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Date : 20171108


Dossier : IMM-1753-17

Référence : 2017 CF 1015

Montréal (Québec), le 8 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

IURII VERBANOV

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Au préalable

[1]               « Comment peut-on ne pas savoir, ne pas entendre, ne pas voir, quand on est de son plein gré membre à part entière? » (Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1306 au para 1 [Ali]; voir également Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40) [Ezokola]).

[2]               « Les agissements d'un demandeur peuvent être plus révélateurs que son témoignage et les circonstances peuvent être telles qu'on puisse en inférer qu'une personne partage les objectifs de ceux avec qui elle collabore » (Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39 au para 27 [Harb]; voir aussi l’arrêt Ezokola, ci-dessus).

[3]               « [O]ù il entend parler d'arrestations et de torture, il me semble tout à fait invraisemblable qu'il ne soit pas au courant de ce qui se passe  » (Shakarabi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1998 CanLII 7685 (CF), [1998] ACF No 444 (QL) au para 25 [Shakarabi]; voir aussi l’arrêt Ezokola, ci-dessus). « According to the Prosecutor General’s office, most abuses occurred at the time of apprehension; during transport to a detention facility » (Dossier du demandeur, à la p 98).

II.                 Nature de l’affaire

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 3 avril 2017. Dans cette décision, le commissaire a rejeté l’appel interjeté par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [MSPPC] de la décision rendue le 16 avril 2015 par la Section de l’immigration [SI], conformément au paragraphe 63(5) de la LIPR. La SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire en vertu des alinéas 35(1)a) et 36(1)c) de la LIPR.

III.               Faits

[5]               Le défendeur, âgé de 31 ans, est citoyen de la Moldavie. Le 12 juillet 2011, il est devenu résident permanent du Canada après avoir été sélectionné dans la catégorie de l’immigration économique, par l’entremise de son épouse qui est travailleuse qualifiée.

[6]               Dans le cadre de sa demande de résidence permanente, le défendeur a déclaré son emploi de policier en Moldavie. Il avait obtenu le grade de plutonier junior. Il s’occupait de la répression des vols à la tire (« pick-pockets ») dans les transports publics et autour du marché central de la capitale de la Moldavie, à Chisinau.

[7]               De 2007 à 2011, le défendeur a travaillé dans le département de lutte contre les infractions dans les lieux publics et le transport urbain, au Commissariat général de police de Chisinau. Il travaillait en civil, sans armes, ni menottes, et en groupe de trois ou quatre policiers. Il se rendait au commissariat général environ trois fois par semaine, soit pour assister à une réunion de service, soit pour rédiger des rapports d’incidents après avoir arrêté une personne.

[8]               Lors des manifestations qui ont eu lieu après les élections du 5 avril 2009, le défendeur avait à accompagner une collègue chargée de filmer les manifestations. La manifestation du 7 avril 2009 était pacifique, d’après le défendeur. En après-midi, le défendeur a dû quitter les lieux des manifestations, car il a reçu un appel de son épouse qui a dû être transportée à l’hôpital. Les jours qui ont suivi, le défendeur serait resté aux côtés de son épouse à l’hôpital, suite à une intervention chirurgicale. Il serait ensuite retourné travailler dans les lieux publics comme il avait l’habitude de le faire.

[9]               Le 27 avril 2013, un avis de recherche a été diffusé par Interpol au sujet du défendeur pour un événement remontant au 4 février 2010. Le défendeur, et d’autres policiers moldaves, avait été accusé d’être impliqué dans des actes de violence et de mauvais traitements.

[10]           Aussitôt que le défendeur a eu connaissance des accusations portées contre lui, il est retourné en Moldavie pour se défendre devant les tribunaux. Le 17 mars 2014, la Cour de Biuicani de la municipalité de Chisinau a rendu un jugement rejetant la poursuite pénale intentée contre le défendeur pour le motif que l’acte dont il était question dans la plainte ne répondait pas aux éléments constitutifs de l’infraction.

[11]           Le 20 décembre 2013, deux rapports d’interdiction de territoire ont été émis par l’Agence des services frontaliers du Canada à l’égard des allégations d’interdiction de territoire au sens des alinéas 36(1)c) et 35(1)a) de la LIPR. Le même jour, le délégué du ministre a déféré ces rapports à la SI pour enquête.

[12]           Par décision du 16 avril 2015, la SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire au sens des alinéas 36(1)c) et 35(1)a) de la LIPR. Durant l’audience, le défendeur a présenté un témoignage clair, précis, crédible et digne de foi. La SI a noté une contradiction entre l’avis de recherche Interpol et le jugement du tribunal moldave compétent rejetant la plainte pénale contre le défendeur. La SI a donc accordé peu de valeur probante à la preuve présentée par le MSPPC. Par ailleurs, la SI ne pouvait, sur la base de généralisations ou de soupçons, reprocher certains actes touchant certains policiers moldaves à l’ensemble de la police moldave, incluant le défendeur. D’après la SI, le MSPPC n’a pas réussi à démontrer que ni le défendeur ni les policiers faisant partie de son département de service ont « commis des actes de violence et/ou des actes de torture contre des prévenus qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité ». Le MSPPC a donc interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI, en application du paragraphe 63(5) de la LIPR, fondé sur l’allégation prévue à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

IV.              Décision

[13]           Le 3 avril 2017, la SAI a rejeté l’appel interjeté par le MSPPC de la décision rendue le 16 avril 2015 par la SI.

[14]           La SAI a considéré que le témoignage du défendeur était plausible et crédible. Concernant les manifestations du 6 au 8 avril 2009 en Moldavie, la SAI a conclu, selon une prépondérance des probabilités, que le défendeur s’occupait de sa femme à l’hôpital une bonne partie du temps, et qu’il était plausible que des policiers avec l’expertise du défendeur soient affectés ailleurs que dans des zones perturbées. D’autre part, concernant les accusations qui ont été portées contre le défendeur en Moldavie, la SAI a estimé que l’avis de recherche par Interpol et la preuve révèlent clairement que ces accusations ont été retirées par les cours de justice en Moldavie. La SAI a aussi jugé important de mentionner que le défendeur est volontairement retourné dans son pays pour se défendre aussitôt qu’il a eu connaissance des accusations portées contre lui. D’après la SAI, le défendeur aurait adopté un comportement qui ne concorde pas avec celui d’une personne qui éviterait de retourner dans son pays pour tenter de cacher un crime. La SAI a donc pris ce facteur en considération avant de rendre sa décision.

[15]           Également, d’après la preuve, la SAI a jugé que des crimes commis par certains policiers moldaves pouvaient passer pour certains actes isolés ou systématiques et pouvaient être considérés comme étant des crimes contre l’humanité. Cependant, la SAI a considéré que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer que le défendeur ferait partie de ces mêmes policiers ayant commis ces crimes. Selon une prépondérance des probabilités, la SAI a estimé que cela aurait comme conséquence de rendre inadmissible n’importe quel policier provenant de pays, comme la Moldavie, où la corruption, les abus et les représailles existent à l’égard de la population civile. La SAI a validé la décision de la SI. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, « ni [le défendeur], ni son unité, selon une prépondérance des probabilités, ont commis des actes de violence ou de torture contre des individus, lesquels actes pourraient constituer des crimes contre l’humanité. L’appel est rejeté. » C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

V.                 Question en litige

[16]           La seule question en litige est la suivante : La SAI a-t-elle erré en fait et en droit en concluant que le défendeur n’était pas interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR?

[17]           Une décision selon laquelle une personne est interdite de territoire est une question mixte de droit et de fait soumise à la norme de la décision raisonnable (Williams c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 917 au para 14; Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335 au para 12). Par conséquent, la Cour ne devra pas intervenir si la décision de la SAI appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

VI.              Dispositions pertinentes

[18]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Interdictions de territoire

Inadmissibility

Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Atteinte aux droits humains ou internationaux

Human or international rights violations

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

35 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

c) être, sauf s’agissant du résident permanent, une personne dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé — ou s’est engagé à imposer — des sanctions de concert avec cette organisation ou association;

(c) being a person, other than a permanent resident, whose entry into or stay in Canada is restricted pursuant to a decision, resolution or measure of an international organization of states or association of states, of which Canada is a member, that imposes sanctions on a country against which Canada has imposed or has agreed to impose sanctions in concert with that organization or association;

d) être, sauf dans le cas du résident permanent, une personne présentement visée par un décret ou un règlement pris, au motif que s’est produit l’un ou l’autre des faits prévus aux alinéas 4(1.1)c) ou d) de la Loi sur les mesures économiques spéciales, en vertu de l’article 4 de cette loi;

(d) being a person, other than a permanent resident, who is currently the subject of an order or regulation made under section 4 of the Special Economic Measures Act on the grounds that any of the circumstances described in paragraph 4(1.1)(c) or (d) of that Act has occurred; or

e) être, sauf dans le cas du résident permanent, une personne présentement visée par un décret ou un règlement pris en vertu de l’article 4 de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski).

(e) being a person, other than a permanent resident, who is currently the subject of an order or regulation made under section 4 of the Justice for Victims of Corrupt Foreign Officials Act (Sergei Magnitsky Law).

Droit d’appel

Right of Appeal

Droit d’appel du ministre

Right of appeal — Minister

63 (5) Le ministre peut interjeter appel de la décision de la Section de l’immigration rendue dans le cadre de l’enquête.

63 (5) The Minister may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision of the Immigration Division in an admissibility hearing.

[19]           Les paragraphes 6(1) et 6(3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, ch 24, méritent aussi d’être lus avec l’alinéa 35(1)a) de la LIPR :

Infractions commises à l’étranger

Offences Outside Canada

Génocide, crime contre l’humanité, etc., commis à l’étranger

Genocide, etc., committed outside Canada

6 (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci-après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

6 (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada

a) génocide;

(a) genocide,

b) crime contre l’humanité;

(b) a crime against humanity, or

c) crime de guerre.

(c) a war crime,

[EN BLANC]

is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8.

[…]

Définitions

Definitions

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

crime contre l’humanité Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

crime against humanity means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

crime de guerre Fait — acte ou omission — commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

genocide means an act or omission committed with intent to destroy, in whole or in part, an identifiable group of persons, as such, that at the time and in the place of its commission, constitutes genocide according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

génocide Fait — acte ou omission — commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable de personnes et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un génocide selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

war crime means an act or omission committed during an armed conflict that, at the time and in the place of its commission, constitutes a war crime according to customary international law or conventional international law applicable to armed conflicts, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

[20]           Les crimes contre l’humanité sont aussi définis à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale :

Crimes contre l’humanité

Crimes against humanity

1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

1. For the purpose of this Statute, ‘crime against humanity’ means any of the following acts when committed as part of a widespread or systematic attack directed against any civilian population, with knowledge of the attack:

a) Meurtre;

(a) Murder;

b) Extermination;

(b) Extermination;

c) Réduction en esclavage;

(c) Enslavement;

d) Déportation ou transfert forcé de population;

(d) Deportation or forcible transfer of population;

e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international;

(e) Imprisonment or other severe deprivation of physical liberty in violation of fundamental rules of international law;

f) Torture;

(f) Torture;

g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable;

(g) Rape, sexual slavery, enforced prostitution, forced pregnancy, enforced sterilization, or any other form of sexual violence of comparable gravity;

h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour;

(h) Persecution against any identifiable group or collectivity on political, racial, national, ethnic, cultural, religious, gender as defined in paragraph 3, or other grounds that are universally recognized as impermissible under international law, in connection with any act referred to in this paragraph or any crime within the jurisdiction of the Court;

i) Disparitions forcées de personnes;

(i) Enforced disappearance of persons;

j) Crime d’apartheid;

(j) The crime of apartheid;

k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

(k) Other inhumane acts of a similar character intentionally causing great suffering, or serious injury to body or to mental or physical health.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

2. For the purpose of paragraph 1:

a) Par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ;

(a) ‘Attack directed against any civilian population’ means a course of conduct involving the multiple commission of acts referred to in paragraph 1 against any civilian population, pursuant to or in furtherance of a State or organizational policy to commit such attack;

VII.            Observations des parties

A.                 Prétentions du demandeur

[21]           D’après le demandeur, la SAI a erré en fait et en droit en concluant que le défendeur n’était pas interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. En effet, la SAI a commis une erreur de droit manifeste en appliquant, à quelques reprises, la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » aux faits. La SAI a exigé de plus que les allégations soient prouvées selon cette même norme de preuve, alors que pour l’application de l’article 35 de la LIPR, la norme de preuve est prévue à l’article 33 de la LIPR, soit l’existence de « motifs raisonnables de croire ».

[22]           Le demandeur prétend ensuite que la SAI n’a pas su appliquer les principes et les critères de la notion de complicité énoncés par la Cour suprême du Canada dans Ezokola, ci-dessus. La SAI n’aurait pas déterminé si la participation du défendeur était volontaire, significative et consciente (Ezokola, ci-dessus, au para 84). Le demandeur comprend mal comment le défendeur ait pu prétendre ignorer que les actes de torture étaient pratiqués par les policiers moldaves, lors des interrogatoires au Commissariat de Chisinau. Dans la décision Hadhiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1284 au para 36 [Hadhiri], le juge René LeBlanc rappelle, mentionnant Ezokola, ci-dessus, au para 68, qu’il « est permis, en droit pénal international, de conclure à la complicité d’une personne si elle a, consciemment ou par insouciance, apporté une contribution significative au crime ou au dessein criminel du groupe auquel elle est associée ». La SAI aurait donc dû tenir compte de la possibilité qu’une personne puisse avoir commis un crime contre l’humanité, et ce, nonobstant le fait qu’elle n’aurait pas personnellement commis un acte constituant un tel crime (Ezokola, ci-dessus, au para 77).

[23]           Le demandeur soumet que la SAI a ignoré énormément de preuve documentaire pertinente à l’égard des actes de violence perpétrés par la police moldave, particulièrement au Commissariat de Chisinau. La preuve révèle que durant les années d’emploi du défendeur comme policier, la police moldave a commis des actes de torture et de mauvais traitements à l’égard des prévenus. La preuve révèle aussi que ces actes sont généralisés et systématiques, en particulier dans les commissariats de police de Chisinau, au stade de la garde à vue et pendant les interrogatoires. À cet effet, le demandeur cite le paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre pour indiquer que « torture » ou « traitements inhumains » entrent dans la définition qui est donnée aux « crimes contre l’humanité ». Toujours en se basant sur la preuve au dossier, la SAI aurait aussi mal apprécié la preuve concernant le nombre de policiers présents aux manifestations du 6 au 8 avril 2009.

B.                 Prétentions du défendeur

[24]           Contrairement à ce que le demandeur allègue, le défendeur soutient essentiellement que les crimes commis par certains policiers en Moldavie ne constituent pas des crimes contre l’humanité au sens du droit international coutumier (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 au para 151 [Mugesera]). La SAI aurait seulement conclu qu’un certain acte isolé commis par certains policiers moldaves « pourrait » être considéré comme un crime contre l’humanité. Le défendeur souligne aussi que d’après la preuve documentaire, la Moldavie est considérée comme étant un pays démocratique qui interdit la torture et les traitements cruels. Enfin, le défendeur allègue que d’après la preuve au présent dossier, la police moldave n’est pas une organisation visant principalement des fins limitées et brutales. Il était donc raisonnable pour la SAI de ne pas déclarer le défendeur complice de crimes contre l’humanité pour sa simple appartenance à la police. La SAI a reconnu à cet effet qu’il était important de faire « une distinction entre la simple association et la complicité coupable ».

[25]           Le défendeur soumet de plus que « [s]eule l’attaque, et non les actes de l’accusé, doit être généralisée ou systématique » (Mugesera, ci-dessus, au para 156). Conformément au paragraphe 7(1) du Statut de Rome, le défendeur indique qu’il faut être en connaissance d’une attaque généralisée ou systématique pour remplir la définition de crime contre l’humanité. En l’espèce, le défendeur nie être au courant des actes de torture et de traitements inhumains perpétrés par certains policiers. Enfin, la preuve documentaire ne démontre pas que certains policiers moldaves aient commis des crimes dans le cadre d’une attaque systématique et/ou généralisée; selon le défendeur, ces crimes auraient plutôt été commis pour des motifs purement personnels. Par conséquent, le défendeur considère que la notion de complicité dans Ezokola, ci-dessus, n’avait pas lieu d’être analysée dans le présent cas. Néanmoins, le défendeur soumet que la SAI a considéré les principes et les critères établis par la Cour suprême du Canada dans Ezokola.

[26]           Enfin, le défendeur prétend qu’il importait peu de reprocher à la SAI d’avoir appliqué une norme de preuve erronée. Ni le MSPPC ni le demandeur n’avaient soumis de preuve démontrant que les crimes commis par certains policiers moldaves constituent des crimes contre l’humanité. Pour cette seule raison, le défendeur considère que la présente demande doit être rejetée. La décision de la SAI était raisonnable, compte tenu de l’ensemble de la preuve.

C.                 Réplique

[27]           Dans sa réplique, le demandeur rappelle que la SAI a le pouvoir de reprendre l’instance depuis le début. Elle peut donc substituer sa propre décision à celle qui aurait dû être rendue (Mendoza c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 934 au para 18; Iyamuremye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 494 au para 34).

[28]           Le demandeur soulève de nouveau la question sur la norme de preuve en précisant que la SAI n’a pas réussi à déterminer si le défendeur était effectivement interdit de territoire selon l’article 33 de la LIPR (Castello Viera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1086 au para 26). La SAI aurait commis une erreur de droit en exigeant du demandeur de prouver entre autres que, lors des manifestations du 6 au 8 avril 2009, la majorité ou la plupart des policiers étaient présents.

[29]           Enfin, le demandeur allègue que la SAI n’a pas procédé à une analyse de l’arrêt Mugesera pour rendre sa décision et le défendeur n’avait pas à le faire non plus. D’après la preuve documentaire, le demandeur soumet tout de même que les actes commis par la police moldave rencontrent la définition de crimes contre l’humanité que l’on retrouve dans l’arrêt Mugesera.

VIII.         Analyse

[30]           « Comment peut-on ne pas savoir, ne pas entendre, ne pas voir, quand on est de son plein gré membre à part entière? » (Ali, ci-dessus, au para 1; voir également Ezokola, ci-dessus).

[31]           « Les agissements d’un demandeur peuvent être plus révélateurs que son témoignage et les circonstances peuvent être telles qu’on puisse en inférer qu’une personne partage les objectifs de ceux avec qui elle collabore » (Harb, ci-dessus, au para 27; voir aussi l’arrêt Ezokola, ci-dessus).

[32]           « [O]ù il entend parler d’arrestations et de torture, il me semble tout à fait invraisemblable qu’il ne soit pas au courant de ce qui se passe » (Shakarabi, ci-dessus, au para 25; voir aussi l’arrêt Ezokola, ci-dessus). « According to the Prosecutor General’s office, most abuses occurred at the time of apprehension; during transport to a detention facility » (Dossier du demandeur, à la p 98).

[33]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[34]           D’abord, la Cour rappelle qu’elle n’a pas à intervenir dans la présente affaire si c’est pour rendre une conclusion différente à celle de la SAI (Hadhiri, ci-dessus, au para 46).

[35]           Il convient ensuite d’énumérer les facteurs permettant de déterminer si une personne a ou non volontairement apporté une contribution significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel (Ezokola, ci-dessus, au para 91) :

(i) la taille et la nature de l’organisation;

(ii) la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

(iii) les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(iv) le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(v) la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel);

(vi) le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

[La Cour souligne.]

[36]           Compte tenu de la preuve documentaire au dossier, le défendeur connaissait la nature et l’étendue des activités criminelles exercées par la police moldave. Les faits sont tels que le défendeur ne pouvait pas être dans son département sans avoir la moindre connaissance des actes de torture perpétrés par ses propres collègues. Les faits au dossier démontrent aussi que le défendeur est devenu policier de son plein gré en 2007. Il est resté dans l’organisation jusqu’en 2011, sans se dissocier du groupe. Même si la SAI a conclu que le témoignage du défendeur était crédible, il reste que d’après les faits importants au dossier, il y avait des motifs raisonnables de croire que le défendeur était complice de ces crimes. Pour rendre sa décision, la SAI a donc omis de considérer la possibilité pour le défendeur d’être au courant des crimes perpétrés par la police moldave. La SAI a fait défaut d’analyser les agissements du défendeur pour déterminer sa complicité et elle a plutôt décidé de privilégier le témoignage du défendeur en l’espèce.

[37]           Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SAI est déraisonnable et elle n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

IX.              Conclusion

[38]           La présente demande de contrôle judiciaire est accordée.


JUGEMENT au dossier IMM-1753-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit retourné pour une étude de nouveau à un autre panel de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1753-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c IURII VERBANOV

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Lisa Maziade

 

Pour le demandeur

 

Igor Dogaru

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Idlex Legal Services Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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