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Date : 20171214

Dossier : IMM-1636-17

Référence : 2017 CF 1146

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SEYED MUSTAFA MOOSAVY KHANSARY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une décision défavorable suite à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) par un agent chargé de l’ERAR (l’agent), rendue le 27 mars 2017, qui conclut que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire pour un nouvel examen par un autre agent.

[2]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, âgé de 34 ans, est un citoyen de l’Iran et n’est citoyen d’aucun autre pays. Le demandeur vient d’une famille qui appartient à la secte soufie de Nematollahi Gonabadi Dervish. Sa famille a des antécédents allégués de persécution parce qu’ils sont soufis et en faveur de la monarchie.

[4]  Le demandeur est entré au Canada le 17 août 2013, à Toronto (Ontario).

[5]  Le demandeur s’était d’abord rendu au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) d’Etobicoke pour entamer sa demande en novembre 2013, présentant son premier formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) le 30 septembre 2013 (FDA de 2013). Toutefois, on l’a renvoyé et on lui a dit d’obtenir ses documents de réfugié de la Norvège et du Danemark.

[6]  Le demandeur n’a pas divulgué ses demandes d’asile précédentes dans son FDA de 2013, en revanche, il a inventé une histoire selon laquelle il était en Iran pendant la période de 2005 à 2012. Le demandeur prétend que l’agent qui l’a aidé à venir au Canada était très insistant lorsqu’il lui a dit de ne pas divulguer qu’il avait demandé l’asile en Norvège. Il prétend que l’agent lui a dit que, si le demandeur le faisait, il serait arrêté et déporté en Norvège, puis, de là, en Iran. Le demandeur avait précédemment tenté de venir au Canada, mais il avait été détenu au Danemark, puis déporté en Norvège.

[7]  Le demandeur a par la suite révisé son exposé des faits et rempli un deuxième formulaire FDA en janvier 2014 (FDA de 2014), qu’il a présenté lorsqu’il est retourné au bureau de CIC. Sa demande a été renvoyée à la Section de la protection des réfugiés le 23 janvier 2014.

[8]  Le 23 janvier 2014, le demandeur a fait l’objet d’un rapport en application du paragraphe 44(1), étant donné qu’il était apparemment entré au Canada avec un faux passeport et n’avait ni le visa ni les autres documents nécessaires en vertu des règlements pour établir sa résidence permanente au Canada.

[9]  Le demandeur et son avocat ne se sont pas présentés à de nombreuses audiences prévues concernant la demande d’asile. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés a prononcé le désistement de la demande le 18 novembre 2014.

[10]  Un mandat a été délivré pour l’arrestation du demandeur le 2 mars 2015, étant donné qu’il ne s’était pas présenté à une entrevue préalable à la mesure de renvoi le 17 décembre 2014.

[11]  Le demandeur n’était pas admissible à un ERAR en raison d’une prescription d’un an.

[12]  Une requête en réouverture d’audience pour la demande d’asile du demandeur a été reçue le 19 juin 2015.

[13]  Le 19 juin 2015, le demandeur a fait l’objet d’un autre rapport en application du paragraphe 44(1) étant donné que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait conclu qu’il était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR pour [traduction] « avoir commis, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ».

[14]  Le demandeur a été reconnu coupable par un juge au Danemark et a purgé une peine d’emprisonnement de soixante-dix (70) jours pour l’utilisation d’un passeport frauduleux. Cette infraction pénale, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction en application de l’article 403 du Code criminel du Canada, notamment la fraude d’identité, qui est punissable en tant qu’acte criminel.

[15]  La requête en réouverture d’audience pour la demande d’asile du demandeur a été rejetée le 22 juin 2015. Une demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision défavorable a été rejetée par notre Cour le 19 novembre 2015.

[16]  Le renvoi du demandeur a ensuite été prévu le 23 juin 2015, sans examen des risques. Il a présenté une demande de report du renvoi. Il a également présenté une requête d’urgence afin que son renvoi soit reporté. La requête d’urgence pour que son renvoi soit reporté devait être entendue le 23 juin 2015.

[17]  Le demandeur n’avait pas de passeport iranien et ne pouvait pas en obtenir un étant donné que le Canada avait mis fin à ses relations diplomatiques avec l’Iran, avait fermé son ambassade à Téhéran, avait expulsé les diplomates iraniens du Canada et avait fermé l’ambassade iranienne.

[18]  Le demandeur a été informé par les agents de l’ASFC qui l’escortaient qu’il allait être renvoyé au moyen d’un document de voyage. Le seul document de voyage disponible à l’ASFC était un document de voyage canadien.

[19]  Le demandeur a également présenté une demande urgente pour des mesures provisoires auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU). Le CDHNU a accordé les mesures provisoires et demandé que le Canada n’expulse pas le demandeur. Son expulsion a été annulée avant que la requête en sursis ne soit entendue. Le demandeur a demandé que la requête en sursis soit ajournée sine die, ce qui a été accordé par la Cour.

[20]  Le demandeur a présenté une demande d’ERAR en 2016, après être devenu admissible.

[21]  L’agent chargé de l’ERAR a examiné l’exposé de faits du FDA de 2013 du demandeur, selon lequel il était en Iran jusqu’en 2012, qui avait été rédigé précédemment pour sa demande d’asile. Le demandeur n’a pas présenté son FDA de 2014 avec son ERAR, il n’a donc pas été examiné par l’agent.

[22]  Le demandeur a soutenu, dans son FDA de 2013, qu’il était exposé à un risque de persécution ou de préjudice en Iran en raison de ses opinions politiques, de sa conversion de la religion musulmane à la religion chrétienne et parce qu’il est monarchiste.

[23]  La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée le 27 mars 2017.

III.  Décision contestée

[24]  L’agent a rejeté l’ERAR du demandeur au motif [traduction] « qu’il avait été décidé que [il] ne serait pas assujetti à un risque de persécution, à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait dans [son] pays d’origine ou de résidence habituelle ».

[25]  L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer les allégations de risque du demandeur aux fins de son ERAR. L’agent a indiqué plusieurs lacunes qui ont mené à cette conclusion, y compris ce qui suit :

  • Aucun témoignage sous serment des membres de sa famille en Iran pour appuyer ses prétendus risques.

  • Aucune preuve objective, telle qu’un rapport de police ou des rapports médicaux, pour démontrer que le demandeur ou des membres de sa famille avaient été arrêtés, détenus, menacés, battus et/ou torturés en Iran en raison de leurs croyances religieuses ou politiques ou pour tout autre motif.

  • Aucune preuve objective ne permet d’affirmer que sa tante et son oncle ont obtenu le statut de réfugié en Suède, ni pour quels motifs on leur a reconnu le statut de réfugiés.

  • Aucune preuve corroborante ne permet d’affirmer que deux de ses parents éloignés ont été arrêtés, accusés d’être communistes et exécutés.

  • Aucune preuve ne permet d’affirmer qu’il était membre d’un groupe politique en Iran, qu’il distribuait des brochures pour ce groupe, ou qu’il présentait un intérêt pour les autorités iraniennes en raison de son appartenance à un groupe politique en Iran.

  • Bien qu’il ait été détenu pendant 6 heures après son retour en Iran en 2012 pour renouveler son passeport, il a été libéré et n’a été ni battu ni torturé pendant sa détention.

  • Aucune preuve de son père concernant l’offre de fonds pour retenir l’acte de cession de leur maison à la suite de la libération du demandeur lors de son retour au pays en 2012.

  • Aucune preuve de la raison pour laquelle il sentait le besoin de fuir son pays après sa détention en 2012.

  • Aucune preuve qu’il n’avait pas le droit de sortir librement de l’Iran, d’y rentrer et d’en ressortir pendant ses voyages.

  • Aucune preuve qu’il avait résidé en Iran de 2005 à 2013.

  • Aucune preuve que les autorités iraniennes ont connaissance de son appartenance au groupe monarchiste aux États-Unis ni de sa conversion à la religion chrétienne.

  • Aucune preuve ni aucun exemple de la façon dont ceux qui sont retournés en Iran de l’étranger ont subi des préjudices et comment ces situations pouvaient être comparées à la sienne.

  • Aucune preuve de ses risques personnalisés prospectifs en Iran; aucune preuve ne permet d’affirmer que son profil en Iran est semblable à ceux qui seraient actuellement exposés au risque de persécution ou de préjudice en Iran.

IV.  Questions

[26]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il tiré des conclusions déguisées quant à la crédibilité?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir une audience?

  3. L’agent a-t-il mal interprété les éléments de preuve ou n’en a-t-il pas tenu compte?

V.  Norme de contrôle

[27]  Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce et que la décision doit « appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Il convient de faire preuve de retenue considérable à l’égard de la décision rendue par l’agent chargé de l’ERAR, plus particulièrement à l’égard du poids accordé aux éléments de preuve qui lui sont présentés. Le droit d’audience exige une analyse attentive des faits et se caractérise par une question mixte de faits et de droit, appelant également la norme de la décision raisonnable : Seyobooka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 514, au paragraphe 29.

VI.  Discussion

[28]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent devrait être annulée en vertu des trois arguments suivants : l’agent a tiré des conclusions déguisées quant à la crédibilité, l’agent a commis une erreur en omettant de tenir une audience et l’agent a mal interprété les éléments de preuve ou n’en a pas tenu compte. Une conclusion selon laquelle l’agent a tiré des conclusions déguisées quant à la crédibilité aurait une incidence sur l’omission de mener une audience orale. Ces deux arguments seront donc examinés ensemble.

A.  Les conclusions déguisées quant à la crédibilité et l’omission de tenir une audience

1)  Le besoin de corroboration

[29]  Le demandeur soutient qu’en demandant la corroboration, l’agent indiquait clairement qu’il y avait des doutes quant à la crédibilité, qu’il tentait de masquer en avançant que les éléments de preuve étaient insuffisants. La Cour est en désaccord avec cette conclusion. Monsieur le juge Zinn, dans Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27, [Ferguson] indique que « [l]a preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause » peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, parce que généralement, elle « requiert une corroboration pour avoir une valeur probante ». Il ajoute que cette tâche peut être entreprise avant l’examen de sa crédibilité. La Cour a déjà noté une liste de questions incluses dans la décision de l’agent où de nombreuses allégations ont été rejetées en raison du manque d’éléments de preuve objectifs à l’appui des allégations de risques.

[30]  Le demandeur soutient que l’agent a fait fi de la jurisprudence concernant l’acceptation des témoignages assermentés en l’absence de preuve contradictoire, y compris le besoin de corroboration : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado]. La décision dans Maldonado a été considérablement tempérée depuis qu’elle a été rendue pour la première fois en 1980. Le fait qu’un demandeur atteste la véracité de la preuve corroborante ne s’applique plus, étant donné que c’est une proposition circulaire. En outre, tandis que les éléments de preuve du demandeur sont acceptés sur présentation, le besoin de corroboration a été reconnu comme devant leur donner plus de poids lorsque l’exposé des faits soulève des questions d’improbabilité et l’intérêt de l’auteur réduit sa valeur probante, selon Ferguson, précitée.

[31]  La Cour n’est pas non plus d’accord avec l’application du courant jurisprudentiel de Maldonado aux éléments de preuve qui surviennent et sont disponibles au Canada, contrairement à ceux qui proviennent de pays étrangers, où l’obtention de la preuve corroborante ajoute au risque, ou il est prouvé qu’elle pose des difficultés dans des situations de fuite. En ce qui concerne les éléments de preuve disponibles au Canada, tels que la pratique régulière du prosélytisme par le demandeur, il est attendu que la partie qui cherche à prouver un fait se conforme aux hautes normes du Canada de présenter les meilleurs éléments de preuve possible pour prouver un fait important allégué.

L’insuffisance des éléments de preuve

[32]  Comme il est décrit dans Ferguson, un décideur peut rejeter un fait ou une conclusion au motif d’insuffisance d’éléments de preuve à l’appui sans avoir la nécessité de tirer des conclusions quant à la crédibilité. Alors qu’il peut y avoir des questions de crédibilité susceptibles d’avoir une incidence sur les conclusions de fait, comme il y en a en l’espèce, un décideur n’est pas tenu d’y faire allusion lorsque les éléments de preuve n’appuient pas la conclusion revendiquée par la partie qui l’invoque. En substance, le concept de l’insuffisance est qu’une partie n’a pas établi la probabilité pour appuyer un fait ou une conclusion, de sorte qu’il ne soit plus nécessaire d’examiner toute incohérence interne ou toute question de crédibilité extrinsèque telle que la coïncidence de la chronologie des événements qui remettent en question la véracité du témoignage du témoin, qui n’est pas accepté.

[33]  En l’espèce, l’agent a mené un examen minutieux et approfondi des éléments de preuve détaillés présentés par le demandeur sur quelque 17 pages de motifs. L’agent a admis que le demandeur était initialement soufi, mais qu’il s’est converti à la religion chrétienne alors qu’il était en Grèce, et qu’il était également membre d’un groupe monarchiste aux États-Unis. Toutefois, il a également conclu régulièrement que les éléments de preuve du demandeur n’appuyaient pas le fait que les autorités iraniennes le considéreraient comme une personne présentant un intérêt particulier lors de son retour en Iran pour les raisons avancées. Ces conclusions ne s’appuyaient pas sur un manque de crédibilité.

[34]  La question du caractère suffisant de la preuve est également liée à la revendication du demandeur selon laquelle l’agent avait remis en question le fond de ses croyances religieuses, tandis que la Cour conclut que ce n’est pas le cas. L’agent a admis que le demandeur s’était converti à une religion évangélisatrice protestante luthérienne au Canada trois mois après son arrivée dans le pays. Toutefois, l’agent a conclu que les éléments de preuve du demandeur n’appuyaient pas le fait qu’il pratiquait le prosélytisme au Canada ou qu’il avait l’intention ou le souhait de le faire en Iran, de sorte qu’il serait exposé à un risque en raison de sa conversion. Par exemple, tandis que le pasteur de son église a confirmé que ses membres s’adressaient aux [traduction] « personnes de notre communauté » et qu’ils s’efforcent de vivre une certaine vision en établissant des liens avec la communauté en dehors de la congrégation, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve objective qu’il avait agi de la sorte. Il n’y avait aucune nécessité de remettre en question la crédibilité de ses revendications de prosélytisme de proximité alors que les éléments de preuve n’ont pas démontré qu’il menait cette activité en public, ou de même, qu’il participait aux fonctions officielles au nom de l’église.

[35]  Le demandeur a également soutenu que l’omission d’accorder un poids aux lettres d’un conseiller au Centre canadien pour victimes de la torture et d’un rapport de psychothérapeute constituait une forme de conclusion déguisée quant à la crédibilité. Il ne s’agissait pas de conclusions de crédibilité, étant donné que l’agent a conclu que le demandeur avait omis de fournir des éléments de preuve objectifs qui corroborent les événements traumatisants allégués dont il affirme qu’ils ont eu lieu en Iran, et qui constituent le fondement des rapports. En outre, ces éléments de preuve sont peu pertinents pour des questions de risque dans une procédure d’ERAR. Cette affaire porte sur le comportement allégué du demandeur au Canada et à l’étranger, et non son état d’esprit.

[36]  Lors de la discussion de la thérapie liée au traumatisme selon le rapport du conseiller, la Cour conclut que la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, sur laquelle s’appuie le demandeur ne s’applique pas. La Cour a énoncé que le fondement factuel et la question en litige dans cette affaire étaient qu’alors que l’agente « ne conteste pas le rapport de la psychologue », elle a conclu que l’avis médical « repose essentiellement sur du ouï-dire » étant donné que la psychologue « n’a pas été témoin des faits à l’origine de l’anxiété vécue par le demandeur » : Ibid., au paragraphe 49. En l’espèce, le rapport n’a pas été accepté parce que l’historique du demandeur noté par le médecin et sur lequel s’appuyaient le diagnostic et le pronostic n’étaient pas suffisamment appuyés par les éléments de preuve.

[37]  La décision dans Cho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1299, ne s’applique pas non plus à ces questions. Elle comprenait des déclarations incohérentes, à savoir : « L’agent a précisé qu’il tirait [traduction] “une inférence défavorable du fait que jusqu’à ce que le demandeur retire sa première demande d’asile [en 2006], celui-ci n’avait apparemment pas soulevé [les agressions de 2005]…” » : Ibid., au paragraphe 26. Les déclarations incohérentes, qui peuvent poser des problèmes soit de crédibilité soit de suffisance selon la façon dont elles sont examinées par le décideur, ne sont pas le problème en l’espèce, mais ce qui pose problème est un défaut de corroborer correctement une déclaration qui n’a pas été contredite, aussi bien que de fournir une corroboration claire et convaincante que l’on pourrait attendre d’une activité entièrement permise menée au Canada.

[38]  Les allusions de l’agent concernant le début de la résidence du demandeur en 2005 ne soulèvent pas non plus des questions de crédibilité. Les commentaires sur ces allusions ne portaient que sur le fait que le demandeur n’avait pas fourni une explication de l’incohérence liée à l’endroit où il se trouvait, de sorte que l’agent s’est appuyé sur les éléments de preuve de ses amis en Grèce et du pasteur principal de son église pour conclure qu’il ne résidait pas en Iran de 2005 à 2013. Il n’y avait aucun commentaire au sujet de sa crédibilité concernant cette preuve. Dans tous les cas, elle avait trait à ses appartenances politiques alléguées et aux événements connexes en Iran, qui n’étaient jamais suffisamment corroborés.

[39]  La Cour conclut que les conclusions factuelles de l’agent étaient suffisamment appuyées par les éléments de preuve et ne constituaient pas des conclusions déguisées quant à la crédibilité, et ne satisfaisaient pas non plus aux exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR, ni à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 qui sont à l’origine de l’exigence de tenir une audience.

B.  L’agent a mal interprété les éléments de preuve ou n’en a pas tenu compte

[40]  L’agent a examiné et commenté tous les points suivants : les éléments de preuve concernant les conditions dans le pays à l’égard de la religion soufie du demandeur, sa conversion à la religion chrétienne, son évangélisation, ses activités politiques et son retour en tant que demandeur d’asile débouté. L’agent a reconnu [traduction] « la situation humaine lugubre des droits de la personne en Iran et le destin précaire des minorités religieuses et particulièrement de ceux qui sont convertis à la religion chrétienne ». Toutefois, les conclusions de l’agent selon lesquelles le demandeur n’a pas démontré qu’il était dans une situation semblable d’une manière prospective à ceux qui ont subi des préjudices, ou ceux qui risquent de subir un préjudice en Iran sont raisonnables, et suffisamment appuyées pour appartenir aux issues possibles acceptables.

[41]  La Cour n’est pas non plus d’accord pour dire que le raisonnement dans Golesorkhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 511, au paragraphe 18 s’applique, selon lequel « on ne peut pas réfuter une allégation de risque de persécution religieuse en déclarant qu’il n’y a pas de risque si une personne ne pratique pas sa religion on ne peut pas la pratiquer ouvertement ». La question en l’espèce est de savoir si le demandeur pratiquerait sa religion plus ouvertement et en public en Iran, plus précisément en pratiquant le prosélytisme en public, ou s’il serait exposé à un risque en tant que représentant de l’Église. Selon son pasteur, on n’exige pas de lui de pratiquer le prosélytisme, et il n’y a pas de preuve pour appuyer qu’il l’ait pratiqué au Canada. Il s’agit d’une question de preuve, et non d’une question juridique.

[42]  La Cour a également été aiguillée vers la décision non publiée de madame la juge McVeigh dans Ming Hui Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-13033-12, le 14 mars 2014, au paragraphe 13, en ce qui concerne le prosélytisme en public contrairement au prosélytisme en privé. Elle a signalé que [traduction] « le prosélytisme en public peut comprendre le prosélytisme au sein d’une église, dans une maison ou dans un lieu enregistré. Par définition, on peut faire du prosélytisme n’importe où, car il s’agit de la tentative de convertir, et non de la forme qu’il prend ou du forum utilisé ».

[43]  L’agent a conclu que la preuve n’appuyait pas l’argument qu’il ne pouvait pratiquer sa religion dans la mesure où il ne jouait pas de rôle officiel au sein de l’Église, et ne pratiquait pas le prosélytisme en public, de manière à éviter un risque accru d’être repéré par les autorités. L’agent a cité le rapport statistique de la World Christian Database selon lequel il y a environ 285 000 chrétiens en Iran, dont la plupart sont, il est vrai, des groupes ethniques. L’agent a examiné le rapport concernant le statut des confessions protestantes qui existaient en Iran, y compris les groupes évangéliques. On estime que la communauté protestante se compose de moins de 10 000 personnes. Les éléments de preuve ont été examinés conjointement avec le rapport du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas de 2015 (rapport des Pays-Bas) qui indiquait qu’un grand nombre de protestants ou de personnes converties au protestantisme pratiquaient en secret et que les autorités surveillaient de plus près les « nouvelles » communautés chrétiennes au cours des deux dernières années, plus particulièrement les confessions chrétiennes évangélisatrices. Le même rapport indiquait qu’il n’existait pas de loi précise qui traite de l’évangélisation et de la conversion et que pendant cette période-là il n’y avait pas de cas connus de persécution aux motifs de symboles extérieurs de la foi chrétienne.

[44]  L’agent a examiné ces éléments de preuve conjointement avec les autres documents sur la situation du pays et a conclu que les personnes ordinaires converties au christianisme et qui se montrent discrètes quant à leur foi ne présentent que peu d’intérêt, voire aucun intérêt, pour les autorités, une situation qu’il considère comme semblable à la façon dont le demandeur pratiquait sa religion au Canada. Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve, dans la mesure où les conclusions de l’agent peuvent être raisonnablement tirées de l’ensemble des éléments de preuve qui doivent être examinés dans ces affaires.

[45]  L’agent a également considéré comme pertinent le fait que le demandeur n’était pas une personne d’intérêt à son retour en Iran, que ce soit de Norvège ou de Grèce, alors que les questions de son appartenance politique ou religieuse auraient constitué un risque. En outre, le demandeur a été en mesure de rentrer en Iran, y renouveler son passeport et en ressortir après sa première conversion à la religion chrétienne en Grèce. Il a toutefois été interrogé au sujet de sa conversion et détenu pendant six heures, mais n’a subi aucun préjudice. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que le demandeur avait quitté l’Iran sans passeport ou qu’il aurait attiré l’attention des autorités iraniennes à son retour, même pour avoir présenté une demande d’asile qui a été rejetée. D’autant plus qu’il n’était pas allé en Iran depuis 2012. Malgré les situations difficiles dans le pays du demandeur, l’agent a conclu qu’elles s’appliquaient à la population en général, et n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle le demandeur était exposé à un risque personnel pour ces motifs.

[46]  L’agent a également renvoyé aux événements récents au Canada, y compris les rapports sur Facebook et les événements et incidents tels qu’ils sont décrits dans ses observations mises à jour. Selon la manière dont il avait été traité par le passé à son retour en Iran, et la durée de son absence depuis 2012, l’agent a conclu que les éléments de preuve n’appuieraient pas qu’il fût recherché par les autorités iraniennes, ou que sa participation à des activités aurait attiré sur lui l’attention des autorités.

C.  Rapports illisibles sur les conditions régnant dans le pays

[47]  Le demandeur se plaint que deux documents pertinents n’ont pas été mentionnés par l’agent parce que des parties n’ont pas été trouvées ou étaient illisibles dans le dossier certifié du tribunal. Les documents consistaient en un rapport d’expertise fourni par un coordonnateur des réfugiés au bureau d’Amnistie internationale à Toronto avec son en-tête, et un rapport intitulé « The Cost of Faith - Persecution of Christian Protestants and Converts in Iran », publié par une organisation américaine décrite comme la Campagne internationale pour les droits de la personne en Iran. La Cour est d’accord avec le défendeur que le demandeur n’a pas démontré que ces documents étaient illisibles pour l’agent, qui est censé avoir consulté tous les éléments de preuve présentés par les parties.

[48]  Le rapport de l’employé d’Amnistie internationale était lié principalement au traitement sévère infligé à des personnes éminentes et des chefs d’église. Des six cas mentionnés, cinq concernaient des arrestations en 2008 et 2009, et le sixième cas concernait une arrestation survenue en 2012, celle d’un pasteur américain. Le reste du rapport mentionnait des demandeurs d’asile revenant au pays, question qui avait été examinée par l’agent et rejetée pour plusieurs motifs, dont un motif principal étant le fait que le demandeur avait été en mesure de retourner en Iran deux fois sans complications indues.

[49]  En outre, la Cour est d’avis que la preuve du rapport d’expert (fournie aux fins d’utilisation dans les processus médico-légaux), qui inclurait ce rapport, ne devrait pas être admise étant donné que les témoignages d’opinion sont [traduction] « présumés inadmissibles » et ne satisfont pas aux exigences quant au rôle de « gardien » qu’ils doivent jouer, à savoir qu’ils doivent être nécessaires ou apporter un avantage au processus décisionnel : White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co. [2015] 2 RCS 182, 2015 CSC 23 (Can LII), aux paragraphes 16 à 24, R. v Abbey, 2009 ONCA 624 (CanLII), 97 O.R. (3d) 330, aux paragraphes 87 à 96, et au paragraphe 94, qui présente un intérêt particulier ici, comme suit :

[traduction]

[94] Il semble manifeste qu’un rapport d’expert sur une question dont le jury (le décideur) est tout à fait en mesure de trancher sans cette opinion est inutile et devrait se voir attribuer la cote « zéro » en ce qui concerne les « avantages » de la comparaison coûts/avantages. Inévitablement, toute preuve sous forme de témoignage d’opinion d’expert qui n’apporte aucun avantage supplémentaire au procès sera exclue : voir, par exemple, R. v Batista, 2008 ONCA 804 (CanLII), [2008] O.J. no 4788, 238 C.C.C. (3d) 97 (C.A.), aux paragraphes 45 à 47; R. v Nahar, 2004 BCCA 77 (CanLII), [2004] B.C.J. no 278, 181 C.C.C (3d) 449 (C.A.) aux paragraphes 20 et 21.

[50]  La Cour reconnaît en outre son examen de la question de savoir si un employé d’un organisme fiable tel qu’Amnistie internationale devait fournir des rapports d’expertise au nom d’un réfugié concerné par un processus décisionnel individuel qui porte sur l’immigration. On peut le considérer à la fois comme effectuant une évaluation des conditions dans le pays et préconisant l’acceptation des conclusions dans les procédures d’asile, soulevant peut-être des questions d’objectivité et de promotion de soi.

[51]  Le document de Cost of Faith contient du texte qui a probablement été mis en surbrillance, qui est difficile à lire dans la copie de la Cour, mais cela ne veut pas dire que la copie remise à l’agent chargé de l’ERAR était illisible. Le rapport contenait des éléments de preuve semblables à ceux cités plus haut dans le rapport des Pays-Bas concernant les difficultés auxquelles font face les protestants ou les personnes converties, qui nécessitent qu’elles pratiquent en secret ou dans des maisons-églises. Ces éléments de preuve ont été examinés par l’agent, qui a conclu qu’ils n’appuyaient pas suffisamment le fait que le demandeur serait exposé à un risque étant donné sa façon privée de pratiquer sa religion au Canada. Par conséquent, la Cour ne conclut pas que l’agent a omis d’examiner les éléments de preuve figurant dans le rapport ou qu’il n’en a pas tenu compte, ou que ces éléments de preuve auraient eu une influence sur l’issue de l’affaire.

[52]  En outre, il n’y a aucune preuve dans le dossier concernant l’organisation appelée la Campagne internationale pour les droits de la personne en Iran, en ce qui concerne ses objectifs, son financement, etc., à part le fait qu’elle est située à New York et qu’elle a publié d’autres rapports sans lien avec les questions relatives aux réfugiés, lesquels rapports critiquent sévèrement l’Iran. Il incombe à la partie qui présente le rapport de démontrer sa fiabilité et son objectivité, soit en démontrant le fait qu’il s’agit d’un rapport régulièrement cité dans les compilations neutres du gouvernement ou de l’UNHCR sur les conditions dans les pays normalement utilisées pour déterminer les conditions d’un pays d’une manière objective, soit par tout autre moyen. Ce qui aurait également l’avantage de rendre la preuve plus persuasive.

VII.  Conclusion

[53]  La Cour conclut que le demandeur n’a établi aucune erreur susceptible de révision commise par l’agent, dont la décision est suffisamment justifiée, transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande est rejetée.

VIII.  Questions à certifier

[54]  Pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée devant la cour d’instance inférieure, qui doit l’avoir examinée dans sa décision, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Liyanagamage c Canada (Secrétaire d’État), 176 NR 4, au paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 28, 29 et 32; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9.

[55]  Le demandeur a fait remarquer que la question centrale en l’espèce, au moins au cours de l’audience, est devenue la question de savoir si le demandeur évangélisait en dehors de son église au Canada, plutôt que sa crainte de pratiquer sa foi en Iran. Le demandeur soutient que dans le contexte de la liberté religieuse, qui comprend une liberté de montrer sa religion ou sa croyance en public ou en privé, que la Cour devrait certifier la question suivante :

Le concept de la liberté religieuse est-il limité indûment par l’exigence qu’un demandeur d’asile pratique sa foi avec les restrictions suivantes :

• pratiquer craintivement dans une maison-église secrète pour des raisons de sécurité;

• pratiquer le prosélytisme en public, en dehors des limites de la maison-église secrète;

• pratiquer dans une église publique dont les origines ethniques, la domination, la culture et la langue sont différentes.

[56]  Le défendeur soutient que la question proposée ne serait pas déterminante quant à l’issue de l’appel, et que la question n’est pas celle de la liberté religieuse, mais celle de l’insuffisance des éléments de preuve en ce qui concerne les questions soulevées par le demandeur, qui vont au-delà des questions de sa liberté religieuse. La Cour convient que les questions qui font l’objet des questions proposées ont été examinées par l’agent et rejetées aux motifs de l’insuffisance des éléments de preuve, qui n’ont pas démontré que le demandeur serait exposé à un risque en Iran en raison de la nature de ses pratiques religieuses au Canada.

[57]  Les questions en l’espèce ne sont pas des questions de portée générale, mais concernent plutôt le poids et la suffisance des éléments de preuve présentés par le demandeur. Aucune question ne sera certifiée pour être portée en appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1636-17

LA COUR rejette la demande, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1636-17

 

INTITULÉ :

SEYED MUSTAFA MOOSAVY KHANSARY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE MSPPC ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

Pour le demandeur

 

Prathima Prashad

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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