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Date : 20171207


Dossier : T‑1721‑15

Référence : 2017 CF 1121

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KATHARINE GREEN

demanderesse

et

AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Katharine Green, est la directrice de la recherche et des politiques de la Direction générale des revendications particulières d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada [AADNC], maintenant Affaires autochtones et du Nord Canada. Le 28 mars 2013, elle a déposé un grief de harcèlement contre un collègue (appelé AW) qui était, à l’époque, employé en tant que conseiller principal des politiques auprès d’AADNC. Le 9 juin 2015, Quintet Consulting [Quintet], un enquêteur indépendant embauché par AADNC, a conclu que les commentaires et les gestes d’AW n’équivalent pas à un harcèlement aux termes de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement [la Politique] du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Les conclusions de Quintet ont été approuvées par Joe Wild [M. Wild], le sous‑ministre adjoint principal. Le 11 septembre 2015, en s’appuyant également sur les conclusions de Quintet, Hélène Laurendeau [Mme Laurendeau], la sous‑ministre déléguée, a rejeté le grief de Mme Green.

[2]               Dans le présent contrôle judiciaire, Mme Green soutient que le rejet de son grief et les conclusions de Quintet sont déraisonnables. Elle allègue que Quintet a mal appliqué la définition de harcèlement, a omis de rendre une décision en ce qui concerne une des allégations les plus sérieuses de harcèlement et a conclu de manière déraisonnable qu’il n’y a eu aucun harcèlement. Mme Green fait également valoir que ses droits à l’équité procédurale n’ont pas été respectés au cours de l’enquête sur le harcèlement qui a fallu 27 mois à achever.

[3]               La demande de contrôle judiciaire a été entendue en même temps que deux dossiers connexes déposés par Mme Green, soit les nos de dossiers de la Cour T‑129‑16 et T‑845‑16.

[4]               Je souligne que la demanderesse a désigné le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada en tant que défendeur. Selon le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, le défendeur approprié en l’espèce est le procureur général du Canada, puisque les ministères individuels ne peuvent pas être nommés en tant que défendeurs. L’intitulé est modifié en conséquence.

[5]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                    Faits

[6]               Le 28 mars 2013, Mme Green a déposé un grief de harcèlement contre AW et trois autres personnes à AADNC concernant les événements qui sont survenus entre 2012 et 2013. Mme Green a soutenu que pendant une discussion avec AW, il a déclaré qu’il utiliserait [traduction] « les entrailles » d’autres employés comme des [traduction] « jarretières ». Mme Green soutient en outre qu’AW a envoyé un courriel inapproprié comprenant de fausses allégations à l’égard de Mme Green et qu’il a approché Mme Green pour l’informer qu’elle avait [traduction] d’« importants ennemis » qui [TRADUCTION] « voulaient manger son foie ».

[7]               En août 2013, le défendeur a confirmé que les services de Quintet avaient été retenus pour enquêter le grief de Mme Green contre AW.

[8]               Le 10 octobre 2013, Mme Green a rencontré Susan Palmai [Mme Palmai], l’enquêtrice de Quintet et elle a fourni des documents à l’appui de son grief de harcèlement. Le 30 octobre 2013, Mme Green a eu l’occasion de formuler des commentaires sur les notes de Mme Palmai prises pendant cette entrevue.

[9]               Le 29 juillet et le 23 octobre 2014, AW a été interrogé.

[10]           Le 6 mars 2015, un rapport préliminaire a été rédigé par Mme Palmai et présenté au défendeur pour qu’il le distribue aux parties aux fins d’examen et de commentaires. Le 14 avril 2015, Mme Green et AW ont fourni des commentaires sur le rapport préliminaire.

[11]           Le 9 juin 2015, le rapport final de Quintet [le rapport] a été publié.

[12]           Le rapport a décrit les incidents de harcèlement comme suit :

  • AW a dit à un consultant que 16 employés avaient quitté le lieu de travail en raison de Mme Green et il a dit à Mme Green que [traduction] « tout le monde veut la berner »;
  • AW a interrogé de manière inappropriée l’assistant de Mme Green au sujet du voyage en Colombie‑Britannique de Mme Green qui a été annulé et il a envoyé un courriel aux supérieurs au sujet de la présumée mauvaise planification du voyage;
  • Le commentaire [traduction] « entrailles comme des jarretières », décrit dans la plainte initiale de Mme Green;
  • AW répand des rumeurs inappropriées à l’égard de Mme Green;
  • AW se livre au harcèlement envers Mme Green en communiquant à un supérieur une série de commentaires faux, non fondés et provocateurs et il menace Mme Green.

[13]           En général, selon le rapport, ces incidents ne répondaient pas à la définition de « harcèlement » prévue dans la Politique. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles AW aurait répandu de fausses rumeurs à l’égard de Mme Green, selon la conclusion dans le rapport, cela n’équivaut pas à un harcèlement. En outre, en ce qui concerne le supposé harcèlement par AW dans un courriel qui décrivait des menaces personnelles à l’endroit de Mme Green, selon la conclusion dans le rapport, ces allégations ne constituaient pas une attaque personnelle à l’endroit de Mme Green de la part d’AW et ne constituaient donc pas un harcèlement. Enfin, en ce qui concerne les divers cas dont Mme Green soutient que les mots utilisés et les gestes équivalaient au harcèlement, selon la conclusion dans le rapport, ceux‑ci non plus ne répondaient pas à la définition de harcèlement prévue dans la Politique.

[14]           Le 26 juin 2015, M. Wild a adopté le rapport de Quintet au moyen d’une lettre d’une page. Même si M. Wild a indiqué que les incidents ont [traduction] « causé une détresse » à Mme Green, il a conclu qu’ils ne répondaient pas à la définition de harcèlement.

[15]           Le processus d’enquête au complet a duré 27 mois, à compter du dépôt de la plainte de harcèlement jusqu’à la décision de M. Wild.

[16]           Le 30 juillet 2015, Mme Green a déposé un grief en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch 22, article 2 (maintenant la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral) à l’égard de la décision de M. Wild.

II.                 La décision faisant l’objet du contrôle

[17]           La décision faisant l’objet du contrôle est la décision rendue au dernier par Mme Laurendeau le 11 septembre 2015. Cette décision rejetait le grief de harcèlement au motif qu’il n’était pas fondé. Elle a également conclu que les droits de Mme Green à l’équité procédurale avaient été respectés tout au long de la procédure de règlement des griefs en indiquant qu’elle avait été interrogée, qu’elle avait eu l’occasion de formuler des commentaires sur le rapport provisoire et qu’elle avait été représentée par un conseiller juridique tout au long de la procédure. En ce qui concerne le retard de 27 mois, dans sa décision, Mme Laurendeau a accepté que les retards découlaient de circonstances atténuantes au sens de la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement [Directive] du Conseil du Trésor qui prescrit un délai de 12 mois pour les enquêtes sur le harcèlement, à l’exception de circonstances atténuantes.

III.               Questions en litige

[18]           Les questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

  1. Les objections à la preuve
  2. La décision est‑elle raisonnable?
  3. Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale?

IV.              Norme de contrôle

[19]           La norme de contrôle applicable au bien‑fondé d’une décision est celle de la décision raisonnable (Marszowski c Canada (Procureur général), 2015 CF 271, au paragraphe 37). En l’espèce, la Politique et la Directive aident à définir les limites d’une décision raisonnable, (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 72).

[20]           En ce qui concerne l’équité procédurale, la Cour a traditionnellement appliqué la norme de la décision correcte au titre de la norme de contrôle (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Toutefois, la Cour d’appel fédérale a récemment indiqué que la norme de contrôle applicable aux affaires concernant l’équité procédurale est en évolution constante (Vavilov c Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FCA 132, au paragraphe 11). Dans certains cas, la Cour d’appel fédérale fait preuve de retenue du « choix procédural » fait par les décideurs administratifs en ce qui concerne les droits à l’équité procédurale et, par conséquent, elle a adopté une approche fondée sur la décision raisonnable (Ré: Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, aux paragraphes 39 à 42).

[21]           Cette preuve de retenue est particulièrement pertinente en l’espèce puisque le texte de la Directive prévoit une certaine discrétion pour proroger la durée d’une enquête lorsqu’il existe des circonstances atténuantes. Toutefois, pour les motifs qui suivent, je conclus que Mme Green n’a pas établi un manquement à l’équité procédurale, peu importe la norme de contrôle appliquée.

V.                 Discussion

A.                 Les objections à la preuve

[22]           Le défendeur s’oppose à ce que la Cour tienne compte de diverses pièces jointes à l’affidavit de Mme Green signé le 27 novembre 2015. Il soutient que Mme Laurendeau n’avait pas été saisie de ces documents et, par conséquent, il n’est pas approprié d’en tenir compte au cours du présent contrôle judiciaire.

[23]           En règle générale, dans un contrôle judiciaire, le dossier aux fins d’examen par la Cour est le même que celui dont le décideur était saisi (Bekker c Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11) sous réserve des exceptions reconnues (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20).

[24]           Il est reconnu que des affidavits sont parfois nécessaires pour cerner les vices de procédures qui ne figurent pas au dossier (McFadyen c Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, au paragraphe 15). En l’espèce, Mme Green fait valoir des arguments concernant l’équité procédurale et, afin de complémenter le dossier, il lui incombe de démontrer comment les éléments de preuve étayent le fait que l’argument relatif à l’équité procédurale ne lui était pas disponible au moment de la décision faisant l’objet du contrôle (Bernard c Canada (Agence du revenu) 2015 CAF 263, au paragraphe 26 [Bernard]).

[25]           Les arguments concernant l’équité procédurale présentés par Mme Green au cours du contrôle judiciaire en ce qui concerne le retard ne sont pas les mêmes que ceux présentés devant Mme Laurendeau, même si les éléments de preuve invoqués par Mme Green pour étayer ces arguments lui étaient disponibles au moment de la décision de Mme Laurendeau. Le retard était déjà survenu lorsque Mme Green a fait valoir ses observations devant Mme Laurendeau. En conséquence, ces documents ne répondent pas à l’exception applicable aux questions de procédure établie dans Bernard, au paragraphe 25.

[26]           Je souscris donc à la thèse du défendeur et les pièces suivantes et les renvois à ces pièces figurant aux paragraphes de l’affidavit de Mme Green n’ont pas été pris en considération aux fins de ces motifs :

  1. les paragraphes 4 à 26, inclusivement;
  2. le paragraphe 35;
  3. les pièces B à Y, inclusivement;
  4. la pièce EE.

B.                 La décision est‑elle raisonnable?

[27]           Même si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire a été rendue au dernier palier par Mme Laurendeau, en fait, Mme Green attaque le rapport sur lequel la décision de Mme Laurendeau est fondée (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 37; Saber & Sone Group c Canada (Revenu national), 2014 CF 1119, au paragraphe 23).

[28]           Même si Mme Green a soulevé de nombreuses questions dans ses observations écrites, essentiellement, elle met l’accent sur quatre principales questions concernant le caractère raisonnable du rapport. En premier lieu, elle soutient que la mauvaise définition de harcèlement a été appliquée dans le rapport. En deuxième lieu, le rapport ne comporte aucune conclusion quant à l’un des commentaires le plus offensifs prononcés par AW, notamment le commentaire [traduction] « manger ton foie ». En troisième lieu, elle fait valoir que les autres conclusions de l’enquêtrice selon lesquelles il n’y a eu aucun harcèlement au sens de la Politique sont déraisonnables. Enfin, Mme Green soutient que Mme Laurendeau a tenu compte de facteurs non pertinents dans sa décision rendue au dernier palier.

(1)               La définition de harcèlement

[29]           La définition de harcèlement appliquée dans le rapport est étayée par la jurisprudence et la Politique même.

[30]           Voici la définition de harcèlement prévue dans la Politique :

Harcèlement (harassment)

Harassment (harcèlement)

comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.-à-d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée).

improper conduct by an individual, that is directed at and offensive to another individual in the workplace, including at any event or any location related to work, and that the individual knew or ought reasonably to have known would cause offence or harm. It comprises objectionable act(s), comment(s) or display(s) that demean, belittle, or cause personal humiliation or embarrassment, and any act of intimidation or threat. It also includes harassment within the meaning of the Canadian Human Rights Act (i.e. based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and pardoned conviction).

Le harcèlement est normalement défini comme une série d’incidents mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur l’individu.

Harassment is normally a series of incidents but can be one severe incident which has a lasting impact on the individual.

[31]           Le rapport comprend le résumé suivant de la définition de harcèlement :

[traduction]

La définition de harcèlement est essentielle à l’analyse. Il s’entend d’un comportement qui comprend les éléments nécessaires suivants :

        le comportement est inopportun;

        le comportement est offensant et envers la plaignante;

        le défendeur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice à la plaignante.

[32]           Le rapport indique que cette définition a été prise en considération dans le contexte de l’évaluation des plaintes de harcèlement comme suit :

[traduction]

Afin d’établir un harcèlement, il ne suffit pas la plaignante se ressente harcelée [...] Il est important que les éléments de preuve démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que la plaignante a été harcelée conformément à la définition et qu’il s’agirait d’une conclusion logique de toute personne raisonnable qui entend et examine les éléments de preuve.

Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un présumé comportement soit offensif : il doit également être en soi inopportun dans les circonstances.

Un certain niveau de gravité ou de répétition est requis pour étayer une conclusion selon laquelle un comportement inopportun constitue un harcèlement. Un seul incident grave de comportement inopportun ou une série d’incidents moins graves constitueront un harcèlement si une personne raisonnable parvenait à cette conclusion. Toutefois, un seul incident de comportement inopportun qui est moins grave n’est pas susceptible de constituer un harcèlement.

[33]           Il ressort clairement de cette analyse que l’enquêtrice estimait que le harcèlement comporte un élément objectif et que le harcèlement n’est pas susceptible de découler d’un seul commentaire isolé.

[34]           Mme Green soutient que cette approche en matière de harcèlement décrit dans le rapport constitue une version [traduction] « moins compliquée » de la définition de harcèlement prévue dans la Politique. En conséquence, Mme Green est d’avis que la totalité de l’analyse figurant au rapport est viciée.

[35]           Il est vrai que la définition de harcèlement figurant au rapport n’est pas la version mot pour mot de celle prévue dans la Politique. Cependant, la définition prévue au rapport est étayée par la jurisprudence portant sur l’interprétation de la Politique et de politiques semblables sur le harcèlement. Par exemple, la Cour a confirmé que le harcèlement comporte un élément objectif. Dans Ryan c Canada (Procureur général), 2005 CF 65, au paragraphe 29 [Ryan], la Cour a déclaré que toutes les accusations dans cette affaire devaient être considérées d’un point de vue à la fois subjectif et objectif. Dans cette affaire, il ne « suffi[sai]t pas que M. Ryan se soit senti harcelé, entravé, contraint et restreint ». Il était nécessaire que la Cour effectue une évaluation objective de la situation.

[36]           De même, la jurisprudence arbitrale confirme que le harcèlement consiste habituellement en une ligne de conduite examinée du point de vue objectif plutôt qu’un seul acte. Dans Joss c Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 2007 [sic], au paragraphe 64, la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP] de l’époque était saisie d’arguments portant sur la définition de harcèlement prévue dans une version antérieure de la Politique. La CRTFP a conclu que le harcèlement est généralement « comportement constant » qui « pris collectivement, sont malséants ou blessants pour la personne qui en fait l’objet [...] ». En même temps, comme dans Ryan, la CRTFP a également conclu que la « nature malséante ou blessante [du comportement] doit être raisonnablement évidente ».

[37]           En tenant compte de cette jurisprudence, l’enquêtrice n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu qu’une définition de harcèlement semblable, englobant un élément objectif, s’appliquait en l’espèce. L’approche en matière de harcèlement adoptée dans le rapport est étayée davantage par la complexité de l’enquête en l’espèce. En l’espèce, l’enquêtrice devait tenir compte de ce milieu de travail contextuellement dynamique où la supérieure (Mme Green) déposait des plaintes de harcèlement au sujet du comportement d’un subalterne (AW).

[38]           L’enquêtrice n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a adopté, à l’égard de la définition de harcèlement, une approche qui comprenait des facteurs contextuels et offrait une orientation objective en ce qui concerne les facteurs qui seraient pris en considération dans le cadre de l’enquête. En offrant cette orientation et ce cadre contextuel, l’enquêtrice n’a pas limité les éléments à prendre en considération qui sont importants aux fins d’une enquête sur le harcèlement et elle n’a pas limité non plus la définition de harcèlement.

[39]           En conséquence, dans son ensemble, l’approche en matière de harcèlement adoptée dans le rapport est raisonnable.

(2)               Le commentaire « foie »

[40]           Mme Green soutient que le rapport ne comprenait aucune conclusion quant à la plainte de harcèlement concernant le commentaire « foie ».

[41]           Dans le rapport, le commentaire « foie » est examiné en tenant compte des allégations que Mme Green soulève à l’égard d’AW dans le contexte d’un courriel anonymisé envoyé au ministre, au sous‑ministre et au sous‑ministre adjoint en novembre 2012 indiquant que Mme Green avait agi de manière inappropriée lorsqu’elle a planifié un voyage en Colombie‑Britannique.

[42]           Selon la conclusion dans le rapport, les éléments de preuve n’établissaient pas qu’AW avait envoyé le courriel anonymisé. Lorsqu’elle est parvenue à cette conclusion, l’enquêtrice a indiqué qu’AW a fait le commentaire « foie » lorsqu’il a informé Mme Green du courriel. En outre, l’enquêtrice a indiqué qu’AW avait reconnu avoir fait le commentaire « foie » à Mme Green. Toutefois, aucune conclusion n’a été rendue selon laquelle AW était l’auteur du courriel. En conséquence, le rapport comportait une conclusion précise concernant le courriel. Le commentaire « foie » a été pris en considération dans le contexte plus large dans lequel il a été fait [le courriel anonymisé]. Cette allégation n’a pas été ignorée par l’enquêtrice et a été effectivement mentionnée dans le rapport.

[43]           En outre, Mme Green elle‑même, dans les commentaires sur le rapport préliminaire, a abordé le commentaire « foie » dans le contexte de discussions tenues avec AW au sujet du courriel anonymisé. Qui plus est, Mme Green n’a pas mentionné le manque de conclusion concernant le « commentaire foie » dans ses observations sur le grief présentées à Mme Laurendeau.

[44]           En outre, l’argument de Mme Green selon lequel il n’y avait aucune conclusion concernant le commentaire « foie » constitue essentiellement une attaque sur le caractère adéquat des motifs. Le caractère adéquat des motifs ne justifie pas en soi l’annulation d’une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 17 [Nfld Nurses]. Il n’est pas nécessaire que les motifs comprennent chaque détail qu’un juge chargé du contrôle ou qu’un plaideur préférerait (Nfld Nurses, au paragraphe 16).

[45]           Le commentaire « foie » a été enquêté et a été raisonnablement pris en considération dans le rapport. Dans le rapport, l’allégation a été examinée dans le contexte dans lequel elle est survenue. Cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

(3)               Autres allégations de harcèlement

[46]           Le rapport présente une évaluation équilibrée des allégations de harcèlement contre AW. Il indique qu’AW [traduction] « a utilisé un langage exagéré et inapproprié ». En ce qui concerne sa conduite, le rapport indique qu’AW [traduction] « a consacré du temps et de l’énergie à examiner des questions qui ne relevaient pas de ses fonctions ». Le rapport indique également qu’il existe [traduction] « un conflit important et récurrent entre Mme Green et AW ».

[47]           Toutefois, le rapport indique que les commentaires d’AW [traduction] « ne constituaient pas une attaque personnelle contre Mme Green, mais plutôt son opinion quant à son rendement et à son style en tant que son supérieur et, par conséquent, ils ne sont pas inopportuns ». Selon une autre conclusion dans le rapport, les autres allégations soulevées par Mme Green ne constituaient pas un harcèlement aux termes de la Politique, dans certains cas, (par exemple le commentaire « entrailles comme des jarretières » les commentaires d’AW visaient d’autres personnes et non Mme Green. Dans d’autres cas, comme la présumée interrogation inappropriée de l’assistant de Mme Green et d’autres supposés commentaires, les commentaires d’AW n’ont pas été jugés équivaloir à un comportement de harcèlement conformément à la Politique.

[48]           Ces conclusions ne sont pas déraisonnables à la lumière de la définition prévue dans la Politique appliquée dans le rapport et la méthode experte d’enquête. En général, le rapport est exhaustif en ce qui concerne les constatations de fait et l’examen des éléments de preuve. Des entrevues ont été tenues avec les parties concernées et des déclarations d’un témoin ont été obtenues pour chaque allégation de harcèlement. Mme Green a eu l’occasion de présenter des commentaires sur le rapport préliminaire et de l’améliorer à l’aide de ses propres observations.

[49]           Vu l’ampleur et la période du présumé harcèlement, ainsi que le nombre de personnes qui ont dû être interrogées, il est clair qu’il s’agissait d’une enquête complexe et à multiples volets concernant une dynamique de travail compliquée. Pour ce motif, il ne faut pas oublier que la Politique prévoit que les enquêteurs choisis pour enquêter le harcèlement doivent avoir une expertise et des qualifications suffisantes pour justifier leur sélection. La Cour fait habituellement preuve de retenue à l’égard d’une telle expertise, surtout dans le contexte d’enquêtes sur le harcèlement (Thomas c Canada (Procureur général), 2013 CF 292).

[50]           Même si Mme Green ne souscrit pas au rapport Quintet et à son interprétation des éléments de preuve et des événements qui sont survenus avec AW, un désaccord ne justifie pas l’intervention de la Cour, surtout à la lumière de la retenue dont la Cour doit faire preuve à l’égard de l’expertise de l’enquêtrice.

[51]           De même, rien ne justifie que la Cour fasse référence à chaque conclusion et qu’elle soupèse de nouveau les éléments de preuve afin d’y substituer ses propres conclusions (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61). Conformément à Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir], la décision est intelligible, transparente et justifiable. Elle appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits complexes de l’espèce, de la Politique pertinente et du droit.

[52]           À la lumière de la déférence due au rapport, les conclusions portant sur les autres présumés cas de harcèlement sont raisonnables. Mme Green cherche simplement à examiner de nouveau les conclusions. Il ne revient pas à la Cour d’en faire ainsi au cours d’un contrôle judiciaire.

(4)               Prise en considération de facteurs non pertinents

[53]           Enfin, Mme Green soutient que Mme Laurendeau a pris en considération de manière inappropriée des renseignements tirés d’une affaire de la Commission des relations de travail dans la fonction publique qui la concernait. Même si le défendeur reconnaît que Mme Laurendeau disposait de ces renseignements, il fait valoir qu’il ne s’agit pas d’un facteur que Mme Laurendeau a pris en considération lorsqu’elle est parvenue à sa décision. Même si Mme Green soulève cet argument en tant que manquement à l’équité procédurale, il s’agit essentiellement d’une question visant le fond de la décision faisant l’objet du contrôle : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lotfi, 2012 CF 1089, au paragraphe 25. Une décision ne peut être justifiable, transparente et intelligible si elle est fondée sur des facteurs non pertinents (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[54]           Toutefois, même si Mme Laurendeau a tenu compte de faits non pertinents, cela ne permet pas en soi de rendre la décision déraisonnable. La décision est déraisonnable seulement si ces renseignements « non pertinents » constituent le fondement sur lequel la décision est prise (Goodrich Transport Ltd. c Administration Portuaire Vancouver Fraser, 2015 CF 520). Afin que l’erreur commise par un décideur administratif soit susceptible de révision, elle doit aller au cœur de la décision faisant l’objet du contrôle (Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 615, au paragraphe 23). En l’espèce, rien n’indique que ces renseignements non pertinents, s’ils ont été pris en considération, formaient la pierre angulaire de la décision.

[55]           Par conséquent, Mme Green n’a pas établi que Mme Laurendeau a tenu compte de renseignements de manière inappropriée.

C.                 Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale?

(1)               Questions soulevées pour la première fois au cours du présent contrôle judiciaire

[56]           Mme Green soulève trois questions quant à l’équité procédurale.

[57]           En tant que note préliminaire, deux de ces questions (ayant trait à la communication et à la possibilité d’y répondre) n’ont pas été soulevées devant Mme Laurendeau. Ces questions relatives à la procédure sont liées au processus d’enquête en soi. Elles ne doivent pas être examinées pour la première fois lors du contrôle judiciaire.

[58]           La Cour suprême a conclu qu’un demandeur ne peut pas soulever de nouveaux arguments lors du contrôle judiciaire : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 22 à 26 [Alberta Teachers]. Cela vaut particulièrement lors que la question soulevée a trait au « domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées » (Alberta Teachers, au paragraphe 25).

[59]           En l’espèce, Mme Green conteste des questions précises concernant le processus d’enquête, ce qui relève de l’expertise de l’enquêtrice. Même si le processus d’enquête est défini par la Politique et la Directive, une grande partie du processus est également définie par l’enquêtrice qui a l’expertise nécessaire pour répondre aux questions endémiques de nature délicate dans les plaintes de harcèlement.

[60]           Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Conseils des Canadiens avec déficiences c VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, aux paragraphes 230 et 231, les décideurs administratifs exercent avec raison le contrôle sur leurs propres attributions spécialisées et procédures dans les circonstances factuelles particulières. Le processus d’enquête en l’espèce n’est pas différent. Selon Alberta Teachers, Mme Green aurait dû avoir soulevé ces arguments devant Mme Laurendeau, qui les aurait examinés dans les circonstances et qui lui aurait peut‑être offert une réparation corrective à ce stade.

[61]           Cependant, Mme Green n’a pas soulevé ces questions devant Mme Laurendeau et, par conséquent, elles ne peuvent pas être examinées maintenant dans le présent contrôle judiciaire.

(2)               Retard

[62]           Mme Green soutient que la période de 27 mois qu’il a fallu pour trancher sa plainte de harcèlement par rapport au délai de 12 mois prescrit dans la Directive porte atteinte à ses droits à l’équité procédurale.

[63]           La Directive énonce que les enquêtes devraient « normalement » être terminées dans les 12 mois, à moins qu’il n’y ait des « circonstances atténuantes ». Lorsque les décideurs codifient de telles politiques, comme en l’espèce, cette codification établit le fondement de l’équité procédurale (Potvin c Canada (Procureur général), 2005 CF 391, au paragraphe 21). Vu que la disposition prévoyant les « circonstances atténuantes » constitue un élément de l’équité procédurale dans les circonstances, ce libellé offre une certaine souplesse à ce que les enquêtes soient menées au‑delà de la période de 12 mois, au besoin.

[64]           En outre, la période de 12 mois prévue dans la Directive n’est pas nécessairement déterminante du délai nécessaire pour mener une enquête. Une décideuse ne peut pas se lier aux termes de la Directive, limitant ainsi son pouvoir discrétionnaire de tenir compte de circonstances précises d’une affaire particulière (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198).

[65]           Mme Green déclare que le défendeur n’a pas justifié le retard en l’espèce à l’aide de circonstances atténuantes valables. Toutefois, il s’agissait d’une enquête complexe, concernant de nombreuses parties, dans un milieu de travail particulièrement difficile. En raison de cette complexité, la Directive énonce au paragraphe 6.1.1 qu’un enquêteur qualifié devrait être choisi pour mener une enquête, en partie en vue d’assurer le respect des principes d’équité procédurale. En l’espèce, il a fallu du temps pour le défendeur de choisir une enquêtrice qualifiée appropriée – environ cinq mois.

[66]           La tenue de l’enquête et la rédaction du rapport ont été retardées par la complexité des faits, ce qui était justifié. Étant donné la période visée par la plainte de harcèlement, la nature variée du comportement en litige, ainsi que les problèmes de santé de Mme Green et d’AW pendant l’enquête, la durée qu’il a fallu pour achever l’enquête et le rapport sur le grief de Mme Green n’était pas déraisonnable et ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

VI.              Conclusion

[67]           Pour les motifs qui précédents, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VII.            Dépens

[68]           Les dépens de 2 000 $ sont adjugés en faveur du défendeur.


JUGEMENT dans T‑1721‑15

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens, fixés à 2 000 $ en faveur du défendeur.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1721‑15

INTITULÉ :

KATHARINE GREEN c AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, Ontario

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Me Andrew Lister

pour la demanderesse

Me Richard Fader

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lister-Beaupré

Avocats et procureurs

Ottawa (Ontario)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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