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Date : 20171110


Dossier : T-1863-16

Référence : 2017 CF 1030

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

CHRESTOPHER BARRETT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  M. Barrett dépose la présente demande de contrôle judiciaire conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC, 1985, c F-7), et aux articles 24 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (ci-après la Section d’appel de la Commission), datée du 4 octobre 2016, confirmant la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (ci-après la CLCC), par laquelle elle a refusé de lui accorder une semi-liberté.

[2]  M. Barrett purge actuellement une peine d’incarcération de huit ans à l’Établissement de Beaver Creek, un établissement à sécurité moyenne. Il a été condamné en octobre 2014 après avoir plaidé coupable à des accusations de possession de produits de la criminalité d’une valeur de plus de 5 000 $, en violation du paragraphe 354(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46, d’exportation de cocaïne à l’extérieur du Canada, en violation du paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, et de complot en vue de commettre un acte criminel, en violation de l’alinéa 465(1)c) du Code criminel.

[3]  M. Barrett soutient que la décision de la Section d’appel de la Commission : 1) violait son droit à la présomption d’innocence garanti par l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 (ci-après la Charte), et son droit à la liberté garanti par l’article 7; 2) était inéquitable sur le plan procédural; et 3) était déraisonnable, comme l’était la décision sous-jacente de la CLCC. Bien qu’on indique dans la demande qu’elle est fondée sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, M. Barrett n’a contesté la constitutionnalité d’aucune disposition de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20. Son avocat a confirmé lors de sa plaidoirie qu’il ne prenait pas pour position que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou l’une de ses dispositions est incompatible avec la Constitution.

[4]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, je ne suis pas en mesure de conclure que la décision était déraisonnable, qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale ou que les droits de M. Barrett garantis par la Charte ont été violés. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[5]  Le dossier certifié du tribunal indique que M. Barrett a été mis sous surveillance par la GRC à la suite d’une arrestation au Royaume-Uni reliée à l’importation depuis Toronto d’une grande quantité de cocaïne, en octobre 2011. En novembre 2013, durant cette surveillance, M. Barrett a été vu en train de placer un objet dans son véhicule, à la suite de quoi il a été à la rencontre d’une certaine Mme Simone. Il a pris une photo de Mme Simone et s’est ensuite rendu en voiture à l’aéroport international. Il a transporté un bagage jusque dans l’aéroport et après que Mme Simone se fut enregistrée, il lui a remis son bagage. Elle a vérifié le bagage et a passé le contrôle de sécurité. Le bagage a été saisi par la police et on y a découvert neuf kilogrammes de cocaïne d’une valeur approximative de 350 000 $. Par la suite, un mandat de perquisition a été exécuté chez M. Barrett, où plusieurs articles ont été saisis et où il a été arrêté.

[6]  M. Barrett a plaidé coupable à des accusations de possession de produits de la criminalité d’une valeur de plus de 5 000 $, d’exportation illicite de cocaïne et de complot en vue d’exporter de la cocaïne.

[7]  La transcription du prononcé de la peine indique que l’enquête de la GRC a permis de déterminer que M. Barrett avait acheté des billets d’avion pour différentes personnes, dont Mme Simone, à plusieurs occasions sur une période de deux ans. La transcription du prononcé de la peine indique en outre que M. Barrett n’était pas dans le commerce de l’exportation de cocaïne pour son propre compte, mais qu’il agissait au nom d’une autre personne et qu’il était payé environ 3 000 $ pour chaque exportation. Il a participé à environ cinq opérations de ce type. Il estimait que les valises contenaient de la drogue.

[8]  Le 27 octobre 2014, une peine de huit ans d’incarcération pour les accusations d’exportation et de conspiration et une peine d’un an d’incarcération pour l’accusation de possession de produits de la criminalité ont été prononcées. Les peines devaient être purgées concurremment.

[9]  M. Barrett est devenu admissible à la semi-liberté le 26 juin 2016. Dans sa demande de semi-liberté, M. Barrett a demandé à habiter à l’établissement résidentiel communautaire Cornerstone (ci-après Cornerstone), une maison de transition d’Oshawa. Son dossier a été présenté à l’équipe d’évaluation communautaire (EEC) du Bureau de libération conditionnelle de Toronto Est. L’EEC était composée de surveillants de liberté conditionnelle, d’agents de liberté conditionnelle, de membres du personnel de Cornerstone, de membres de la collectivité et de représentants du service de police régional. Après avoir examiné le dossier, l’EEC n’a pas appuyé la demande de semi-liberté à Cornerstone.

[10]  Le Service correctionnel du Canada (SCC) n’a pas recommandé à la CLCC d’offrir une semi-liberté à M. Barrett, citant des préoccupations concernant son attitude, sa réticence à assumer la responsabilité des infractions pour lesquelles il a été condamné et son incapacité à obtenir une place à Cornerstone.

[11]  Une audience s’est tenue devant la CLCC le 3 mai 2016 et on a refusé la semi-liberté à M. Barrett. Le demandeur a fait appel de cette décision auprès de la Section d’appel de la Commission. Le 4 octobre 2016, la Section d’appel de la Commission a confirmé la décision de la CLCC.

III.  Décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada

[12]  Dans son refus d’accorder la semi-liberté, la CLCC a signalé qu’elle peut autoriser la libération conditionnelle si elle est d’avis [traduction] « qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société » et que cette libération anticipée « contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois ».

[13]  La CLCC a souligné qu’il y avait plusieurs facteurs positifs à prendre en considération, dont le casier judiciaire peu chargé de M. Barrett, son faible risque de récidive, son bon comportement en établissement et son soutien au sein de la collectivité. La CLCC a indiqué que les remords exprimés étaient sincères et a souligné que ses rapports prosociaux avec son épouse et sa faible note selon l’échelle d’information statistique sur la récidive (ISR) (qui indique un risque faible de récidive) constituaient des facteurs positifs.

[14]  Malgré ces éléments positifs, la CLCC a conclu que, lors de l’audience, M. Barrett avait nié ou minimisé la portée de sa participation aux opérations de trafic de stupéfiants. La CLCC a conclu que son plan de libération était inadéquat après avoir constaté qu’il manquait de crédibilité et de prise de conscience relativement à ses crimes, et que son rapport sur le profil criminel n’évaluait son potentiel de réinsertion, sa responsabilisation et sa motivation qu’à un niveau moyen.

[15]  La Commission a mis en balance les aspects positifs du dossier du demandeur et les préoccupations continues à son sujet, et a conclu que son risque de récidive était élevé et jugé inacceptable. La semi-liberté lui a été refusée.

IV.  Décision de la Section d’appel

[16]  Devant la Section d’appel de la Commission, M. Barrett a affirmé que la CLCC avait commis de nombreuses erreurs. Plus précisément, il a affirmé que la CLCC :

  1. a commis une erreur de droit en prenant en considération des allégations et des incidents pour lesquels il n’a jamais été accusé ni condamné, ou pour lesquels les chefs d’accusation avaient été retirés;

  2. a commit une erreur en concluant qu’il avait minimisé ses crimes et qu’il n’avait pas assumé la responsabilité de ses actes. Pour ce motif, il a allégué en outre qu’il était déraisonnable que la Commission tire des conclusions concernant ses finances, ses voyages, son défaut de produire une déclaration de revenus pour ses activités professionnelles et son déni des accusations criminelles;

  3. n’a pas donné suffisamment de poids aux facteurs positifs à son dossier et a passé outre de manière déraisonnable à l’avis du psychologue du demandeur;

  4. n’a pas donné de poids à son plan de libération lorsqu’elle a examiné les gains réalisés durant sa peine.

[17]  La Section d’appel de la Commission a conclu que, lorsqu’elle évalue le risque de récidive d’un délinquant, la CLCC est tenue de prendre en considération toute l’information pertinente, y compris les accusations criminelles qui n’ont pas abouti à une condamnation. La Section d’appel de la Commission a souligné que, lorsqu’elle effectue cette évaluation, la CLCC n’est pas liée par la présomption d’innocence et n’est pas tenue de s’acquitter du fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable, et que les incidents n’ayant pas abouti à des condamnations ont été pris en compte à juste titre puisqu’ils donnaient des indications sur le mode de vie et les fréquentations du demandeur. La Section d’appel de la Commission a en outre conclu qu’il n’était pas déraisonnable que la CLCC fasse référence au fait que l’entreprise de M. Barrett avait des arriérés d’impôt à payer.

[18]  La Section d’appel de la Commission a déclaré que : 1) la CLCC a pris en considération de manière appropriée les facteurs positifs et négatifs relevés; 2) il était approprié que la CLCC ait pris en compte la participation de M. Barrett à une vaste opération de trafic de drogues sophistiquée qui avait causé beaucoup de tort à la collectivité; 3) la CLCC n’a pas conclu de façon déraisonnable que les explications de M. Barrett indiquaient qu’il minimisait sa participation aux activités criminelles; et 4) la CLCC a fourni des motifs détaillés expliquant pourquoi elle ne pouvait pas être d’accord avec les conclusions de l’évaluation psychologique concernant la participation du délinquant et sa prise de conscience minimale.

[19]  En confirmant la décision de la CLCC, la Section d’appel de la Commission a souligné que ce n’était pas son rôle de substituer son pouvoir décisionnaire à celui de la CLCC, à moins que la décision de la CLCC soit déraisonnable ou non fondée. En l’espèce, la Section d’appel de la Commission a conclu que la décision était raisonnable et conforme aux critères du processus décisionnel établis par la loi et la politique de la Commission.

V.  Réparation demandée

[20]  M. Barrett cherche à obtenir les réparations suivantes :

  1. Une déclaration selon laquelle :

    1. il est contraire à l’article 7 de la Charte que la CLCC, la Section d’appel de la Commission ou le SCC prennent en considération des chefs d’accusation contre le demandeur qui ont été rejetés pour évaluer les risques pour la sécurité publique ou à d’autres fins lorsqu’ils prennent des décisions sur la libération conditionnelle ou de nature correctionnelle;

    2. il est contraire à l’article 7 de la Charte que la CLCC, la Section d’appel de la Commission ou le SCC prennent en considération des chefs d’accusation contre le demandeur qui ont été retirés, faute de renseignements sûrs et convaincants, lesquels ne doivent pas se limiter à des allégations fondées sur un constat de police ou un sommaire des allégations, pour évaluer les risques pour la sécurité publique ou à d’autres fins lorsqu’ils prennent des décisions sur la libération conditionnelle ou de nature correctionnelle;

    3. il est contraire à l’article 7 de la Charte que la CLCC, la Section d’appel de la Commission ou le SCC prennent en considération le sommaire d’une enquête pour laquelle aucune accusation n’a été portée, faute de renseignements sûrs et convaincants, lesquels ne doivent pas se limiter à un sommaire des parties d’une enquête, pour évaluer les risques pour la sécurité publique ou à d’autres fins lorsqu’ils prennent des décisions sur la libération conditionnelle ou de nature correctionnelle;

    4. le SCC, la CLCC et/ou la Section d’appel de la Commission ont fait preuve de partialité ou ont suscité une crainte raisonnable de partialité contraire aux principes de la justice naturelle et de la justice fondamentale aux termes de l’article 7 de la Charte;

    5. le SCC, la CLCC et/ou la Section d’appel de la Commission ont agi de façon abusive, illégale et inconstitutionnelle, en violation de l’article 7 de la Charte, en s’appuyant sur des tests d’évaluation du risque comme l’échelle ISR (qui ont entraîné l’exclusion du demandeur à des programmes correctionnels) tout en invoquant en même temps le manque de participation du demandeur à des programmes ou activités de réinsertion pour conclure que le demandeur présente un trop grand risque de récidive pour bénéficier d’une semi-liberté.

    6. annulant la décision du SCC de ne pas soutenir ni approuver l’hébergement du demandeur dans une maison de transition et de lui refuser la semi-liberté;

    7. annulant la décision de la CLCC et/ou la décision de la Section d’appel de la Commission lui refusant la semi-liberté;

    8. accordant à M. Barrett la semi-liberté ou, à titre subsidiaire, ordonnant à la CLCC de tenir une nouvelle audience conformément à toute directive de cette Cour.

  2. Une adjudication des dépens entre parties.

B.  Une ordonnance :

VI.  Questions

[21]  Le demandeur soulève un certain nombre de questions, que je résume ainsi :

  1. Le processus était-il inéquitable sur le plan procédural?

  2. La décision de la Section d’appel de la Commission rejetant l’appel et confirmant la décision de refuser la semi-liberté était-elle raisonnable?

  3. Les droits de M. Barrett garantis par la Charte ont-ils été violés?

VII.  Norme de contrôle

[22]  La Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle à appliquer lorsque la norme applicable est bien établie par la jurisprudence (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51, 53, 57 et 62 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 53).

[23]  En l’espèce, il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de la Commission confirmant la décision de la CLCC; dans ces cas, la Cour est tenue de s’assurer de la légitimité de la décision de la CLCC (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, au paragraphe 10; Aney c Canada (Procureur général), 2005 CF 182, au paragraphe 29 [Aney]).

[24]  Les décisions de la CLCC qui soulèvent des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit et des questions de droit relevant de l’expertise spécialisée de la CLCC sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Ngo c Canada (Procureur général), 2005 CF 49, au paragraphe 8; Ye c Canada (Procureur général), 2016 CF 35, au paragraphe 9; Aney, au paragraphe 31). Quand elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision faisant l’objet du contrôle et n’interviendra que si la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel posent problème, ou lorsque la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 50).

[25]  Un présumé manquement à l’équité procédurale doit être examiné selon le contexte spécifique de l’affaire dont est saisie la Cour (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, aux paragraphes 74 et 75) et contrôlé selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

VIII.  Discussion

A.  Le cadre législatif

[26]  L’article 103 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, porte sur la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui inclut la Section d’appel (paragraphe 146(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition).

[27]  « La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois » (article 100 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). « Dans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission et les commissions provinciales » (article 100.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition).

[28]  La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition énonce les principes qui guident la CLCC dans l’exécution de son mandat (article 101) et elle précise les conditions permettant à la CLCC d’accorder une libération conditionnelle (article 102) :

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

[29]  Le paragraphe 107(1) donne à la CLCC « toute compétence et latitude » pour accorder une libération conditionnelle à un délinquant; l’article 147 donne à un délinquant le droit d’interjeter appel auprès de la Section d’appel de la Commission pour l’un des motifs prescrits.

B.  Première question : Le processus était-il inéquitable sur le plan procédural?

[30]  M. Barrett affirme que la manière avec laquelle la CLCC a évalué et soupesé les éléments de preuve qui lui ont été présentés laisse croire à une certaine partialité ou suscite une crainte raisonnable de partialité. Il conteste particulièrement le fait que la CLCC, dans son évaluation du risque qu’il présente, ait pris en considération 1) des accusations criminelles antérieures qui ont soit été rejetées dans un cas soit été retirées dans un autre cas, et 2) une enquête de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui n’a pas abouti au dépôt d’accusations. Il affirme que la CLCC a donné plus de poids à ces renseignements qu’au fait qu’il a plaidé coupable aux infractions à l’origine de sa peine et qu’un rapport d’un psychologue indiquait qu’il acceptait la responsabilité de ses infractions.

[31]  M. Barrett souligne également que le peu d’importance accordée à sa note ISR démontre une partialité. Il affirme que la CLCC n’a pas accordé suffisamment de poids à sa note positive selon l’échelle ISR, qui indiquait un risque faible pour la sécurité du public et qui a entraîné son exclusion des programmes visant à corriger les facteurs de risque déterminés. Il soutient également que le fait qu’il n’ait pas participé à des programmes visant à corriger les risques relevés par la CLCC a été retenu contre lui, malgré le fait qu’il ait été exclu de ces programmes en raison de sa note ISR positive. Il soutient qu’utiliser la note ISR pour l’exclure des programmes de réinsertion et ensuite s’appuyer sur sa non-participation à ce type de programmes était abusif et démontre de la partialité équivalant à une erreur de compétence.

[32]  Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Barrett. Ce qu’il qualifie de partialité se résumerait davantage à un différend sur la question de savoir si la CLCC a été saisie à bon droit des renseignements relatifs aux accusations criminelles antérieures, à l’enquête de l’ASFC et à la note ISR et, le cas échéant, si ces éléments ont été appréciés de façon appropriée par la CLCC et par la suite par la Section d’appel de la Commission.

[33]  Les renseignements concernant l’enquête de l’ASFC, les chefs d’accusation rejetés et retirés, et l’évaluation ISR ont tous été présentés comme il se devait à la CLCC. La CLCC était tenue de prendre en considération ces renseignements pour rendre sa décision. Le poids accordé à chaque élément de preuve et les conclusions tirées ne constituent pas un motif permettant d’alléguer une crainte raisonnable de partialité (Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au paragraphe 42).

[34]  M. Barrett conteste la manière avec laquelle le SCC utilise la note ISR. Les politiques et les pratiques du SCC ne relèvent pas du contrôle de la Commission et ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans le contexte de la présente demande.

[35]  M. Barrett n’a pas soutenu qu’on lui a refusé le droit d’être entendu, et le dossier n’indique rien de tel non plus. Il ne soutient pas non plus qu’il n’a pas été informé ou qu’il ne savait pas de quels éléments de preuve disposait la CLCC. La note ISR, les renseignements concernant l’enquête de l’ASFC et les renseignements concernant des chefs d’accusation retirés et rejetés ont tous été déposés devant la CLCC, au su de M. Barrett, et il a eu la possibilité de présenter des observations concernant ces renseignements.

[36]  M. Barrett n’a pas non plus pas affirmé que ces renseignements n’avaient aucune pertinence par rapport à la considération prépondérante pour la CLCC, soit la protection de la société. La CLCC était tenue de tenir compte de « toute l’information pertinente » (articles100.1 et 101 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition).

[37]  Les observations de M. Barrett concernant la façon dont la preuve a été appréciée ne soulèvent aucune question de partialité.

[38]  De même, le désaccord de M. Barrett quant à la note ISR et à son utilisation en tant qu’outil au sein du système correctionnel n’est pas une question qui relève du contrôle de la Commission et ne soulève aucune question de partialité. L’information statistique sur la récidive (ISR) fait partir des renseignements fournis à la Commission. Il incombe à la Commission de prendre en considération et de soupeser cette information, et non d’évaluer le caractère approprié ou les lacunes alléguées de l’outil en lui-même. Le traitement par la Commission de la note ISR est abordé dans l’analyse portant sur le caractère raisonnable de la décision, ci-dessous.

[39]  Bien que je ne sois pas convaincu que ces faits soulèvent une question de partialité, je soulignerai également que cette question n’a pas été soulevée devant la Section d’appel de la Commission. Toute objection concernant la compétence d’un décideur ou d’un tribunal fondée sur une crainte raisonnable de partialité doit être soulevée à la première occasion, faute de quoi une partie est réputée avoir renoncé à son droit d’opposition (Canada (Commission des droits de la personne) c Taylor, [1990] 3 RCS 892, 75 DLR (4th) 577; Zündel c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2000] 4 CF 255, 195 DLR (4th) 399 (CAF)).

C.  Deuxième question : La décision de la Section d’appel de la Commission rejetant l’appel et confirmant la décision de refuser la semi-liberté était-elle raisonnable?

[40]  Le rôle et la fonction de la Section d’appel de la Commission sont décrits dans la décision Beaupré c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 463, au paragraphe 19 :

Selon l’affaire Costiuc, supra, la juge Tremblay-Lamer a exposé le cadre juridique à l’intérieur duquel cette Cour est fondée à contrôler judiciairement une décision de la Section d’appel de la CNLC. La juge Tremblay-Lamer a énoncé au paragraphe 6 :

Le rôle de la section d’appel est de s’assurer que la CNLC s’est conformée à la Loi et à ses politiques, qu’elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n’est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l’intervention de cette Cour est justifiée.

[41]  M. Barrett affirme que la décision de lui refuser une semi-liberté était déraisonnable pour plusieurs raisons. Pour contester le caractère raisonnable de la décision, il avance comme principal argument son désaccord avec l’évaluation et la pondération faites par la Commission des facteurs positifs et négatifs pour parvenir à une décision concernant la semi-liberté.

[42]  M. Barrett soutient que la CLCC et, par la suite, la Section d’appel de la Commission n’ont pas raisonnablement tenu compte du fait qu’il avait plaidé coupable aux infractions à l’origine de sa peine, qu’il n’avait pas été condamné pour un crime violent, qu’il n’y avait pas de victime, et que les infractions à l’origine de sa peine constituaient les premières condamnations de M. Barrett. Il soutient en outre que la CLCC n’a pas pris en considération le fait qu’il a respecté par le passé les conditions de sa mise en liberté sous caution et a rejeté de façon déraisonnable le rapport positif d’un psychologue. Il affirme que ces facteurs jouaient tous en faveur de l’octroi d’une semi-liberté. Au lieu de cela, la CLCC s’est appuyée de façon déraisonnable et illégitime sur des chefs d’accusation retirés ou rejetés, sur une enquête de l’ASFC qui n’a pas abouti au dépôt d’accusations, et sur des impôts non payés pour justifier son refus de lui accorder la semi-liberté. Les arguments de M. Barrett ne m’ont pas convaincu.

[43]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, la Commission est tenue de prendre en considération toute l’information pertinente et disponible (article 101 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, au paragraphe 29, 132 DLR (4th) 56 [Mooring]). La Commission n’agit pas de façon judiciaire ou quasi judiciaire; elle n’entend aucun témoignage et agit plutôt sur la foi de renseignements en exerçant des fonctions d’enquête (Mooring, aux paragraphes 25 et 26).

[44]  En l’espèce, les faits et les circonstances reliés aux infractions pour lesquelles M. Barrett a été condamné ont été examinés. La CLCC a reconnu le fait que M. Barrett n’avait jamais fait l’objet de condamnations criminelles auparavant, mais a toutefois fait mention de chefs d’accusation antérieurs qui avaient été rejetés ou retirés et de renseignements concernant une enquête de l’ASFC. En ce qui a trait aux répercussions du crime, la CLCC a souligné que l’opération de trafic de drogues avait causé un préjudice important pour la collectivité sur une longue période.

[45]  La prise en considération par la CLCC de l’information relative aux chefs d’accusation rejetés et retirés, et la conclusion de la Section d’appel de la Commission selon laquelle la CLCC n’a pas commis d’erreur en agissant ainsi, sont conformes à la jurisprudence et au critère déterminant qui guide la Commission dans ses décisions, la protection de la société. La Section d’appel de la Commission a cité la décision de notre Cour dans Prasad c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1991), [1992] 51 FTR 300, 5 Admin LR (2d) 251 (CFPI) [Prasad], qui a affirmé que cette information était pertinente puisqu’elle donne des indications sur le mode de vie et les fréquentations d’une personne (Prasad, au paragraphe 15). La Section d’appel de la Commission a conclu de manière raisonnable que l’information avait été prise en compte à cette fin. La Section d’appel de la Commission a en outre conclu que cette information n’était pas un facteur déterminant dans la décision de la Commission.

[46]  J’aimerais également souligner que le fait de tenir compte d’accusations pour lesquelles aucune déclaration de culpabilité n’a été prononcée dans une procédure administrative, comme celle devant la CLCC, n’est pas contraire au droit d’être présumé innocent (Giroux c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1994), 89 FTR 307, au paragraphe 20, [1994] ACF no 1750 (CFPI)).

[47]  La Section d’appel de la Commission a également conclu qu’il n’était pas déraisonnable que la CLCC ait souligné que M. Barrett avait des arriérés d’impôt. M. Barrett soutient que cette information est peu pertinente en ce qui a trait aux préoccupations en matière de sécurité, et que cela rend la décision déraisonnable. Ce n’est pas le cas. La Section d’appel de la Commission a conclu de manière raisonnable qu’il n’était pas déraisonnable que la CLCC mentionne cette situation. Les infractions à l’origine de la peine incluent une condamnation reliée à des produits de la criminalité. Les facteurs financiers n’étaient donc pas sans importance. Je souhaite également signaler que l’information n’a pas été définie comme un facteur déterminant dans l’appréciation par la Commission des facteurs positifs et négatifs concernant sa décision.

[48]  M. Barrett soutient également que la CLCC, et par la suite la Section d’appel de la Commission, ont conclu de façon déraisonnable qu’il avait nié ou minimisé la portée de sa participation au crime. Il soutient qu’en plaidant coupable, il a reconnu avoir fait preuve d’aveuglement volontaire quant au contenu des valises et que cela constituait une admission en droit d’une connaissance réelle. Par conséquent, il n’y a eu aucune minimisation de sa participation ou de sa responsabilité.

[49]  Le traitement par la Section d’appel de la Commission des conclusions de la CLCC concernant cette question n’est pas déraisonnable. En l’espèce, la Commission a tiré sa conclusion en se fondant sur le contenu des observations orales de M. Barrett : [traduction] « après vous avoir écouté, la Commission conclut que vous continuez à minimiser votre participation aux infractions et à démontrer un manque de prise de conscience relativement aux causes et aux conséquences de votre comportement criminel ». Dans ses observations à la CLCC, M. Barrett a indiqué qu’il soupçonnait que les bagages contenaient des drogues ou de l’argent, et il a nié avoir acheté les billets d’avion pour des passeurs à d’autres occasions. Ces déclarations étaient en contradiction avec d’autres éléments de preuve figurant au dossier, dont la transcription du prononcé de la peine.

[50]  Lors de l’appel, la Section d’appel de la Commission s’est penchée sur les préoccupations de M. Barrett concernant la conclusion de la CLCC quant à la minimisation, et a déclaré qu’il était raisonnablement permis à la CLCC de tirer cette conclusion. La décision de la Section d’appel de la Commission était également raisonnable et n’offre pas de motif justifiant l’intervention de la Cour.

[51]  M. Barrett soutient également que la CLCC, dans sa décision, n’a pas fourni les motifs justifiant le rejet du rapport d’un psychologue indiquant qu’il avait reconnu sa culpabilité, qu’il éprouvait des remords sincères et qu’il comprenait les conséquences de ses actes. La Section d’appel de la Commission aborde directement la question touchant à l’examen qu’a fait la CLCC du rapport du psychologue. Ce faisant, la Section d’appel de la Commission souligne que la CLCC a fourni une analyse détaillée des raisons pour lesquelles elle n’était pas d’accord avec les conclusions du psychologue; elle a conclu qu’il était raisonnable que la CLCC tienne également compte des points de vue exprimés par l’équipe de gestion de cas concernant la minimisation de la participation aux infractions et le manque de prise de conscience à l’égard des infractions commises. En résumé, la CLCC et la Section d’appel de la Commission ont bien examiné le rapport du psychologue et le point soulevé par M. Barrett à ce sujet tient simplement à un désaccord.

[52]  M. Barrett soutient également que la CLCC s’est appuyée sur une hypothèse non fondée quand elle a rejeté ses affirmations selon lesquelles il ne savait pas quelle quantité de cocaïne allait être exportée, et que la Section d’appel de la Commission a commis une erreur en omettant d’aborder cette question. Contrairement à ce que soutient M. Barrett, la Section d’appel de la Commission s’est bien penchée sur les conclusions de la CLCC, soulignant en gros que les conclusions tirées étaient raisonnables. Bien que la Section d’appel de la Commission n’ait pas effectué une analyse détaillée de cet argument, cette omission ne rend pas la décision déraisonnable.

[53]  Dans sa décision, la CLCC a résumé les observations de M. Barrett, a fait ressortir certaines de ses préoccupations quant à ces observations, a souligné les divergences entre ces observations et d’autres renseignements figurant au dossier, et a affirmé qu’elle privilégiait ces renseignements plutôt que les arguments de M. Barrett. La CLCC a ensuite conclu que M. Barrett [traduction] « semblait par moments peu crédible ».

[54]  Même si j’aurais préféré que la Section d’appel de la Commission ait traité directement des arguments de M. Barrett concernant le recours à une hypothèse non fondée, le fait qu’elle ne l’a pas fait, comme je l’ai indiqué plus haut, ne rend pas la décision déraisonnable. La décision de la Section d’appel de la Commission doit être examinée « en corrélation avec le résultat et [doit] permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14, [Newfoundland Nurses]). Comme la juge Abella l’a affirmé, au paragraphe 16 de l’arrêt Newfoundland Nurses :

16.  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 RCS 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[Non souligné dans l’original.]

[55]  Pour terminer, M. Barrett soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle les risques qu’il présentait n’avaient pas été aplanis grâce à une participation à des programmes était déraisonnable. La CLCC a reconnu que la note ISR de M. Barrett l’excluait d’une participation aux programmes du modèle de programme correctionnel intégré, mais a souligné que des mesures volontaires adéquates pour atténuer ces risques n’avaient pas été prises. La Section d’appel de la Commission a reconnu ce point en appel et a affirmé que les conclusions de la CLCC étaient raisonnables compte tenu des faits. La conclusion de la Section d’appel de la Commission est conforme au contenu de la décision de la CLCC et aux renseignements figurant au dossier qui faisaient mention de la possibilité qu’il soit recommandé pour un perfectionnement des études et des compétences.

[56]  La Section d’appel de la Commission a conclu de façon raisonnable que les conclusions de la CLCC étaient conformes aux renseignements au dossier et aux observations présentées durant l’audience. Je suis convaincu que la décision est fidèle au critère de la justification de la décision, et de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, énoncé dans Dunsmuir et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

D.  Troisième question : Les droits de M. Barrett garantis par la Charte ont-ils été violés?

[57]  M. Barrett soutient que le fait que la CLCC ait pris en considération des accusations criminelles antérieures qui, dans un cas avaient été rejetées et dans un autre cas avaient été retirées, ainsi qu’une enquête de l’ASFC qui n’a pas abouti au dépôt d’accusations, était contraire au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte et son droit à la présomption d’innocence garanti par l’alinéa 11d).

[58]  M. Barrett soutient que, même si la CLCC peut s’appuyer sur des accusations qui ont été retirées ou sur une enquête, elle ne peut le faire que lorsque les renseignements qu’elle en tire sont sûrs et convaincants. Pour avancer cet argument, M. Barrett s’appuie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mooring. En l’espèce, il soutient qu’un constat de police ne constitue pas un renseignement sûr et convaincant, et qu’il n’y avait aucun renseignement sûr et convaincant au dossier concernant les accusations ou l’enquête.

[59]  L’arrêt Mooring portait sur une situation où le demandeur avait été libéré sous surveillance obligatoire et avait été par la suite arrêté et accusé de possession d’instruments de cambriolage. Les accusations avaient plus tard été suspendues, apparemment parce que la Couronne estimait que la perquisition qui avait permis la saisie des instruments de cambriolage avait été effectuée en violation de la Charte et que la preuve serait inadmissible au procès. La question dont était saisie la Cour suprême du Canada était celle de savoir si la Commission nationale des libérations conditionnelles était un tribunal compétent aux fins de l’application de l’article 24 de la Charte. Le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la majorité, a répondu à cette question par la négative. Il a ensuite abordé la question consistant à « déterminer la procédure que celle-ci doit suivre lorsqu’elle est saisie d’éléments de preuve obtenus d’une manière portant atteinte aux droits de la personne en liberté conditionnelle » (Mooring, au paragraphe 25). En examinant cette question, le juge Sopinka a décrit en quoi consistait l’obligation d’agir équitablement qui incombait à la Commission (aux paragraphes 28 et 29) :

28.  En quoi consiste «l’obligation d’agir équitablement» qui incombe à la Commission? Le contenu de cette obligation varie selon la structure et la fonction de la commission ou du tribunal administratif en cause. En matière de libération conditionnelle, la Commission doit s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants. Pour prendre un cas extrême, la Commission ne pourrait pas considérer comme sûrs des renseignements obtenus par la torture, et il serait inéquitable qu’elle agisse sur la foi de tels renseignements. Il lui incomberait donc de les écarter, quelle que soit leur pertinence relativement à la décision à prendre. Chaque fois que des renseignements ou des «éléments de preuve» lui sont soumis, la Commission doit en déterminer la provenance et décider s’il serait équitable qu’elle s’en serve pour prendre sa décision.

29.  Pour déterminer s’il serait équitable de prendre en considération un renseignement donné, la Commission sera souvent guidée par la jurisprudence en matière d’exclusion d’éléments de preuve pertinents. Par exemple, lorsque des déclarations incriminantes sont obtenues du contrevenant, le droit régissant les confessions, qui est fondé sur un mélange de fiabilité et d’équité, sera pertinent tout en n’ayant pas force obligatoire. La Commission peut, dans des circonstances appropriées, conclure qu’il n’est pas équitable de se fier à un aveu obtenu sous la contrainte. Les décisions relatives au par. 24(2) de la Charte lui seront également utiles pour prendre sa décision finale. Cependant, elles ne devraient pas être déterminantes quant à sa décision de se fonder sur les principes d’équité pour écarter des renseignements pertinents. Il est évident que des considérations différentes s’appliquent souvent dans le contexte des libérations conditionnelles. Par exemple, l’al. 101a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que «la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas». Ce principe guidera donc la Commission lorsque celle-ci sera appelée à se prononcer sur l’admissibilité d’un renseignement donné. L’expérience et l’expertise acquises par la Commission en matière de protection de la société l’aideront à tirer sa conclusion. Dans l’hypothèse où la Commission manquerait aux principes d’équité en rendant ces décisions, il serait possible d’interjeter appel devant la Section d’appel en vertu de l’al. 147(1)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Les décisions de la Commission peuvent aussi faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[Non souligné dans l’original.]

[60]  On a reconnu dans l’arrêt Mooring qu’il pouvait y avoir des situations extrêmes qui justifieraient que la Commission exclut de l’information dans une instance. L’exemple donné étant l’information obtenue par la torture ou un aveu autrement obtenu sous la contrainte. La Cour suprême du Canada a affirmé qu’une circonstance extrême de ce genre remet en question la fiabilité de l’information et c’est dans ces circonstances que la Commission pourrait avoir l’obligation de l’exclure.

[61]  Les circonstances extrêmes envisagées dans l’arrêt Mooring n’ont pas lieu en l’espèce. Toutefois, comme on l’a souligné dans l’arrêt Mooring, la Commission a l’obligation générale de s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde sont sûrs et convaincants. Cette obligation générale existe à l’égard de tous les renseignements dont dispose la Commission. La Commission s’acquitte de cette obligation de se fonder sur des renseignements sûrs et convaincants en recevant, en examinant et en bout de ligne en pondérant les renseignements pertinents qu’elle est tenue de prendre en considération aux termes de la loi. C’est ce processus de pondération qui atteste que la Commission a bien mesuré à quel point les renseignements dont elle dispose sont sûrs et convaincants. Le désaccord relatif au processus de pondération, qui est la question sur laquelle est fondé l’argument avancé ici, ne rend pas le processus inconstitutionnel.

[62]  L’objection de M. Barrett concernant la manière avec laquelle la Commission a apprécié et utilisé ces renseignements est une question en lien avec le caractère raisonnable de la décision, et non avec son caractère constitutionnel. Comme je l’ai indiqué plus tôt dans les présents motifs, l’avis donné à M. Barrett concernant les renseignements utilisés, et la possibilité qui lui a été offerte de remettre en question leur fiabilité et leur caractère convaincant ne sont pas en jeu ici. Autrement dit, la Commission a appliqué les règles d’équité et de justice naturelle et pour cette raison, il ne s’ensuit pas qu’elle ne s’est pas conformée à l’article 7 de la Charte, comme l’a affirmé le juge Sopinka au paragraphe 30 de l’arrêt Mooring :

30.  En tant que tribunal d’origine législative, la Commission est également assujettie aux impératifs de l’art. 7 de la Charte. À cet égard, elle doit respecter les principes de justice fondamentale en ce qui concerne la tenue de ses audiences. Cela ne veut pas dire qu’elle doit avoir ou exercer le pouvoir d’écarter des éléments de preuve obtenus dans des conditions qui contreviennent à la Charte. S’il en était ainsi, cela tendrait à rendre superflue l’inclusion du par. 24(2) de la Charte. Bien que les principes de justice fondamentale ne se limitent pas à la justice en matière de procédure, il ne s’ensuit pas qu’un tribunal qui applique les règles d’équité et de justice naturelle ne se conforme pas à l’art. 7. Si le grand nombre de tribunaux d’origine législative qui traditionnellement ont été obligés de se conformer à l’équité procédurale, sans plus, étaient tenus de respecter toute la gamme des principes de justice fondamentale, l’aspect général de la justice administrative au pays subirait un changement fondamental. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, l’affirmation selon laquelle les principes de justice fondamentale visent davantage que la justice naturelle signifiait que la Cour était habilitée dans des circonstances appropriées à invalider une règle de droit substantiel et n’était pas limitée au contrôle judiciaire des règles de procédure que suit un organisme d’origine législative.

[Non souligné dans l’original.]

IX.  Conclusion

[63]  La demande est rejetée.

[64]  En ce qui concerne la question des dépens, l’avocat des défendeurs a présenté un projet de mémoire de dépens s’élevant à 2 400 $. Lors des plaidoiries, l’avocat de M. Barrett a reconnu que la somme de 2 400 $ constituait une évaluation raisonnable des dépens, peu importe la partie qui aurait gain de cause. Des dépens de 2 400 $ sont donc adjugés aux défendeurs.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1863-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Des dépens de 2 400 $, y compris tous les débours, sont adjugés aux défendeurs.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1863-16

 

INTITULÉ :

CHRESTOPHER BARRETT c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Slansky

 

Pour le demandeur

 

Haniya Sheikh

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Slansky Law Professional Corp.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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