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Date : 20171108


Dossier : IMM-1759-17

Référence : 2017 CF 1020

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

LIYI LIANG

WEILIANG HUANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés par laquelle elle rejetait la demande d’asile des demandeurs fondée sur la pratique du Falun Gong par la demanderesse.

Aux fins de l’appel et du présent contrôle judiciaire, la demanderesse est considérée comme le demandeur principal (dénommée ci-après la demanderesse), puisque la demande présentée en son nom et au nom de son mari se fonde sur le fait qu’elle revendique être une adepte du Falun Gong.

II.  Exposé des faits

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de la Chine. Ils craignent d’être persécutés du fait que la demanderesse est adepte du Falun Gong.

[3]  Il a été allégué que des représentants du Bureau de la sécurité publique se sont rendus au domicile de la demanderesse, ont interrogé son mari, et lui ont ordonné de la dénoncer aux autorités. Ils ont ensuite laissé une assignation à l’intention de la demanderesse, à son domicile.

Le mari a également affirmé que des représentants du Bureau de la sécurité publique sont allés sur son lieu de travail et qu’ils le cherchaient.

[4]  Le couple est entré dans la clandestinité et a embauché un passeur qui a pris des dispositions pour les faire sortir de la Chine en septembre 2015. Ils se sont ensuite rendus aux États-Unis où ils n’ont pas demandé l’asile, puis se sont déplacés jusqu’au Canada où ils ont présenté leur demande d’asile.

La demanderesse soutient qu’elle continue à pratiquer le Falun Gong, qui constitue le fondement de sa demande d’asile sur place.

[5]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande principalement pour des raisons de crédibilité. Sauf quelques exceptions mineures, la Section d’appel des réfugiés a fait les mêmes constatations et est parvenue à la même conclusion que la Section de la protection des réfugiés.

[6]  La Section d’appel des réfugiés a conclu ce qui suit :

  • · le départ de la Chine manquait de crédibilité, parce que la demanderesse ne savait pas quelle méthode avait employée le passeur pour les faire sortir du pays, et parce qu’il était invraisemblable qu’un passeur puisse à lui seul contourner le système du Bouclier d’or de la Chine;

  • les éléments de preuve documentaire, comme l’assignation, n’étaient pas authentiques;

  • la demanderesse n’a pu confirmer qu’elle était une adepte du Falun Gong en raison du fait, notamment, qu’elle manquait de connaissances à l’égard des principes clés de cette croyance;

  • la demande d’asile sur place était dénuée de fondement parce que la demanderesse n’a jamais été une adepte du Falun Gong et a rejoint un groupe de Falun Gong au Canada uniquement pour appuyer sa demande d’asile;

  • la demanderesse n’avait pas une crainte subjective d’être persécutée, comme l’indique le fait qu’elle n’a pas demandé l’asile en Corée, à Hawaï ou à Seattle.

III.  Discussion

[7]  La norme de contrôle dans cette situation n’est pas contestée. Comme l’a établi la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157, lors du contrôle judiciaire d’un appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés devant la Section d’appel des réfugiés, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable.

[8]  Les questions à trancher dans le présent contrôle judiciaire portent sur le caractère raisonnable des conclusions concernant le départ de la Chine et l’identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong.

A.  Départ de la Chine

[9]  En tirant la conclusion que le récit de la demanderesse concernant son départ de la Chine n’était pas crédible, la Section d’appel des réfugiés a fait observer que la demanderesse ne connaissait pas le plan de fuite du passeur, ni la façon dont la migration clandestine avait été effectuée.

La Section d’appel des réfugiés ne dit pas comment une personne serait nécessairement censée connaître ces détails, et n’a pas non plus tenu compte du fait que les passeurs ne sont probablement pas les communicateurs les plus ouverts concernant la façon dont ils mènent leurs activités illégales.

[10]  Plusieurs jugements de notre Cour appuient l’idée qu’il serait possible de quitter la Chine avec son propre passeport et avec l’aide d’un passeur et de déjouer le système informatique du Bouclier d’or. D’autres jugements indiquent le contraire.

Bien que la jurisprudence de la Cour ne soit pas unanime, cela s’explique en grande partie en raison des faits propres à chaque affaire.

[11]  La Section d’appel des réfugiés a établi une distinction relativement à la jurisprudence favorable à la demanderesse, comme elle était en droit de le faire. Les décisions dépendent des faits qui leur sont propres.

[12]  En l’espèce, la demanderesse a soutenu que le système informatique a été déjoué parce que son passeport a été estampillé, et non balayé dans le système.

[13]  La Section d’appel des réfugiés ne s’est jamais penchée sur cette allégation. Elle était tenue de se pencher sur cet élément de preuve et d’expliquer la raison pour laquelle elle ne l’a pas accepté ou ne l’accepterait pas. La situation et ce qu’il convenait de faire ont été énoncés dans la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, 266 ACWS (3d) 715, non citée par les parties avant l’audience, où la Cour a conclu ce qui suit :

[12]  En outre, la détermination selon laquelle la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport est une simple spéculation quant à la manière de quitter la Chine. Il n’y avait aucun élément de preuve montrant qu’il faut donner des pots-de-vin à chaque agent dans la « chaîne de départ ». La décision ne tient pas compte de l’élément de preuve fourni par la demanderesse selon lequel l’agent des douanes n’a pas balayé son passeport ni tapé quelque chose dans l’ordinateur, mais a simplement estampillé son passeport.

[13]  Avant de conclure qu’il était invraisemblable de pouvoir quitter la Chine, la SAR (et la SPR) devait se pencher sur l’élément de preuve de la demanderesse. Si elle y croyait, elle aurait dû expliquer pour quelle raison il était invraisemblable que la demanderesse ait pu quitter la Chine; si elle n’y croyait pas, elle aurait dû expliquer pour quelle raison elle en venait à cette conclusion quant à la crédibilité.

[14]  Il y avait suffisamment d’éléments de preuve de la corruption des agents et de l’existence d’un régime de corruption pour que la SAR ait à expliquer pourquoi il n’était pas raisonnable que cette corruption ait eu lieu.

Comme l’a conclu le juge Boswell dans la décision Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 16, [traduction]» [...] il n’est pas impossible qu’une personne puisse quitter la Chine en utilisant son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui donne des pots-de-vin à la bonne personne ».

[14]  Ce défaut de tenir compte d’un fait essentiel rend la conclusion sur le départ de la Chine déraisonnable. Toutefois, cette erreur n’est pas déterminante, à moins qu’elle n’ait influencé d’autres aspects plus importants de la décision.

Quelle que soit la façon dont les demandeurs ont quitté la Chine, la question déterminante à trancher en l’espèce porte sur l’identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong.

B.  Identité liée au Falun Gong

[15]  Sur ce point, la Section d’appel des réfugiés a tenu compte dans sa conclusion d’autres aspects de la revendication, mais a été essentiellement influencée par la capacité de la demanderesse à répondre à des questions portant sur des concepts fondamentaux du Falun Gong, en particulier ceux des « attachements » et des « pensées droites ».

[16]  La Section d’appel des réfugiés a été grandement influencée par le manque de connaissances démontré dans les réponses de la demanderesse, qui a décrit l’attachement, lequel s’apparente à un « vice » dans le langage courant, comme une qualité vertueuse.

[17]  Interroger un demandeur sur ses convictions religieuses est une tâche délicate qui soulève des points de vue subjectifs, des fondements théologiques et philosophiques et des différences linguistiques et culturelles. Un tel exercice ne peut se réduire à cocher une liste de contrôle ou à un jeu-questionnaire.

[18]  Toutefois, dans la décision Ga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139, 259 ACWS (3d) 137, la Cour a décrit une situation très similaire au cas présent :

[25]  J’estime que le juge Rennie a cerné le principe applicable de manière succincte au paragraphe 9 de la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration)(sic), 2012 CF 346 :

[9]  La tâche de la Commission est d’évaluer la crédibilité du demandeur et non le bien‑fondé de ses convictions théologiques.  Il se peut qu’un revendicateur d’asile ait une compréhension médiocre des détails de la doctrine religieuse, mais cela ne signifie pas nécessairement que sa foi n’est pas authentique.  Quoiqu’il existe une corrélation logique entre la profondeur des connaissances religieuses et la crédibilité d’une prétention de persécution, en l’espèce, la dérogation à la doctrine était tout au plus mineure et ne permettait pas d’étayer sans risque d’erreur la conclusion que le demandeur n’était pas un adepte authentique.

[26]  Selon mon interprétation de la jurisprudence, il n’est pas inapproprié pour la Commission de poser des questions sur la religion lorsqu’elle tente d’évaluer l’authenticité des croyances d’un demandeur d’asile, mais ces questions et l’analyse qui en a résulté doivent de fait porter sur l’authenticité de ces croyances et non sur leur exactitude théologique. Il peut s’agir d’une tâche difficile pour la Commission, car la Commission a le droit de déterminer si le demandeur d’asile a atteint un niveau de connaissance religieuse correspondant à ce à quoi il serait possible de s’attendre d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile, mais ne doit pas tirer de conclusion défavorable fondée sur de menus détails ou sur une norme déraisonnablement élevée de connaissances religieuses.

[19]  À mon avis, la Section d’appel des réfugiés a abordé cette tâche de façon juste et équitable et elle était consciente de la nature délicate de ce type d’interrogation. Ce ne sont pas simplement les réponses à des questions précises (par exemple, le concept des attachements) qui ont influencé la Section d’appel des réfugiés, mais aussi les détails, l’aisance et le sentiment de familiarité transmis, ainsi que le manque de crédibilité de la demanderesse concernant ses activités liées au Falun Gong en Chine.

[20]  En ce qui concerne la demande d’asile sur place, il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés intègre ces conclusions dans son analyse de la demande d’asile sur place, puisqu’elle avait remis en doute l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle était une adepte du Falun Gong en Chine. En outre, rien ne prouvait que les activités de la demanderesse en Chine avaient été portées à l’attention des autorités en Chine, ou le seraient.

[21]  Il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que les activités de la demanderesse au Canada en lien avec le Falun Gong avaient pour but d’appuyer sa demande d’asile et qu’elles ne découlaient pas d’une croyance sincère.

[22]  Par conséquent, j’en conclus qu’il existait un fondement raisonnable à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle la demanderesse n’était pas une adepte du Falun Gong.

[23]  Je conclus en outre que l’analyse de la Section d’appel des réfugiés quant à l’identité présumée de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong n’a pas été altérée par l’erreur commise concernant le départ de la Chine de la demanderesse. Les deux questions sont de nature distincte en l’espèce, et elles n’ont pas fait l’objet d’un croisement.

IV.  Conclusion

[24]  En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1759-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1759-17

 

INTITULÉ :

LIYI LIANG, WEILIANG HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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