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Date : 20171127


Dossier : T-2230-16

Référence : 2017 CF 1069

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ABUBAKAR SHARIF

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le président indépendant du tribunal disciplinaire de l’Établissement de Warkworth le 6 décembre 2016, déclarant coupable le demandeur d’une infraction disciplinaire en contravention de l’alinéa 40h) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (LSCMLC), et le condamnant à une amende de 30 $.

I.  Contexte

[2]  Le demandeur, Abubakar Sharif, est un détenu incarcéré à l’Établissement de Warkworth en Ontario. Le 25 septembre 2016, il a été impliqué dans une altercation avec l’agent correctionnel Ethridge dans le réfectoire de l’Établissement de Warkworth. Cette altercation est devenue physique, et le demandeur a été accusé d’une infraction disciplinaire visée à l’alinéa 40h) de la LSCMLC, qui stipule que : « Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui […] se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat. »

[3]  Au moment de l’altercation le 25 septembre 2016, le demandeur souffrait d’une blessure à un genou et avait besoin de béquilles pour marcher. En raison de cette blessure, le demandeur s’est rendu au début de la file pour récupérer son repas. Le demandeur prétend que le personnel l’avait autorisé à se rendre au début de la file quotidiennement en raison de sa blessure. Ce jour-là toutefois, l’agent Ethridge a ordonné au demandeur de retourner au bout de la file. Le demandeur a indiqué à l’agent Ethridge qu’il n’était pas en mesure de se tenir debout dans la file en raison de sa blessure et qu’on avait pris des mesures d’adaptation à son égard par le passé. L’agent Ethridge a ordonné aux membres du personnel de la cuisine de cesser de remettre des repas jusqu’à ce que le demandeur obéisse. Le demandeur a refusé. Le demandeur a alors pris le plateau-repas d’un autre détenu, ce qui a incité l’agent Ethridge et un deuxième agent à s’approcher du demandeur, qui a éloigné le plateau et l’a tenu à distance d’eux. Selon l’agent Ethridge, le demandeur l’a heurté avec sa poitrine à plusieurs reprises. L’agent Ethridge a alors saisi le plateau des mains du demandeur et ce dernier est tombé au sol. À ce stade, il y avait une perturbation parmi les autres détenus dans le réfectoire, certains détenus traitant l’agent Ethridge [traduction] d’« imbécile ».

[4]  À l’audience devant le président indépendant, le conseiller juridique du demandeur a fait valoir que l’Établissement de Warkworth n’avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait agressé l’agent Ethridge. Le demandeur a reconnu pendant l’audience qu’il avait désobéi aux instructions et qu’il avait tenté de tenir le plateau-repas hors d’atteinte de l’agent Ethridge. Le demandeur a fait référence à un enregistrement vidéo de l’altercation qui, selon ses allégations, montrait que l’agent Ethridge avait initié le contact physique avec lui, entraînant ainsi sa chute. En ce qui concerne le prétendu heurt avec la poitrine, le demandeur a déclaré à l’audience que l’agent Ethridge l’avait heurté avec sa poitrine et non pas l’inverse.

II.  Décision

[5]  La décision du président a été rendue de vive voix à la fin de l’audience le 6 décembre 2016. La voici intégralement :

[traduction]
Le problème toutefois avec cet argument, conseiller [que l’Établissement n’avait pas prouvé ce qu’il avançait hors de tout doute raisonnable, à savoir que M. Sharif avait effectivement agressé l’agent], est que M. Sharif a admis qu’il tentait de maintenir le plateau hors d’atteinte de l’agent, ce qui, à mon avis, invite au contact physique par M. Sharif ou par l’agent. Il s’agissait manifestement d’une situation explosive, qui l’est devenue encore plus lorsque M. Sharif est tombé. La vidéo ne me permet pas de dire si cela s’est produit accidentellement ou de quelle façon, cependant, je n’ai aucun doute du fait que M. Sharif tentait de tenir le plateau hors d’atteinte de l’agent, et que l’agent tentait de le récupérer, car, selon lui, il n’était pas approprié qu’il l’ait. Dans ces circonstances, je crois que l’accusation est établie.

[6]  Le président a condamné le demandeur à une amende de 30 $, une amende de 10 $ lui étant imposée et une amende de 20 $ en suspens pour une période de 60 jours.

III.  Questions en litige

[7]  Le demandeur définit les questions en litige soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire comme suit :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Le président a-t-il commis une erreur de droit en déclarant coupable le demandeur de l’infraction disciplinaire seulement au motif de la désobéissance de celui-ci, sans conclure que le demandeur a réellement agressé l’agent Ethridge?

  3. Le président a-t-il commis une erreur de droit et porté atteinte à l’équité procédurale en omettant entièrement de tenir compte des moyens de défense du demandeur dans ses motifs et en omettant de trancher la question de savoir si la preuve soulevait un doute raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Normes de contrôle

[8]  Le demandeur fait valoir que la deuxième question telle qu’énoncée ci-dessus – à savoir, la question de savoir si l’infraction [traduction] « d’agression » peut être établie par la désobéissance qui [traduction] « invite au contact physique » sans l’application d’une force physique – soulève une question de droit ayant une seule réponse défendable et, par conséquent, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je rejette cet argument, car la question en litige ne soulève ni une question d’équité procédurale ni ne relève des quatre types de questions énoncés par la Cour suprême dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], qui sont assujetties à une norme de la décision correcte : à savoir, i) les « questions touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces […] et celles touchant par ailleurs à la Constitution » (paragraphe 58); ii) les vraies questions de compétence ou vires « lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » (paragraphe 59); iii) « dans le cas d’une question de droit générale “à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise [du décideur] » (paragraphe 60); et iv) « [l]a norme de la décision correcte s’est également appliquée à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (paragraphe 61).

[9]  La deuxième question en litige telle qu’établie par le demandeur sera donc examinée selon la norme de la décision raisonnable. Il est bien établi que l’évaluation par un président indépendant de la question de savoir si un détenu est coupable d’une infraction disciplinaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir, p. ex., Alix c Canada (Procureur général), 2014 CF 1051, au paragraphe 18, 466 FTR 307). Conformément à la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Toutefois, il est également important de savoir si la décision se situe dans une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses].

[10]  En ce qui concerne la troisième question soulevée par le demandeur, celle-ci porte sur une allégation selon laquelle le président a contrevenu à l’équité procédurale. La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). La question de savoir si une décision administrative était juste est en général susceptible de révision par un tribunal. Cependant, le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité. Comme l’ont noté Jones et deVillars (Principles of Administrative Law, 6e éd. (Toronto : Carswell, 2014), page 266) :

[traduction] L’équité d’une procédure n’est pas mesurée par les normes de la « décision correcte » ou de la « décision raisonnable », mais en se demandant si la procédure respectait le niveau d’équité requis par la loi. La confusion vient du fait que, lorsque le tribunal examine la question de savoir si une procédure est équitable, il […] se prononce sur la question de savoir si la procédure a été rendue correctement. Il ne faut pas faire montre de retenue à l’égard de la façon de faire du tribunal. L’instance s’est déroulée de façon équitable ou non.

[11]  Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur. En cas de désaccord avec la conclusion du décideur, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (voir l’arrêt Dunsmuir, paragraphe 50). En outre, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3).

[12]  Avant de me pencher sur la deuxième question soulevée par le demandeur, il est utile de mentionner les principes généraux qui régissent la discipline pénitentiaire. Ces principes ont été résumés dans Hendrickson c Tribunal disciplinaire de la Kent Institution (Président indépendant) (1990), 32 FTR 296, au paragraphe 10, [1990] ACF no 19, comme suit :

[traduction]

1.  Une audience dirigée par le président indépendant du tribunal disciplinaire d’une institution est une procédure administrative qui n’a aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire.

2.  Sauf dans la mesure où il existe des dispositions légales ou des règlements ayant force de loi et indiquant le contraire, il n’y a aucune obligation de se conformer à une procédure particulière ou de respecter les règles régissant la réception des dépositions généralement applicables aux tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires ou à une procédure accusatoire.

3.  Il existe un devoir général d’agir avec équité en veillant à ce que l’enquête soit menée équitablement et en respectant la justice naturelle. Lors d’une audience devant un tribunal disciplinaire, le devoir d’agir avec équité consiste à permettre à la personne de connaître les allégations, le témoignage et la nature du témoignage contre elle, de pouvoir répondre au témoignage et donner sa version des faits.

4.  L’audience ne doit pas être menée comme une procédure contradictoire, mais comme une procédure d’enquête. La personne dirigeant l’audience n’est pas tenue de prendre en compte chaque défense concevable, bien qu’elle ait le devoir de mener une enquête complète et équitable ou, en d’autres termes, d’étudier les deux côtés de la question.

5.  La Cour n’a pas à réviser les éléments de preuve comme on le ferait dans une affaire jugée par un tribunal judiciaire ou lors de la révision d’une décision d’un tribunal quasi judiciaire. Elle doit simplement décider s’il y a vraiment eu manquement au devoir général d’agir avec équité.

6.  La discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé [traduction] « qu’en cas de sérieuse injustice » [Martineau c Comité de discipline de l’Institution de Matsqui (no 2), [1979] ACS no 121, au paragraphe 13, [1980] 1 RCS 602].

[13]  La Cour d’appel fédérale a réitéré ces six principes dans Ayotte c Canada (Procureur général), 2003 CAF 429, au paragraphe 9, 240 DLR (4th) 471, en insistant sur le sixième principe précité, et a conclu ce qui suit : « En somme, le processus disciplinaire en milieu carcéral requiert souplesse et efficacité, mais une souplesse et une efficacité qui doivent être poursuivies et atteintes dans le respect de l’équité procédurale et des dispositions impératives de la loi. » (paragraphe 11)

B.  Le président a-t-il commis une erreur de droit en déclarant coupable le demandeur de l’infraction disciplinaire seulement au motif de la désobéissance de celui-ci, sans conclure que le demandeur a réellement agressé l’agent Ethridge?

[14]  Le demandeur fait valoir que le président a commis une erreur en confondant la désobéissance avec des voies de fait. Même si la LSCMLC ne comprend aucune définition de « voies de fait », le demandeur renvoie à la définition de « voies de fait » visée au paragraphe 265(1) du Code criminel, LSC 1985, c C-46, et fait valoir que des voies de fait consistent en l’emploi ou la menace d’employer la force sans consentement. Selon le demandeur, plusieurs affaires de la Cour portant sur la discipline pénitentiaire se sont penchées sur la définition de « voies de fait » et il a été conclu que, même s’il n’est pas nécessaire qu’elle soit conforme à la définition dans le Code criminel, celle-ci comprend nécessairement un certain emploi intentionnel de la force. Le demandeur précise que la jurisprudence dans un contexte criminel soutient qu’une tentative de se libérer d’une arrestation légale ou d’y échapper ne constitue pas des voies de fait, sauf s’il y a un certain emploi intentionnel de la force. Le demandeur indique également que le président n’a formulé aucune conclusion selon laquelle le demandeur a heurté l’agent Ethridge avec sa poitrine. Selon le point de vue du demandeur, le président a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur avait commis des voies de fait simplement en tenant le plateau à distance de l’agent Ethridge et en invitant au contact physique.

[15]  Le défendeur fait valoir que la mention de la définition de « voies de fait » contenue dans le Code criminel par le demandeur va à l’encontre de l’arrêt R c Shubley, [1990] 1 RCS 3, au paragraphe 38, [1990] ACS no 1, qui fait valoir que l’objet du système disciplinaire pénitentiaire est de « maintenir l’ordre dans la prison et non de punir pour une infraction criminelle ». Le défendeur fait valoir que, par conséquent, les infractions disciplinaires sont des infractions réglementaires ou de responsabilité stricte conçues pour maintenir l’ordre dans un établissement. Selon le défendeur, dans le cas des infractions de responsabilité stricte, une fois que l’actus reus a été prouvé hors de tout doute raisonnable, le fardeau de persuasion incombe au détenu en vue d’établir une défense en common law selon la prépondérance des probabilités.

[16]  Le défendeur insiste sur la nature disjonctive de l’alinéa 40h), affirmant que l’infraction sera établie si un détenu [traduction] « se bat » avec une autre personne, [traduction] commet des « voies de fait » ou [traduction] « menace de commettre des voies de fait » sur une autre personne. Même si l’infraction de voies de fait n’est pas établie, il est manifeste que, selon la défendeur, le demandeur s’est battu avec l’agent Ethridge à propos du plateau-repas. Le défendeur renvoie à R v Pelkey (1913), 12 DLR 780, au paragraphe 10, 21 CCC 387, où la Cour a défini le terme [traduction] « combat » comme [traduction] « un concours ou une lutte ou une personne tente de l’emporter sur l’autre ou de le vaincre ». Selon le défendeur, la conduite du demandeur en désobéissant à un ordre direct, en prenant le plateau d’un autre détenu, en initiant un contact physique en heurtant l’agent avec sa poitrine, puis en balançant le plateau pour le tenir à distance de l’agent Ethridge, satisfait manifestement au sens simple et ordinaire de [traduction] « combat », notamment compte tenu de la nature explosive de la situation.

[17]  Les arguments du demandeur à l’égard de cette question éludent la question de savoir si sa conduite dans le réfectoire le 25 septembre 2016 pourrait être considérée comme un combat avec l’agent Ethridge. La preuve dont le président était saisi était telle que le demandeur et l’agent Ethridge ne se battaient très certainement pas comme s’ils prenaient part à un match de boxe ou à une bataille de cour d’école. Toutefois, selon le président, ils se battaient ou luttaient pour le contrôle ou la possession du plateau-repas que le demandeur avait pris à un autre détenu. À mon avis, compte tenu de l’admission du demandeur à l’audience selon laquelle il tentait de tenir le plateau hors d’atteinte de l’agent, il était raisonnable pour le président de conclure que le demandeur avait invité au contact physique, initié par lui ou par l’agent Ethridge. Il est vrai, comme le signale le demandeur, que le président n’a pas expressément déclaré ou conclu que le demandeur s’était réellement livré à des voies de fait sur l’agent Ethridge. Cependant, à mon avis, il était inutile qu’il le fasse, car l’altercation verbale et physique entre eux portait sur des circonstances qui équivalaient à un combat pour le contrôle du plateau-repas.

[18]  Avant de clore le sujet, il convient de mentionner le fait que l’argument du défendeur selon lequel les infractions disciplinaires en vertu de la LSCMLC constituent des infractions réglementaires ou de responsabilité stricte, conçues pour maintenir l’ordre dans un établissement, était discutable dans une certaine mesure. Un argument similaire a été présenté par le défendeur dans Schmit c Canada (Procureur général), 2016 CF 1293, [2016] ACF no 1444 [Schmit], une affaire où le demandeur a créé des troubles, contrairement à l’alinéa 40m) de la LSCMLC. La Cour, dans Schmit, a formulé la remarque suivante :

[45]  Le défendeur de son côté a plutôt prétendu que les infractions disciplinaires prévues à la Loi ne requièrent pas la démonstration de mens rea : elles seraient de responsabilité stricte (mémoire des faits et du droit du défendeur, para 37). C’est une affirmation surprenante parce que plusieurs des alinéas de l’article 40 comprennent des expressions qui relèvent typiquement de la plus haute mens rea : « délibérément » (alinéas c) et r) de l’article 40), « dans l’intention de » (alinéa 40n)), « sachant qu’elle » (alinéa 40r.1)). De plus, on y interdit le vol (alinéa 40d)), les voies de fait (alinéa 40h)), l’offre de pots-de-vin (alinéa 40o)), toutes des infractions de droit commun avec intention criminelle. De prétendre comme le fait le défendeur que toutes les infractions sont contre le bien-être public, au sens de R c Sault Ste Marie, [1978] 2 RCS 1299, n’a tout simplement pas été démontré.

[46]  Je suis loin d’être convaincu que toutes les infractions créées par l’article 40 de la Loi sont sans intention coupable […]

C.  Le président a-t-il commis une erreur de droit et porté atteinte à l’équité procédurale en omettant entièrement de tenir compte des moyens de défense du demandeur dans ses motifs et en omettant de trancher la question de savoir si la preuve soulevait un doute raisonnable?

[19]  Le demandeur fait valoir que le président a commis une erreur de droit et a porté atteinte à l’équité procédurale en omettant d’examiner si l’infraction avait été prouvée hors de tout doute raisonnable, comme l’exige le paragraphe 43(3) de la LSCMLC, qui stipule que la personne chargée de l’audition « ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée ». Selon le demandeur, le président a complètement écarté la défense du demandeur dans ses motifs, y compris le fait que ses observations, si on y prête foi, présenteraient une défense complète contre l’accusation. Le demandeur s’appuie sur plusieurs affaires qui confirment que le défaut d’un président indépendant d’examiner la défense d’un détenu accusé constitue une erreur de droit, ce qui fournit un motif indépendant pour annuler la décision du président en l’espèce.

[20]  Le défendeur qualifie les arguments du demandeur sur ce point comme une question relative au caractère suffisant des motifs et soutient que le caractère adéquat des motifs ne constitue pas un motif indépendant permettant d’annuler une décision administrative. Le défendeur précise que le président a déclaré qu’il n’y avait aucun doute dans son esprit que le demandeur tentait de maintenir le plateau hors d’atteinte de l’agent Ethridge et que ces actes avaient invité à la confrontation et avaient donné lieu à une situation explosive. Le défendeur remarque également que la décision du président est appuyée par les déclarations de l’agent Ethridge, de l’agent Goodfellow et du cuisinier Carter, qui décrivent tous le comportement conflictuel du demandeur.

[21]  Il est vrai que les motifs du président pour sa décision sont, à tout le moins, brefs et laconiques. Cependant, ils sont intelligibles à la lumière de la transcription de l’audience et du dossier dont était saisi le président, ce qui comprenait le rapport d’infraction d’un détenu ainsi que plusieurs rapports d’observation et de déclaration de ceux qui avaient été témoins de l’incident. La Cour est en mesure de comprendre la raison pour laquelle le président a pris la décision qu’il a prise et celle-ci appartient aux issues acceptables. Comme l’a précisé la Cour suprême dans Newfoundland Nurses : « Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs » (au paragraphe 18).

[22]  Les motifs du président n’écartent pas entièrement, comme le fait valoir le demandeur, les arguments du demandeur. Au contraire, le président a expressément reconnu l’argument principal du demandeur selon lequel l’Établissement n’avait pas prouvé ce qu’il avançait hors de tout doute raisonnable (cet argument figure dans la transcription de l’audience immédiatement avant le début des motifs oraux du président). Le président avait manifestement l’exigence relative au doute raisonnable à l’esprit lorsqu’il a déclaré : [traduction] « Je n’ai aucun doute que M. Sharif tentait de tenir le plateau hors d’atteinte de l’agent. » À la lumière de cette déclaration du président, on ne peut pas affirmer, comme le demandeur le fait valoir, que le président a commis une erreur de droit et a porté atteinte à l’équité procédurale en omettant de se pencher sur la question de savoir si l’infraction a été prouvée hors de tout doute raisonnable.

V.  Conclusion

[23]  En conclusion, il convient de préciser que, au début de l’audience en l’espèce, le paragraphe 3 de l’affidavit du demandeur daté du 27 janvier 2017, a été radié du dossier, car il contenait une version de l’incident qui a eu lieu le 25 septembre 2016, qui n’a pas été porté à la connaissance du président.

[24]  Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]  Le défendeur a demandé que ses dépens pour la demande en l’espèce soient fixés par la Cour. Étant donné que la demande a été rejetée, des dépens devraient être octroyés au défendeur. À la lumière des circonstances de la présente espèce et des différents facteurs établis au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dans sa version modifiée, le demandeur versera au défendeur des dépens d’un montant fixe de 200 $ (montant qui comprend tous les débours et toutes les taxes applicables) dans les 90 jours suivant la date du présent jugement.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée; et le demandeur versera au défendeur des dépens d’un montant fixe de 200 $ (montant qui comprend tous les débours et toutes les taxes applicables) dans les 90 jours suivant la date du présent jugement.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2230-16

 

INTITULÉ :

ABUBAKAR SHARIF c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Quick

Sean Ellacott

 

Pour le demandeur

 

Eric Peterson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Queen’s Prison Law Clinic

Kingston (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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