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Date : 20180109


Dossier : IMM-2776-17

Référence : 2018 CF 16

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

LUTGARDO MALIT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur a présenté une demande en vertu de l’article 197 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR) en vue d’obtenir un visa de résident temporaire (permis de travail) à titre de partenaire d’un titulaire de visa d’étudiant au Canada. Le 16 mai 2017, le demandeur a été informé que sa demande avait été rejetée par un agent des visas de l’ambassade du Canada (l’agent) aux Philippines.

[2]               L’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et du RIPR. L’agent a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé, compte tenu de sa situation d’emploi et de sa situation financière. En application de l’article 39 de la LIPR, l’agent a également conclu que le demandeur devait être interdit de territoire au Canada en raison de sa situation financière.

[3]               Les notes entrées dans le Système mondial de gestion des cas montrent que l’agent a examiné la situation financière du demandeur. L’agent a notamment indiqué que le demandeur avait présenté un bordereau de paiement et fourni des renseignements sur un compte bancaire. Le bordereau de paiement était d’un montant d’un plus peu de 1 000 dollars canadiens. Le compte bancaire était au nom de BS, le beau-frère du demandeur. L’agent a toutefois conclu que le demandeur avait omis de fournir des éléments de preuve démontrant qu’il avait la capacité financière nécessaire pour subvenir à ses besoins au Canada et qu’il avait eu une offre d’emploi au Canada. L’agent a donc conclu que le demandeur et son partenaire ne satisferaient probablement pas aux exigences relatives au seuil de faible revenu (le SFR) établi pour deux personnes au Canada.

[4]               L’agent a également pris en compte la probabilité que le demandeur quitte le Canada à la fin de son séjour ici. Bien que le demandeur ait déclaré qu’il avait notamment travaillé dans le secteur de la construction aux Philippines de 2012 à 2015 et dans l’industrie de la restauration, l’agent a conclu que le demandeur avait été incapable de conserver un emploi stable aux Philippines au cours des deux dernières années. L’agent a noté par ailleurs que les emplois dans le secteur de la construction occupés par le demandeur aux Philippines n’avaient pas été lucratifs, et que rien n’indiquait que le marché du travail au Canada serait meilleur – le demandeur n’avait donc pas suffisamment de liens économiques avec les Philippines pour s’assurer qu’il quitte le Canada à la fin de son séjour autorisé.

I.                    Le cadre législatif

[5]               La LIPR et le RIPR établissent une série d’exigences auxquelles un demandeur doit satisfaire pour prouver son admissibilité à un permis de travail.

[6]               Le paragraphe 11(1) de la LIPR prévoit qu’un étranger doit présenter une demande au Canada en vue d’obtenir un visa et les autres documents requis par règlement. L’agent doit être convaincu que « l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ». Le paragraphe 11(1) impose donc deux critères : la non-interdiction de territoire et la conformité avec la LIPR.

[7]               En ce qui a trait à la non-interdiction de territoire, l’article 39 de la LIPR stipule qu’un demandeur est interdit de territoire pour motifs financiers s’il est incapable, actuellement et dans l’avenir, de subvenir à ses besoins et à ceux de toute personne à sa charge.

[8]               Quant à la conformité avec la LIPR, l’alinéa 20(1)b) de la LIPR exige qu’un demandeur prouve qu’il ou elle détient les visa ou autres documents requis par le RIPR et qu’il ou elle quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. De même, l’alinéa 200(1)b) du RIPR stipule qu’un permis de travail est délivré à un étranger si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

II.                 Les questions en litige

[9]               En l’espèce, la question déterminante concerne la conclusion de l’agent quant à l’interdiction de territoire. À ce titre, les questions en litige s’énoncent comme suit :

  1. L’analyse financière de l’agent est-elle raisonnable?
  2. L’agent a-t-il agi de manière à susciter une crainte raisonnable de partialité?

III.               Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable à une décision prise par un agent des visas est celle de la décision raisonnable (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 894, au paragraphe 15). Cette norme commande la déférence, eu égard à l’expertise de l’agent et au caractère factuel des demandes de visa.

[11]           Quant à la crainte raisonnable de partialité, cette question doit être examinée en regard de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Il convient toutefois de préciser que la Cour d’appel fédérale a récemment formulé une mise en garde, en indiquant que la jurisprudence demeure imprécise sur cette question (Vavilov v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FCA 132, au paragraphe 13). Cependant, tout comme dans Michel c. Tribunal de révision de la collectivité de la bande d’Adams Lake, 2017 CF 835, au paragraphe 32, il n’existe en l’espèce aucune crainte raisonnable de partialité, selon l’une ou l’autre norme de contrôle.

IV.              Analyse

A.                 L’analyse financière de l’agent est-elle raisonnable?

[12]           Le demandeur soutient que l’agent aurait dû tenir compte du soutien financier qu’il recevrait des membres de sa famille dans son analyse de l’interdiction de territoire en vertu de l’article 39.

[13]           C’est toutefois au demandeur qu’il incombe de convaincre l’agent qu’il pourra subvenir à ses besoins (Kumarasekaram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1311, au paragraphe 9) et qu’il ne devrait pas être interdit de territoire. Lorsque les renseignements demandés ne sont pas fournis, il n’appartient pas à l’agent des visas d’enquêter plus à fond (Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 1 [Dhillon]; Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, au paragraphe 7).

[14]           De plus, l’agent a fondé sa décision sur les éléments de preuve que le demandeur lui a présentés, et il était loisible à l’agent de rendre cette décision compte tenu des exigences de la loi (Dhillon, au paragraphe 43). Outre le relevé de compte bancaire, aucun autre renseignement financier n’a été fourni par le demandeur ou son beau-frère. De fait, le demandeur lui-même a reconnu qu’il ne bénéficiera d’un soutien financier que s’il a un emploi.

[15]           Or, aucune preuve d’emploi n’a été présentée, ce qui ne fait qu’appuyer les conclusions de l’agent.

[16]           La présente affaire diffère de Girn c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1222, au paragraphe 33, où la Cour a conclu que l’agent avait omis de prendre en compte les importants actifs financiers du demandeur et les lettres des membres de sa famille qui indiquaient qu’ils soutiendraient le demandeur durant son séjour au Canada. En l’espèce, l’agent a fait un examen exhaustif des éléments de preuve présentés, et il les a jugés insuffisants. Comme sa documentation ne contenait pas de renseignements suffisamment détaillés, le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve; il n’y a donc pas lieu de lui donner la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent qui découlent directement des éléments de preuve que lui-même a fournis. En l’espèce, l’agent a tenu compte des éléments de preuve présentés, mais il a fini par conclure que le demandeur était interdit de territoire. Il en est arrivé à cette conclusion en se fondant sur son expertise dans l’évaluation des exigences prévues par la loi pour la délivrance d’un visa (Maxim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1029, au paragraphe 19).

[17]           La conclusion de l’agent, selon laquelle le demandeur n’avait pas la capacité financière nécessaire pour vivre au Canada selon les éléments de preuve présentés, ne comporte aucune erreur.

B.                 L’agent a-t-il agi de manière à susciter une crainte raisonnable de partialité?

[18]           Bien que le demandeur laisse croire que l’agent a fait preuve de partialité, il n’a pu fournir aucun élément de preuve ni aucune indication pour étayer cette allégation.

[19]           Il existe une crainte raisonnable de partialité lorsqu’une « [...] personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » conclut qu’une telle partialité existe (Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394).

[20]           Ce critère impose par ailleurs un seuil élevé aux parties qui invoquent la partialité (Bankole c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 373, au paragraphe 39).

[21]           En l’espèce, les allégations de partialité du demandeur ne sont étayées par aucun élément de preuve. Les arguments de partialité du demandeur sont donc sans fondement.

V.                 Dépens

[22]           Le demandeur réclame des dépens en faisant valoir que des éléments « sous-jacents » de partialité ou de discrimination ont influencé la décision menant au refus de son permis de travail. Cependant, bien qu’il ait réclamé des dépens pour ces motifs, le demandeur a admis qu’il n’avait aucun élément de preuve pour étayer ces allégations.

[23]           Selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, aucuns dépens ne sont accordés dans des instances en immigration, sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales.

[24]           Or, il n’existe en l’espèce aucune raison spéciale (Ndungu v Canada (Citizenship and Immigration), 2011 FCA 208, au paragraphe 7).

[25]           Aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2776-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2776-17

INTITULÉ :

LUTGARDO MALIT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 9 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Matthew Wong

Pour le demandeur

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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