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Date : 20171110


Dossier : IMM-732-17

Référence : 2017 CF 1032

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ANITA BENKO

PETER VASZILY

BRENDA VASZILY

NOEL PETER VASZILY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Mme Anita Benko, son époux, M. Peter Vaszily, et leurs deux enfants mineurs, Brenda et Noel Peter, sont tous des citoyens de la Hongrie et sont d’origine rome. Lorsqu’elles sont arrivées au Canada en mars 2010, Mme Benko et sa famille ont présenté une demande d’asile sur la base de leur crainte de discrimination et de violence en Hongrie en raison de leur origine rome. En avril 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande en raison d’une absence de crainte bien fondée et de leur défaut de fournir des éléments de preuve suffisants indiquant qu’elles ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État en Hongrie.

[2]  Mme Benko et sa famille ont alors présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). En décembre 2016, un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté leur demande d’ERAR au motif qu’elles ne serait pas exposées à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités si elles retournaient en Hongrie (la décision). Malgré la nouvelle preuve présentée par Mme Benko et sa famille se rapportant à la détérioration de la situation en Hongrie, l’agent chargé de l’ERAR a confirmé les conclusions de la Section de la protection des réfugiés à propos de l’absence d’éléments de preuve concernant le risque et la disponibilité de la protection de l’État.

[3]  Mme Benko et sa famille demandent désormais un contrôle judiciaire de la décision de l’agent chargé de l’ERAR. Elles font valoir que la décision est déraisonnable, car l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur en examinant leur nouvelle preuve et en procédant à l’analyse de la protection de l’État. Elles demandent à la Cour d’annuler la décision et de la soumettre à un autre agent d’immigration pour qu’il la réexamine. La question déterminante dont était saisi l’agent chargé de l’ERAR était la disponibilité de la protection de l’État en Hongrie et, dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Benko et sa famille ont axé leurs arguments sur ce point.

[4]  Ayant examiné la preuve dont disposait l’agent chargé de l’ERAR et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer la décision de l’agent. Dans sa décision, l’agent a tenu compte de la preuve et l’issue peut se justifier au regard des faits et du droit. Elle appartient aux issues possibles acceptables. Il n’y a aucun motif suffisant pour justifier l’intervention de la Cour; je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte

A.  Le contexte factuel

[5]  Mme Benko et sa famille ont présenté des demandes d’asile fondées sur des allégations selon lesquelles, en raison de leur origine ethnique rome, elles avaient subi de la discrimination dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et des espaces publics en Hongrie, et qu’une telle discrimination était assimilable à de la persécution.

[6]  Le catalyseur de leur fuite de la Hongrie semble avoir été le décès (en 2009) du frère de Mme Benko aux mains de Balog Tibor, un gardien hongrois hostile à l’égard des Roms, qui a été emprisonné par la suite pour ce crime après une enquête policière. Mme Benko aurait également été menacée en janvier 2010 par un inconnu qui l’aurait avertie de ne pas s’en mêler et de ne pas déposer de plainte auprès des autorités concernant le décès de son frère. Selon le témoignage de Mme Benko devant la Section de la protection des réfugiés, elle s’est rendue à la police à la suite de cette menace. C’est la seule fois où elle a demandé de l’aide aux autorités hongroises, car Mme Benko et sa famille ont fui le pays six semaines plus tard.

[7]  Mme Benko et sa famille étaient originalement représentées devant la Section de la protection des réfugiés par un avocat qui a ultérieurement été jugé coupable de négligence dans l’assistance qu’il a offerte à de nombreux demandeurs roms de la Hongrie et qui a été réprimandé par le Barreau du Haut-Canada en 2015.

B.  La décision

[8]  Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que les nouveaux documents présentés par Mme Benko et sa famille ne suffisaient pas à démontrer qu’elles seront persécutées en Hongrie ou qu’elles ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État.

[9]  L’agent chargé de l’ERAR a accordé un poids important aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés et a reproduit de longs passages des motifs de la Section de la protection des réfugiés dans la décision. Plus précisément, l’agent a pris acte des conclusions suivantes formulées par la Section de la protection des réfugiés : 1) elle s’est fondée exclusivement sur les récits modifiés de Mme Benko à la lumière de la négligence de leur avocat dans la préparation de leur demande d’asile; 2) elle a tranché que la discrimination contre les personnes d’origine rome en ce qui concerne l’emploi, l’éducation, le logement et la violence à caractère raciste n’était pas assimilable à de la persécution; 3) l’État hongrois a offert la protection de Mme Benko et à sa famille à la suite du décès de son frère, car une enquête policière a mené à l’arrestation, à la détention, à la condamnation et à l’emprisonnement de Balog Tibor; 4) en ce qui concerne la propre plainte de Mme Benko, celle-ci a été déposée auprès de la police, mais Mme Benko a rapidement quitté le pays, six semaines après les menaces alléguées à son encontre, sans épuiser tous les moyens qui lui étaient offerts; et 5) la preuve sur la situation du pays laissait entendre que, bien qu’elle ne soit pas parfaite, la protection de l’État en Hongrie était adéquate pour les Roms qui sont victimes de crime, de violence policière ou de discrimination. La Section de la protection des réfugiés a donc conclu que Mme Benko et sa famille n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante, et qu’elle n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables afin de se prévaloir de cette protection avant de présenter une demande d’asile.

[10]  Dans la décision, l’agent chargée de l’ERAR n’avait pas examiné certains documents antérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés de 2012, car ils ne satisfaisaient pas à la définition d’« éléments de preuve survenus depuis le rejet », énoncée à l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[11]  En ce qui concerne la question relative à la persécution et à la protection de l’État, l’agent chargé de l’ERAR a souligné que, depuis que Balog Tibor avait été libéré de prison en juillet 2014, ni Mme Benko ni les membres de sa famille n’avaient signalé d’incident de harcèlement à la police. La mère et la belle-sœur de Mme Benko ont prétendu avoir craint de s’adresser aux autorités, car Mme Benko l’avait fait sans succès en 2010. Cependant, Mme Benko avait déclaré à l’audience de la Section de la protection des réfugiés que la police avait consigné sa déposition à l’époque et qu’elle enquêtait sur l’affaire lorsqu’elle a choisi de quitter le pays et qu’elle avait choisi de ne pas y donner suite. L’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à corroborer que les individus inconnus qui avaient prétendument harcelé la famille de Mme Benko en Hongrie étaient expressément liés à l’affaire contre Balog Tibor.

[12]  L’agent chargé de l’ERAR a également observé que Mme Benko avait énuméré les mêmes risques que ceux précédemment présentés à la Section de la protection des réfugiés et qu’elle avait présenté une preuve insuffisante relativement à de nouveaux risques. L’agent a reconnu la preuve contradictoire en ce qui concerne le degré des actes discriminatoires auxquels la communauté rome est exposée et l’efficacité des mécanismes de protection de l’État. Cependant, l’agent a conclu que les conditions et de nombreuses voies de recours indiquées dans les motifs de la Section de la protection des réfugiés de 2012 étaient conformes à la preuve documentaire maintenant présentée par Mme Benko.

[13]  En ce qui concerne la question de la protection de l’État, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que, en l’absence d’une preuve claire et convaincante du contraire, l’État de la Hongrie était présumé être en mesure de protéger ses ressortissants. La preuve documentaire n’indiquait pas qu’il y avait un effondrement complet de l’appareil étatique rendant inopérante la protection de personnes comme Mme Benko et sa famille. L’agent a observé qu’elles n’avaient pas vécu en Hongrie pendant plus de six ans et demi et qu’elles avaient présenté des éléments de preuve insuffisants pour démontrer qu’elles ne pouvaient pas se prévaloir de la protection de l’État dans l’éventualité où elles feraient l’objet de menaces.

[14]  L’agent chargé de l’ERAR est donc arrivé à la conclusion que la preuve de Mme Benko ne montrait pas que sa famille et elle avaient demandé, et qu’on leur avait ensuite refusé, la protection de l’État. En outre, après avoir analysé la preuve sur la situation générale en Hongrie et la capacité de l’État à protéger ses citoyens, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer qu’ils ne pourraient pas raisonnablement obtenir la protection de l’État s’ils retournaient en Hongrie.

C.  La norme de contrôle

[15]  Il est bien reconnu que les demandes d’ERAR portent sur des questions mixtes de faits et de droit, et que la norme de contrôle applicable dans de telles affaires est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 [Flores Carrillo], au paragraphe 36; Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 [Hinzman], au paragraphe 38; Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797, aux paragraphes 19 à 22; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230 [Galamb], au paragraphe 12). Puisque la LIPR est la loi habilitante que les agents chargés de l’ERAR ont le mandat d’appliquer, son interprétation et son application relèvent de leur domaine d’expertise fondamental. Dans de telles circonstances, nous devons montrer un grand respect à l’égard des conclusions factuelles des agents chargés de l’ERAR et de leur évaluation de la preuve.

III.  Analyse

[16]  Mme Benko et sa famille prétendent que l’agent chargé de l’ERAR a commis de nombreuses erreurs susceptibles de contrôle dans son analyse de la protection de l’État. Essentiellement, elles font valoir que l’agent chargé de l’ERAR a omis de renvoyer à une preuve précise justifiant ses conclusions, qu’il a écarté la preuve contradictoire et qu’il a commis une erreur en s’appuyant fortement sur les conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés. Elles font valoir que la preuve ne permettait pas à l’agent de tirer une conclusion quant à l’efficacité de la protection de l’État offerte en Hongrie. Elles soutiennent que, même si les efforts de la Hongrie en vue de protéger ses citoyens sont pertinents, ils ne sont ni déterminants ni suffisants, et qu’aucune protection de l’État adéquate n’est offerte au niveau opérationnel. Elles soutiennent qu’une abondante preuve démontre l’incapacité de la Hongrie d’assurer une protection de l’État et que l’agent chargé de l’ERAR a été déraisonnable en n’en tenant pas compte.

[17]  Je suis en désaccord avec les arguments de Mme Benko et de sa famille.

[18]  Il n’est pas contesté que le critère approprié dans l’analyse de la protection de l’État commande une évaluation du caractère approprié de cette protection sur le plan opérationnel (Galamb, aux paragraphes 32 à 37). Le critère de la protection de l’État ne doit pas être axé uniquement sur les efforts de l’État, mais aussi sur les résultats concrets : « [c]’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte » (Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, aux paragraphes 5 et 6 [en italiques dans l’original]). L’analyse de la protection de l’État ne doit pas seulement tenir compte des aspirations du gouvernement. Il va de soi que les efforts déployés par un gouvernement pour assurer la protection de l’État peuvent être pertinents pour la question du caractère adéquat de la protection sur le terrain. Toutefois, les résultats réels en termes d’accomplissements concrets de la part de l’État doivent être évalués (Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337, aux paragraphes 71 et 72).

[19]  Je suis convaincu qu’en l’espèce, l’agent chargé de l’ERAR a bel et bien pris en compte non seulement les efforts de la Hongrie pour offrir la protection de l’État à Mme Benko et à sa famille, mais également les résultats des mesures prises en termes d’enquêtes, de poursuites et de condamnations. Contrairement aux observations de Mme Benko, je ne suis pas convaincu que l’agent chargé de l’ERAR a étudié la preuve documentaire de façon sélective. Il semble plutôt que la décision de l’agent tenait compte des documents sur la Hongrie et des documents présentés par Mme Benko et sa famille. Je concède que les motifs de l’agent sont brefs et qu’ils ne contiennent aucune référence à des parties précises de la preuve, mais l’agent chargé de l’ERAR a reconnu que la preuve liée au caractère adéquat de la protection de l’État offerte en Hongrie est mitigée. L’agent chargé de l’ERAR a également conclu que les préoccupations de Mme Benko et de sa famille à l’égard du caractère adéquat de la protection de l’État étaient spéculatives, car elles n’avaient pas elles-mêmes demandé la protection de l’État. À la fin, et au motif de la preuve dont il était saisi, l’agent chargé de l’ERAR a accordé plus de poids à la preuve documentaire liée au caractère adéquat de la protection de l’État qu’aux préoccupations soulevées par Mme Benko et sa famille ou à la preuve documentaire isolée par leur avocat. En plus de mon examen de la décision et du dossier porté à la connaissance de l’agent, je ne suis pas convaincu par le fait que cette évaluation était déraisonnable.

[20]  En l’espèce, l’agent chargé de l’ERAR est arrivé à la conclusion que Mme Benko et sa famille n’avaient pas montré qu’elles ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État en Hongrie. À mon avis, il était loisible à l’agent de tirer cette conclusion, puisque la police hongroise avait été réceptive aux plaintes formulées par Mme Benko à propos du décès de son frère et des menaces qu’elle avait elle-même reçues. Dans les cas où la protection de l’État est un enjeu, la véritable question qui se pose est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve offerte au sujet de la capacité de l’État à protéger ses citoyens, les demandeurs seront exposés à un risque élevé de persécution s’ils retournent en Hongrie. Compte tenu de la preuve au dossier, je conclus que l’agent chargé de l’ERAR avait raisonnablement conclu que Mme Benko et sa famille n’avaient pas réussi à satisfaire à ce critère.

[21]  Je conclus que le raisonnement de l’agent chargé de l’ERAR était transparent et intelligible. Il ne s’agit pas d’un cas où l’agent chargé de l’ERAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve fournis ou des éléments de preuve contradictoires concernant les conditions ayant cours dans le pays. Bien au contraire, les motifs reconnaissaient expressément l’existence d’une preuve mitigée. Je suis conscient du fait que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas fait mention de l’ensemble de la preuve documentaire volumineuse dont il était saisi. En examinant l’ensemble des motifs et après avoir examiné le dossier, je conclus que l’agent a procédé à une évaluation raisonnablement approfondie et équilibrée de la preuve. Il est nécessaire d’examiner la situation particulière d’un demandeur donné, en combinaison avec la preuve documentaire générale, afin de conclure si le demandeur est exposé à un risque de persécution (Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921, au paragraphe 15; Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 651, au paragraphe 28). En l’espèce, la preuve individualisée qui était liée la situation personnelle de Mme Benko et de sa famille en Hongrie était insuffisante pour justifier une conclusion de risque et d’absence de la protection de l’État.

[22]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les conclusions de l’agent chargé de l’ERAR ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la décision raisonnable des conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 17).

[23]  La question ne consiste pas à décider s’il aurait été possible d’en arriver à une autre issue ou de faire une autre interprétation. La question est de savoir si la conclusion tirée par l’agent chargé de l’ERAR fait partie des issues possibles acceptables. Une décision n’est pas déraisonnable parce que les éléments de preuve auraient pu appuyer une autre conclusion. En vertu de la norme de la décision raisonnable, la cour de révision est tenue de faire preuve de déférence à l’égard du décideur. Le critère du caractère raisonnable exige que le tribunal de révision commence par la décision et la reconnaissance du fait que le décideur a la responsabilité première de rendre ses décisions en se fondant sur les faits. Le tribunal de révision examine les motifs, le dossier et le résultat et, s’il existe une explication justifiable au résultat obtenu, il s’abstient d’intervenir.

[24]  Mme Benko fait valoir que les motifs de l’agent chargé de l’ERAR peuvent difficilement relever des issues acceptables, compte tenu de leur imprécision, notamment en raison des documents abondants présumément contenus dans le dossier qui contredisent les conclusions de l’agent. Elle fait valoir que les conclusions de l’agent sont manifestement déraisonnables compte tenu de la quantité d’éléments de preuve qui prouvent que les conditions se sont détériorées pour les Roms en Hongrie. Mme Benko fait valoir que le décideur a commis une erreur en omettant d’expliquer pourquoi certains éléments de preuve sont privilégiés par rapport à d’autres (Dimitrijevic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 719, aux paragraphes 32 et 33), notamment lorsqu’il y a une preuve qui contredit clairement celle sur laquelle les motifs sont fondés (Cech c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1312, au paragraphe 20; Abdillahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1202, au paragraphe 10; Aziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 694, aux paragraphes 13 à 15).

[25]  Je ne partage pas les points de vue exprimés par Mme Benko et sa famille. Étant donné que l’État a poursuivi, reconnu coupable et condamné l’agent de persécution, Balog Tibor, il était raisonnable que l’agent chargé de l’ERAR tranche que Mme Benko et sa famille bénéficiaient de la protection de l’État. En ce qui concerne l’allégation, formulée par des membres de la famille, de harcèlement par l’homme de main présumé de Balog Tibor, l’agent avait le droit de soupeser la preuve et de tenir compte du fait que les membres de la famille de Mme Benko spéculaient quant à l’identité de la personne derrière les menaces. Il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion de l’agent chargé de l’ERAR selon laquelle Mme Benko et sa famille n’avaient pas présenté une preuve objective suffisante relativement à de nouveaux risques (Rangel Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 786, aux paragraphes 22 et 23). En outre, le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau du fondement de la demande d’asile. Au lieu de cela, celle-ci est fondée sur le respect de la décision de rejeter la demande d’asile « à moins que des preuves nouvelles admissibles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la Section de la protection des réfugiés à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13).

[26]  En outre, contrairement aux arguments de Mme Benko, la preuve documentaire au dossier signale effectivement certaines améliorations pour les Roms en Hongrie, tout en décrivant les problèmes continus; il était donc raisonnablement loisible à l’agent chargé de l’ERAR de tirer cette conclusion (Galamb, aux paragraphes 38 à 51). Le fait qu’il existe également des éléments de preuve qui continuent d’aborder les problèmes éprouvés par les Roms hongrois ne rend pas déraisonnable l’analyse par l’agent chargé de l’ERAR des éléments de preuve.

[27]  Mme Benko et sa famille font valoir que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas adéquatement reconnu la preuve signalant la détérioration des conditions pour les Roms en Hongrie. Elles s’appuient sur la conclusion de la Cour dans Djubok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 497 selon laquelle plus la preuve qui n’a pas été mentionnée ni analysée expressément dans les motifs d’un décideur, plus une cour de justice sera disposée à inférer que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve. Je retiens cet argument. Toutefois, il est bien reconnu que le décideur est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL), au paragraphe 1). L’omission de mentionner un élément de preuve en particulier ne signifie pas qu’il a été écarté (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16) et un décideur n’est pas obligé de mentionner chaque élément de preuve soutenant ses conclusions. En outre, le décideur n’a pas besoin de mentionner expressément les éléments de preuve documentaire de nature générale (par opposition aux éléments de preuve propres à la situation des demandeurs) et d’expliquer en quoi il en a tenu compte (Vargas Bustos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 114, aux paragraphes 35 à 38; Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1001, aux paragraphes 4 à 6). Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425 (QL) [Cepeda-Gutierrez], aux paragraphes 16 et 17). Cependant, Cepeda-Gutierrez n’établit pas que le simple défaut d’un tribunal de mentionner un élément de preuve important qui va à l’encontre de la conclusion tirée par le tribunal rend nécessairement une décision raisonnable et entraîne l’annulation de celle-ci. Au contraire, Cepeda-Gutierrez enseigne que ce n’est que lorsque la preuve non mentionnée est essentielle et contredit carrément la conclusion du tribunal que la cour de révision peut décider que son omission signifie que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il était saisi.

[28]  Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Contrairement aux arguments présentés par Mme Benko et sa famille, je n’estime pas qu’il s’agisse d’une affaire où la preuve au dossier contredit directement un élément essentiel d’une contusion ou d’une affaire où une décision est rendue sans égard aux éléments portés à la connaissance du décideur (Sanchez Mestre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 375, au paragraphe 15; Hernandez Montoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 808, au paragraphe 36).

[29]  Mme Benko et sa famille avaient le fardeau de fournir une preuve claire et convaincante établissant l’insuffisance de la protection de l’État en Hongrie (Flores Carrillo, aux paragraphes 18 et 19). Il est établi en droit que les tribunaux canadiens doivent présumer que la protection de l’État est disponible dans le pays d’origine du demandeur d’asile, notamment lorsque l’État est démocratique, comme c’est le cas de la Hongrie. Il faut des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption de la protection de l’État (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux pages 724 et 725), et il ne faut pas se limiter à démontrer que la protection de l’État n’est ni parfaite, ni toujours efficace (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189 (CAF) (QL), au paragraphe 7).

[30]  Comme l’a Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans Hinzman, « l’asile est censé constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine » (Hinzman, au paragraphe 41). Il s’agit, ainsi, de « l’exigence fondamentale en droit des réfugiés voulant que le demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine avant de demander à l’étranger la protection offerte par le système des réfugiés » (Hinzman, au paragraphe 62). Dans le cas d’une démocratie développée, le demandeur est confronté au fardeau de prouver qu’il a épuisé toutes les protections possibles offertes dans le pays d’origine. Il est également acquis en matière jurisprudentielle que les demandeurs d’asile ne peuvent simplement évoquer leur propre conviction que la protection de l’État ne leur sera pas offerte (Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, au paragraphe 75; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33). Leur demande doit également être étayée par des éléments de preuve.

[31]  Mme Benko invoque également Newfoundland Nurses pour soutenir que les motifs sont adéquats uniquement s’ils permettent à une cour de révision de comprendre la raison pour laquelle le décideur a rendu sa décision. Elle soutient que l’agent n’a pas expliqué la raison pour laquelle il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour montrer en quoi les conditions du pays s’étaient détériorées depuis 2012. Mme Benko poursuit en présentant une liste détaillée de documents qui appuieraient une conclusion défavorable relative à la protection de l’État.

[32]  Comme je l’ai expliqué dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdulghafoor, 2015 CF 1020, aux paragraphes 30 à 36, Al-Katanani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1053 [Al-Katanani], au paragraphe 32 et Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1207, aux paragraphes 34 à 39, le droit relatif à la suffisance des motifs dans la prise de décisions administratives a évolué de manière substantielle depuis Dunsmuir. Il est maintenant bien établi en droit que la pertinence des motifs ne permet plus à elle seule de casser une décision. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 18).

[33]  Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur, dans la mesure où elle est capable de comprendre le fondement de la décision (Al-Katanani, au paragraphe 32). Il n’est pas nécessaire de rendre de longs motifs. Des motifs suffisants peuvent être donnés en une phrase ou deux (Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 25). Aussi brefs qu’ils puissent être, les motifs sont suffisants s’ils « permettent à la cour de révision d’apprécier le bien‑fondé de la décision » (Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46).

[34]  Autrement dit, le caractère suffisant des motifs ne se mesure pas par la quantité. Peu importe le nombre de mots utilisés par un décideur ou le degré de concision de la décision, le critère est de savoir si les motifs sont clairs et intelligibles et s’ils expliquent à la Cour et aux parties pourquoi la décision a été rendue. Les motifs de la décision doivent simplement être compréhensibles, non pas exhaustifs. Les motifs sont suffisants s’ils « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Pour fournir des motifs adéquats, « le décideur doit exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions », ainsi que « traiter des principaux points en litige » et « examiner les facteurs pertinents » (Via Rail Canada Inc. c Canada (Office national des transports), [2001] 2 CF 25 (CAF), au paragraphe 22). À mon avis, c’est exactement ce qu’a fait l’agent chargé de l’ERAR.

[35]  Les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 14). Les cours de révision doivent également examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable de l’issue. Dans Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47 [Ville d’Edmonton], la Cour suprême a même affirmé récemment que l’omission par un tribunal de motiver sa décision ne porte pas atteinte à l’équité procédurale et qu’une cour de révision peut tenir compte des motifs qui pourraient être donnés à l’appui du caractère raisonnable de la décision (Ville d’Edmonton, aux paragraphes 36 à 38). Par conséquent, l’état actuel du droit à l’égard d’un examen selon la norme de la décision raisonnable et le caractère adéquat des motifs a été énoncé dans la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Transports) c Syndicat canadien de la fonction publique, 2017 CAF 164 [SCFP]. Dans cette décision, la Cour a réitéré qu’une cour de révision doit tenir compte des motifs donnés par le décideur et du dossier dont celui-ci est saisi; en outre, « pour qu’une décision soit jugée raisonnable et confirmée, il est même possible qu’il ne soit pas nécessaire que le décideur ait fourni des motifs si le dossier permet à la cour chargée d’effectuer le contrôle de déterminer comment et pourquoi la décision a été prise et si la conclusion du décideur peut être défendue à la lumière des faits et du droit applicable » (SCFP, au paragraphe 32).

[36]  En l’espèce, les motifs me permettent de comprendre comment l’agent chargé de l’ERAR a tiré sa conclusion. La décision repose sur un fondement factuel. Par conséquent, les motifs ne sont pas inadéquats.

IV.  Conclusion

[37]  Pour les motifs susmentionnés, la décision de l’agent chargé de l’ERAR représente un résultat raisonnable fondé sur le droit et la preuve dont il disposait. À mon avis, l’agent a raisonnablement conclu que la protection de l’État est offerte à Mme Benko et à sa famille en Hongrie, et qu’elles ne seraient pas exposées à un risque grave de persécution si elles retournaient en Hongrie. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire soit justifiée, transparente et intelligible. Or, c’est le cas en l’espèce. Par conséquent, je ne peux pas infirmer la décision de l’agent chargé de l’ERAR et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[38]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-732-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-732-17

 

INTITULÉ :

ANITA BENKO, PETER VASZILY, BRENDA VASZILY, NOEL PETER VASZILY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Gascon

 

DATE DES MOTIFS:

Le 10 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Deryck Ramcharitar

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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