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Date : 20171213


Dossier : T-807-17

Référence : 2017 CF 1136

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

HENRY LEPAGE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Couronne présente une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire aux termes de l’article 215 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) (Règles). Elle soutient qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse en l’espèce, car l’action intentée par la défenderesse est prescrite. Ladite action est uniquement une demande de réparation pécuniaire de 50 000 $; il s’agit donc prétendument d’une action simplifiée régie par les articles 292 à 299 des Règles.

[2]  La question de la prescription est la seule question de fond devant notre Cour. La Couronne soutient simplement que les faits, tels qu’ils sont avancés par la défenderesse, démontrent que son action a été intentée au-delà du délai de prescription de deux ans, qu’elle entend faire respecter en l’espèce.

[3]  La Couronne maintient également que cette action doit être exclue de l’application des articles 294 à 299 des Règles afin que notre Cour puisse rendre un jugement sommaire à l’égard du délai de prescription applicable.

I.  Faits

[4]  Certains faits de l’espèce sont importants afin de s’assurer de la chronologie de base des événements. Ils ne sont pas présentés dans le but d’établir la responsabilité des représentants de la Couronne, ou l’absence de celle-ci. Ils sont uniquement nécessaires afin de cerner le début du délai de prescription; la Cour n’abordera pas le fond de l’action.

[5]  La prescription d’actions vise un objectif différent que celui de savoir si la responsabilité d’une des parties a été engagée ou non. Peter Hogg et Patrick Monahan, dans leur ouvrage intitulé Liability of the Crown (Carswell, 3e édition) ont brièvement décrit la règle et sa raison d’être :

[traduction]

Les délais de prescription constituent des limites dans le temps quant au début d’instances judiciaires. Si la procédure n’est pas entreprise à l’intérieur du délai de prescription prévu, le droit d’action du demandeur à l’encontre du défendeur sera prescrit. Les délais de prescription visent à s’assurer que les poursuites sont intentées à l’intérieur d’un délai raisonnable, avant que la preuve soit égarée ou ne soit plus fiable, de sorte que les défendeurs éventuels ne soient pas exposés au risque d’être poursuivi indéfiniment.

(page 70)

Par conséquent, il s’agit d’une disposition d’ordre public. Il est avantageux de prévoir une fin aux litiges, que le défendeur soit la Couronne ou une partie privée. Au surplus, les demandeurs sont censés agir avec diligence. La question de savoir si l’action est fondée ou non n’est pas pertinente.

[6]  En l’espèce, l’action a été intentée le 6 juin 2017 quant à des événements étant survenus, selon le demandeur lui-même, entre le 21 janvier et le 14 avril 2015. Le demandeur, M. Henry Lepage, est actuellement un détenu résidant à l’Établissement Drummond, au Québec. Cependant, les événements à l’origine de l’action se sont produits dans des pénitenciers situés en Ontario.

[7]  Alors qu’il était détenu à l’établissement à sécurité moyenne de Warkworth le 21 janvier 2015, un incident s’est produit dans la cellule du demandeur entre 11 h 56 et 12 h 6 entraînant un recours à la force par deux agents correctionnels. La question de savoir si le degré de force employé était approprié n’a pas été tranchée par une cour de justice. À la suite de cette altercation physique, le demandeur s’est plaint de douleurs importantes au dos. Selon ses propres mots tirés de sa déclaration, [traduction] « il s’est plaint d’avoir la sensation d’avoir le dos cassé ainsi que d’une respiration difficile en raison de la douleur ». Il a été transféré à l’Établissement Millhaven (EM), un établissement à sécurité maximale, le même jour.

[8]  Placé en isolement à l’EM, il s’est plaint de sa douleur au dos à une infirmière. Le demandeur soutient que sa plainte a été accueillie et assortie du commentaire [traduction] « vous semblez bien marcher ». Selon le demandeur, les trois premières semaines suivant l’incident du 21 janvier 2015 ont été particulièrement difficiles. Il n’a pas vu un médecin pendant son incarcération à l’EM, mais il s’est plaint à d’autres membres du personnel médical.

[9]  Le demandeur a été transféré de nouveau le 19 février 2015, à l’Établissement Collins Bay, un autre établissement à sécurité maximale. C’est à cet établissement qu’il a vu un médecin le 14 avril 2015. Le demandeur a rencontré d’autres membres du personnel médical (infirmières) au cours de la période menant au 14 avril. Le médecin a ordonné des radiographies du poignet du demandeur. Il n’est pas clair, d’après les informations versées au dossier, comment cette blessure au poignet a pu se produire ainsi que le moment où elle s’est produite.

[10]  Le dossier indique que le demandeur souffrait de douleurs importantes au dos depuis un certain temps. En outre, des radiographies ont été prises en décembre 2013 (alors que le demandeur était détenu à l’Établissement Mission en Colombie-Britannique) et démontraient des changements dégénératifs aux vertèbres L5 à S1 ainsi qu’une légère réduction des espacements intervertébraux. Le rapport du Dr Waddell, daté du 15 avril 2015, fait mention du fait que M. Lepage s’est plaint de douleurs au bas du dos. Il semble que le Dr Waddell lui ait suggéré de demeurer actif; il a également prescrit que sa dose d’anti-inflammatoires soit augmentée de 7,5 mg à 15 mg. Le demandeur a continué de prendre des analgésiques. Cependant, le dossier ne comprend aucun témoignage d’expert permettant d’éclairer la Cour sur la gravité de la blessure figurant sur les radiographies de 2013. Bien entendu, il en va de même pour les radiographies du dos du demandeur qui ont été prises en septembre 2015 à l’Établissement Collins Bay. Le demandeur a retenu les renseignements suivants du rapport [traduction] : « [l]a fracture par compression du plateau vertébral supérieur de L-2 est d’un âge indéterminé et démontre une perte à hauteur de 20 % ». Dans la déclaration, on peut lire que le médecin a [traduction] « ordonné des radiographies et conclu qu’il y avait maintenant une fracture par compression, laquelle n’avait pas été remarquée auparavant » (déclaration, au paragraphe 9). Aucune autre explication des rapports radiographiques n’est présentée à ce stade.

[11]  Néanmoins, le demandeur affirme explicitement que sa cause d’action se situe entre le 21 janvier 2015 et le 14 avril 2015, lorsque les représentants de la Couronne ont [traduction] « [privé] le demandeur de traitements médicaux ainsi que de l’occasion de voir un médecin qualifié » (déclaration, au paragraphe 1). Il a réitéré sa position dans sa réponse du 27 août 2017 [traduction] : « la réclamation est en lien avec le fait qu’on ne m’a pas permis de voir un médecin du 21 janvier au 15 avril 2015 » (réponse, au paragraphe 5). En outre, le demandeur insiste, dans sa réponse, qu’il n’a pas pu voir un médecin pendant 84 jours (aux paragraphes 21, 54 et 55).

[12]  On retrouve ce thème dans ses réponses à l’interrogatoire préalable par écrit. À la question [traduction] : « Vous alléguez avoir été privé de traitements médicaux ainsi que de consulter un médecin du 21 janvier 2015 au 14 avril 2015; c’est bien le fond de votre réclamation? », le demandeur a confirmé, sans équivoque, ce qui suit :

[traduction]

9) Ma demande se fonde sur le fait que le SCC ne m’a pas laissé voir un médecin du 21 janvier 2015 au 14 avril. Le 15 avril 2015, j’ai vu le Dr John Waddell à l’Établissement Collinsbay. Ceci est incontestable étant donné que toutes les rencontres sont documentées.

Dans le même interrogatoire écrit, le demandeur a de nouveau confirmé que six pages non datées avaient été transmises à l’avocat de la Couronne en tant qu’affidavit. Il soutient que chacun des 28 paragraphes de celui-ci est exact. Le tout premier de ces 28 paragraphes se lit ainsi :

Le demandeur réclame ce qui suit :

1)  Le 21 janvier 2015, les agents de la défenderesse m’ont refusé l’accès à des soins médicaux en lien avec une blessure au dos survenue des suites du recours à la force par ses agents. Ils ont continué à me priver de l’accès à un médecin qualifié jusqu’au 14 avril 2015.

[13]  Ce n’est évidemment pas per incuriam que le demandeur a choisi de formuler son affaire comme il a choisi de le faire. Mais il y a plus encore.

[14]  Le demandeur a produit différentes lettres signées par les étudiants en droit du centre de droit correctionnel de l’Université Queen’s à même les documents visant à s’opposer à la requête en jugement sommaire. Le demandeur avait déjà l’intention de poursuivre le gouvernement le 26 mars 2015. Un étudiant en droit indique [traduction] : « lors de notre rencontre du 10 mars, vous m’avez demandé d’examiner un dossier, car vous croyiez qu’il s’agissait du cas à l’égard duquel la Cour suprême du Canada avait jugé que les détenus pouvaient poursuivre les membres du personnel du Service correctionnel à la cour des petites créances » (lettre du 26 mars 2015). La réflexion du demandeur semble se former à la lecture de la lettre qui semble conclure le soutien offert par le centre, le 19 mai 2015 :

[traduction]

Au cours de notre rencontre, vous m’avez également confirmé que vous aviez retenu les services d’un avocat pour déposer un grief et que vous songiez à entreprendre une procédure civile pour cause d’un recours à la force inapproprié et d’examens et de traitements médicaux insuffisants à la suite de ce recours à la force. Vous avez demandé à ce que nous vous fournissions les rapports d’observation ainsi que d’autres documents de divulgation en lien avec l’incident de recours à la force. Nous croyons comprendre que vous avez demandé ces documents à l’Établissement aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le reste du paragraphe indique que les documents en possession du centre avaient été remis à l’avocat du demandeur. La réunion que mentionne le demandeur a eu lieu le 7 mai. En outre, il semble que la question de sa santé avait été bel et bien prise en charge en date du 14 avril :

[traduction]

Vous m’avez dit que vous avez vu votre médecin deux semaines plus tôt et qu’il avait alors ordonné des radiographies de votre poignet et de votre dos, et qu’il vous a prescrit des traitements de physiothérapie et une attelle pour votre poignet. Vous m’avez également dit que vous aviez rencontré une infirmière à trois reprises avant de voir un médecin. Par conséquent, vous êtes actuellement suivi par les services de santé et n’avez pas besoin d’autre assistance à ce chapitre.

En d’autres termes, c’est la période s’étirant du 21 janvier 2015 au 14 avril 2015 qui a été considérée comme la période où est née la cause d’action.

II.  La thèse des parties

[15]  La Couronne soutient, en résumé, que le délai de prescription est de deux ans, et que, par conséquent, la réclamation est prescrite depuis le 21 janvier 2017. La déclaration a été déposée le 6 juin 2017; elle se situe donc à l’extérieur de la période autorisée par la loi pour intenter une procédure judiciaire.

[16]  Comme la cause de l’action s’est produite en Ontario, c’est la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario (LO 2002, c 24, annexe B) (Loi sur la prescription) qui s’applique. Le fait que le demandeur a été transféré au Québec, et y réside depuis novembre 2016, n’est pas pertinent.

[17]  Une fois qu’il est établi qu’une action est prescrite, il n’y a plus de véritable question litigieuse à trancher, le critère de l’article 215 est satisfait et la requête en jugement sommaire doit être accueillie.

[18]  Lorsqu’il peut être établi qu’une action simplifiée est prescrite, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour soustraire l’action simplifiée de l’application des articles 294 à 299.

[19]  Le demandeur riposte qu’il a reçu les résultats de ses radiographies en septembre-octobre 2015 ce qui, si j’ai bien saisi, signifie qu’il n’a pas découvert sa cause d’action avant cette date. Il semble présenter son dossier comme si la question en litige portait sur le déni d’une blessure subie le 21 janvier 2015. À la lecture de ses observations, il semble que la cause d’action énoncée, soit le manque de soins médicaux appropriés au cours de la période s’écoulant du 21 janvier au 14 avril 2015, a été oubliée ou écartée. Puis, soudainement, le demandeur soutient [traduction] « je ne croyais pas que j’avais une cause d’action en cour fédérale avant de recevoir les radiographies en septembre 2015 » (requête en rejet de la requête en jugement sommaire des défendeurs [sic], au paragraphe 21). La prétention voulant que la défenderesse n’ait pas permis au demandeur de consulter un médecin du 21 janvier au 14 avril 2015 s’est ainsi transformée, dans l’argumentaire du demandeur, pour signifier que la cause d’action s’est seulement cristallisée quelques mois après juin 2015. Selon ses propres termes, il était convaincu d’avoir subi une fracture et il savait qu’il avait une cause d’action à l’automne 2015. Ainsi, s’il s’agit du bon critère, alors son action n’est pas prescrite.

[20]  Le demandeur soutient également que son action est fondée et qu’il a présenté un grief pour manque de soins médicaux dès le 1er février 2015, soit [traduction] « à l’intérieur de la période de deux ans » (au paragraphe 9).

III.  Discussion

A.  Délai de prescription

[21]  L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC (1985), c F-7) et l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRC (1985), c C-50) convergent et établissent la même règle de droit : c’est la loi sur la prescription de la province où est survenue la cause d’action qui s’applique :

Prescription — Fait survenu dans une province

Prescription and limitation on proceedings

39(1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

39(1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

Prescription — Fait non survenu dans la province

Prescription and limitation on proceedings in the Court, not in province

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

(2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

Règles applicables

Provincial laws applicable

32 Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

32 Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

En l’espèce, les faits générant la cause d’action alléguée se sont tous produits en Ontario.

[22]  Par conséquent, c’est la Loi sur la prescription de l’Ontario qui s’applique. Le demandeur ne conteste pas que ce soit le délai de prescription de base prévu à l’article 4 qui s’applique à l’espèce :

Délai de prescription de base

Basic limitation period

4  Sauf disposition contraire de la présente loi, aucune instance relative à une réclamation ne peut être introduite après le deuxième anniversaire du jour où sont découverts les faits qui ont donné naissance à la réclamation. 2002, chap. 24, annexe B, art. 4.

4  Unless this Act provides otherwise, a proceeding shall not be commenced in respect of a claim after the second anniversary of the day on which the claim was discovered. 2002, c. 24, Sched. B, s. 4.

Deux mots attirent l’attention à l’article 4 : « réclamation » et « découverts ». Le terme « réclamation » est défini à l’article 1 comme étant une « réclamation pour obtenir réparation de préjudices, de pertes ou de dommages survenus par suite d’un acte ou d’une omission [...] ». La cause d’action présentée par le demandeur semble correspondre parfaitement à la définition d’une « réclamation ». Comme nous le verrons de la jurisprudence dans le contexte des fautes médicales, les cours ontariennes ont appliqué le délai de prescription de deux ans.

[23]  Manifestement, cette disposition nécessite que la réclamation soit découverte, puis le délai de prescription est calculé à partir de ce moment. L’article 5 vient régir ces circonstances :

Découverte

Discovery

5(1) Les faits qui ont donné naissance à la réclamation sont découverts celui des jours suivants qui est antérieur aux autres :

5(1) A claim is discovered on the earlier of,

a) le jour où le titulaire du droit de réclamation a appris les faits suivants :

(a) the day on which the person with the claim first knew,

(i) les préjudices, les pertes ou les dommages sont survenus,

(i) that the injury, loss or damage had occurred,

(ii) les préjudices, les pertes ou les dommages ont été causés entièrement ou en partie par un acte ou une omission,

(ii) that the injury, loss or damage was caused by or contributed to by an act or omission,

(iii) l’acte ou l’omission est le fait de la personne contre laquelle est faite la réclamation.

(iii) that the act or omission was that of the person against whom the claim is made, and

(iv) étant donné la nature des préjudices, des pertes ou des dommages, l’introduction d’une instance serait un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation;

(iv) that, having regard to the nature of the injury, loss or damage, a proceeding would be an appropriate means to seek to remedy it; and

b) le jour où toute personne raisonnable possédant les mêmes capacités et se trouvant dans la même situation que le titulaire du droit de réclamation aurait dû apprendre les faits visés à l’alinéa a).

(b) the day on which a reasonable person with the abilities and in the circumstances of the person with the claim first ought to have known of the matters referred to in clause (a).

Présomption

Presumption

(2) À moins de preuve du contraire, le titulaire du droit de réclamation est présumé avoir appris les faits visés à l’alinéa (1) a) le jour où a eu lieu l’acte ou l’omission qui a donné naissance à la réclamation.

(2) A person with a claim shall be presumed to have known of the matters referred to in clause (1) (a) on the day the act or omission on which the claim is based took place, unless the contrary is proved.

Engagements à vue

Demand obligations

(3) Pour l’application du sous-alinéa (1) a) (i), le jour où des préjudices, des pertes ou des dommages surviennent à l’égard d’un engagement à vue correspond au premier jour où il y a défaut d’exécution de l’engagement, une fois qu’une demande formelle d’exécution est présentée.

(3) For the purposes of subclause (1) (a) (i), the day on which injury, loss or damage occurs in relation to a demand obligation is the first day on which there is a failure to perform the obligation, once a demand for the performance is made.

Idem

Same

(4) Le paragraphe (3) s’applique à l’égard de chaque engagement à vue créé le 1er janvier 2004 ou par la suite.

(4) Subsection (3) applies in respect of every demand obligation created on or after January 1, 2004.

[24]  La défenderesse est d’avis que le demandeur a découvert sa réclamation dès le 21 janvier 2015. Elle semble s’appuyer sur les présomptions du paragraphe 5(2) de la Loi sur la prescription. Selon les faits allégués, le demandeur a souffert d’une douleur importante le jour même de l’incident avec les gardiens et s’en est plaint dès ce moment.

[25]  Le demandeur soutient que l’obligation de diligence n’a pas été respectée depuis ce jour, et ce, jusqu’à ce qu’il rencontre un médecin le 15 avril 2015. Plus particulièrement, la défenderesse fait référence à une plainte formulée par écrit dès le 1er février 2015 :

[traduction]

Ma plainte est la suivante : on me refuse les soins médicaux qui découleraient [...] [illisible] d’une blessure au dos. Cette blessure s’est produite lorsque deux gardiens m’ont sauté dessus dans ma cellule à l’EW [Établissement Warkworth] le 21 janvier 2015 [...] Je continue de demander qu’on me fasse passer des rayons X, une IRM ou une TEP, ou n’importe quoi d’autre, pour voir ce qui est endommagé afin de pouvoir la traiter correctement [...] Je veux savoir pourquoi on m’a refusé tout type de traitement pour ce qui ressemble à une fracture du dos.

Subsidiairement, la défenderesse soutient que, à tout le moins, la plainte quant au manque de soins médicaux appropriés, selon la façon dont le demandeur a présenté sa réclamation, a été résolue en avril 2015 lorsqu’il a vu un médecin. Par conséquent, les conditions du paragraphe 5(1) de la Loi sur la prescription auraient été réunies au plus tard à cette date. Néanmoins, d’une façon ou d’une autre, la réclamation serait prescrite puisqu’elle a été déposée le 6 juin 2017, soit plus de deux ans après la découverte.

[26]  Le demandeur cherche à s’appuyer sur le fait qu’il a obtenu des radiographies en septembre 2015 seulement, puis les résultats de celles-ci en octobre. En outre, il écrit [traduction] : « ce n’est que lorsqu’on a pris des radiographies et que j’ai reçu les résultats de celles-ci du service de soins de santé que j’ai su que j’avais véritablement un disque fracturé dans mon dos » (au paragraphe 3). De même, le demandeur soutient que [traduction] « si nous interprétons la loi à partir du moment où j’ai été convaincu sans l’ombre d’un doute que mon dos était cassé, alors ce serait à partir du moment où j’ai reçu les résultats des radiographies, soit en octobre 2015 » (au paragraphe 5).

[27]  En somme, le demandeur soutient qu’il devait attendre d’avoir passé des radiographies pour déposer une réclamation à l’encontre de la Couronne. Il soutient dans ses observations qu’il devait être sûr et certain que son dos était blessé. Or, on ne sait pas très bien quel degré de certitude a été obtenu, sans preuve médicale que la fracture est nouvelle, qu’elle a été causée par l’altercation physique du 21 janvier, ou qu’elle est à l’origine de la douleur subie par le demandeur. Le cas échéant, le fait d’attendre que le demandeur soit certain, sans l’ombre d’un doute, rendrait très subjectif l’exercice de fixer la date du début du délai de prescription. Par ailleurs, la jurisprudence ne semble pas aller en ce sens en Ontario. La certitude n’est pas requise. C’est le moment où la cause de l’action a été découverte qui compte.

[28]  Étant donné que c’est la Loi sur la prescription de l’Ontario qui entre en jeu en l’espèce, la jurisprudence des tribunaux de cette province pourrait être d’un certain secours.

[29]  La question à trancher est donc de savoir si le demandeur avait découvert ou non sa réclamation avant le 6 juin 2015, conformément à l’article 5 de la Loi sur la prescription. Le cas échéant, le délai de prescription était échu lorsque le demandeur a déposé sa réclamation le 6 juin 2017.

[30]  La décision Lawless c Anderson, 2011 ONCA 102, illustre les principes appliqués en Ontario quant à la question de la découverte d’une réclamation. Par conséquent, la Cour d’appel a conclu qu’il fallait effectuer une analyse des faits et déterminer si « le demandeur en puissance connaît suffisamment de faits pouvant fonder une allégation de négligence à l’encontre du défendeur. Si tel est le cas, alors la demande a été “découverte” et la prescription commence à courir : voir Soper c Southcott (1998), 39 OR (3d) 737 (C.A.), et McSween c Louis (2000), 132 OAC 304 (CA) » (au paragraphe 23). L’objectif est de s’assurer du moment de la naissance de la cause d’action, c’est-à-dire de la survenance [traduction] « du fait ou des faits qui confèrent à une personne un droit de réparation à l’encontre d’une autre » (Aguonie c Galion Solid Waste Material Inc., 38 OR (3d) 161, à la page 170 (CA)).

[31]  La décision Lawless c Anderson vient également soutenir le concept selon lequel on ne peut pas confondre le principe de la découverte avec la préparation d’un dossier où le demandeur est « susceptible d’avoir gain de cause ». En l’espèce, le demandeur soutient que le délai de prescription ne court pas tant qu’aucun avis médical n’a été donné. Or, comme l’a conclu la Cour d’appel, ceci revient à [traduction] « confondre la question du moment de la découverte d’une réclamation avec le processus visant à réunir la preuve nécessaire pour en faire un dossier où le demandeur est “susceptible d’avoir gain de cause” » (au paragraphe 36). Il suffit d’y avoir suffisamment de faits pour démontrer la négligence alléguée. Sur ce, la Cour a directement cité un autre arrêt de la Cour d’appel dans McSween c Louis (précité) :

[traduction]

Le fait d’exiger qu’un demandeur connaisse la cause précise de sa blessure avant le début du délai de prescription est, à mon sens, trop exigeant. En outre, le délai de prescription d’un an lui-même, le processus de production de preuve et d’interrogatoire préalable ainsi que l’obtention de rapports d’experts après avoir obtenu davantage de connaissances des précédents, sont toutes des procédures judiciaires utilisées habituellement par un demandeur pour découvrir les détails sur la cause de sa blessure, voire même sur l’existence d’autres causes et défendeurs possibles. Il suffit à un demandeur qu’il ait suffisamment d’éléments factuels pour étayer son allégation de négligence à l’encontre d’un défendeur pour satisfaire aux conditions énoncées à l’article 17 de la [Health Disciplines’ Act]. [Non souligné dans l’original]

(page 19)

[32]  Suivant les principes établis dans Lawless c Anderson, la Cour d’appel a maintenu qu’un demandeur doit disposer de suffisamment d’éléments matériels pour soutenir une cause d’action pour déclencher le délai de prescription; on s’attend à ce que les demandeurs fassent preuve de diligence raisonnable (Ferrara v Lorenzetti, Wolfe Barristers and Solicitors, 2012 ONCA 851). Récemment, dans Liu c Wong, 2016 ONCA 366 [Liu], la Cour d’appel semble avoir été satisfaite du fait que le demandeur eut été pleinement conscient des problèmes avec son genou dès l’exécution d’une procédure médicale, laquelle, selon le demandeur, avait été bâclée, et qu’il souffrait d’une douleur intense. Il a informé le médecin de garde à son rendez-vous de suivi que le médecin qui l’avait opéré avait endommagé son genou. Ceci était suffisant pour déclarer que la réclamation avait été découverte.

[33]  Les faits de cette décision sont très semblables à ceux qui étaient connus du demandeur en l’espèce. Il soutient qu’il a immédiatement su, le 21 janvier 2015, qu’il avait été blessé dans l’altercation avec les gardiens. Le 1er février 2015, il a affirmé que sa blessure avait été causée par les gardiens et a demandé à savoir pourquoi il ne recevait pas le degré de soin approprié à sa situation. Ceci est corroboré par les échanges intervenus avec les étudiants en droit du centre de droit correctionnel de l’Université Queen’s le 26 mars et le 7 mai 2015, dans lesquels le demandeur songeait « à entreprendre une procédure civile pour cause d’un recours à la force inapproprié et d’examens et de traitements médicaux insuffisants à la suite de ce recours à la force » (lettre du 19 mai 2015 produite par le demandeur).

[34]  Le demandeur entend réfuter ceci en disant qu’il était seulement certain, sans l’ombre d’un doute, qu’il avait subi une fracture lorsqu’il a reçu les résultats de ses radiographies en octobre 2015. Cette information ne semble pas avoir d’effet sur le début du délai de prescription. Il ne s’agit ni plus ni moins que de recueillir des éléments de preuve, lesquels ne portent même pas sur la cause, et d’un élément qui confirme, au moins dans l’esprit du demandeur, qu’il y a bel et bien eu une blessure. En d’autres termes, ces renseignements vont peut-être aider à rendre le demandeur au dossier plus « susceptible d’avoir gain de cause », mais la cause d’action avait déjà été découverte. Il n’est pas nécessaire de connaître l’étendue du dommage ou son type. Dans Peixeiro c Haberman, [1997] 3 RCS 549 [Peixeiro], la Cour suprême du Canada a conclu ceci :

[18]  Il a été admis que, en common law, l’ignorance ou la méprise quant à l’importance du dommage ne retarde pas le point de départ du délai de prescription. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire que l’ampleur exacte de la perte subie par le demandeur soit connue pour donner naissance à la cause d’action. Une fois que celui-ci sait qu’il a subi un préjudice et qui en est l’auteur (voir Cartledge c. E. Jopling & Sons Ltd., [1963] A.C. 758 (H.L.), à la p. 772, lord Reid, et July c. Neal (1986), 57 O.R. (2d) 129 (C.A.)), la cause d’action a pris naissance. Il n’est pas nécessaire de connaître la nature du préjudice ni son étendue. Conclure autrement aurait pour effet d’introduire trop d’incertitude dans les affaires où toute l’étendue du préjudice ne peut être déterminée que longtemps après l’expiration du délai de prescription.

[Non souligné dans l’original.]

M. Lepage savait qu’il avait été blessé et pouvait identifier l’auteur allégué le 21 janvier 2015 ou autour de cette date. Il a même énoncé sa cause d’action le 1er février 2015.

[35]  C’est précisément ce que constate le juge D.M. Brown, alors juge de la Cour supérieure de justice, dans la décision Ng c Bank of Montreal, 2010 ONSC 5692 :

[traduction]

[20]  En ce qui a trait aux réclamations fondées sur la négligence de Mme Ng à l’encontre de la BMO, il est encore là bien établi qu’un demandeur n’a pas à connaître la nature précise de sa blessure avant que le délai de prescription ne commence à courir. En outre, il suffit que le demandeur connaisse suffisamment de faits pour étayer une allégation de négligence à l’encontre du défendeur : McSween c Louis, 2000 CanLII 5744 (ONCA), au paragraphe 51. Dans la section H de son formulaire de dépôt de plainte daté du 24 janvier 2007, Mme Ng a fourni les renseignements suivants sur sa plainte : « Je n’ai pas été mise à l’essai lorsque je suis entrée en poste en mai 2006. Je n’ai reçu ni orientation ni formation. L’employeur a exigé le respect de normes injustes et arbitraires. » Dans la section G, Mme Ng avait écrit : « Harcèlement injuste de la part de l’employeur ». Les réclamations de négligence de Mme Ng figurant aux paragraphes 6 et 7 de sa déclaration ainsi que son allégation de mauvaise foi avancée au paragraphe 9 de sa réclamation, résument simplement les renseignements figurant à la section G de son formulaire de plainte du 24 janvier 2007.

[21]  Manifestement, étant donné la preuve produite, Mme Ng avait découvert sa réclamation pour négligence le 24 janvier 2007. Le fait qu’elle croit avoir obtenu la preuve pour appuyer ces réclamations au cours de l’interrogatoire des témoins de la BMO devant l’arbitre Cooper ne figure ni en l’espèce ni sur ce formulaire. Le délai de prescription débute-t-il au moment où la personne estime avoir recueilli toute la preuve nécessaire pour appuyer sa réclamation, ou plutôt au moment où elle découvre sa réclamation?

[36]  Dans Dale c Frank, 2017 ONCA 32, la Cour d’appel était d’avis que [TRADUCTION] « le fait d’exiger de la demanderesse qu’elle sache avec certitude que ses blessures étaient causées par la faute du défendeur reviendrait à exiger qu’elle parvienne à une conclusion légale quant à la responsabilité de celui-ci envers elle. Il s’agit d’un seuil trop élevé à franchir pour un demandeur » (au paragraphe 7). La Cour a conclu en citant le paragraphe 23 de l’arrêt Lawless c Anderson (précité, au paragraphe 30). En somme le critère reste à savoir si « le demandeur connaît suffisamment de faits pouvant fonder une allégation de négligence à l’encontre du défendeur ». Les résultats des radiographies étaient uniquement de nature à confirmer l’existence d’une fracture ([traduction] « la fracture par compression du plateau vertébral supérieur de L-2 est d’un âge indéterminé et démontre une perte à hauteur de 20 % ») sans même énoncer l’âge de celle-ci. Il est possible que les résultats des radiographies, avec l’aide d’un témoin expert, puissent aider à réunir un dossier où le demandeur est « susceptible d’avoir gain de cause ». Or, ceci revient à confondre la découverte et la collecte d’éléments de preuve à l’appui d’une réclamation.

[37]  La Cour d’appel a également estimé dans Markel Insurance Co. of Canada c ING Insurance Co. of Canada, 2012 ONCA 218; 109 OR (3d) 652, qu’une réclamation n’est pas découverte au moment où le demandeur en puissance l’estime opportun, notamment, lorsqu’il est certain, sans l’ombre d’un doute, qu’il a été blessé ou a subi une perte :

[traduction]

[34]  Ceci m’amène à la question de savoir quel est le moment « opportun » à l’introduction d’une action en regard du sous-alinéa 5(1)a)(iv) de la Loi sur la prescription. À nouveau, je souscris tout à fait à la position voulant que les parties ne doivent pas être encouragées à entreprendre un litige ou un arbitrage de façon hâtive, plutôt que de discuter et de négocier des règlements. À mon sens, le terme « approprié » du sous-alinéa 5(1)a)(iv), entendu dans un contexte voulant qu’une réclamation soit seulement découverte lorsque « la nature des préjudices, des pertes ou des dommages, l’introduction d’une instance serait un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation », a une consonance légale. À ce chapitre, le fait de permettre à une partie de retarder le début d’une procédure pour quelque motif tactique ou autre au-delà de deux ans de la date de la réalisation complète de la réclamation et d’exiger de la cour qu’elle évalue le ton et la teneur des communications à la recherche d’un déni manifeste viendrait, à mon sens, ajouter un élément inacceptable d’incertitude dans le droit sur la prescription.

[38]  La présomption que la créance est découverte le jour où l’acte ou l’omission sur lequel la créance est fondée peut également entrer en jeu. Cela soutient en fait l’argument principal de la Couronne. Dans Hawthorne c Markham Stouffville Hospital, 2016 ONCA 10, la Cour a conclu que l’absence de preuve permettant de renverser la présomption était simplement fatale à la cause.

[39]  Par conséquent, en l’espèce, le demandeur en puissance connaissait suffisamment de faits pouvant fonder son allégation de négligence. Reprenant les mots du juge Major dans l’arrêt Peixeiro, « [u]ne fois que celui-ci sait qu’il a subi un préjudice et qui en est l’auteur, la cause d’action a pris naissance ». Les radiographies prises en septembre 2015 n’étaient pas nécessaires pour faire naître une cause d’action. Le demandeur a reconnu sa cause d’action dès le 1er février 2015. Quoi qu’il en soit, peut-être le demandeur était-il plus « susceptible d’avoir gain de cause » en raison de cette preuve, qui a pu également confirmer d’une certaine façon la cause d’action déjà découverte. La loi n’exige aucunement que le demandeur soit certain de la perte subie avant de déposer une réclamation (Liu, précité). C’est le fait d’avoir connaissance des faits matériels nécessaires à la cause d’action qui importe.

[40]  J’ajouterai, quant à l’espèce, que le demandeur a choisi de circonscrire son dossier sur une question de manque de soins au cours d’une période très précise. Ainsi, le 15 avril 2015, au plus tard, il avait découvert sa réclamation : la Couronne ne lui avait pas accordé les soins auxquels il avait droit au cours de cette période. La nature exacte de la perte n’était pas pertinente à la formation de la réclamation. Les faits matériels, lesquels étaient probablement déjà connus le 21 janvier ou le 1er février 2015, l’étaient certainement au plus tard le 15 avril 2015. Même présentée ainsi, la réclamation a été découverte avant juin 2015. Le délai de prescription avait déjà commencé à courir. La réclamation a été déposée le 6 juin 2017, soit plus de deux ans après le début du délai de prescription. Par conséquent, la réclamation est prescrite.

[41]  Le moment de la découverte de la réclamation était l’argument le plus important avancé par le demandeur concernant le début du délai de prescription. Il a également avancé qu’il devait attendre qu’une décision soit rendue quant à son grief déposé le 1er février 2015 avant de pouvoir intenter une procédure devant la Cour fédérale.

[42]  La Cour peut disposer rapidement de l’argument. Il n’est aucunement fondé. Il n’est nullement requis que le processus de grief soit complété avant qu’une action puisse être intentée. La réclamation et le grief sont deux choses différentes. La défenderesse souligne, à juste titre, que l’article 81 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620) suspend le processus de grief lorsqu’un recours judiciaire est entrepris. Et non le contraire :

81(1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste.

81(1) Where an offender decides to pursue a legal remedy for the offender’s complaint or grievance in addition to the complaint and grievance procedure referred to in these Regulations, the review of the complaint or grievance pursuant to these Regulations shall be deferred until a decision on the alternate remedy is rendered or the offender decides to abandon the alternate remedy.

(2) Lorsque l’examen de la plainte ou au grief est suspend conformément au paragraphe (1), la personne chargée de cet examen doit en informer le délinquant par écrit.

(2) Where the review of a complaint or grievance is deferred pursuant to subsection (1), the person who is reviewing the complaint or grievance shall give the offender written notice of the decision to defer the review.

Ceci n’empêche en rien d’intenter une procédure judiciaire. Le délai de prescription continue à courir.

[43]  L’article 11 de la Loi sur la prescription, lequel prévoit que le délai de prescription ne court pas lorsqu’un tiers indépendant tente de résoudre la réclamation lorsque les parties se sont entendues sur un tel processus, ne vient également pas au secours du demandeur. Il n’y a eu ni tel processus ni entente à ce titre entre les parties. L’arbitrage d’un grief n’est certainement pas admissible à ce chapitre.

B.  Question de procédure

[44]  Il reste maintenant à trancher la question du véhicule procédural à utiliser dans le contexte d’une action simplifiée conformément aux articles 292 à 299. Cette question n’a pas été soulevée par le demandeur, mais elle devrait néanmoins être abordée étant donné qu’il se représente seul et qu’on ne peut lui reprocher de ne pas être familiarisé avec des questions procédurales obscures.

[45]  Les cours ont été encouragées à examiner des outils comme le recours à des requêtes en jugement sommaire pour utiliser plus efficacement les ressources, judiciaires et autres. Bien qu’il porte sur les règles des cours de l’Ontario, la Cour suprême a indéniablement analysé le recours aux jugements sommaires dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87 [Hryniak], dans un contexte visant à répondre à un besoin d’accès à la justice :

[2]  On reconnaît de plus en plus qu’un virage culturel s’impose afin de créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile. Ce virage implique que l’on simplifie les procédures préalables au procès et que l’on insiste moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire. L’équilibre entre la procédure et l’accès à la justice qu’établit notre système de justice doit en venir à refléter la réalité contemporaine et à reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables.

[46]  La Cour suprême note ensuite ce qui suit :

[4]  […] la Cour d’appel de l’Ontario a accordé trop d’importance à la « pleine appréciation » que l’on peut faire de la preuve lors d’un procès conventionnel, étant donné que pareil procès ne constitue pas une solution de rechange réaliste pour la plupart des parties à un litige. À mon avis, la tenue d’un procès n’est pas nécessaire si une requête en jugement sommaire peut déboucher sur une décision juste et équitable, si elle offre un processus qui permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, d’appliquer les règles de droit à ces faits et si elle constitue, par rapport au procès, un moyen proportionné, plus expéditif et moins onéreux d’arriver à un résultat juste.

[5]  Je conclus à cette fin que les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes.

En outre, la Cour a souligné la nature du virage culturel nécessaire :

[32]  Ce virage culturel oblige les juges à gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité. La requête en jugement sommaire peut permettre d’économiser temps et ressources, mais, à l’instar de la plupart des procédures préalables au procès, elle peut ralentir l’instance si elle est utilisée de manière inappropriée. Bien que les juges puissent contribuer à la réduction de ce risque, et devraient le faire, les avocats doivent, conformément aux traditions de leur profession, agir de manière à faciliter plutôt qu’à empêcher l’accès à la justice. Ils devraient ainsi tenir compte des moyens limités de leurs clients et de la nature de leur dossier et élaborer des moyens proportionnés d’arriver à un résultat juste et équitable.

[47]  Bien entendu, je suis sensible à la mise en garde de notre Cour d’appel fédérale dans Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, quant à l’application de l’arrêt Hryniak, lequel arrêt a été rendu dans le contexte des règles de pratiques de l’Ontario, qui se distinguent des Règles des Cours fédérales. Il n’en demeure pas moins que la Cour suprême invite les juges à adopter une interprétation large afin de favoriser le principe de la proportionnalité entre la tenue d’un procès et d’un procès sommaire ainsi que l’accès équitable sans qu’il soit nécessaire de consommer des ressources considérables.

[48]  En l’espèce, il n’est nullement nécessaire de dépenser des ressources, en temps et en argent, et de tenir un procès sur une réclamation prescrite. Il faudra constituer un dossier, tenir des contre-interrogatoires sur des affidavits, peut-être retenir les services d’experts, et entendre des requêtes. Tout ceci peut être évité si la Cour parvient à une décision dans le cadre d’un jugement sommaire. Si la Cour conclut qu’il n’y a aucune véritable question litigieuse à trancher quant à la réclamation, elle rendra un jugement sommaire (article 215 des Règles). Il s’agit là de la véritable raison d’être d’un jugement sommaire que de permettre à la Cour de régler les dossiers qui ne devraient pas déboucher sur un procès (Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 RCF 853). En effet, une requête en jugement sommaire peut seulement être présentée à l’égard de certaines des questions soulevées dans les procédures (article 213 des Règles). Le jugement sommaire semble parfaitement adapté aux circonstances de l’espèce.

[49]  Or, l’article 297 des Règles vient poser problème :

Requête en jugement sommaire ou en procès Sommaire

Motion for summary judgment or summary trial

297 Aucune requête en jugement sommaire ou en procès sommaire ne peut être présentée dans une action simplifiée.

297 No motion for summary judgment or summary trial may be brought in a simplified action.

L’espèce constitue une action simplifiée.

[50]  Cependant, le juge des requêtes dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire lui permettant d’entendre une requête en jugement sommaire en dépit de l’article 297 des Règles. D’abord, l’alinéa 292a) des Règles prévoit qu’une action, qui constituerait une action sommaire, peut ne pas être traitée à ce titre :

Application

Where mandatory

292 Sauf ordonnance contraire de la Cour, les règles 294 à 299 s’appliquent à toute action dans laquelle :

292 Unless the Court orders otherwise, rules 294 to 299 apply to any action in which

a) chaque réclamation vise exclusivement une réparation pécuniaire d’au plus 50 000 $, intérêts et dépens non compris;

(a) each claim is exclusively for monetary relief in an amount not exceeding $50,000, exclusive of interest and costs;

Au surplus, le paragraphe 298(3) des Règles investit notre Cour d’un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de soustraire une « action simplifiée » de l’application de l’article 297 des Règles :

298 (3) Peuvent être présentées à tout moment :

298 (3) A motion may be brought at any time

a) une requête visant à exclure l’action de l’application des règles 294 à 299;

(a) to remove an action from the operation of rules 294 to 299;

[51]  À mon sens, il s’agit là des circonstances pertinentes où la Cour doit exercer ce pouvoir discrétionnaire. Ma collègue, la juge Mactavish, est parvenue à cette même conclusion dans Source Enterprises Ltd. c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 966. Je suis du même avis que ma collègue voulant qu’il soit approprié d’exercer ce pouvoir discrétionnaire lorsqu’un dossier peut être réglé par un jugement concluant que la réclamation est prescrite. Je suis d’autant plus convaincu de la nécessité d’interpréter généreusement cette discrétion en regard de l’arrêt Hryniak afin de favoriser l’accès à la justice à un coût raisonnable. Je seconde les commentaires exposés par la juge Mactavish aux paragraphes 37 à 40.

[37]  Les règles relatives aux actions simplifiées visent à permettre le règlement rapide des actions dont la somme en cause est inférieure à 50 000 $ à l’aide d’un processus moins lourd et moins onéreux que celui associé aux poursuites civiles traditionnelles. À cette fin, les règles restreignent la possibilité pour les parties de présenter des requêtes, y compris les requêtes en jugement sommaire.

[38]  La Cour conserve toutefois le pouvoir discrétionnaire d’exclure une action de l’application des règles régissant les actions simplifiées : voir l’alinéa 298(3)a) des Règles. Il serait toutefois inopportun en l’espèce que la Cour exerce ce pouvoir.

[39]  Les faits essentiels sur lesquels repose l’argument touchant le délai de prescription invoqué par les défendeurs ne sont pas contestés, et l’issue de la présente action dépend de la question relative à ce délai. La demanderesse n’a même pas répondu aux arguments des défendeurs visant l’action contre le ministre du Revenu national, et aucune véritable question à trancher n’a été définie en ce qui concerne le défendeur.

[40]  Dans les circonstances, exclure l’action de l’application des règles relatives aux actions simplifiées et statuer sur la requête en jugement sommaire entraîneraient un résultat compatible avec l’objet visant à promouvoir une justice plus rapide et plus efficiente pour les actions dont la somme en cause est moins importante, lesquelles actions sous-tendent les règles en matière de jugement sommaire.

[52]  À mon sens, il est parfaitement approprié, voire nécessaire, que la présente action soit soustraite de l’application des articles 294 à 299 des Règles.

[53]  Comme il a été mentionné précédemment, une requête en jugement sommaire sera accueillie s’il n’y a aucune véritable question litigieuse à trancher. Il n’y a manifestement aucune véritable question litigieuse à trancher si la réclamation est prescrite. Dans Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14; [2008] 1 RCS 372, la Cour suprême a énoncé l’importance des jugements sommaires :

[10]  Le pourvoi concerne une requête en jugement sommaire. La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile. Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès. L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus. Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites.

La Cour a conclu qu’une fois qu’il était établi que la réclamation était prescrite, il n’y avait plus de véritable question litigieuse à trancher :

[12]  Nous sommes d’avis que, à supposer que la déclaration soulève des questions donnant matière à procès et qu’il soit possible d’établir la qualité des demandeurs, les demandes sont prescrites par application de la Limitation of Actions Act. Il ne s’agit pas d’une véritable question litigieuse. Si on la laissait suivre son cours jusqu’à l’instruction, l’action serait assurément rejetée pour ce motif. C’est pourquoi nous estimons, comme le juge en chambre, qu’elle doit être radiée, sauf pour la demande de reddition de compte relative au produit de la vente, qui est une demande de nature continue non visée par la Limitation of Actions Act.

[54]  Par conséquent, il s’ensuit que la requête en jugement sommaire doit être accueillie puisque la réclamation du demandeur est prescrite.

[55]  La défenderesse a réclamé des dépens de 700 $. Dans les circonstances, je fixerai les dépens à 250 $, y compris les débours et les taxes.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-807-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’action est soustraite de l’application des articles 294 à 299 des Règles des Cours fédérales;

  2. La requête en jugement sommaire de la défenderesse est accueillie au motif que la réclamation a été déposée au-delà du délai de prescription et qu’elle est ainsi prescrite.

  3. L’action est rejetée.

  4. Des dépens de 250 $ sont adjugés en faveur de la défenderesse.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-807-17

 

INTITULÉ :

HENRY LEPAGE c SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) AUX TERMES DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES.

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 décembre 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Henry Lepage

 

Pour le demandeur – Pour son propre compte

 

Joshua Wilner

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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