaur, sont tous citoyens indiens. Monsieur Bhatia, son épouse et son fils aîné Ekam sont arrivés au Canada en décembre 2010, sa mère et son plus jeune fils Achint les ont rejoints deux mois plus tard. En février 2011, M. Bhatia a déposé une demande de statut de réfugié en son nom et au nom de sa famille. Monsieur Bhatia a prétendu qu’ils étaient persécutés par la police indienne depuis janvier 2010. En novembre 2014, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de statut de réfugié concluant que la famille Bhatia n’était pas crédible et que ses membres ne seraient ni persécutés ni torturés en Inde. En décembre 2015, la famille Bhatia a soumis une demande d’examen des risques avant renvoi, laquelle a été rejetée en mars 2017.

[2]  En juin 2016, la famille Bhatia a présenté une demande de résidence permanente en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Cette disposition confère au ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté (ministre) le pouvoir discrétionnaire de soustraire les étrangers aux exigences habituelles de la LIPR s’il est d’avis qu’une telle exemption est justifiée pour des motifs d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché. En février 2017, un agent principal (agent) a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, au motif que les membres de la famille Bhatia n’étaient pas parvenus à démontrer que leur situation personnelle justifiait une exemption discrétionnaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (décision). Dans la décision, l’agent a conclu que la famille Bhatia n’avait pas démontré un degré d’établissement au Canada, que les enfants seraient en mesure de s’ajuster à nouveau à la vie en Inde sans difficulté excessive, que la famille ne subirait pas de difficultés lors d’un éventuel retour en Inde et que ni M. Bhatia ni sa mère ne souffrirait indûment en raison de leurs conditions médicales présumées s’ils étaient renvoyés du pays.

[3]  Les membres de la famille Bhatia demandent un contrôle judiciaire de cette décision. Ils soutiennent que les conclusions de l’agent sont déraisonnables pour trois motifs principaux. D’abord, l’agent a commis une erreur dans l’évaluation du degré d’établissement au Canada de la famille Bhatia, le qualifiant de minime et d’insuffisant. Ensuite, l’agent a omis d’appliquer les bons critères légaux et a adopté une démarche trop restrictive à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants et, finalement, les conclusions de l’agent quant à l’absence de conditions défavorables en Inde sont erronées. Ils demandent ainsi à la Cour d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner qu’un autre agent d’immigration réexamine leur demande de mesure discrétionnaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[4]  La seule question à trancher est de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. À la lumière des conclusions de l’agent, des éléments de preuve qui lui ont été soumis et du droit applicable, je ne trouve aucun motif justifiant l’annulation de la décision, que ce soit relativement à l’établissement de la famille Bhatia au Canada, au traitement de l’intérêt supérieur des enfants ou aux différentes décisions prises par l’agent dans son évaluation ou dans son appréciation des facteurs d’ordre d’humanitaire applicables. La Section de la protection des réfugiés a examiné avec attention la preuve et les conclusions de l’agent appartiennent aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Il n’y a aucun motif justifiant l’intervention de cette Cour.

II.  Contexte

A.  La décision

[6]  Dans une décision plutôt exhaustive, l’agent a tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire suivants : 1) le degré d’établissement de la famille Bhatia au Canada; 2) les conditions défavorables en Inde; 3) l’intérêt supérieur des enfants; et 4) l’état de santé de M. Bhatia et de sa mère.

1)  Établissement au Canada

[7]  L’agent a d’abord conclu que la famille Bhatia n’avait pas démontré un degré d’établissement suffisant au Canada. Plus particulièrement, l’agent a conclu que la famille Bhatia n’avait pas su démontrer un degré adéquat d’indépendance économique, de maîtrise de l’anglais et d’intégration dans la société canadienne.

[8]  En termes d’indépendance économique, l’agent a conclu que la famille Bhatia avait bénéficié de l’aide sociale du moment de son arrivée au Canada jusqu’en mars 2015, alors que M. et Mme Bhatia ont tous deux commencé à travailler à temps plein pour la même entreprise. L’agent a tiré une conclusion négative du fait que ceux-ci n’avaient travaillé que les deux dernières années au cours d’une période de plus de six ans au Canada. L’agent a ensuite souligné l’omission de fournir des relevés de compte bancaires et des avis de cotisation permettant de démontrer leur capacité à subvenir à leurs besoins au cours des deux dernières années, sans aide gouvernementale. De plus, l’agent a remarqué que la mère de M. Bhatia n’avait jamais travaillé au Canada et avait toujours bénéficié d’aide sociale, en dépit de l’absence de mention d’une incapacité à travailler dans les documents portant sur sa condition médicale.

[9]  Concernant la question linguistique, l’agent a conclu que le niveau [traduction] « de connaissance de base » de l’anglais de M. et Mme Bhatia n’était pas suffisant pour leur permettre d’être indépendants après plus de six ans de vie au Canada.

[10]  L’agent a examiné les six lettres de soutien et affidavits au dossier, mais ne leur a accordé aucun poids. En l’occurrence, elles étaient identiques, tant par leur format que par leur contenu, hormis les noms et les dates, ce qu’a souligné l’agent. Les lettres n’étant pas personnalisées, l’agent a indiqué qu’elles ne pouvaient pas être reconnues comme des témoignages de soutien de personnes qui connaissaient personnellement les demandeurs. De façon similaire, l’agent n’a accordé aucun poids à la lettre du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), laquelle visait à prouver que la famille Bhatia avait démontré des efforts importants pour s’intégrer dans la société québécoise et la vie canadienne. En outre, la lettre du PRAIDA énonçait que M. Bhatia avait travaillé pour survenir aux besoins de sa famille peu après son arrivée et l’obtention d’un permis de travail, ce qui est faux.

[11]  Concernant leur intégration au Canada, l’agent a ensuite conclu que les membres de la famille Bhatia avaient plus de liens en Inde considérant le fait qu’ils y avaient vécu la majeure partie de leurs vies, qu’ils n’avaient aucun parent au Canada et que le reste de leur famille demeurait en Inde. L’agent a précisé que l’Inde demeurait leur pays de naissance et la source de leurs coutumes, de leur langue maternelle, de leurs habitudes et de leur religion. Bien que l’agent ait indiqué le caractère positif du fait que les enfants Bhatia aillent à l’école de façon régulière et qu’ils réussissaient bien; il a néanmoins conclu que la famille Bhatia n’était pas parvenue à démontrer de façon objective qu’ils avaient intégré la société canadienne à l’extérieur de la communauté sikhe. L’agent a conclu que leur bénévolat, en plus de leur contribution financière, à leur lieu de culte ainsi qu’au centre communautaire n’était qu’une simple manifestation d’un précepte de leur religion sikhe, laquelle serait pratiquée autant en Inde qu’au Canada. Bien que cet engagement social soit positif, l’agent remarque qu’il s’est limité à leur communauté culturelle.

2)  Intérêt supérieur de l’enfant

[12]  L’agent a ensuite abordé la question de l’intérêt supérieur des enfants. L’agent a reconnu que les enfants Bhatia s’étaient établis au Canada; néanmoins, il a conclu qu’ils seraient en mesure de s’ajuster à nouveau à la vie en Inde sans difficulté excessive. Selon l’agent, les deux enfants connaissent les coutumes indiennes et sikhes, les habitudes, la langue maternelle et la religion, car ils fréquentent régulièrement leur centre communautaire et leur lieu de culte en compagnie de leurs parents et s’immiscent dans la communauté sikhe à travers leur bénévolat. Au surplus, leurs parents et leur grand-mère ont passé la majeure partie de leurs vies en Inde. L’agent a indiqué que la famille Bhatia n’avait pas présenté de preuve objective selon laquelle les enfants sont incapables de se remettre du stress découlant d’un retour en Inde. L’agent a conclu qu’il était raisonnable de croire que les enfants pouvaient communiquer dans la langue maternelle de leurs parents. L’agent a de plus estimé qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de rester avec leurs parents et leur grand-mère, étant donné qu’ils habitaient avec eux depuis leur arrivée au Canada en 2011. Dans un même ordre d’idée, l’agent avance que le stress occasionné par un déménagement en Inde et le commencement d’une nouvelle vie serait atténué par la présence de leur famille.

[13]  À la lumière de la décision de la Cour d’appel fédérale (CAF) dans Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 [Owusu] a conclu qu’un agent de l’immigration doit demeurer « réceptif, attentif et sensible » et ne pas « minimiser » l’intérêt supérieur des enfants sur lesquels l’expulsion des parents peut avoir des conséquences préjudiciables. L’agent a choisi de suivre cette décision et d’accorder du poids à ce facteur.

3)  Conditions défavorables en Inde

[14]  Concernant les conditions du pays d’origine, l’agent a conclu que la famille Bhatia n’avait pas établi que ses membres subiraient des préjudices s’ils devaient retourner en Inde. L’agent a remarqué que les allégations relatives aux risques de la famille Bhatia étaient les mêmes que celles énoncées dans le cadre de leur demande d’asile. Bien que l’évaluation des risques dans une demande pour motifs d’ordre humanitaire diffère de celle effectuée par la Section de la protection des réfugiés, les faits et les conclusions de la Section de la protection des réfugiés sont encore valides dans l’espèce. En outre, l’agent a remarqué que la Section de la protection des réfugiés avait conclu que la famille Bhatia n’était pas sincère et que son comportement n’était pas en adéquation avec la crainte qu’elle aurait présumément vécue en Inde. Dans l’ensemble, l’agent a accordé [traduction] « beaucoup de poids » aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés.

[15]  Puis, l’agent n’a accordé aucun poids à l’affidavit produit par le père de M. Bhatia quant aux risques auxquels s’exposerait la famille en Inde. L’agent a remarqué que la version officielle du document n’avait pas été fournie, et ce, bien qu’il y ait eu amplement le temps de le fournir. De plus, l’agent a estimé que les affirmations du père ne correspondaient pas au comportement d’une personne qui craint pour sa vie. L’agent a également relevé que la famille Bhatia n’avait pas produit d’éléments de preuve objectifs démontrant que le père était activement recherché par la police indienne à ce jour et a constaté que l’affidavit avait été produit dans la même ville où le père s’était supposément enfui en 2014. L’agent a ensuite souligné que le père et la mère de M. Bhatia étaient retournés en Inde en novembre 2010 après avoir demandé l’asile aux États-Unis. Cette date coïncide avec le moment où M. Bhatia s’apprêtait à quitter l’Inde en raison des allégations de détention, de torture et d’atteinte à sa vie. L’agent a indiqué que ni M. Bhatia ni son père n’avaient produit des éléments de preuve objectifs démontrant les périodes de détention et la torture subies par M. Bhatia en février et en juillet 2010. Il en va de même pour la détention et la torture du père de M. Bhatia. L’agent a ensuite conclu que l’affidavit du père revenait à une preuve intéressée étant donné le lien entre celui-ci et la famille Bhatia.

[16]  L’agent n’a pas plus accordé de poids à l’affidavit de Mohinder Singh, un ami de la famille. Une fois encore, l’agent a remarqué que le document était une copie. Deuxièmement, il a conclu que l’auteur ne fournissait aucune preuve objective soutenant les allégations de persécution et de torture de la famille Bhatia par la police indienne. Troisièmement, les défendeurs n’ont pas mentionné l’auteur dans leurs allégations ou le rôle qu’il aurait joué en leur conseillant de fuir leur pays natal. Quatrièmement, l’auteur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant qu’il aurait personnellement été questionné par la police quant à l’endroit où se trouvait la famille Bhatia. Finalement, l’auteur n’a apporté aucune preuve objective selon laquelle M. Bhatia est un facilitateur et est lié à des terroristes, ou que M. Bhatia ou son père sont toujours recherchés par la police aujourd’hui.

[17]  En ce qui concerne les éléments de preuve documentaire fournis par la famille Bhatia, l’agent a conclu que la copie de l’index annoté du Cartable national de documentation pour l’Inde de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de juillet 2015 n’était pas utile, puisque les titres de documents et les mots clés ne constituent pas une preuve personnelle et ne démontrent pas que la famille Bhatia est exposée à des risques en Inde selon la prépondérance des probabilités. La situation générale en Inde est vécue par tous les citoyens du pays et n’est pas propre à la famille Bhatia. Citant Lalane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, l’agent a précisé que les demandeurs citant des motifs d’ordre humanitaire ont le fardeau d’établir un lien entre la preuve d’un risque particulier et leur situation personnelle.

4)  Problème de santé de M. Bhatia et de sa mère

[18]  L’agent n’a accordé aucun poids aux problèmes de santé de M. Bhatia et de sa mère. Plus particulièrement, l’agent a refusé d’accorder du crédit à une lettre médicale tentant de corroborer l’allégation selon laquelle M. Bhatia aurait des difficultés en Inde en raison de ses symptômes d’anxiété et de dépression qui sont apparus depuis sa détention présumée par la police indienne. L’agent a remarqué que la lettre n’indiquait pas que M. Bhatia n’était pas en mesure de retourner en Inde en raison de son problème de santé ou que celui-ci ne pourrait pas être traité. Les défendeurs n’ont pas non plus présenté de preuve objective démontrant l’impossibilité pour M. Bhatia de recevoir des traitements ou des médicaments en Inde pour gérer ses symptômes ou de bénéficier de soutien psychologique ou psychiatrique en Inde.

[19]  Concernant le problème de santé de la mère de M. Bhatia, l’agent a indiqué que la lettre du médecin mentionnait que sa chimiothérapie, entreprise à la suite d’un diagnostic de lymphome en juin 2015, s’était terminée en février 2016. L’agent a souligné que la famille Bhatia n’avait pas soumis de renseignements de suivi pour établir que la mère était toujours malade ou qu’elle aurait besoin de traitements à l’avenir. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune preuve objective au dossier venant appuyer un besoin présumé de traitements supplémentaires. En outre, l’agent a remarqué que la famille Bhatia n’avait soumis aucune preuve quant à l’impossibilité de traiter la maladie de la mère ou tout autre problème de santé en Inde.

5)  Conclusion et pondération des facteurs

[20]  Dans sa conclusion, l’agent a réaffirmé que la famille Bhatia avait démontré un degré minimal d’établissement au Canada et que ses membres n’avaient pas démontré qu’ils étaient capables de subvenir à leurs besoins. Il n’a accordé aucun poids à cet élément. Il n’a pas non plus accordé de poids aux conditions défavorables dans le pays d’origine et à l’état de santé de M. Bhatia et de sa mère. Il a, cependant, accordé un certain poids à l’intérêt supérieur des enfants. En dernier ressort, après avoir pondéré tous les facteurs, l’agent a conclu que, en dépit du poids accordé à l’intérêt supérieur des enfants, les motifs d’ordre humanitaire évoqués par la famille Bhatia ne permettaient pas d’accorder la mesure exceptionnelle prévue par le paragraphe 25(1) de la LIPR, les exonérant ainsi de la procédure normale d’obtention de la résidence permanente au Canada à partir de l’étranger.

B.  La norme de contrôle

[21]  Les parties ne contestent pas la norme de contrôle applicable dans l’analyse d’une décision discrétionnaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendue en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, soit celle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au paragraphe 44; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] au paragraphe 62). Les conclusions sur la suffisance des motifs d’ordre humanitaire impliquent l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les agents d’immigration et l’application d’une législation spécialisée à des faits précis, pour laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[22]  Il est également bien établi que le but des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire présentées en application de l’article 25 de la LIPR consiste à demander une exemption de l’application des lois canadiennes en matière d’immigration qui sont autrement appliquées de façon universelle (Sutherland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1212, au paragraphe 11; Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 57). Ce recours n’appartient pas aux catégories d’immigration ou de réfugiés normales, par lesquelles les étrangers peuvent venir au Canada de façon permanente. Il n’est donc disponible que dans des cas exceptionnels.

[23]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la décision raisonnable des conclusions de fait, la déférence est justifiée et la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy CAF] au paragraphe 99). Cela s’applique particulièrement lorsque l’expertise découle de la spécialisation des fonctions des tribunaux administratifs qui appliquent un régime législatif qui leur est familier (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47 [Ville d’Edmonton] au paragraphe 33). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 17).

[24]  La norme de la décision raisonnable commande la déférence envers le décideur, car celle-ci « favorise l’accès à la justice [en assurant] aux parties un processus décisionnel plus rapide et moins coûteux ». En effet, la norme de la décision raisonnable « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Ville d’Edmonton, aux paragraphes 22 et 33; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757 [Kaur] au paragraphe 26). La Cour suprême a répété à maintes reprises le fait que la norme de la décision raisonnable « s’adapte au contexte » et « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, au paragraphe 22; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

III.  Discussion

A.  Établissement au Canada

[25]  En ce qui concerne son établissement au Canada, la famille Bhatia soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’elle n’avait pas démontré un degré suffisant d’indépendance économique, de connaissance de l’anglais, ou d’intégration dans la société canadienne. Elle soutient que l’effet cumulatif de ces erreurs de fait justifie l’intervention de la Cour.

[26]  Je ne suis pas d’accord.

[27]  L’évaluation par l’agent du degré d’établissement de la famille Bhatia au Canada était raisonnable, car il reposait sur trois facteurs valides et souvent cités : indépendance économique, intégration dans la communauté canadienne et connaissance de l’anglais (Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011CF 691, au paragraphe 64; Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, au paragraphe 22). La famille Bhatia demande essentiellement à la Cour de réévaluer la preuve, ce qu’elle ne peut pas faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Au contraire, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’agent (El Thaher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1439, au paragraphe 43). En effet, un agent de l’immigration « a l’expertise et l’expérience voulues pour évaluer le degré d’établissement typique de personnes qui sont au Canada depuis environ le même nombre d’années que les demandeurs et, par conséquent, pour utiliser ce critère dans le cadre de l’appréciation de leur établissement » (Kaur, au paragraphe 69; Villanueva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 585, au paragraphe 11).

[28]  Concernant le critère d’indépendance économique, la preuve démontre que M. Bhatia et sa famille n’ont pas été en mesure de subvenir à leurs propres besoins. En l’occurrence, ils ont toujours eu besoin du soutien financier du gouvernement, que ce soit par la voie de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi. Je reconnais que de qualifier toutes ces prestations comme de « l’aide sociale » n’était pas entièrement exact, mais la conclusion de l’agent selon laquelle la famille Bhatia n’a pas été en mesure de subvenir à ses besoins sans l’aide du gouvernement l’est certainement. Je ne constate aucune contradiction dans les conclusions de l’agent quant aux antécédents d’emploi de M. et Mme Bhatia. Par conséquent, la conclusion négative de l’agent à ce titre est raisonnable et appartient bien aux issues possibles et acceptables.

[29]  La famille Bhatia soutient que les erreurs de l’agent, quoique mineures, ont un effet cumulatif venant résolument déformer l’examen du degré d’établissement au Canada de M. et Mme Bhatia. Ils soutiennent que des erreurs factuelles cumulatives peuvent justifier un contrôle (Sarkis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 595, au paragraphe 13) et que de multiples erreurs de fait peuvent porter à croire à une inattention dans l’examen des détails du dossier et mettre à mal la décision dans son ensemble (Garmenova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 414, au paragraphe 11). Je ne suis pas du même avis. En outre, des erreurs immatérielles, même nombreuses, ne suffisent pas pour rendre une décision déraisonnable (Canada (Sécurité publique et protection civile) c Louis, 2016 CF 172, au paragraphe 29; Guerrero Moreno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 841, au paragraphe 15). Une décision imparfaite demeure une décision raisonnable. La norme de contrôle ne porte pas sur le degré de perfection de la décision, mais sur son caractère raisonnable.

[30]  Concernant leur connaissance de l’anglais, la famille Bhatia fait de nouveau référence à certains éléments de preuve qui, selon eux, auraient dû être interprétés différemment par l’agent. Ils soutiennent, en regard de Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) [Cepeda-Gutierrez], que l’omission de l’agent de tenir compte de tous les renseignements fournis à même la demande était déraisonnable (Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17). Je ne suis pas d’accord. La Cour, dans Cepeda-Gutierrez, ne statue pas que la simple omission par un tribunal administratif de faire référence à un élément de preuve important, contraire à sa conclusion, rend la décision déraisonnable et entraîne l’annulation de celle-ci. Au contraire, Cepeda-Gutierrez enseigne qu’un tribunal n’a pas besoin de se référer à chaque élément de preuve; ce n’est que lorsque la preuve non mentionnée est essentielle et contredit carrément la conclusion du tribunal que la cour de révision peut décider que son omission signifie que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il était saisi. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[31]  D’après ses propres observations, la famille Bhatia a admis n’avoir acquis qu’une connaissance de base de l’anglais et la preuve au dossier démontre qu’elle n’a pas été en mesure de subvenir à ses propres besoins depuis son arrivée au Canada. Ces conclusions reposent sur la preuve et la famille Bhatia n’a pas été en mesure de cerner des éléments de preuves écartés ou non examinés par l’agent. La famille Bhatia aurait simplement préféré que l’agent apprécie la preuve différemment et parvienne à une conclusion qui lui soit plus favorable. Cela ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire.

[32]  Je ne suis également pas convaincu par la prétention de la famille Bhatia selon lesquelles l’agent a effectué un examen déraisonnable de son degré d’intégration dans la société canadienne. L’agent a souligné le fait que l’intégration de la famille Bhatia se manifestait par son bénévolat au sein de sa propre communauté culturelle, lequel était exigé par ses croyances religieuses. L’avocate de la famille Bhatia a affirmé que l’agent a ainsi diminué leur intégration en sous-entendant que son bénévolat au sein de la communauté sikhe de Montréal n’était pas entièrement canadien. À l’audience, l’avocate de la famille Bhatia a même soutenu que les commentaires de l’agent avaient une connotation raciste. À mon sens, ce n’est pas une interprétation raisonnable des motifs de l’agent. L’agent aurait peut-être pu s’exprimer de façon plus élégante, mais je ne suis pas d’accord pour dire que sa décision est teintée de partialité ou d’une vision raciste à l’encontre de la famille Bhatia.

[33]  Il était loisible à l’agent de conclure que, malgré son engagement social et son bénévolat au sein de la communauté sikhe, la famille Bhatia n’avait pas démontré des liens si approfondis au Canada pour justifier une mesure exceptionnelle visant à éviter des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » sur la base de considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au paragraphe 26). L’agent était pleinement en mesure d’évaluer le degré général d’établissement en tenant compte de facteurs comme l’existence d’autres parents au Canada (ils n’en ont aucun) ou la démonstration, ou non, de liens profonds avec d’autres Canadiens établis. En d’autres termes, bien que la preuve permette à l’agent de conclure à l’existence de quelques liens au Canada, le degré d’établissement n’était pas suffisant pour déclencher des préoccupations d’ordre humanitaire. En l’espèce, la lecture de la décision indique que tous les éléments de preuve ont été examinés. L’analyse était rigoureusement axée sur les faits et a été menée par un agent ayant une expertise spécialisée quant aux questions d’immigration : la Cour n’a pas pour rôle de l’effectuer à son tour.

B.  L’intérêt supérieur des enfants

[34]  La famille Bhatia affirme également que la décision est déraisonnable compte tenu de la manière dont l’agent a traité l’intérêt supérieur des deux enfants concernés et des conclusions qui en découlent quant à son poids limité. La famille Bhatia affirme que l’agent a omis d’examiner l’intérêt supérieur des enfants avec le degré d’attention et de sensibilité exigé des lois pertinentes et de la jurisprudence. Elle estime également que l’agent n’a pas accordé un poids suffisant à cet intérêt en regard de la situation des enfants. En particulier, la famille Bhatia avance que l’agent s’est indûment fondé sur Owusu pour limiter la portée de son examen, tout en omettant d’accorder une attention suffisante aux directives de la Cour suprême dans Kanthasamy, lesquelles statuent que l’intérêt supérieur doit être dûment cerné et défini et examiné très attentivement (Kanthasamy, au paragraphe 39).

[35]  Je ne suis pas d’accord.

[36]  Contrairement aux affirmations de la famille Bhatia, l’agent n’a pas commis d’erreur en citant Owusu. Owusu est toujours d’actualité et a maintes fois été approuvée par la Cour d’appel fédérale. L’agent a invoqué Owusu en affirmant qu’un agent d’immigration doit demeurer « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants; et qu’il ne doit pas « minimiser » cet intérêt. Ce critère a été confirmé, sans aucun doute, par la Cour suprême dans Kanthasamy; il s’agit du bon critère en l’espèce. En outre, l’agent a bien utilisé les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans Owusu en concluant que le fardeau de la preuve repose sur la famille Bhatia et en affirmant que la famille Bhatia n’avait pas soumis des éléments de preuves crédibles et objectifs démontrant que les enfants subiraient des préjudices autres que ceux habituellement associés au renvoi du pays.

[37]  L’agent a apprécié tous les éléments de preuve soumis par la famille Bhatia relatifs à l’intérêt supérieur des enfants (lettres d’inscription à l’école, bulletins, lettres du PRAID attestant de l’intégration des enfants dans la société canadienne). Néanmoins, il n’a pas estimé que ceux-ci étaient suffisants pour justifier l’octroi de la mesure exceptionnelle réclamée par la famille Bhatia. La décision démontre que l’agent a examiné très attentivement la question de l’intérêt supérieur des enfants. L’agent a effectué une analyse complète et s’est montré attentif et sensible aux intérêts des enfants Bhatia. Après son analyse, l’agent a conclu que les enfants ne subiraient que les conséquences normales d’une expulsion du pays étant donné qu’ils retrouveraient des membres de leur famille en Inde, qu’ils connaissent les cultures indienne et sikhe et qu’ils parlent vraisemblablement le pendjabi.

[38]  La famille Bhatia conteste particulièrement la conclusion de l’agent selon laquelle les enfants n’auraient aucune difficulté à s’ajuster à un retour en Inde et que les coutumes, les habitudes, la religion et la langue maternelle indiennes leur sont familières. La famille Bhatia soutient que ces commentaires sont fondés sur des conjectures, et non des éléments de preuve. Je ne partage pas ce point de vue. Il ne faut pas confondre spéculation et inférence. Il est acceptable pour un décideur de tirer des conclusions logiques fondées sur des éléments de preuve évidents et non spéculatifs (Administration de pilotage des Laurentides c Corporation des pilotes du Saint-Laurent central inc., 2015 CAF 295, au paragraphe 13; Kaur, au paragraphe 62). Dans le même ordre d’idées, il est bien accepté qu’un décideur peut se fonder sur la logique et sur le bon sens afin de tirer des conclusions à partir de faits connus. Un agent d’immigration ne peut pas s’engager dans la conjecture ou rendre des conclusions conjecturales. Cependant, une conclusion dûment raisonnée ne relève pas de la spéculation.

[39]  En l’espèce, il y avait des éléments de preuve de la participation des parents à titre de bénévoles dans la communauté sikhe et de leur connaissance limitée de l’anglais. Par conséquent, il était raisonnable de conclure de la preuve que les enfants, âgés de 5 et 7 ans, connaissaient les coutumes, la religion et la langue indiennes. Le fait que les enfants aient passé pratiquement toute leur vie au Canada et qu’ils soient allés à l’école au Canada n’a pas empêché une telle conclusion. De façon similaire, il était raisonnable que l’agent en vienne à conclure que les enfants connaissaient les cultures indienne et sikhe, car les parents sont sikhs, ont vécu la majorité de leur vie en Inde et sont actifs au sein de la communauté sikhe de Montréal.

[40]  L’agent a dûment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants et ne semble avoir commis aucune erreur de raisonnement dans ses conclusions à ce sujet. Encore une fois, le critère à respecter était de savoir si l’agent d’immigration s’était montré « réceptif, attentif et sensible » à l’intérieur supérieur des enfants dans son analyse (Baker, au paragraphe 75; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, [Hawthorne] au paragraphe 10). Pour démontrer que l’agent d’immigration a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, son analyse doit tenir compte des « conséquences uniques et personnelles » qu’un renvoi du Canada aurait sur eux (Tisson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 C 944, au paragraphe 19; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 469, au paragraphe 16); de même, cette analyse ne doit pas être effectuée en vase clos (Kanthasamy, au paragraphe 35; Hawthorne, au paragraphe 5). L’intérêt doit être « bien identifié et défini » et examiné « avec beaucoup d’attention » au vu de l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, au paragraphe 39; Hawthorne, au paragraphe 32; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 [Legault], aux paragraphes 12 et 31). Cependant, la nécessité d’être attentif à l’intérêt supérieur des enfants ne vient pas dicter le résultat à atteindre; c’est à l’agent de soupeser ce facteur, parmi les autres, pour parvenir à sa décision (Kanthasamy, au paragraphe 41; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana] aux paragraphes 24 et 26; Legault, au paragraphe 12).

[41]  L’agent a reconnu qu’un retour en Inde serait effectivement bouleversant pour les enfants et a accordé du poids à ce facteur. Néanmoins, il a conclu que celui-ci seul ne venait pas contrebalancer les autres facteurs dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. Comme l’a bien souligné l’agent, la seule présence d’enfants ne commande pas nécessairement un certain résultat et leur intérêt ne va pas toujours l’emporter sur d’autres facteurs ou signifier qu’il n’y aura aucun autre motif pour refuser une demande pour considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au paragraphe 38). Il est bien établi que l’intérêt supérieur des enfants « ne prime pas nécessairement les autres facteurs dont on doit tenir compte dans le cadre d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire » bien qu’il soit un facteur important (Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 28). En outre, il demeure qu’un de facteurs à examiner parmi d’autres (Kisana, au paragraphe 72; Hawthorne, au paragraphe 5; Legault, au paragraphe 12).

[42]  La démarche émanant de Kanthasamy nécessite un certain état d’esprit et une disposition de la part des agents d’immigration, car elle dicte la voie à suivre dans leur analyse de la preuve afin de respecter l’objet général de dispositions relatives aux motifs d’ordre humanitaire, comme le paragraphe 25(1) de la LIPR. Néanmoins, les agents d’immigration conservent leur pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de la preuve, étant aguerris par leur expertise spécialisée dans le traitement des questions d’immigration.

[43]  Je suis convaincu, en l’espèce, que la décision démontre amplement que l’agent a effectué l’analyse nécessaire et qu’il était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des deux enfants. L’agent a particulièrement examiné leur situation et n’a pas omis de l’analyser. Il était conscient de leur historique et des préoccupations et a fait état de la condition des enfants de façon exhaustive dans sa décision. Je peux comprendre que la famille Bhatia soit en désaccord avec l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent, mais la Cour n’a pas la mission d’interférer avec le poids accordé par l’agent aux différents motifs d’ordre humanitaire. Dans l’ensemble, la décision de l’agent de refuser la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est transparente. L’agent a présenté des motifs intelligibles à l’appui de sa conclusion que la famille Bhatia ne s’était pas acquittée du fardeau de démontrer, selon la prépondérance de probabilité, qu’elle devrait pouvoir soumettre une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

C.  Conditions défavorables en Inde

[44]  Finalement, la famille Bhatia soutient que le traitement par l’agent des conditions défavorables en Inde n’était pas raisonnable. La famille Bhatia estime que l’agent a commis une erreur en exigeant que les éléments de preuve documentaire corroborent les affirmations des affidavits du père de M. Bhatia et de l’ami de la famille.

[45]  Encore une fois, je ne suis pas convaincu par les arguments de la famille Bhatia.

[46]  En l’occurrence, elle n’a pas présenté d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour démontrer l’existence de conditions défavorables dans son pays. Les seuls éléments soumis sont les affidavits signés par le père de M. Bhatia et un ami de la famille, lesquels répètent les faits jugés non crédibles par la Section de la protection des réfugiés. L’objectif d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas de débattre à nouveau des mêmes faits présentés à la Section de la protection des réfugiés ou de contester indirectement la conclusion de celle-ci. En outre, l’agent doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’appréciation des faits par la Section de la protection des réfugiés (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 918, au paragraphe 22; Akinosho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1194, aux paragraphes 9-10; Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1015, au paragraphe 21).

[47]  L’agent a conclu que les deux affidavits n’avaient aucune valeur probante et n’étaient pas suffisants pour déroger aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés et de la Cour fédérale, lesquelles considéraient comme non fondées les affirmations de persécution de la famille Bhatia. L’agent a rejeté les affidavits pour plusieurs motifs : ils étaient des copies, et non des originaux; ils répétaient des faits jugés non crédibles par la Section de la protection des réfugiés; et ils étaient dénués d’éléments de preuve objectifs corroborant les allégations des déposants, notamment quant à l’affirmation selon laquelle M. Bhatia était recherché par la police. Le fait que l’affidavit du père de M. Bhatia était une preuve intéressée, car il était rédigé par un membre de la famille Bhatia n’était clairement pas la seule raison pour laquelle l’agent a conclu qu’il n’avait pas de valeur probante. En résumé, la famille Bhatia n’a tout simplement pas démontré que les conditions défavorables du pays justifiaient l’octroi de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[48]  Il est également important de ne pas oublier que le paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure d’exception au fonctionnement habituel de la LIPR. À ce titre, la Cour suprême, dans Kanthasamy, a souligné que « l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1), […] ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle » (Kanthasamy, au paragraphe 23). Une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Legault, au paragraphe 15). Ce recours n’appartient pas aux catégories d’immigration normales, ou à ce qui est décrit comme « l’asile », par lesquelles les étrangers peuvent venir au Canada de façon permanente, mais constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels. Une telle exemption « ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement ni à offrir un mécanisme d’appel » aux demandeurs d’asile ou de résidence permanente déboutés (Kanthasamy CAF, au paragraphe 40).

[49]  Le seuil à atteindre pour satisfaire aux exigences relatives à une demande d’exemption pour des considérations d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1) de la LIPR est très élevé. Comme cette Cour l’a souvent mentionné, le processus de demande pour des motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à éliminer les difficultés liées à la présentation d’une demande de visa depuis l’étranger, mais à offrir une dispense des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » que devrait affronter un demandeur s’il devait quitter le Canada pour soumettre une demande d’immigration par l’entremise des voies habituelles (Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, au paragraphe 23). Le critère pour obtenir une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire n’est pas à savoir s’il serait plus souhaitable de vivre au Canada que dans le pays d’origine du demandeur; plutôt, les demandeurs doivent démontrer que les difficultés subies seraient plus lourdes que les conséquences inhérentes au fait de présenter leur demande d’immigration par les voies normales (Kanthasamy, au paragraphe 41).

[50]  En l’espèce, la famille Bhatia n’a pas démontré un degré suffisant d’établissement au Canada, que les enfants souffriraient indûment d’avoir à retourner en Inde ou que l’agent avait écarté de façon déraisonnable des éléments de preuve dont il était saisi dans l’évaluation de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, il était raisonnable que l’agent arrive à la conclusion que la famille Bhatia n’était pas parvenue à démontrer qu’elle subirait plus que les conséquences habituelles liées au fait de devoir retourner en Inde et de tenter d’y obtenir le statut de résident permanent. Cette conclusion est grandement fondée sur la situation factuelle particulière de la famille Bhatia. Elle repose sur la preuve au dossier et est expliquée de façon détaillée dans la décision. L’agent a effectué une analyse très factuelle et fondée sur son expertise spécialisée quant aux questions d’immigration; la cour de révision n’a pas pour rôle de réexaminer celle-ci.

IV.  Conclusion

[51]  Pour les motifs cités précédemment, la décision de l’agent de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la famille Bhatia était raisonnable eu égard au droit et à la preuve. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je n’ai aucune hésitation à conclure que c’est le cas en l’espèce. Tant le processus que le résultat correspondent aisément aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[52]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je suis d’accord qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1635-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1635-17

 

INTITULÉ :

SIMRANJIT SINGH BHATIA, GURSHARAN KAUR BHATIA, EKAM SINGH BHATIA, ACHINT BHATIA, MAHINDER KAUR BHATIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Annick Legault

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Anne Renée Touchette

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annick Legault

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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