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Date : 20171123


Dossier : IMM-22-17

Référence : 2017 CF 1065

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

DUY KHANH DO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Duy Khanh Do (« le demandeur ») conformément au paragraphe 72(1)de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (« LIPR »). Le demandeur a présenté, depuis l’étranger, une demande de visa de résident permanent et la levée de son interdiction de territoire pour grande criminalité pour motifs humanitaires conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR (« la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire »). Il a également demandé un permis de séjour temporaire au cours de ce processus, et, pendant son entrevue, on lui a dit qu’il devrait plutôt demander le permis de séjour temporaire séparément, une fois la décision rendue. Cela a été confirmé dans les motifs écrits de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le refus d’examiner la demande de permis de séjour temporaire constitue le fondement de la présente instance.

[2]  Le demandeur et le défendeur ont tous deux convenu que la présente demande devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[3]  Dans le cas de la demande de permis de séjour temporaire, aucune décision formelle n’a été fournie sauf la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en date du 18 novembre 2016, dans laquelle l’agent d’immigration (« l’agent ») confirme que le demandeur a été informé, pendant son entrevue, qu’il devait présenter une demande de permis de séjour temporaire séparément, après le prononcé de la décision définitive sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[4]  Avant que l’autorisation ne soit accordée, le défendeur a présenté une requête demandant à la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire et d’ordonner que la présente affaire soit renvoyée pour réexamen devant un nouveau décideur, avec dépens adjugés contre le demandeur, puisque celui-ci a refusé de se désister de la demande et de consentir à un réexamen. Cette requête a été rejetée le 19 juin 2017 par la juge Heneghan (2017 CF 609, décision non publiée) sans adjudication sur les dépens. La juge Heneghan a rejeté la requête du défendeur parce que ce dernier n’avait pas indiqué la manière dont l’agent avait commis une erreur dans sa décision.

I.  Exposé des faits

[5]  Le contexte factuel de la présente affaire est identique à celui de la décision 2017 CF 1064. Pour ce motif et par souci de concision, dans le présent jugement, il n’est pas nécessaire de répéter les faits. Je me contenterai de mettre en évidence les faits pertinents à la question du permis de séjour temporaire.

[6]  En juillet 2013, le demandeur a présenté, depuis l’étranger, une demande de parrainage de conjoint en vue d’obtenir la résidence permanente, dans laquelle il demandait que soit levée son interdiction de territoire pour grande criminalité pour des motifs d’ordre humanitaire ou qu’un permis de séjour temporaire lui soit délivré pour lui permettre de revenir au Canada entre temps, en attendant de présenter une demande de réadaptation afin de lever l’interdiction de territoire.

[7]  Dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et de sa demande de permis de séjour temporaire, en juillet 2013, de nombreuses correspondances ont été échangées entre l’avocat du demandeur et le bureau des visas à Singapour, où la personne-ressource principale était Thomas Richter, gestionnaire adjoint du programme (« M. Richter »).

[8]  Dans cette correspondance, M. Richter explique que, dans le cadre de ces demandes, ils devront mener des entrevues en personne avec le demandeur après son expulsion vers le Vietnam. M. Richter a également déclaré, en octobre 2014, que [traduction] « si M. Do souhaite présenter une demande de permis de séjour temporaire, il peut le faire, mais la décision ne serait rendue qu’une fois l’entrevue menée ».

[9]  Par la suite, en septembre 2015, l’avocat du demandeur a confirmé qu’un permis de séjour temporaire avait été demandé, et a précisé le motif pour lequel ce permis devait être accordé.

[10]  Le demandeur a ensuite été interrogé par l’agent au Vietnam, le 30 mai 2016, et il ressort de la décision qu’on lui a dit à ce moment-là qu’il devrait présenter une demande de permis de séjour temporaire séparément, et ce, seulement après le prononcé de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

II.  Questions en litige

[11]  Deux questions sont soulevées dans le présent appel :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en refusant d’examiner la demande de permis de séjour temporaire et en déclarant que le demandeur devait présenter une demande de permis de séjour temporaire séparément, après le prononcé de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?
  2. Le défendeur devrait-il être condamné aux dépens en raison de la conduite de l’agent?

A.  Norme de contrôle – norme de la décision correcte

[12]  Le demandeur déclare que la norme de contrôle est celle de la décision correcte pour ce qui est de déterminer s’il y a eu omission d’examiner une demande de permis de séjour temporaire lorsqu’un tel permis a été demandé, puisqu’il s’agit d’une erreur de droit qui n’appelle aucune déférence. Le demandeur se fonde sur les deux décisions suivantes : Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1269, 3 Imm LR (4th) 269 [Shah] et Dhandal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 865, 82 Imm LR (3d) 214 [Dhandal].

[13]  La norme de contrôle de la décision correcte a été appliquée dans la décision Shah dans laquelle l’omission d’examiner une demande de permis de séjour temporaire a été considérée, dans une jurisprudence antérieure, comme une « une erreur de droit ou une erreur dans l’application régulière de la loi » (au paragraphe 36). Le défendeur n’a présenté aucune observation sur la norme de contrôle. Compte tenu de la jurisprudence citée, j’adopte la norme de la décision correcte.

III.  Discussion

[14]  Conformément à la décision Dhandal, au paragraphe 15, « […] une nouvelle demande n’est pas nécessaire si le demandeur est considéré interdit de territoire pour ce qui est de la résidence permanente. Il suffit d’envoyer une simple lettre pour lancer la demande de permis de séjour temporaire , celle-ci s’appuyant sur la demande existante […] ». Le demandeur affirme qu’une telle demande avait clairement été présentée, reçue et non examinée, même si M. Richter a indiqué que, si le demandeur présentait une demande de permis de séjour temporaire, une décision serait rendue, mais seulement après la tenue d’une entrevue.

[15]  Au paragraphe 77 de la décision Shah, le juge confirme que, lorsqu’une demande de permis de séjour temporaire est présentée, celle‑ci doit être examinée même s’il n’y a pas de fondement suffisant pour justifier la délivrance, et que le défaut de l’examiner constitue une erreur susceptible de contrôle. Pour remédier à cette erreur, le demandeur demande que la question soit réexaminée devant [traduction] « un autre agent pour évaluer de bonne foi la demande de permis de séjour temporaire, en tenant compte des éléments de preuve dont il dispose, suivant la procédure accélérée ».

[16]  Le défendeur reconnaît que l’agent a commis une erreur en omettant d’examiner la demande de permis de séjour temporaire, et il précise cette erreur en indiquant que l’agent n’était pas autorisé à refuser d’examiner la demande de permis de séjour temporaire, à moins d’avoir conclu qu’il avait ce pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 24(7) de la LIPR. [TRADUCTION] « Le défendeur convient avec le demandeur que la Cour devrait renvoyer la demande de permis de séjour temporaire à un autre agent pour réexamen ». Le défendeur a également convenu que ce réexamen devrait se faire le plus tôt possible.

[17]  Puisque le demandeur a clairement présenté une demande de permis de séjour temporaire et que l’agent n’a pas examiné cette demande lorsqu’il a déclaré que le demandeur devait présenter une demande séparément, l’agent a commis une erreur, selon la jurisprudence existante, et l’affaire devrait être renvoyée pour réexamen par un autre agent, comme les parties l’ont demandé. Selon la jurisprudence et la correspondance citées, il est évident que cela ne constituait pas seulement une erreur, mais également un mépris des éléments de preuve dont l’agent était saisi et que cela exige que l’affaire soit renvoyée pour réexamen.

B.  Le défendeur devrait-il être condamné aux dépens en raison de la conduite de l’agent?

[18]  Comme je l’ai mentionné dans mon autre décision concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse, l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 dispose que des dépens ne devraient pas être accordés, sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des « raisons spéciales ».

[19]  En l’espèce, le demandeur a demandé des dépens, en déclarant que la mauvaise foi n’était pas requise et que ce qui s’est produit constituait une [traduction] « conduite injuste et inappropriée » qui satisfait au critère des raisons spéciales justifiant l’octroi de dépens en matière d’immigration. De plus, le demandeur a soutenu que l’omission de l’agent d’examiner la demande de permis de séjour temporaire était contraire à la jurisprudence qui avait déjà été portée à l’attention des représentants du défendeur, avant la décision, qui contredisait également les déclarations de M. Richter.

[20]  Le défendeur a été proactif dans ses tentatives de remédier à la situation en proposant au demandeur le réexamen de sa demande, et, lorsque cette proposition a été refusée, en tentant de présenter une requête visant à accueillir la demande de contrôle judiciaire. Ces efforts démontrent que l’adjudication des dépens contre le défendeur semble inappropriée, à moins que la Cour ne conclue que la conduite de l’agent et la situation du demandeur ont pris une importance telle qu’elles l’emportent totalement sur les tentatives du défendeur de remédier à la situation.

[21]  Le défendeur soutient que, même si l’agent a commis une erreur en n’examinant pas la demande de permis de séjour temporaire, cela n’équivalait pas à une situation où des « raisons spéciales » sont constatées, comme de la mauvaise foi, de l’abus ou de l’oppression, et qu’il revient au demandeur de démontrer l’existence de raisons spéciales relativement à la conduite.

[22]  Bien que l’agent n’ait pas respecté les normes minimales requises dans l’exercice de ses fonctions, après avoir examiné tous les éléments de preuve dont je suis saisi ainsi que les arguments des deux avocats, je ne peux conclure que le demandeur a satisfait au critère requis pour démontrer l’existence de raisons spéciales justifiant que le défendeur soit condamné aux dépens.

IV.  Question à certifier

[23]  On a demandé à l’avocat de chacune des parties s’il y avait des questions à certifier; chacun a indiqué qu’il n’avait pas de questions à soulever à des fins de certification et je suis d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-22-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Pour les motifs énoncés, j’accueille la demande de contrôle judiciaire aux motifs que l’agent a omis d’examiner la demande de permis de séjour temporaire lorsqu’il était tenu de le faire ou de fournir un motif justifiant son refus de l’examiner conformément au pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(7) de la LIPR.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Je rends l’ordonnance suivante :

    1. Le réexamen sera effectué par un autre agent au plus tard 60 jours suivant la date de la présente ordonnance.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-22-17

INTITULÉ :

DUY KHANH DO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 NOVEMBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

Le 23 NOVEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

POUR LE DEMANDEUR

David Shiroky

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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