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Date : 20171207


Dossier : T-845-16

Référence : 2017 CF 1122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KATHARINE GREEN

demanderesse

et

AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la sous-ministre adjointe d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada [AADNC] (maintenant appelé Affaires autochtones et du Nord Canada), Mme Hélène Laurendeau, par laquelle elle a rejeté le grief déposé par Mme Katharine Green en application du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP) (maintenant appelée la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral). Mme Laurendeau a conclu qu’il n’y avait pas eu harcèlement au sens de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor (la Politique) et de la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor (la Directive).

[2]  Mme Green allègue, dans son grief de harcèlement, qu’on ne lui a pas accordé la possibilité de répondre à une plainte de harcèlement déposée contre elle par son subordonné, appelé MG, et que ce manquement allégué à l’équité procédurale constituait du harcèlement aux termes de la Politique. Elle soutient aussi que Mme Laurendeau a commis une erreur quand elle a conclu que sa plainte était prescrite en raison du délai de 12 mois s’appliquant aux plaintes de harcèlement, énoncé dans la Directive.

[3]  La présente demande de contrôle judiciaire a été entendue en même temps que deux demandes de contrôle judiciaire connexes déposées par Mme Green dans les dossiers de la Cour nos T-1721-15 et T-129-16.

[4]  La demanderesse a désigné le ministère des Affaires autochtones et du Nord à titre de défendeur. Aux termes du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, le procureur général du Canada est celui qu’il convient de désigner à titre de défendeur en l’espèce, puisqu’un ministère ne saurait être désigné à titre de défendeur. L’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Résumé des faits

[6]  Le 19 juin 2012, MG a déposé un grief de harcèlement contre Mme Green (le grief de MG). Mme Green a été informée de ce grief le 21 juin 2012.

[7]  Le 27 juin 2012, une audience sur le grief a eu lieu. MG a aussi participé à une deuxième rencontre concernant son grief le 24 juillet 2012. Mme Green n’a pas été invitée à participer à ces rencontres, pas plus qu’elle n’a reçu de copie du grief. Le 26 juillet 2012, une décision a été rendue par laquelle le grief de MG a été [traduction] « maintenu en partie », et il a été réaffecté à un autre ministère. La décision ne comportait aucune conclusion concernant les allégations de harcèlement.

[8]  Le 5 août 2012, Mme Green a été informée que le grief de MG n’était [traduction] « pas maintenu » et qu’il avait été réaffecté.

[9]  Le 28 mars 2013, Mme Green a présenté son propre grief dans lequel elle alléguait que le grief de MG avait été mal traité. Ce grief comportait aussi des allégations contre d’autres employés, qui font l’objet de la demande dans le dossier de la Cour no T-1721-15.

[10]  Au mois de février 2015, dans le contexte d’un grief distinct devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la CRTEFP), le défendeur a révélé à Mme Green la décision rendue concernant le grief de MG de 2012. Cette décision soulignait que le grief de MG était [traduction] « maintenu en partie ». En réponse, le 30 novembre 2015, Mme Green a déposé une plainte de harcèlement aux termes de la Politique, dans laquelle elle alléguait un manquement [traduction] « à la justice naturelle et à l’équité procédurale », parce qu’on ne lui avait pas fourni la documentation concernant le grief de MG, et qu’on n’avait prétendument pas été clair quant à la résolution du grief de MG.

[11]  Le 3 février 2016, M. Joe Wild, sous-ministre adjoint principal, Traités et gouvernement autochtone, a rejeté la plainte de harcèlement de Mme Green parce qu’elle avait été déposée en dehors du délai de 12 mois prévu dans la Directive, et parce que les actes du décideur dans le grief de MG ne correspondaient pas à la définition de harcèlement prévue par la Politique.

[12]  Le 4 mars 2016, Mme Green a présenté un grief à l’encontre de cette décision en application du paragraphe 208(1) de la LRTFP.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[13]  La décision rendue par Mme Laurendeau le 28 avril 2016 au dernier palier de la procédure est la décision visée par le présent contrôle (la décision Laurendeau).

[14]  Mme Laurendeau a rejeté le grief de Mme Green parce qu’il avait été déposé en dehors du délai de 12 mois prévu par la Directive. Même si la Directive prévoit la prorogation de ce délai en présence de « circonstances atténuantes », Mme Laurendeau a conclu qu’aucune circonstance atténuante n’avait été avancée. De plus, la décision Laurendeau soulignait qu’au moment pertinent, Mme Green avait été informée de la réaffectation de MG en guise de mesure corrective prise en réponse à son grief. Par conséquent, selon Mme Laurendeau, étant donné que la partie du grief de MG portant sur le harcèlement n’avait pas été maintenue, aucun renseignement inexact n’a été fourni à Mme Green. Mme Laurendeau a conclu que la divulgation faite à Mme Green en réponse à la plainte devant la CRTEFP ne consistait pas en des nouveaux renseignements, parce que les faits importants liés à cette divulgation – soit que MG était transféré en réponse à son grief – ont été communiqués à Mme Green en 2012. Mme Laurendeau a aussi conclu qu’il n’existait aucune obligation de divulguer à Mme Green quelque partie que ce soit du grief de MG concernant son affectation.

III.  Questions en litige

[15]  Mme Green soulève les questions suivantes concernant la décision Laurendeau :

  1. La décision est-elle raisonnable?
  2. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale équivalant à du harcèlement aux termes de la Politique?

IV.  Norme de contrôle

[16]  La norme de contrôle applicable aux décisions rendues aux termes de la Politique est celle de la décision raisonnable, car elles concernent l’interprétation et l’application de la Politique et de la Directive (Marszowski c Canada (Procureur général)), 2015 CF 271, au paragraphe 37).

[17]  En ce qui concerne les questions d’équité procédurale soulevées par Mme Green, notre Cour a toujours appliqué la norme de contrôle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

[18]  Toutefois, la Cour d’appel fédérale a souligné récemment que la norme de contrôle devant s’appliquer aux questions liées à l’équité procédurale ne fait pas l’unanimité (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, au paragraphe 11; Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux paragraphes 67 à 72).

[19]  En l’espèce, l’argument présenté veut que le manquement allégué à l’équité procédurale constitue du harcèlement aux termes de la Politique. Mme Green soutient que les manquements à l’équité procédurale correspondent à la définition de harcèlement prévue à la Politique.

[20]  Par conséquent, la question de savoir si les allégations de Mme Green liées à l’équité procédurale constituent du harcèlement est une question qui concerne l’interprétation et l’application de la Politique. Cette question est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

V.  Discussion

A.  La décision est-elle raisonnable?

[21]  Mme Green soutient que les détails de la plainte de harcèlement de MG lui ont été cachés, et qu’elle a été induite en erreur concernant l’issue de ce grief jusqu’à l’instance devant la CRTEFP en 2015. Par conséquent, elle soutient que la conclusion selon laquelle son grief a été déposé en dehors du délai de 12 mois est déraisonnable, et que l’exception prévue par la Directive en cas de « circonstances atténuantes » aurait dû s’appliquer.

[22]  L’essentiel de la décision Laurendeau est que le grief de Mme Green a été déposé trop tard, soit en dehors du délai de 12 mois. Les événements visés par le grief de MG se sont produits en 2012. Mme Green n’a déposé son grief qu’en 2015. Par conséquent, Mme Laurendeau a conclu qu’il n’était pas justifié d’appliquer l’exception dans ces circonstances.

[23]  En fait, aucune conclusion concrète n’a été tirée concernant les allégations de harcèlement formulées dans le grief de MG. Le nom de Mme Green n’est pas mentionné dans la décision. Mme Green a été informée dans un courriel daté du 5 août 2012 que le grief n’était pas maintenu, et la réaffectation de MG a été expliquée. Mme Green a soulevé des objections concernant la réaffectation, accordée en guise de recours en réponse au grief. Toutefois, le 5 août 2012, Mme Green a été informée que la réaffectation était accordée à MG. Étant donné que le motif d’opposition fondamental soulevé par Mme Green à l’encontre de la décision Laurendeau visait la réaffectation de MG, elle aurait dû présenter un grief à l’encontre de la décision de réaffecter MG en 2012.

[24]  Les seuls [traduction] « nouveaux » renseignements que Mme Green a appris de la décision écrite, qu’elle a reçue en 2015, étaient la mention que le grief avait été maintenu en partie, en faisant référence au fait que la mesure corrective demandée par MG sous la forme d’une réaffectation avait été accordée. Toutefois, les termes employés pour décrire la résolution du grief de MG, qui allaient de [traduction] « pas maintenu » dans le courriel adressé à Mme Green à [traduction] « maintenu en partie » dans la lettre adressée à MG, ne changent en rien l’essentiel de la décision, qui visait une réaffectation et ne contenait aucune conclusion concernant la partie du grief de MG qui portait sur le harcèlement.

[25]  Compte tenu de la déférence à laquelle a droit Mme Laurendeau concernant l’interprétation et l’application de la Directive, sa décision selon laquelle les faits ne justifiaient pas une exception au délai de 12 mois est raisonnable.

B.  Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale équivalant à du harcèlement aux termes de la Politique?

[26]  Mme Green affirme avoir été privée du droit de connaître les allégations portées contre elle par MG et d’y répondre, et que cela équivalait à du harcèlement.

[27]  Toutefois, avant de pouvoir soutenir qu’elle a été privée de certains droits, Mme Green doit d’abord établir qu’elle avait ces droits dans le contexte de la procédure de grief de MG.

[28]  La Politique et la Directive codifient la teneur de l’équité procédurale en l’espèce (Potvin c Canada (Procureur général), 2005 CF 391, au paragraphe 23). Notre Cour a conclu que l’obligation d’agir équitablement lors d’une procédure de grief menée aux termes de la LRTFP se situait au bas de l’échelle (Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 35, confirmée par 2009 CAF 364). Ainsi, à part l’obligation d’informer un défendeur d’une plainte de harcèlement, ce qui a été fait en l’espèce, la Politique et la Directive n’accordent généralement pas à Mme Green, en tant que personne visée par une plainte, des droits explicites de divulgation ou d’intervention.

[29]  Outre le fait qu’aucune conclusion n’a été tirée concernant la partie du grief de MG qui portait sur le harcèlement, Mme Green n’a pas réussi à établir qu’il y a eu iniquité générale dans le déroulement de la procédure relative au grief de MG.

[30]  Toutefois, même s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale sur la foi de ces faits, ce ne serait toutefois pas suffisant pour que Mme Green obtienne gain de cause. Comme Mme Green a présenté son argumentation concernant l’équité procédurale sous la forme d’une plainte de harcèlement, elle doit répondre à la définition de harcèlement dans le contexte de la Politique (Houle-Mrak c Canada (Procureur général), 2013 CF 727, au paragraphe 55), qui prévoit ce qui suit :

Harcèlement (harassment)

Harassment (harcèlement)

comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.-à-d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée).

improper conduct by an individual, that is directed at and offensive to another individual in the workplace, including at any event or any location related to work, and that the individual knew or ought reasonably to have known would cause offence or harm. It comprises objectionable act(s), comment(s) or display(s) that demean, belittle, or cause personal humiliation or embarrassment, and any act of intimidation or threat. It also includes harassment within the meaning of the Canadian Human Rights Act (i.e. based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and pardoned conviction).

Le harcèlement est normalement défini comme une série d’incidents mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur l’individu.

Harassment is normally a series of incidents but can be one severe incident which has a lasting impact on the individual.

[31]  Sur la foi des faits présentés, Mme Laurendeau a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale, en contravention de la Politique. Il s’agit d’une conclusion raisonnable. Bien que Mme Green ait soutenu que la réaffectation de MG a miné son autorité en tant que gestionnaire, cela ne suffisait pas en soi pour établir un cas de harcèlement. Il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel la décision et la procédure suivie pour réaffecter MG constituaient un « acte » qui « humilie ou embarrasse une personne ».

[32]  Compte tenu du degré de déférence à accorder dans l’application de la Politique, il était raisonnable de la part de Mme Laurendeau de conclure que les allégations d’ordre procédural ne donnaient pas ouverture à du harcèlement, selon les termes de la Politique. Mme Green a été informée qu’elle n’avait aucun droit à la divulgation. La décision de Mme Laurendeau selon laquelle il n’existait aucune obligation de divulguer le contenu du grief à Mme Green est raisonnable, puisqu’aucune conclusion concrète de harcèlement n’avait été tirée concernant le grief de MG.

[33]  Étant donné que Mme Laurendeau a agi conformément à la Politique et à la Directive, il n’y a aucune raison justifiant que la Cour intervienne concernant son application de la Politique, et aucune question d’équité procédurale n’est soulevée.

VI.  Conclusion

[34]  Dans son avis de demande, Mme Green a demandé d’être indemnisée pour la souffrance morale et les préjudices pécuniaires qu’elle a subis.

[35]  Nonobstant l’absence d’éléments de preuve appuyant cette demande de dommages-intérêts, Mme Green ne peut demander une compensation monétaire lors d’un contrôle judiciaire. Il est admis que notre Cour n’a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire, puisqu’ils ne sont pas prévus au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales (Canada c Tremblay, 2004 CAF 172, au paragraphe 28; Lac c Canada (Procureur général), 2014 CF 565, au paragraphe 34).

[36]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens de 2 000 $ en faveur du défendeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-845-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le défendeur a droit à des dépens de 2 000 $.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-845-16

INTITULÉ :

KATHARINE GREEN c AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 7 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Andrew Lister

Pour la demanderesse

Richard Fader

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lister-Beaupré

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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