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Date : 20171116


Dossier : IMM-840-17

Référence : 2017 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

JOHN PAUL IGNACIO CAYANGA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, John Paul Ignacio Cayanga, est un citoyen des Philippines de 32 ans qui a demandé un permis d’études et le statut de résident temporaire en décembre 2016, avec l’intention d’étudier en gestion hôtelière (Hotel Operations Management) au Centennial College de Toronto, en Ontario. Dans une lettre datée du 9 février 2016, un agent d’immigration de la Section des visas de l’ambassade du Canada à Makati City, aux Philippines, a rejeté la demande du demandeur parce qu’il n’était pas convaincu que ce dernier quitterait le Canada à la fin de ses études. Le demandeur a maintenant présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant le rejet par l’agent de sa demande de permis d’études.

I.  Contexte

[2]  La mère, le père et l’unique frère du demandeur sont des citoyens canadiens vivant à Toronto. Le demandeur est marié depuis environ cinq ans et n’a pas d’enfant. En 2006, il a obtenu un baccalauréat ès sciences en gestion – hôtel et restaurant, du lycée de la Philippines University. Après l’obtention de son diplôme, le demandeur a effectué un stage de six mois au Raffles Hotel de Singapour. Il a ensuite travaillé durant plusieurs années comme employé de cuisine pour Costa Cruises, avant de retourner aux Philippines en 2010 pour prendre soin d’un membre de la famille. Le demandeur affirme qu’il souhaitait mettre à niveau ses titres de compétence et améliorer son niveau d’éducation afin de pouvoir travailler dans l’industrie très concurrentielle du tourisme d’accueil des Philippines.

[3]  En 2011, le demandeur a présenté une demande de permis d’études et de statut de résident temporaire au Canada, mais cette demande a été rejetée. En décembre 2016, le demandeur a de nouveau présenté une demande de permis d’études et de statut de résident temporaire. Il a fourni une preuve de son acception par le Centennial College et a indiqué ses raisons pour avoir choisi cet établissement dans une lettre d’accompagnement. Les parents et le frère du demandeur ont fourni des déclarations solennelles et des éléments de preuve documentaires indiquant leur intention et leur capacité de fournir un soutien financier au demandeur durant ses études.

II.  La décision de l’agent

[4]  L’agent a affirmé dans la lettre de refus datée du 9 février 2017 que le demandeur ne l’avait [traduction] « pas convaincu qu’il quitterait le Canada à la fin de ses études ». Pour en arriver à cette conclusion, l’agent a tenu compte de plusieurs critères, comme les antécédents du demandeur en matière de voyages, ses liens familiaux au Canada et aux Philippines, le but de sa visite, et ses perspectives d’emploi aux Philippines. Les notes apparaissant dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) indiquent les motifs invoqués par l’agent pour refuser la demande du demandeur :

[traduction] Refus antérieur de permis d’études (2011). Présente une demande pour suivre un programme de gestion hôtelière et de tourisme d’accueil. La lettre d’entente indique un stage de formation de 448 heures. Les parents vont en défrayer les coûts. Ses deux parents et son unique frère vivent au Canada. Le candidat est marié, n’a pas d’enfant à charge. Je remarque un visa américain non utilisé; ses antécédents en matière de voyages se limitent à des emplois antérieurs à l’étranger. Plan d’études examiné. On ne sait pas trop pourquoi le candidat veut suivre ce programme à ce moment-ci, ou pourquoi il n’aurait pas été plus facile et moins cher pour lui de suivre un programme semblable à l’échelle locale ou régionale, compte tenu des coûts du programme. Même si le candidat a obtenu un diplôme connexe il y a plus de dix ans, on ne sait pas trop pourquoi le programme est pertinent pour son expérience à long terme (prend soin d’un membre de la famille depuis juin 2010) ou son travail comme employé de cuisine (janvier 2007 à mai 2010). Aucun document n’a été déposé pour appuyer l’activité déclarée. Liens économiques actuels faibles avec le pays d’origine, liens familiaux solides au Canada. Selon les renseignements et les documents au dossier, je ne suis pas convaincu que le candidat est suffisamment établi dans son pays d’origine, au point d’être obligé de quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé. Demande refusée.

III.  Questions en litige

[5]  Il n’y a qu’une seule question que doit examiner la Cour : la décision de l’agent était-elle raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[6]  En l’absence de toute allégation liée à l’équité procédurale, la décision d’un agent concernant une demande de permis d’études doit être examinée suivant la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 602, au paragraphe 28, 344 FTR 313; Gu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 522, au paragraphe 14, [2010] ACF no 624 [Gu]; Tang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284, aux paragraphes 14 à 16, 337 FTR 100 [Li]).

[7]  Conformément à la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Mais la Cour doit aussi se demander si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339.

B.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[8]  Le demandeur affirme que puisque l’agent a vu son plan d’études, il était déraisonnable qu’il se demande pourquoi il n’aurait pas été plus facile et moins cher pour lui de suivre un programme semblable à l’échelle locale ou régionale. Le demandeur affirme, à la lumière de la décision Zuo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 88, au paragraphe 23, 155 ACWS (3d) 425 [Zuo], que le coût d’un programme ne représente qu’une des nombreuses raisons possibles pour choisir un programme d’études. Selon le demandeur, l’agent s’est fié à des renseignements qui n’étaient pas au dossier, et l’agent avait l’obligation de confronter le demandeur avec ces renseignements. Le demandeur affirme que l’agent avait l’obligation de lui fournir une possibilité de répondre au manque d’éléments de preuve appuyant le programme d’études déclaré.

[9]  Le demandeur affirme en outre que la conclusion de l’agent, selon laquelle il n’est pas suffisamment établi aux Philippines « au point d’être obligé de quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé », ne tient pas compte du fait qu’un résident temporaire peut prolonger ou maintenir son statut au Canada et avoir la double intention de devenir un résident permanent. En l’espèce, le demandeur affirme avoir fait état de son désir de retourner aux Philippines pour obtenir un emploi mieux rémunéré. Selon le demandeur, il doit exister une raison objective de remettre en question les motivations d’un demandeur, et les visas de résident temporaire sont fondés sur l’idée que des personnes peuvent souhaiter venir au Canada pour améliorer leur situation économique. De l’avis du demandeur, la conclusion de l’agent selon laquelle il ne retournerait pas aux Philippines est incompréhensible et erronée, compte tenu des éléments de preuve déposés. Le demandeur affirme que la décision de l’agent est déraisonnable, « parce qu’elle reposait, comme raison principale pour le refus d’accepter cette personne, sur le facteur qui pourrait induire une personne à venir ici de façon temporaire » (Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 941, au paragraphe 11, 193 ACWS (3d) 257).

[10]  Le défendeur souligne qu’il incombe toujours aux demandeurs de fournir des éléments de preuve suffisants pour convaincre un agent des visas qu’ils quitteront le Canada à la fin de leur séjour autorisé. De l’avis du défendeur, l’agent n’avait pas l’obligation d’accorder au demandeur une possibilité de dissiper ses doutes. Selon le défendeur, la protection procédurale qui est fournie dans le contexte d’une demande de visa d’étudiant est moins stricte. Le défendeur maintient que lorsque les doutes d’un agent découlent d’exigences réglementaires ou de la documentation fournie par le demandeur, il n’a pas l’obligation d’exprimer ces doutes au demandeur. Selon le défendeur, un demandeur a l’obligation de prévoir de tels doutes; le fardeau de la preuve ne peut être transféré sur les épaules du décideur s’il a des doutes quant aux éléments de preuve.

[11]  Le défendeur maintient que le demandeur a omis de réfuter la présomption voulant qu’un ressortissant étranger qui cherche à entrer au Canada est un immigrant. Le défendeur souligne que l’agent a pris en considération tous les facteurs pertinents, et même si un demandeur souhaitant obtenir un statut de résident temporaire peut avoir la double intention de demander par la suite le statut de résident permanent, l’agent a rendu une décision raisonnable, fondée sur la preuve présentée selon laquelle la seule intention du demandeur était de demeurer au Canada.

[12]  En règle générale, un demandeur ne sera pas convoqué en entrevue dans le contexte d’une demande de visa d’étudiant, sauf si l’agent s’est appuyé sur une preuve extrinsèque ou se forge par ailleurs une opinion que le demandeur n’avait aucun moyen de prévoir (voir, par exemple, Gu, aux paragraphes 23 et 24; Campbell Hara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 263, au paragraphe 23, 341 FTR 278; Li, au paragraphe 35). À mon avis, rien dans les raisons invoquées par l’agent ne nécessitait une entrevue ou n’obligeait l’agent à confronter le demandeur avec les renseignements qui selon le demandeur n’étaient pas inclus avec sa demande. En l’espèce, l’agent ne s’est pas appuyé sur une preuve extrinsèque ou ne s’est pas par ailleurs forgé une opinion que le demandeur n’avait aucun moyen de prévoir.

[13]  Il n’est pas déraisonnable de la part d’un agent des visas, comme l’a fait l’agent en l’espèce, de tenir compte de la disponibilité de programmes semblables offerts ailleurs à un moindre coût; c’est « simplement un facteur que l’agent des visas peut prendre en compte au cours de l’évaluation des motifs qui incitent un demandeur à solliciter un permis d’études » (voir Zuo, au paragraphe 23). De même, il n’est pas déraisonnable de la part d’un agent des visas, comme l’a fait l’agent en l’espèce, de prendre en considération d’autres facteurs, comme les liens familiaux du demandeur au Canada et dans son pays d’origine, ses perspectives d’emploi aux Philippines, et ses antécédents en matière de voyages.

[14]  Selon l’arrêt Newfoundland Nurses, les motifs de l’agent doivent être suffisamment clairs pour permettre à la Cour de comprendre pourquoi l’agent en est arrivé à la conclusion à laquelle il est parvenu. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve présentés à l’agent. L’agent est supposé avoir pris en considération tous les éléments de preuve pour rendre sa décision. Même si les motifs de l’agent dans la décision qui nous préoccupe sont brefs, ils sont néanmoins suffisants et raisonnables, parce qu’ils permettent à la Cour de comprendre quels sont les facteurs que l’agent a pris en considération pour rendre sa décision, une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour ne voit aucune raison d’intervenir et d’annuler la décision de l’agent. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

V.  Conclusion

[15]  Pour les motifs établis ci-dessus, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. En l’espèce, la décision de l’agent était raisonnable parce qu’elle est transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[16]  Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-840-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-840-17

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JOHN PAUL IGNACIO CAYANGA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Tyna A. Vayalilkollattu

 

Pour le demandeur

 

Brad Gotkin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tyna A. Vayalilkollattu

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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