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Date : 20171130


Dossier : T-1740-16

Référence : 2017 CF 1085

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 30 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MUNA AL NAHAWI

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Division des enquêtes sur les passeports, Direction générale de l’intégrité des programmes, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, de révoquer son passeport canadien, en application de l’alinéa 9(1)b) et du paragraphe 10(1) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86 (le Décret).

[2]  Ces dispositions sont rédigées ainsi :

9(1) Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport au requérant qui […]

9(1) Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for greater certainty, the Minister may refuse to issue a passport to an applicant who […]

 

b) est accusé au Canada d’un acte criminel;

(b) stands charged in Canada with the commission of an indictable offence;

 

10(1) Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut révoquer un passeport pour les mêmes motifs que ceux qu’il invoque pour refuser d’en délivrer un.

10(1) Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for the greater certainty, the Minister may revoke a passport on the same grounds on which he or she may refuse to issue a passport.

[3]  Les décisions rendues par la Direction générale de l’intégrité des programmes de passeports sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir en particulier la décision Kamel c Canada (Procureur général), 2008 CF 338, aux paragraphes 57 à 62 [Kamel], infirmée par la suite sur la question constitutionnelle seulement dans la décision Canada (Procureur général) c Kamel, 2009 CAF 21), alors que les questions liées à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir, par exemple, la décision Kamel, au paragraphe 62, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

[4]  Les faits pertinents ne sont pas sérieusement contestés.

[5]  La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada le 28 juin 2001. Elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 20 mars 2004, citoyenneté qui lui a été accordée le 13 août 2007. À la suite d’une demande présentée le 18 septembre 2007, la demanderesse a obtenu son premier passeport canadien. Son passeport a été renouvelé à la suite d’une demande présentée le 21 mai 2012.

[6]  Autour du 15 juin 2016, la demanderesse a reçu une lettre, datée du 10 juin 2016, d’un enquêteur principal de la Division des enquêtes sur les passeports visant à l’informer que son passeport pourrait être révoqué (la lettre relative à l’équité procédurale). En effet, la Division avait reçu des renseignements selon lesquels la demanderesse avait été accusée d’avoir commis les actes criminels prohibés par les alinéas 57(2)a) et 380(1)a) et le sous-alinéa 380(l)b)(i) du Code criminel, LRC (1985), c C-46 (faux ou usage de faux en matière de passeport et fraude), par les paragraphes 29(2) et 29(3) de la Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), c C-29 (divers actes criminels liés à des documents de citoyenneté) et par l’alinéa 128a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (fausses présentations). La lettre relative à l’équité procédurale indiquait également que la Division avait été informée de l’existence d’un mandat d’arrêt délivré au nom de la demanderesse le 29 décembre 2014 par la province de Québec. Conformément à l’alinéa 9(1)b) et au paragraphe 10(1) du Décret, la Division des enquêtes sur les passeports était en voie de révoquer le passeport de la demanderesse. Toutefois, la demanderesse avait jusqu’au 20 juin 2016 pour répondre aux renseignements qui lui ont été communiqués en invoquant d’autres faits ou des circonstances atténuantes ou en corrigeant des renseignements erronés, de sorte que la décision proposée puisse faire l’objet d’un réexamen.

[7]  Après avoir reçu la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse a demandé une prorogation. Une prorogation lui a été accordée jusqu’au 20 juillet 2016. La Division des enquêtes sur les passeports n’a reçu aucune observation et elle a révoqué le passeport de la demanderesse le 23 août 2016.

[8]  La demanderesse prétend que la décision contestée n’a pas été rendue conformément à l’équité procédurale, puisque la Division des enquêtes sur les passeports a omis de lui communiquer certains renseignements et documents pertinents. Même si la lettre relative à l’équité procédurale énumérait toutes les accusations, la demanderesse affirme qu’elle a droit à la présomption d’innocence et qu’elle n’a eu connaissance des accusations qu’après l’arrestation de sa mère le 13 mai 2016. En outre, elle n’a pas pu répondre aux faits que la Division a examinés et qui lui étaient reprochés ni les contester. Les décisions invoquées par le défendeur pour appuyer la décision contestée ne sont pas utiles puisqu’il semble que les personnes concernées avaient obtenu suffisamment de renseignements pour être en mesure de formuler une réponse adéquate.

[9]  En revanche, le défendeur prétend que tous les renseignements pertinents sur lesquels la Division des enquêtes sur les passeports s’est fondée ont été communiqués à la demanderesse. Les accusations portées contre elle et le mandat non exécuté délivré contre elle constituent les seuls éléments examinés pour révoquer son passeport – ces éléments étaient tous indiqués dans la lettre relative à l’équité procédurale. La Division n’envoie pas de copie des actes d’accusation ou des mandats aux individus, en particulier parce qu’elle n’appuie pas sa décision sur les faits à l’origine des accusations, mais plutôt sur la simple existence desdites accusations. Si la demanderesse souhaite contester les accusations elles-mêmes, elle devrait le faire devant les tribunaux criminels canadiens. Le défendeur prétend également que la demanderesse a eu une occasion raisonnable de formuler une réponse. En effet, au départ, la lettre relative à l’équité procédurale lui accordait dix jours pour formuler des observations, soit un délai normal. En outre, elle a même obtenu une prorogation de 30 jours, mais elle a tout de même omis de présenter des observations.

[10]  Je suis d’accord avec le défendeur que la présente demande doit être rejetée.

[11]  Les renseignements communiqués à la demanderesse étaient suffisants, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire. L’équité procédurale n’exige pas la communication de l’ensemble du dossier, mais plutôt de tous les faits substantiels que la Division des enquêtes sur les passeports a découverts pendant son enquête (voir la décision Abdi c. Canada (Procureur général), 2012 CF 642, au paragraphe 21). Dans d’autres affaires, la Division des enquêtes sur les passeports (ou son prédécesseur) a mené une enquête approfondie et elle s’est ensuite fondée sur divers documents, comme des rapports d’enquête, des analyses de comparaison faciale, des éléments de preuve saisis, etc. (voir, par exemple, les décisions Lipskaia c. Canada (Procureur général), 2016 CF 526, aux paragraphes 19 à 25, et Gomravi c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1044). Ces documents ont alors dû être communiqués. En l’espèce, toutefois, la Division a révoqué le passeport de la demanderesse simplement parce qu’elle a été accusée de divers actes criminels. Je suis d’accord avec le défendeur que les seuls faits substantiels invoqués par la Division étaient les accusations et le mandat d’arrêt. Les renseignements à l’origine de ces accusations n’ont pas été pris en compte. De plus, il n’était pas nécessaire de remettre à la demanderesse le mandat lui-même, puisque la lettre énumérait tous les renseignements pertinents (voir, par exemple, l’arrêt Canada (Procureur général) c. Dias, 2014 CAF 195, aux paragraphes 5 et 6, et la décision Haddad c. Canada (Procureur général), 2017 CF 235, aux paragraphes 11, 21 et 31). La demanderesse s’est également vu accorder une occasion appropriée de formuler une réponse. Au départ, la lettre relative à l’équité procédurale lui accordait dix jours pour présenter des renseignements supplémentaires ou corriger tout renseignement erroné. La Division lui a ensuite accordé une autre prorogation de 30 jours pour le faire. Ce n’est qu’après l’expiration de ce délai que son passeport a été effectivement révoqué. La Division a utilisé une procédure équitable. En conclusion, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[12]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens. Les parties n’ont soulevé aucune question de droit d’importance générale.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1740-16

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1740-16

 

INTITULÉ :

MUNA AL NAHAWI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 NOVEMBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 NOVEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Marie-Hélène Giroux

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Monterosso Giroux

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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