Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180108


Dossier : IMM-1247-17

Référence : 2018 CF 6

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

À Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

KAM TIM TONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  Le demandeur, Kam Tim Tong, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 24 février 2017, par laquelle, conformément au paragraphe 68(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), elle a examiné de nouveau l’appel interjeté par M. Tong à l’égard d’une mesure d’expulsion prise à son endroit en 2007 et a rejeté ledit appel.

[2]  Le demandeur, né à Hong Kong, est citoyen de la Nouvelle-Zélande. Il s’est vu accorder le statut de résident permanent au Canada en novembre 1993. Son ex-femme et ses trois enfants ont choisi de ne pas le suivre au Canada et sont restés en Nouvelle-Zélande.

[3]  En 2005, le demandeur a été reconnu coupable de possession de stupéfiants à des fins de trafic en application du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19. Il a été condamné à une période de probation de deux ans et s’est vu imposer une amende de 50 000 $, dont 15 000 $ étaient payables immédiatement, tandis que le reste de la somme devait être acquitté au cours des deux années suivantes.

[4]  En raison de sa condamnation, le demandeur a été frappé d’interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR; une mesure d’expulsion a été prise à son égard en février 2007.

[5]  Le demandeur a interjeté appel de la mesure d’expulsion devant la Section d’appel de l’immigration. Le 11 septembre 2009, la Section d’appel de l’immigration a ordonné un sursis de quatre ans à l’exécution de l’expulsion du demandeur avec le consentement du défendeur. Ce sursis était assorti de conditions : entre autres, le demandeur devait se présenter en personne à l’Agence des services frontaliers du Canada tous les six mois à des dates précises, son rapport écrit devait indiquer des détails précis, il devait faire des efforts raisonnables pour trouver un emploi et il devait respecter toutes les conditions associées à sa probation et à sa libération conditionnelle, ainsi que toute ordonnance judiciaire.

[6]  À l’échéance du sursis, en 2013, le défendeur a présenté une déclaration écrite à la Section d’appel de l’immigration dans laquelle il indiquait qu’il ne consentait pas à ce qu’il soit fait droit à l’appel interjeté par le demandeur. Le défendeur était d’avis que le demandeur n’avait pas respecté certaines conditions du sursis à l’exécution de son expulsion puisqu’il n’avait pas présenté au défendeur sa déclaration écrite de conformité, il n’avait pas présenté de demande de prorogation de la validité de son passeport ou de son document de voyage avant son arrivée à échéance et il n’avait fait aucun effort raisonnable pour trouver et garder un emploi à temps plein.

[7]  La Section d’appel de l’immigration a réexaminé l’appel interjeté par le demandeur en 2014. Après examen de la recommandation conjointe des parties, la Section d’appel de l’immigration a prolongé le sursis de deux années supplémentaires et les conditions ont été modifiées. Le demandeur devait, en vertu de l’une de ces conditions, établir un plan de versements pour rembourser les amendes en souffrance liées à sa condamnation criminelle.

[8]  Trois mois avant l’échéance du sursis, en 2016, le défendeur a demandé un nouvel examen du sursis à l’exécution de l’expulsion du demandeur au motif que ce dernier ne respectait pas les conditions liées audit sursis. Le défendeur a ensuite déposé une déclaration écrite dans laquelle il informait la Section d’appel de l’immigration que le demandeur avait omis de : 1) présenter sa déclaration écrite au défendeur; 2) faire des efforts raisonnables pour trouver et garder un emploi à temps plein (condition no 10); 3) respecter l’ordonnance judiciaire de remboursement des amendes en souffrance associées à sa condamnation criminelle (condition no 13); et 4) ne pas troubler l’ordre public et afficher un bon comportement, parce qu’il avait reçu une amende de 375 $ en vertu du Code de la route (condition no 15).

[9]  Dans le cadre de son réexamen de l’appel interjeté par le demandeur, la Section d’appel de l’immigration a entendu ce dernier, qui a comparu sans avocat et qui a présenté des éléments de preuve sur sa situation personnelle et sur les motifs de son non-respect des conditions de sursis établies précédemment par la Section d’appel de l’immigration. La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel interjeté par le demandeur le 24 février 2017 au motif qu’il n’avait pas établi des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier l’ordonnance d’un autre sursis, puisque le demandeur était incapable de respecter les conditions d’un sursis.

[10]  Le demandeur affirme que la Section d’appel de l’immigration a commis un manquement au principe d’équité procédurale en tenant une audience sans interprète et en formulant des commentaires démontrant un parti pris pendant cette audience. Il soutient aussi que la Section d’appel de l’immigration a évalué les motifs d’ordre humanitaire pertinents et traité les éléments de preuve présentés par le demandeur de manière déraisonnable.

II.  Analyse

A.  Question préliminaire

[11]  En appui à sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a présenté deux affidavits et des documents connexes. Les affidavits ont été attestés le 18 avril 2017 et le 14 août 2017. Le défendeur soutient que des parties de ces affidavits et des pièces qui y sont jointes sont inadmissibles parce qu’ils invoquent des arguments et s’appuient sur des éléments de preuve n’ayant pas été présentés à la Section d’appel de l’immigration. Le demandeur tente donc de manière inappropriée d’aborder, lors du contrôle judiciaire, les préoccupations que la Section d’appel de l’immigration a soulevées dans ses motifs.

[12]  Il est de jurisprudence constante que le contrôle judiciaire d’une décision doit se fonder sur le matériel qui était à la disposition du tribunal au moment où la décision a été rendue (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19 [Access Copyright]); Castillo Afable c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1317, aux paragraphes 20 à 22).

[13]  Le demandeur n’est pas parvenu à faire la démonstration que l’une des rares exceptions reconnues à cette règle s’applique à l’espèce. Par conséquent, le paragraphe 9 de l’affidavit du 18 avril 2017 et les pièces A, B et D, ainsi que les paragraphes 4 à 7 et 9 de l’affidavit daté du 14 août 2017 et ses pièces A, B, C et D ne seront pas pris en considération aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire.

B.  Aucun manquement à l’équité procédurale

[14]  Les tribunaux ont toujours affirmé que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Lorsque l’on examine une décision selon la norme de la décision correcte, la question qui se pose n’est pas de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt de savoir si, en fin de compte, le processus suivi par le décideur était équitable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; (Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, au paragraphe 15; Hashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14).

[15]  Le demandeur soutient que le commissaire de la Section d’appel de l’immigration n’aurait pas dû tenir l’audience sans la présence d’un interprète, puisqu’il ne maîtrise pas bien l’anglais et qu’aucun avocat n’était à ses côtés pour l’aider. Le demandeur soutient également que certains commentaires formulés par le commissaire de la Section d’appel de l’immigration pendant l’audience témoignent d’un parti pris contre lui.

[16]  Je ne peux me rallier aux arguments du demandeur.

[17]  Même si le demandeur avait préféré avoir l’aide d’un interprète, il a accepté de procéder sans interprète et il n’a indiqué à aucun moment pendant l’audience qu’il ne comprenait pas les questions ou qu’il avait besoin de services d’interprétation. Au début de l’audience, le commissaire de la Section d’appel de l’immigration a demandé au demandeur s’il avait besoin d’un interprète. Le demandeur a répondu [traduction] « [o]uais, si vous en avez un, ouais ». L’avocat du défendeur a ensuite informé le commissaire de la Section d’appel de l’immigration que le demandeur n’avait pas demandé à obtenir les services d’un interprète pendant les audiences précédentes. Alors, le commissaire de la Section d’appel de l’immigration a demandé au demandeur : [traduction] « [v]ous ne comprenez pas...? » en lui rappelant qu’il n’avait pas eu besoin d’un interprète quatre mois plus tôt, lors de sa dernière comparution devant la Section d’appel de l’immigration. Le demandeur a ensuite répondu [traduction] « je vous entends, mais vous devez parler lentement ». Le commissaire de la Section d’appel de l’immigration a ensuite dit au demandeur : [traduction] « très bien, essayons ainsi pour commencer. Jusqu’à maintenant, comprenez-vous […] », ce à quoi le demandeur a répondu [traduction] « jusqu’à maintenant je comprends ». Pendant l’audience, le demandeur a accepté d’informer le commissaire de la Section d’appel de l’immigration de tout élément qu’il ne comprendrait pas. Le demandeur a aussi confirmé, à la fin de l’audience, avoir compris tout ce qui avait été dit et lui avait été demandé, et il a eu l’occasion de soulever toute question liée à sa capacité de communiquer; il a choisi de ne rien dire.

[18]  Il incombait au demandeur de s’opposer à la langue dans laquelle l’audience avait lieu à la première occasion possible et son défaut de le faire sous-entend qu’il a accepté de poursuivre en anglais (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 742, aux paragraphes 18 et 19; Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, au paragraphe 19, cité dans l’affaire Abegaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 306, au paragraphe 14).

[19]  Qui plus est, après examen des notes sténographiques, je suis convaincue que le demandeur comprenait les questions qui lui étaient posées et qu’il s’exprimait bien en anglais. Les questions posées par le commissaire de la Section d’appel de l’immigration étaient souvent ouvertes, ce qui exigeait de présenter une réponse plus complète qu’un simple « oui » ou « non » et les réponses du demandeur abordaient les questions. Rien n’indique que le demandeur ne comprenait pas ou qu’il éprouvait de la difficulté à s’exprimer.

[20]  En outre, rien dans le dossier ne porte à croire que le demandeur avait reçu l’aide d’un interprète lors de sa comparution à l’audience de réexamen qui a eu lieu en 2014.

[21]  Je conclus que les plaintes formulées par le demandeur sont attribuables à l’absence d’un avocat et pas à des questions d’interprétation. Même si une obligation d’équité accrue s’impose en faveur des plaideurs non représentés, je suis convaincue que le demandeur a eu une occasion suffisante d’exposer sa situation (Lee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 705, au paragraphe 12).

[22]  En ce qui a trait à l’argument invoqué par le demandeur sur la partialité du commissaire de la Section d’appel de l’immigration, rien dans le dossier ou dans les notes sténographiques ne soutient cette allégation.

[23]  Par conséquent, l’argument invoqué par le demandeur voulant qu’il ait été privé de son droit à l’équité procédurale doit être rejeté.

C.  La décision de la Section d’appel de l’immigration est raisonnable.

[24]  Le demandeur soutient que la décision de la Section d’appel de l’immigration est déraisonnable parce qu’elle n’a pas évalué et soupesé adéquatement tous les facteurs pertinents afin de déterminer s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour accorder un autre sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur né au Canada.

[25]  Les questions soulevées par le demandeur sont des questions mixtes de fait et de droit, qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Santiago c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, aux paragraphes 25 et 26 [Santiago]).

[26]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de décider si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; si elle montre la « justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ». Le rôle de la Cour n’est pas de substituer sa propre opinion de la solution appropriée (Khosa, au paragraphe 59; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[27]  Afin de faire droit à un appel ou d’ordonner un sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion au titre de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR, la Section d’appel de l’immigration doit être convaincue, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, que des motifs d’ordre humanitaire suffisants justifient d’accorder la mesure spéciale sollicitée au vu des circonstances entourant l’affaire. Il s’agit de l’exercice d’un pouvoir hautement discrétionnaire et la Cour doit faire preuve d’une grande retenue (Santiago, au paragraphe 28).

[28]  La Section d’appel de l’immigration, dans son analyse, doit tenir particulièrement compte des facteurs établis dans l’affaire Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] IABD no 4 [Ribic] et confirmés par la Cour suprême du Canada par l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, que voici : i) la gravité de l’infraction ayant donné lieu à la mesure d’expulsion; ii) la possibilité de réadaptation; iii) le temps passé au Canada et le degré d’établissement au pays; iv) la présence de la famille de l’appelant au pays et les bouleversements que son expulsion occasionnerait à sa famille; v) le soutien que l’appelant peut obtenir de sa famille et de la collectivité; et vi) l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité (Santiago, au paragraphe 30).

[29]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a mené une évaluation déraisonnable des facteurs établis dans l’affaire Ribic. Il fait valoir que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte de son âge avancé, du temps qu’il a passé au Canada, de ses liens familiaux au Canada, des difficultés qu’il subirait pour se réinstaller en Nouvelle-Zélande, de son emploi à temps plein, de sa réadaptation et du degré de gravité de son infraction criminelle. En invoquant l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, le demandeur soutient également que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu suffisamment compte de l’intérêt supérieur de son fils âgé de seize ans vivant au Canada et des difficultés économiques et émotives que sa conjointe de fait et son fils canadiens subiraient s’il était expulsé du Canada. Enfin, le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration l’a pénalisé injustement pour avoir omis de présenter ses déclarations de revenus en plus de ses talons de paye comme preuve d’emploi et qu’il aurait dû être en mesure de les produire après l’audience.

[30]  Encore une fois, je ne suis pas convaincue du bien-fondé des arguments avancés par le demandeur.

[31]  Contrairement aux allégations du demandeur, la Section d’appel de l’immigration a expressément tenu compte de l’âge du demandeur et de ses problèmes de santé, du temps qu’il a passé au Canada, de sa séparation de sa famille en Nouvelle-Zélande, de ses liens familiaux au Canada, notamment avec sa conjointe de fait et son fils, avec qui il habite, et de l’absence d’autres condamnations depuis l’ordonnance de sursis. La Section d’appel de l’immigration a aussi mentionné que le demandeur travaillait depuis deux ans et a indiqué les motifs pour lesquels il n’avait pas travaillé pendant les cinq années précédentes. Enfin, la Section d’appel de l’immigration a pris en considération les difficultés que subiraient le fils et la conjointe de fait du demandeur s’il retournait en Nouvelle-Zélande et a conclu qu’ils pourraient compter sur leur famille au Canada ou tenter d’être réunis avec le demandeur à l’étranger.

[32]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas évalué adéquatement l’intérêt supérieur de son enfant; si elle l’avait fait, elle aurait permis au demandeur de rester au Canada au moins jusqu’à ce que son fils termine ses études secondaires et qu’il n’ait plus besoin de la présence de son père. Je suis convaincue que la Section d’appel de l’immigration a abordé de manière raisonnable l’intérêt supérieur du fils du demandeur au vu des minces éléments de preuve que le demandeur a produits concernant les répercussions pour son fils. L’analyse des difficultés menée par la Section d’appel de l’immigration correspond raisonnablement à l’absence d’éléments de preuve présentés par le demandeur à l’audience.

[33]  La Section d’appel de l’immigration a accordé un « poids considérable » à tous ces facteurs positifs, mais elle a finalement conclu qu’ils ne l’emportaient pas sur le défaut du demandeur de respecter les conditions établies dans son ordonnance judiciaire et son ordonnance de sursis ou sur la faible probabilité qu’il respecte d’autres ordonnances de sursis à l’avenir. Tout en mentionnant que le demandeur était accompagné d’un avocat à l’audience sur l’enquête et aux deux audiences suivantes sur le sursis, la Section d’appel de l’immigration a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il ignorait les conditions associées au sursis et l’importance de les respecter.

[34]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait un emploi à temps plein. Comme il a été indiqué plus tôt, le sursis prévoyait, entre autres conditions, que le demandeur fasse des efforts raisonnables pour trouver et garder un emploi à temps plein. La Section d’appel de l’immigration a fait remarquer que le demandeur n’avait présenté que des talons de paie pour les quatre derniers mois. C’est dans ce contexte que la Section d’appel de l’immigration a estimé qu’aucun motif crédible n’expliquait pourquoi le demandeur n’avait pas fourni, tant à sa dernière audience sur l’ordonnance de sursis que dans l’audience de réexamen en cours, des avis de cotisation afin de prouver le revenu qu’il affirmait gagner. Selon le dossier qui lui était présenté, il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration de conclure que le demandeur ne semblait pas prendre au sérieux son obligation de présenter une preuve d’emploi à temps plein et de faire des efforts raisonnables pour trouver un tel emploi.

[35]  La Section d’appel de l’immigration a également pris en considération le défaut du demandeur d’effectuer des versements pour rembourser les amendes associées à ses condamnations criminelles ou d’établir un plan de versements, comme il lui avait été ordonné de le faire à la dernière audience sur le sursis. Même si la Section d’appel de l’immigration était consciente que le demandeur avait un faible revenu et qu’il offrait maintenant d’établir un plan et de rembourser sa dette à même sa pension future, la Section d’appel de l’immigration a finalement conclu qu’il avait eu amplement le temps de commencer à faire des versements pour rembourser ses amendes et qu’il n’avait pas montré qu’il avait fait des efforts pour le faire. La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’elle était loin d’être convaincue que le demandeur commencerait à le faire, même s’il avait assuré qu’il le ferait.

[36]  Je réfute l’argument du demandeur selon lequel il était déraisonnable que la Section d’appel de l’immigration accorde un poids considérable à son défaut de paiement. La décision découlant du réexamen de 2014 indiquait explicitement comme condition que le demandeur devait prendre des mesures pour rembourser les amendes en souffrance liées à ses condamnations criminelles. Au paragraphe 12 de sa décision, la Section d’appel de l’immigration avait indiqué ce qui suit :

[traduction] Une condition au maintien du sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, l’appelant doit établir un plan de versements et faire de son mieux pour rembourser l’amende imposée par les tribunaux criminels. Les frais susmentionnés n’avaient pas été imposés pour une quelconque infraction mineure; Le fait d’ignorer ces frais avilit l’objectif des tribunaux criminels de rétablir la justice pour le public, qui a subi un préjudice des activités criminelles de l’appelant. Dans ce contexte, on ne peut sous-estimer l’importance de ces amendes.

[37]  Dans son témoignage, le demandeur a affirmé que son avocat ne l’avait pas informé de cette condition puisqu’ils se sont disputés à propos du paiement de ses honoraires. Je précise cependant que, dans la décision sur le sursis de 2014, le demandeur avait été interrogé sur sa dette en souffrance à la dernière audience. Dans son témoignage, il a indiqué qu’il avait payé la portion de 15 000 $ de l’amende en un seul paiement forfaitaire il y a près de quinze ans de cela, mais qu’il n’avait pas établi de plan de versements pour payer le montant restant. Étant donné que le demandeur a obtenu un sursis à l’exécution de sa mesure d’expulsion en 2009, sous certaines conditions, et que le sursis a été prolongé en 2014, il aurait été raisonnable pour lui de s’assurer de connaître les conditions qui lui avaient été imposées puisqu’un manquement de sa part pouvait mener à l’annulation du sursis. Qui plus est, même si le demandeur s’est effectivement disputé avec son ancien avocat, il est très improbable que ce dernier retienne de l’information sur les conditions associées au sursis.

[38]  Il ressort aussi du dossier que le demandeur savait que la Section d’appel de l’immigration aborderait la question de son respect des conditions du sursis. Lors d’une réunion précédant le réexamen visé par le présent contrôle judiciaire, en avril 2016, le demandeur a été informé des préoccupations du défendeur quant à son emploi et à son défaut de payer l’amende liée à sa condamnation criminelle.

[39]  L’amende liée à la condamnation criminelle de 2005 du demandeur est considérable et elle demeure largement en souffrance à ce jour. La mesure spéciale qu’il demandait à la Section d’appel de l’immigration de prendre à son égard est exceptionnelle et de nature très discrétionnaire. Dans cette situation, il était raisonnable que la Section d’appel de l’immigration accorde un poids considérable au non-respect par le demandeur des conditions du sursis. Cette conclusion est cohérente avec la décision rendue récemment par la Cour par laquelle elle a conclu que le manquement à l’une des conditions d’un sursis constitue [traduction] « une violation du fondement même d’un sursis » et une importante [traduction] « circonstance de l’affaire » comme cela est énoncé au paragraphe 68(1) et à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR (Santiago, au paragraphe 52). Le défaut du demandeur de prendre des mesures pour rembourser son amende en souffrance apportait un motif convaincant à la Section d’appel de l’immigration de s’écarter de sa dernière décision de maintien du sursis.

[40]  Je conclus que, dans l’ensemble, la Section d’appel de l’immigration a soupesé tous les facteurs pertinents et que son analyse a été raisonnablement réceptive aux éléments de preuve présentés par le demandeur. Lorsque j’examine la décision de la Section d’appel de l’immigration dans son ensemble, j’estime qu’elle est raisonnable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Khosa, au paragraphe 59; Dunsmuir, au paragraphe 47).

III.  Conclusion

[41]  Par tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je suis d’accord que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1247-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié par substitution de « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » à « Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ».

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1247-17

INTITULÉ :

KAM TIM TONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 8 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR LE DEMANDEUR

Amy King

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.