Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171205


Dossier : IMM-2745-17

Référence : 2017 CF 1107

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ANTRANIG MIHRAN KRIUOR GHAZIGIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés datée du 18 mai 2017. La présente demande de contrôle judiciaire est présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (LC 2001, c 27) (LIPR), et elle se rapporte à la décision d’appel qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger (articles 96 et 97 de la LIPR).

I.  Les faits

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Égypte âgé de 64 ans. C’est un chrétien d’origine arménienne qui a vécu au Caire. Le demandeur allègue ne pas pouvoir retourner en Égypte en raison d’un conflit avec son propriétaire musulman qui, selon le demandeur, aurait fait proférer des menaces sur la vie du demandeur. Dans les faits, le demandeur prétend avoir été « ciblé » pour des motifs religieux.

[3]  La présente affaire concerne un bail dont le demandeur a hérité après le décès de sa mère. Il semble qu’en application de la loi égyptienne, il aurait eu le droit de maintenir le bail au même loyer que celui payé par sa mère en 1971. Par ailleurs, le demandeur a eu un autre différend avec le même propriétaire, se rapportant à une autre unité locative que le demandeur occupait comme bureau.

[4]  Le demandeur soutient que, en mai 2013, il a été illégalement expulsé et que ses biens ont été volés, notamment une somme d’argent conséquente en liquidités ainsi que des objets de valeur. En témoignage, le demandeur a déclaré que les autorités policières n’avaient fait qu’une enquête sommaire avant de conclure à tort que l’expulsion était légitime. Nous comprenons que le demandeur a plus tard poursuivi le propriétaire en justice, mais qu’il déplore néanmoins la lenteur de la procédure. À la date de son audience concernant le statut de réfugié, l’instance était devant une commission composée de trois juges, qui ont renvoyé l’affaire à un bureau d’expertise devant déposer son rapport, en décembre 2015. D’après le demandeur, la préparation du rapport d’expertise pourrait prendre plusieurs années.

[5]  Le demandeur allègue avoir été directement menacé par les partenaires du propriétaire. Ainsi, il a témoigné que la première menace a été proférée le 17 août 2013, après avoir déposé plainte auprès de la police. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que cette personne lui aurait dit [traduction] « Nous voulons que tu arrêtes, nous savons que tu suis l’affaire, nous ne voulons pas de toi ici. Tu es averti de ne plus suivre l’affaire. » La seconde menace aurait été proférée en novembre 2013, dans les mots suivants : [traduction] « Tu seras tué. Nous te renverrons dans un cercueil. Même si tu récupères l’appartement, nous te tuerons. »

[6]  À partir de septembre 2013, le demandeur vivait entre son bureau et des chambres d’hôtel au Caire. En décembre 2014, le demandeur s’est adressé au Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies pour obtenir de l’aide, mais a été informé que ce dernier ne lui serait d’aucune aide puisqu’il s’agissait d’un litige civil.

[7]  Ensuite, le demandeur a fui l’Égypte pour les États-Unis en février 2016, à l’aide d’un visa pour séjours multiples aux États-Unis. Sur le conseil d’un avocat américain, il a choisi de traverser la frontière vers le Canada où il croyait avoir de meilleures chances de recevoir le statut de réfugié qu’il souhaitait obtenir. Ainsi, il a présenté une demande d’asile au Canada en mars 2016. La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande le 10 novembre 2016, renvoyant la question à la Section d’appel des réfugiés. La décision de la Section d’appel des réfugiés fait l’objet du présent contrôle.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la LIPR. Ces nouveaux éléments de preuve ont été jugés admissibles. Il s’agissait d’articles de presse relatifs à la discrimination religieuse qui a lieu en Égypte à l’encontre des chrétiens. Les autres nouveaux éléments de preuve étaient le cartable national de documentation en date du 31 mars 2017.

[9]  La décision de la Section d’appel des réfugiés conclut simplement que le dossier porte sur un litige entre un propriétaire et un locataire, qui pourrait ou non comporter des éléments de criminalité. D’après la Section d’appel des réfugiés, cela ne répond pas à la norme définie dans l’article 96 de la LIPR, qui vise exclusivement une personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ». La Section d’appel des réfugiés a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 : [traduction]

[47] Après avoir procédé à une analyse complète et indépendante de la preuve à ma disposition, je conclus que l’appelant n’a pas établi qu’il a été ou qu’il sera persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention. Je crois que l’appelant a souffert et pourrait continuer de souffrir de discrimination, et la preuve documentaire appuie une telle conclusion. Toutefois, la question au cœur de la présente demande d’asile consiste en une affaire au civil pouvant avoir certaines ramifications au criminel. Sous le régime du droit des réfugiés, le fait d’être victime d’un crime ou d’être partie d’un litige au civil ne constitue pas de la persécution. Il doit y avoir plus qu’une simple possibilité d’être exposé à un risque ainsi que l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention pour satisfaire à la norme prévue à l’article 96. Il est vrai que la religion semblait établir l’existence d’un lien avec la Convention mais, après un examen rigoureux des faits de l’espèce, je conclus que la religion n’a joué qu’un rôle mineur, voire aucun, dans le litige duquel l’appelant est partie, si bien qu’il ne s’agit pas ici de persécution religieuse.

[10]  Le demandeur n’a pas non plus réussi à démontrer qu’il est une personne à protéger en application de l’article 97 de la LIPR. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés conclut ce qui suit : [traduction] « Il doit y avoir plus qu’un risque sérieux, mais bien un risque selon la prépondérance des probabilités. » (au paragraphe 48) En fait, la Section d’appel des réfugiés a estimé qu’il s’agissait d’un litige civil qui ne pouvait appuyer une demande d’asile ou le constat qu’une personne devait être protégée. Plus précisément, la Section d’appel des réfugiés est parvenue à la conclusion suivante : [traduction] « Il existe moins qu’une simple possibilité que l’appelant soit persécuté au Caire. » (au paragraphe 49)

[11]  Le demandeur déplorait sans doute le manque d’engagement de la police du Caire, malgré ses rapports aux autorités policières. Cependant, même si ses plaintes étaient fondées, elles ne démontreraient pas que le demandeur avait été maltraité en raison de sa religion chrétienne. Considérés dans leur ensemble, les motifs évoqués par la Section d’appel des réfugiés se fondent sur un lien insuffisant avec la religion du demandeur. La Section d’appel des réfugiés énonce précisément que : [traduction]  « La seule fois où l’appelant a réellement vécu un incident ressemblant un tant soit peu à de la discrimination religieuse dans le cadre de la présente affaire, c’est lorsque, environ trois ans avant le début du litige l’opposant à son propriétaire, il est tombé en disgrâce auprès d’une personne complètement étrangère à ce litige déterminant et que celle-ci a menacé de le renvoyer d’où il venait, peu importe l’endroit, dans une boîte. À mon sens, cela ressemble plus à une insulte "xénophobe" qu’à une insulte religieuse. » (au paragraphe 40) La preuve était tout simplement insuffisante pour appuyer toute allégation que des considérations religieuses et ethniques étaient en jeu.

III.  Arguments et norme de contrôle

[12]  Les parties conviennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable à des affaires comme celle-ci est celle de la décision raisonnable. Il ne suffit pas au demandeur de démontrer l’existence d’une autre possibilité, suivant l’examen des faits, autre que celle à laquelle est parvenue la Section d’appel des réfugiés. Le fardeau qui revient au demandeur est plutôt celui de démontrer que la conclusion à laquelle arrive la Section d’appel des réfugiés n’appartient pas aux issues acceptables possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[13]  Le demandeur articule la plus grande partie de sa revendication d’après l’argument que son expulsion était illégale et fondée sur sa religion. Le demandeur déplore aussi la qualité de l’enquête menée par les autorités publiques en Égypte, sans toutefois apporter aucune preuve que l’enquête a été menée sommairement en raison de ses origines ethniques ou de son appartenance religieuse. Au contraire, des éléments de preuve ont été présentés, lesquels indiquent que les autorités policières estimaient que le dossier relevait de la sphère privée. Comme le souligne la Couronne, la question de savoir si cette décision des autorités égyptiennes était la bonne n’est pas celle à laquelle l’espèce doit chercher à répondre. Ce que le demandeur devait démontrer était que la décision de considérer l’affaire comme une question privée était fondée sur des considérations religieuses.

[14]  Par ailleurs, le demandeur semble convaincu par sa propre croyance que les actes commis à son encontre étaient fondés sur sa religion, au lieu de tenter de le démontrer. En effet, il convient de souligner que le demandeur a déclaré à l’audience que le loyer pour l’appartement devait être payé en cour entre 2005 et 2013 en raison du conflit manifeste avec le propriétaire qui refusait de recevoir le loyer payé mensuellement. Autrement dit, le litige entre le propriétaire et le demandeur n’était pas un événement nouveau. La preuve montre qu’il existait, en fait, un autre litige dans le même immeuble locatif entre le propriétaire et le demandeur pour un autre espace locatif.

IV.  Analyse

[15]  Le fardeau du demandeur consistait à démontrer que l’issue n’est pas l’une des issues possibles acceptables. Cette démonstration n’a pas été faite. La Cour a plutôt été invitée à évaluer le conflit entre les parties en Égypte et à accepter son fondement religieux sur le constat que le demandeur était chrétien, et le propriétaire musulman. La Section d’appel des réfugiés a estimé que la preuve n’était pas suffisante pour appuyer cette prétention. En fait, la Cour a pu établir qu’elle se trouvait devant une quasi-absence de preuve de lien dans le litige entre le propriétaire et le demandeur. Le seul fait que le propriétaire ait été musulman et le demandeur chrétien ne saurait qualifier un motif de persécution. Le demandeur semble inviter l’arbitre à accepter que ses difficultés en Égypte émanent de considérations religieuses. La Section d’appel des réfugiés n’a pas fait ce saut et il n’y a rien de déraisonnable à cela.

[16]  Il est bien établi que le seul fait qu’un demandeur s’estime persécuté pour des motifs religieux importe peu. Le fondement objectif de telles convictions doit être démontré en preuve, ce qui n’a pas été le cas dans la preuve dont étaient saisies la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés. De la même manière, il n’a pas été démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était plus probable qu’improbable que le demandeur soit personnellement assujetti à un risque de torture, de mort ou de risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il était renvoyé son pays de nationalité. La preuve était simplement trop pauvre, voire inexistante, dans l’espèce. Il n’a pas été démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la décision n’appartenait pas aux issues possibles.

[17]  Le demandeur a affirmé que [traduction] « même le moindre manquement de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés à considérer que la genèse de ses problèmes en Égypte (expulsion) comporte une composante discriminatoire équivalait à une erreur susceptible de révision » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 26). Je considère qu’il s’agit là d’un parfait exemple d’étoffement. La seule existence de preuve documentaire de discrimination contre les chrétiens dans certaines régions d’Égypte ne démontre pas la persécution pour des motifs religieux dans la présente affaire. Au lieu de démontrer la discrimination religieuse, le demandeur affirme qu’elle devrait être considérée comme un fait et que cela, en soi, suffirait à rendre l’erreur susceptible de révision. Il incombait au demandeur de démontrer un lien avec la religion ou l’appartenance ethnique, et son manquement à s’acquitter de ce fardeau constitue un motif de rejet. D’autres ont conclu qu’il s’agissait d’un dossier civil éventuellement entaché de criminalité. La décision de la Section d’appel des réfugiés n’avait rien de déraisonnable.

[18]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question sérieuse d’importance générale qui devait être posée conformément à l’article 74 de la LIPR. En effet, il n’y en avait aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2745-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2745-17

INTITULÉ :

ANTRANIG MIHRAN KRIUOR GHAZIGIAN c LE MINSTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

Le 5 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Jane G. Rukaria

Pour le demandeur

Alison Brown

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jane G. Rukaria

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.