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Date : 20171116


Dossier : IMM-4705-16

Référence : 2017 CF 1044

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

SRIDER PALANIVELU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Palanivelu conteste la décision par laquelle un agent principal a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2]               M. Palanivelu est un Tamoul d’origine indienne âgé de 40 ans. Il est né et a grandi à Baddula, dans la partie sud centrale du Sri Lanka. Il est marié et père de trois enfants. Il a rencontré sa femme en 2009, après la fin de la guerre civile, et ils se sont mariés en 2010. M. Palanivelu et sa famille vivaient à Colombo, située dans la partie sud centrale du pays. Devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) et la Section d’appel des réfugiés (SAR), il a témoigné qu’il a rendu visite à la famille de son épouse dans la partie nord du pays, dans la région de Massar Palai. La SAR souligne dans sa décision que M. Palanivelu a affirmé que l’armée l’avait questionné quatre fois au sujet de ses visites dans le nord du pays et l’avait informé que l’ancien mari de son épouse était membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[3]               La SAR indique également que M. Palanivelu a affirmé que le 13 septembre 2013, trois étrangers sont entrés dans sa maison et l’ont emmené dans un immeuble à un mille de chez lui, où il a été gardé jusqu’au 17 octobre 2013. Il affirme que durant ce temps, il a été interrogé trois fois et battu par des personnes disant appartenir au service du renseignement de l’armée, et qui l’ont accusé de travailler pour les TLET. Sa femme a organisé sa libération contre le versement d’une rançon.

[4]               M. Palanivelu affirme avoir obtenu en février 2013 un permis de travail pour les Îles Marshall et un visa de transit pour les États-Unis. Il a quitté le Sri Lanka le 26 octobre 2013 et est arrivé aux États-Unis le même jour. Le 31 octobre 2013, il a traversé illégalement la frontière canadienne et a demandé l’asile en raison des risques auxquels il est exposé en tant que Tamoul ayant des liens supposés avec les TLET.

[5]               La SPR a rejeté sa demande d’asile, estimant qu’il n’était pas crédible. En outre, elle a jugé qu’il ne correspondait pas au profil de quelqu’un qui intéresserait les autorités sri-lankaises à son retour. La SPR a examiné les UNHCR, Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka (« Principes directeurs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka ») du 21 décembre 2012, et a conclu :

[traduction] La preuve documentaire indique que les journalistes, les opposants politiques, les défenseurs des droits de la personne, les activistes locaux, les membres de la communauté LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres), les femmes célibataires et les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET étaient plus susceptibles d’être victimes de violation des droits de la personne.

[...]

Toutefois, le demandeur n’a pas prouvé qu’il appartient à l’une de ces catégories. Le demandeur est un Tamoul originaire des plantations dans la partie centrale du pays. Il n’a aucune allégeance politique, n’a pas été membre des TLET, n’allègue pas les avoir soutenus de quelque façon que ce soit, et il ne les a pas financés depuis l’étranger. Il n’a également pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que lui ou sa femme avaient des liens, ou étaient soupçonnés d’avoir des liens, avec les TLET.

[6]               La conclusion tirée concernant les liens supposés avec les TLET était fondée sur la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage de M. Palanivelu n’était pas crédible; elle n’était en outre pas convaincue que sa femme ait été mariée à un membre des TLET qui a été tué par l’armée sri-lankaise. La SPR a aussi conclu que si M. Palanivelu a été harcelé par l’armée en raison des liens allégués de l’ancien mari de sa femme avec les TLET, il était par conséquent peu probable qu’elle n’ait pas elle aussi été victime d’un tel harcèlement. La preuve dont disposait le tribunal indiquait qu’elle n’avait aucune difficulté avec les autorités.

[7]               M. Palanivelu a fait appel de cette décision devant la SAR. Il a présenté de nouveaux éléments de preuve avec sa demande d’appel. Le défendeur souligne qu’il n’a pas fait appel des conclusions de la SPR concernant sa crédibilité; il a plutôt affirmé que [traduction] « un individu présentant le profil de l’appelant est objectivement exposé à un risque s’il est renvoyé au Sri Lanka, même si les prétentions de l’appelant, liées à l’allégation selon laquelle la police le soupçonne d’association avec les TLET, sont rejetées en raison d’un manque de crédibilité ». Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision déposée devant notre Cour a été rejetée le 15 décembre 2014.

[8]               L’avocat de M. Palanivelu le représentant dans la demande ERAR résume l’histoire racontée ci-dessus et fonde sa demande de protection sur des [traduction] « motifs d’identité, de race (ou d’origine ethnique), d’opinion politique imputée ou perçue (comme ayant potentiellement des liens avec les anciens Tigres de libération de l’Eelam tamoul, les soutenant, ou appartenant à l’organisation), et d’appartenance à un groupe social en particulier ». Il a ajouté que la demande de son client [traduction] « doit maintenant également être considérée comme une demande sur place à titre de demandeur d’asile tamoul potentiellement débouté, et de personne « rapatriée » ayant habité dans un pays où vit une large concentration de Tamouls du Sri Lanka ».

[9]               M. Palanivelu a déposé des lettres de sa femme au Sri Lanka et d’un député pour le district électoral de Jaffna. Ces lettres ont été retenues comme nouveaux éléments de preuve étant donné qu’elles sont postérieures aux décisions rendues précédemment.

[10]           En l’espèce, il est allégué que l’agent a commis une erreur [traduction] « en omettant de fournir un fondement probatoire clair justifiant toutes les conclusions décisives tirées relativement à la situation actuelle au Sri Lanka à laquelle sont exposés le demandeur et les personnes se trouvant dans une situation analogue à la sienne »; il est aussi avancé qu’étant donné que [traduction] « l’agent a soulevé la question de la crédibilité globale du demandeur », l’agent aurait dû convoquer une audience. Dans ses observations orales, l’avocat a affirmé que le nœud de ses observations concernait la manière avec laquelle l’agent avait traité les deux lettres et le fait qu’il avait omis de bien soupeser le profil actuel de M. Palanivelu.

[11]           Pour les motifs qui suivent, je rejette les prétentions de M. Palanivelu.

[12]           Je suis d’accord avec le défendeur que le profil de risque allégué de M. Palanivelu sur lequel reposait sa demande ERAR tient au fait qu’il sera perçu par les autorités sri-lankaises comme ayant certains liens avec les TLET. À cet égard, il convient de souligner que la SPR a jugé non crédibles ses allégations selon lesquelles il a été harcelé, arrêté et détenu par les autorités en raison de ses liens allégués avec les TLET et cette conclusion n’a pas été portée en appel devant la SAR.

[13]           La SPR a en outre estimé que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que sa femme avait été mariée à un membre des TLET qui a été tué par l’armée sri-lankaise.

[14]           Avec sa demande ERAR, M. Palanivelu a déposé une nouvelle lettre de sa femme et une lettre d’un parlementaire du district électoral de Jaffna. L’agent a accordé peu de poids à ces deux documents. Son évaluation du poids à accorder à la lettre du parlementaire reposait largement sur le fait que l’auteur de la lettre n’affirme pas avoir une connaissance personnelle des questions soulevées dans sa lettre. En fait, il n’indique pas la source des renseignements qu’il fournit. À mon avis, d’autres personnes ont sûrement fourni les renseignements au parlementaire, mais il ne dit pas qui les lui a donnés. De plus, comme l’a souligné l’agent, le parlementaire ne donne pas les mêmes dates que la femme de M. Palanivelu concernant certains des événements pertinents qu’il cite. À mon avis, l’évaluation faite par l’agent de cette lettre et le poids qu’il lui a accordé étaient raisonnables.

[15]           Peu de poids a également été accordé à la lettre écrite par la femme de M. Palanivelu. Bien qu’elle fasse mention de quelques dates précises (ces dates sont celles qui ne correspondent pas aux dates données par le parlementaire), elle demeure par ailleurs vague quant aux dates des événements qu’elle raconte. À titre d’exemple, elle écrit que les forces de sécurité lui ont rendu visite [traduction] « quatre ou cinq fois » encore. L’absence de renseignements précis, dont on pouvait par ailleurs s’attendre à ce qu’ils soient disponibles et produits, est suffisante à mon avis pour justifier que l’agent ait accordé peu de poids à la lettre.

[16]           L’agent souligne également que les deux lettres datent d’environ un an, et [traduction« elles disent toutes deux que les forces de sécurité ont menacé la femme du demandeur de “conséquences” si elle ne se conformait pas à leurs instructions ». L’agent souligne que [traduction] « plusieurs sources documentaires laissent croire que les membres de la famille d’autres personnes soupçonnées d’avoir des liens réels ou perçus avec les TLET sont exposés à du harcèlement, de l’intimidation ou un risque de préjudice de la part des autorités ». Étant donné cela, l’agent affirme qu’il se serait attendu à ce que M. Palanivelu ait reçu de la part de sa femme des renseignements plus récents décrivant toute visite subséquente des autorités et ses craintes de préjudice personnel. Une fois encore, à mon avis, les attentes de l’agent ne sont pas irréalistes et sont pertinentes à la question du poids à accorder aux lettres.

[17]           M. Palanivelu affirme que l’agent s’est fié au fait que la SPR a rejeté une [traduction« lettre semblable » de sa femme, et prétend qu’il ne pouvait à bon droit tenir compte de ce point dans son examen de la lettre. Toutefois, je souligne que cette déclaration de l’agent a été faite après qu’il eut accordé peu de poids à lettre, en raison des motifs énoncés plus haut. En bref, il ne s’agissait que d’une observation qui n’a aucunement été prise en compte dans les motifs invoqués pour justifier le rejet de la lettre. Je ne vois là aucune erreur susceptible de révision.

[18]           L’agent souligne également que la femme a un [traduction] « intérêt évident dans l’issue de la demande d’asile » et indique que c’est là une autre des raisons pour lesquelles peu de poids est accordé à sa lettre. Je suis d’accord avec le défendeur que notre Cour a conclu qu’un agent n’a pas à accueillir sans critique les éléments de preuve des parties intéressées : voir Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27. La Cour a également maintenu que rejeter des éléments de preuve uniquement parce qu’une partie peut être intéressée est une démarche peu scrupuleuse : voir Tabatadze c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 24, aux paragraphes 4 à 7, et Delille v Canada (Minister of Immigration, Refugees and Citizenship), 2017 FC 508, au paragraphe 54. En l’espèce, l’agent n’a pas accordé peu de poids à la lettre uniquement en raison du lien familial et n’a donc commis aucune erreur susceptible de révision.

[19]           En plus de son analyse du risque selon laquelle M. Palanivelu n’avait pas établi qu’on le percevrait comme ayant des liens avec les TLET, l’agent s’est également demandé s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que M. Palanivelu serait exposé à un risque à titre de demandeur d’asile débouté. L’agent a conclu que M. Palanivelu n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels il serait exposé à un risque simplement parce qu’il est un Tamoul rapatrié. À cet égard, l’analyse de l’agent était raisonnable et conforme à la même conclusion à laquelle en était arrivée la SPR. En l’absence d’éléments de preuve montrant un changement dans la situation, la décision de l’agent est raisonnable.

[20]           M. Palanivelu avance en dernier lieu que l’agent a tiré une conclusion implicite en matière de crédibilité et avait donc l’obligation de convoquer une audience.

[21]           Après avoir examiné la majeure partie de la décision, je suis incapable de reconnaître que l’agent a tiré une conclusion implicite quant à la crédibilité de M. Palanivelu. Il est permis de croire qu’il a tiré une telle conclusion en ce qui concerne les déclarations faites par sa femme et le parlementaire dans leur lettre respective, même si ce n’est pas clair. Cependant, l’alinéa 167a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, indique qu’une audience peut être nécessaire s’il y a « existence d’éléments de preuve [...] qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur [non souligné dans l’original] ». Par conséquent, j’estime qu’aucune audience n’était nécessaire en vertu du Règlement.

[22]           Aucune partie n’a proposé de questions à certifier, et les faits en l’espèce n’en soulèvent pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4705-16

LA COUR rejette la demande et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4705-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SRIDER PALANIVELU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Robert Blanshay

 

Pour le demandeur

 

David Joseph

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay, Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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