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Date : 20171218


Dossier : IMM-1937-17

Référence : 2017 CF 1164

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KULJEET BISLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Bisla, a quitté l’Inde et il est arrivé au Canada en 2001, à l’âge de 14 ans. En 2015, après avoir été déclaré coupable de contacts sexuels avec une personne de moins de 16 ans, il a été condamné à une peine d’emprisonnement et à une probation. Il a ensuite été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et une mesure de renvoi a été prise contre lui. Sa demande de contrôle judiciaire de cette mesure de renvoi a été rejetée (Bisla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1059 [Bisla]). Il a par la suite été débouté d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour ne pas être renvoyé du Canada. Sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 7 avril 2017.

[2]  Dans le cadre du contrôle de ce rejet, le demandeur fait valoir que l’agent chargé d’évaluer sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas évalué adéquatement les difficultés qui l’attendent en Inde en raison de son handicap intellectuel et de la dépendance économique et psychologique qui en découle à l’égard de sa famille au Canada.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’agent a examiné de manière raisonnable les éléments de preuve et les questions soulevées par le demandeur.

I.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La décision de l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire tient compte de l’établissement du demandeur au Canada, y compris le fait qu’il y occupe un emploi et y participe à des événements culturels. L’agent a estimé qu’il s’agissait de facteurs favorables. En revanche, il a jugé que l’infraction de contacts sexuels avec une personne mineure, qui ont commencé alors qu’elle avait cinq ans, pesait très lourd contre le demandeur. Ces actes répréhensibles ont continué pendant cinq ans.

[5]  En ce qui concerne le handicap intellectuel du demandeur, l’agent a précisé que le juge chargé de la détermination de la peine avait commenté un rapport psychologique cité au cours du procès criminel. Ce rapport n’a toutefois pas été présenté à l’agent à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et, de toute façon, le juge en avait déduit que le demandeur était conscient de mal agir.

[6]  Le demandeur avait néanmoins joint à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire la lettre d’un médecin expliquant que son handicap intellectuel l’empêchait de comprendre la situation. Le médecin affirme dans sa lettre que Kuljeet (le demandeur) n’était pas apte à comprendre ce dont il était accusé. L’agent n’a pas accordé une grande importance à cette lettre.

[7]  À l’égard de la situation en Inde, le demandeur allègue qu’il ne pourrait pas y survivre à cause de son handicap intellectuel et du soutien que doit lui donner sa famille en conséquence. L’agent souligne que malgré les affirmations du demandeur concernant son handicap intellectuel, il n’a jamais sollicité les services offerts aux personnes dans sa condition en Colombie-Britannique. L’agent en déduit que si son handicap était aussi grave qu’il le prétend, le demandeur aurait cherché à obtenir de tels services.

[8]  Le demandeur n’a pas terminé ses études secondaires, mais l’agent constate qu’il n’a fourni aucune explication à ce propos ni d’élément de preuve indiquant que les responsables de l’école secondaire étaient au courant de son handicap. L’agent conclut que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas pour établir que le handicap allégué est grave au point de limiter aussi considérablement le demandeur au quotidien ou de nuire à sa capacité de se réinstaller en Inde. L’agent mentionne que le demandeur mène actuellement une vie indépendante de ses parents, dans une partie distincte de leur maison. Il ajoute que la sœur du demandeur, qui habite en Inde, pourrait lui offrir du soutien.

[9]  Enfin, pour ce qui a trait à l’élément des conditions défavorables, l’agent conclut qu’aucun élément de preuve n’indique que les [traduction] « déficiences cognitives légères » du demandeur sont si manifestes qu’il risque de subir de la discrimination en Inde.

II.  Norme de contrôle

[10]  La norme de contrôle qui s’applique à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18).

III.  Question en litige

[11]  L’unique question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle du caractère raisonnable de la décision de l’agent.

IV.  Discussion

A.  La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[12]  Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas bien apprécié son handicap intellectuel et son inaptitude à survivre en Inde en raison de sa dépendance totale à l’égard du soutien émotionnel et financier de sa famille.

[13]  Il soutient en outre que l’agent a fait abstraction de l’objet de l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui vise la réunification des familles au Canada. Il estime que la séparation de sa famille peut constituer la base d’une décision favorable, conformément aux Lignes directrices IP-5 (les Lignes directrices).

[14]  De manière générale, l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, et le fardeau de la preuve repose sur le demandeur (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5).

[15]  L’analyse des motifs d’ordre humanitaire ne repose pas sur les facteurs de sympathie, mais sur l’appréciation par l’agent de tous les facteurs favorables et défavorables pertinents (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 33). En l’espèce, l’agent a examiné chacun des motifs exposés par le demandeur. Il a accordé un poids relativement favorable à l’établissement du demandeur, mais il a jugé que l’infraction criminelle commise jouait grandement en sa défaveur.

[16]  L’agent a examiné les éléments de preuve concernant la santé mentale du demandeur. Il a tenu compte des commentaires du juge chargé de la détermination de la peine, mais également du fait que le rapport psychologique complet produit dans le cadre du procès criminel n’a pas été joint à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Qui plus est, aucun diagnostic formel ne semble ressortir du rapport psychologique présenté au procès du demandeur et quoi qu’il en soit, le demandeur était apte à subir son procès et était conscient d’avoir mal agi.

[17]  La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire repose notamment sur une lettre d’un paragraphe provenant du médecin de famille du demandeur. L’agent conclut qu’il n’est pas indiqué dans cette lettre que le demandeur souffre d’une incapacité diagnostiquée qui rendrait difficile sa réinstallation en Inde. Il était loisible à l’agent d’accorder peu d’importance aux arguments liés à la santé mentale.

[18]  En ce qui concerne l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, qui énonce le principe directeur de la réunification des familles au Canada, il est clair que l’agent a examiné les avantages pour le demandeur de demeurer au Canada. Il fait observer que le demandeur réside depuis longtemps au Canada et que son retour en Inde sera [traduction] « une source de perturbation et d’angoisse ». Cependant, il met en balance cette difficulté et les autres éléments de la demande. Le demandeur ne peut pas demander à la Cour d’apprécier de nouveau ce facteur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[19]  Le demandeur fait valoir par ailleurs que l’agent n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les Lignes directrices IP 5, selon lesquelles « [l]a séparation d’un parent de fait et de ses proches peut constituer la base d’une décision CH favorable ». Selon lui, l’agent aurait dû chercher à établir si le principe énoncé dans les Lignes directrices s’appliquait à la séparation d’avec ses parents.

[20]  Le décideur n’est toutefois pas contraint d’appliquer les Lignes directrices (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198, au paragraphe 66; Whitely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 476, au paragraphe 12). Elles visent simplement à guider l’agent dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sous le régime de l’article 25 de la LIPR. De fait, les Lignes directrices ne sont pas impératives, mais indiquent plutôt que « [l]a séparation d’un parent de fait et de ses proches peut constituer la base d’une décision CH favorable » [Non souligné dans l’original].

[21]  Le plus important est que l’agent a examiné en détail les facteurs énumérés dans les Lignes directrices concernant les liens familiaux et les conséquences d’une séparation. Cet examen constitue une partie importante de son analyse. Comme il a déjà été mentionné, le demandeur réclame une nouvelle évaluation de ces facteurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[22]  Il soutient enfin que l’agent a fait fi de l’ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prononcée par le juge Phelan après son interdiction de territoire pour grande criminalité. L’ordonnance de sursis faisait état des facultés cognitives limitées du demandeur. Or, l’agent mentionne expressément les [traduction] « déficiences cognitives légères » du demandeur. Qui plus est, le sursis accordé est provisoire et ne rend pas compte de l’ensemble de la situation du demandeur, et notamment de la décision Bisla de notre Cour à l’égard de sa demande de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi.

[23]  De manière générale, l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire doit pointer des erreurs précises. Les erreurs invoquées ne peuvent servir de prétexte à une réévaluation de la preuve ou à une nouvelle plaidoirie sur le bien-fondé d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Leung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 636, au paragraphe 34). En l’espèce, le demandeur cherche à plaider à nouveau les arguments avancés au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour ne peut pas le lui permettre dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[24]  L’agent a reconnu que l’établissement du demandeur plaide en sa faveur, puis il a correctement mis en balance cette conclusion favorable et les facteurs négatifs de sa situation, en tenant compte des éléments de preuve à sa disposition. La décision rendue est raisonnable.

[25]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1937-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1937-17

INTITULÉ :

KULJEET BISLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Baldev S. Sandhu

Pour le demandeur

Marjan Double

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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