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Date : 20180117


Dossier : IMM-2419-17

Référence : 2018 CF 45

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

SHAWNA NASTASHA DOWNER

(ALIAS SHAWNA NASTASIA DOWNER)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 9 mai 2017 (la décision) par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SAR ou la Commission), par laquelle la SAR a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

II.  LE CONTEXTE

[2]  La demanderesse est citoyenne de la Jamaïque. Elle allègue qu’elle est exposée à un risque de persécution en Jamaïque, du fait de son orientation sexuelle. Par conséquent, elle a fui la Jamaïque et est arrivée au Canada le 2 avril 2015.

[3]  Le point central de la demande d’asile de la demanderesse est un incident qui, allègue‑t‑elle, se serait produit dans un hôtel de Montego Bay, en mars 2015. Elle prétend qu’un membre de sa collectivité l’a vue étreindre une autre femme et que la nouvelle de son orientation sexuelle s’est vite répandue dans sa collectivité.

[4]  La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse le 4 février 2016. La SPR a conclu qu’elle n’avait pas démontré de manière crédible son orientation sexuelle. Lors de son audience devant la SPR, la demanderesse était représentée par Dunstan Munro, un consultant en immigration autorisé. Un grand nombre des préoccupations de la SPR concernaient des omissions dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de la demanderesse.

[5]  La demanderesse a interjeté appel auprès de la SAR, mais son appel a été rejeté le 11 avril 2016. À ce moment-là, elle était toujours représentée par M. Munro. La demanderesse allègue que M. Munro ne l’a pas informée qu’elle pouvait joindre des documents pour démontrer son orientation sexuelle.

[6]  Insatisfaite de la représentation par M. Munro, la demanderesse a retenu les services d’un nouvel avocat et a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. La Cour a accueilli la première demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, sur consentement du défendeur, en raison de doutes sur la compétence de son conseil lors de ses comparutions devant la Commission. La Cour a renvoyé l’affaire à la SAR pour nouvelle décision.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  Dans la nouvelle décision, la SAR a confirmé celle de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[8]  Après l’étude de son rôle dans l’examen de la décision de la SPR, la SAR a examiné les conclusions de la SPR. La SAR a souligné que la SPR avait conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible. Les réserves émises par la SPR quant à la crédibilité reposaient sur le témoignage concernant l’orientation sexuelle de la demanderesse, que la SPR a qualifié de vague, de même que sur le témoignage concernant l’incident survenu à Montego Bay à la suite duquel la collectivité de la demanderesse avait découvert l’orientation sexuelle de la demanderesse ainsi que sur le témoignage concernant les menaces faites à la demanderesse après qu’eut été révélée son orientation sexuelle.

[9]  En ce qui concerne l’incident survenu à Montego Bay, la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse était vague, puisqu’elle avait omis des détails sur la personne qui avait initié la relation en ligne entre elle et la femme avec qui elle aurait été vue. La preuve de la demanderesse n’a pas été corroborée et la SPR a conclu que l’explication qu’elle avait donnée sur son incapacité à présenter des éléments pour la corroborer était incohérente. Dans la décision, il est mentionné que la SPR a conclu que les réponses de la demanderesse sur la nature précise de l’étreinte qui avait mené à la découverte de son orientation sexuelle étaient aussi incohérentes.

[10]  La SPR a fait remarquer que, dans son formulaire FDA, la demanderesse n’avait pas donné les noms des personnes qui l’avaient menacée. La SPR a estimé que cette ambiguïté « équivalait à une omission concernant la question fondamentale dans la demande d’asile », puisqu’elle concernait un agent de persécution. En outre, la SPR a conclu que la décision de la demanderesse de continuer de résider au domicile de ses parents après que son orientation sexuelle eut été découverte témoignait d’une absence de crainte subjective qui ne correspondait pas au niveau de danger allégué dans son témoignage.

[11]  Après avoir résumé les observations et les arguments de la demanderesse, la SAR s’est penchée sur la question de l’admissibilité de la nouvelle preuve présentée par la demanderesse. La demanderesse a présenté à la SAR des communications électroniques avec d’anciennes petites amies et partenaires, une lettre d’un policier jamaïcain ainsi que des lettres de ses amis et de membres de sa famille. La SAR a reconnu que l’incompétence de l’ancien conseil de la demanderesse faisait en sorte que la preuve n’était pas normalement accessible à la demanderesse et donc qu’elle répondait au critère d’admissibilité défini au paragraphe 110(4) de la Loi. Toutefois, appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), la SAR a conclu qu’aucun des nouveaux éléments de preuve n’était admissible, parce qu’ils étaient dénués de crédibilité ou de pertinence.

[12]  La SAR a conclu que les copies des communications en ligne sur l’application Whatsapp avec des petites amies, dans lesquelles la demanderesse était appelée « fancyface », n’étaient pas pertinentes, parce que rien ne corroborait le fait que la demanderesse était la personne identifiée comme « fancyface » dans les conversations. La SAR n’était donc pas convaincue que les communications concernaient la demanderesse.

[13]  La SAR a aussi conclu que la lettre d’un policier jamaïcain, datée du 10 mai 2016, n’était pas crédible ni pertinente. La SAR a constaté que l’incident décrit dans la lettre avait eu lieu le 23 mars 2015, soit avant l’arrivée de la demanderesse au Canada. La SAR a conclu qu’il « n’[était] tout simplement pas logique » que la demanderesse ait pu omettre d’apporter la lettre à l’audience devant la SPR si celle-ci était accessible après le 23 mars 2015, ou de mentionner dans son formulaire FDA qu’elle s’était adressée à la police. La Commission a aussi fait remarquer que la lettre ne portait pas d’en-tête et qu’elle faisait mention d’un rapport de police que la demanderesse n’avait pas présenté. En outre, la lettre révélait la volonté de la demanderesse de s’adresser aux autorités policières. Cela contredit sa prétention dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA selon laquelle l’homophobie au sein du corps policier représentait un danger qui l’empêchait de s’adresser aux autorités policières.

[14]  La SAR a refusé d’admettre une lettre de la sœur de la demanderesse, parce que celle-ci avait été informée par d’autres et par la demanderesse de l’orientation sexuelle de cette dernière. Une lettre d’une amie de la demanderesse en Jamaïque a aussi été refusée, parce que la source de ses connaissances n’était pas claire. Enfin, des lettres d’un ami au Canada et d’un ami de la famille ont aussi été rejetées, parce que leurs auteurs n’avaient pas une connaissance directe de ce qui s’était passé en Jamaïque.

[15]  Comme la SAR a conclu que l’ensemble de la nouvelle preuve documentaire de la demanderesse n’était pas admissible, elle a rejeté la demande présentée par la demanderesse pour obtenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la Loi.

[16]  La SAR a aussi rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel les conclusions de la SPR concernant la crédibilité étaient minées par l’incompétence de son ancien conseil. La SAR a souligné l’âge et le niveau de scolarité de la demanderesse et conclu qu’elle n’avait pas été empêchée de participer pleinement à son audience devant la SPR. Tout en reconnaissant que les omissions dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA de la demanderesse pouvaient être imputées à son ancien conseil, la SAR est convaincue que le témoignage de la demanderesse ne dépendait pas des gestes posés par son ancien conseil. À deux reprises, la demanderesse a été en mesure de donner des explications à la SPR sur les raisons pour lesquelles des détails avaient été omis de son formulaire FDA, et ces raisons n’étaient pas liées à de mauvais conseils prodigués par son ancien conseil.

[17]  La SAR a conclu que les incohérences dans le témoignage de la demanderesse au sujet de l’incident survenu à Montego Bay étaient suffisantes pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, puisque l’incident était au centre de la demande d’asile de la demanderesse. La SAR a aussi souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le fait que la demanderesse ait tardé à quitter le domicile de ses parents reflétait une absence de crainte subjective, ce qui est incompatible avec le niveau de danger allégué par la demanderesse. Par conséquent, la SAR a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que la demanderesse n’avait pas été menacée par des membres de sa collectivité.

[18]  La SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que la demanderesse était lesbienne et qu’elle serait exposée à un risque de persécution si elle retournait en Jamaïque.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]  La demanderesse soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

  1. La SAR a-t-elle rejeté de façon déraisonnable la nouvelle preuve de la demanderesse au motif qu’elle n’était pas pertinente ni crédible?

  2. La conclusion de la SAR quant à la crédibilité était-elle déraisonnable?

  3. La conclusion de la SAR quant à la crainte subjective était-elle déraisonnable?

  4. La SAR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse en rejetant sa demande visant le renvoi de sa demande d’asile à la SPR pour une nouvelle audience?

[20]  Le défendeur affirme que les questions en litige sont les suivantes :

  1. La conclusion de la SAR selon laquelle la nouvelle preuve déposée par la demanderesse ne satisfaisait pas au critère énoncé dans l’arrêt Raza est-elle déraisonnable?

  2. La conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité est-elle déraisonnable?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[21]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit entreprendre un examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[22]  La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’examen par la SAR de la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve répondent aux exigences en matière d’admissibilité du paragraphe 110(4) de la Loi : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 (Singh), au paragraphe 29.

[23]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à son application du droit aux faits de l’espèce est la décision raisonnable : Alrashidi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 930, au paragraphe 5; Asfew c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 800, aux paragraphes 6 et 7; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028 (Siddiqui), au paragraphe 42.

[24]  La décision de la SAR de ne pas renvoyer la demande d’asile de la demanderesse à la SPR pour une nouvelle audience parce qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale à l’audience de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir Siddiqui, précitée, au paragraphe 38, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), au paragraphe 43.

[25]  Lorsque le juge examine une décision suivant la norme de la décision raisonnable, son analyse doit s’attacher « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[26]  Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[…]

Fonctionnement

Procedure

110 (3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

110 (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

[…]

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[…]

Audience

Hearing

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

Renvoi

Referrals

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

VII.  L’ARGUMENTATION

A.  La demanderesse

(1)  Les nouveaux éléments de preuve

[27]  La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter les discussions sur Whatsapp au motif qu’elles n’étaient pas pertinentes. Elle souligne que, dans son affidavit déposé devant la Cour lors de sa première demande de contrôle judiciaire, qui avait été présenté dans le cadre de sa nouvelle preuve déposée devant la SAR, elle attestait qu’elle était la participante désignée « fancyface » et que les conversations s’étaient déroulées avec d’anciennes petites amies et partenaires. Les éléments de preuve pertinents sont « aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile » : Raza, précité, au paragraphe 13. La demanderesse affirme que les conversations sont pertinentes pour établir son orientation sexuelle et le fait qu’elle a eu des relations homosexuelles. Cette déposition sous serment n’a pas été contredite et a droit à la présomption de véracité. Voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 RCF 302 (CA) (Maldonado). La demanderesse affirme qu’elle n’a pas été en mesure de corroborer davantage son identité en tant que « fancyface » et qu’il était déraisonnable pour la SAR d’exiger une corroboration, alors qu’une telle preuve n’est pas accessible. Voir Touraji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 780, au paragraphe 27, citant Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 98 NR 312 (CAF). La demanderesse soutient que la SAR aurait dû au moins tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la Loi pour déterminer la crédibilité de cette preuve.

[28]  La demanderesse affirme également qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter la lettre du policier jamaïcain au motif qu’elle n’était pas crédible. Elle affirme que la conclusion selon laquelle elle aurait dû fournir la lettre à la SPR et que son contenu contredisait son exposé circonstancié dans le formulaire FDA ne tenait pas compte de l’incompétence de son ancien conseil. En outre, la lettre était censée provenir d’une source officielle étrangère. La demanderesse soutient que la lettre a donc le droit d’être traitée comme une preuve de son contenu, à moins qu’il n’y ait une raison de douter de son authenticité. Voir Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, au paragraphe 19. La demanderesse fait remarquer que la SAR a refusé de prendre des mesures pour vérifier l’authenticité de la lettre malgré sa capacité de le faire, une pratique critiquée par la Cour dans Paxi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 905, au paragraphe 52.

[29]  La demanderesse soutient que les lettres d’amis et de la famille répondent au critère de pertinence énoncé dans l’arrêt Raza, puisqu’elles ont trait à son orientation sexuelle, et qu’il était déraisonnable pour la SAR de les rejeter pour ce motif. La lettre de sa sœur, Teresha Rhooms, décrit le fait que d’autres lui ont dit que la demanderesse est lesbienne. La demanderesse affirme qu’il s’agit là d’une preuve directe de la perception qu’elle est lesbienne en Jamaïque et que c’est la perception de son orientation sexuelle qui a créé le risque de persécution. De même, la lettre de son amie de la Jamaïque, Tameka Lobban, décrivait la perception de l’orientation sexuelle de la demanderesse au sein de son ancienne collectivité en Jamaïque, ainsi que la connaissance qu’avait Mme Lobban de la relation lesbienne de la demanderesse avec une autre femme. La demanderesse affirme que si la SAR avait conclu que ces lettres étaient pertinentes, une audience au titre du paragraphe 110(6) de la Loi aurait été justifiée.

(2)  La conclusion quant à la crédibilité

[30]  La demanderesse soutient que la conclusion de la SAR quant à la crédibilité était déraisonnable, puisqu’elle était fondée sur une inférence floue voulant que son témoignage fût vague, et qu’elle était axée sur une seule incohérence perçue dans son témoignage.

[31]  La demanderesse fait remarquer que la SAR a conclu qu’il n’y avait pas d’incohérence entre la preuve orale et écrite qu’elle avait présentée et que les omissions dans son exposé circonstancié dans le formulaire FDA étaient attribuables à son ancien conseil. Malgré cela, la SAR a accepté la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage de la demanderesse était vague. La demanderesse affirme que les conclusions de la SPR quant au caractère vague de son témoignage sont étroitement liées aux préoccupations au sujet des omissions dans le formulaire FDA. Pourtant, bien qu’elle ait rejeté les conclusions de la SPR au sujet des omissions, la SAR n’a pas elle‑même donné de raison pour expliquer quelles parties du témoignage étaient vagues. La décision ne faisait mention que d’une incohérence perçue lorsque la demanderesse a modifié sa description de l’incident de Montego Bay, qui est passée d’une étreinte compromettante à une accolade. Elle affirme que le fait d’invoquer une seule incohérence comme exemple de témoignage « vague » a réfuté de façon déraisonnable la présomption de véracité établie dans Maldonado.

[32]  La demanderesse soutient que l’incohérence perçue découle d’une série de questions inappropriées posées par la SPR au sujet des raisons pour lesquelles elle n’avait pas activement caché son orientation sexuelle. La Cour a statué qu’un demandeur d’asile ne devrait pas avoir à refouler une caractéristique immuable qui pourrait donner lieu à de la persécution. Voir p. ex. Okoli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 332, au paragraphe 36. La demanderesse affirme qu’aucune inférence défavorable ne devrait être tirée d’après des questions sur les raisons pour lesquelles elle risquerait d’être victime de violence homophobe, puisque le processus d’octroi de l’asile est conçu pour apprécier le besoin de protection, et que de telles questions sont susceptibles de produire une attitude défensive et de la confusion.

[33]  La demanderesse affirme qu’une incohérence mineure quant à la façon dont elle a étreint sa partenaire ne peut justifier une conclusion selon laquelle elle n’est pas crédible. Elle laisse également entendre qu’il ne peut y avoir d’incohérence entre sa crainte de la persécution et le fait de se risquer à une étreinte en public. Voir la décision Strugar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 880, au paragraphe 5. Il n’est pas non plus improbable que d’autres personnes puissent découvrir sa relation homosexuelle malgré ses tentatives de la garder privée. Voir Boteanu c Canada (Ministre de la Cityenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 299, aux paragraphes 6 à 8.

[34]  La demanderesse soutient que son témoignage devant la SPR était désorganisé, mais pas délibérément évasif. Dans la mesure où elles sont adoptées par la SAR, elle conteste les conclusions de la SPR portant sur le caractère vague de son témoignage et souligne que son témoignage, bien que souvent déroutant et décousu, ne contenait aucune contradiction ou incohérence grave. Elle affirme que l’ensemble de son témoignage doit être considéré à la lumière de la préparation inadéquate qu’elle a reçue de son ancien conseil.

(3)  La crainte subjective

[35]  La demanderesse soutient en outre que la conclusion de la SAR, selon laquelle le temps qu’elle a mis à quitter la Jamaïque reflétait une absence de crainte subjective, était déraisonnable. Dans Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547, au paragraphe 44, la Cour a statué qu’il « était loisible [à la Commission] de conclure que les raisons invoquées pour ne pas avoir quitté le pays plus tôt n’expliquaient pas de manière suffisante pourquoi les demandeurs n’étaient pas partis ». La demanderesse affirme que le délai n’est donc préoccupant que s’il est inexpliqué. Elle a expliqué que le délai était dû au fait que ses parents n’étaient pas à la maison immédiatement après que son orientation sexuelle a été dévoilée. Le défaut de la SAR de tenir compte de son explication était déraisonnable, surtout parce que le délai est justifié par le fait qu’elle se cachait à l’époque.

(4)  La nouvelle audience

[36]  La demanderesse soutient que la décision de la SAR de ne pas renvoyer sa demande d’asile à la SPR pour nouvelle décision l’a privée du niveau requis d’équité procédurale. Dans sa première demande de contrôle judiciaire, elle a soutenu qu’on avait manqué aux principes d’équité procédurale à son égard en raison de la représentation incompétente de son ancien conseil devant la SAR et la SPR. Ce dernier avait notamment omis de la préparer à témoigner devant la SPR. Sur consentement du défendeur, la Cour avait accepté, et renvoyé l’affaire devant la SAR pour nouvelle décision.

[37]  Dans ses observations présentées à la SAR, la demanderesse a demandé que sa demande soit renvoyée à la SPR conformément au paragraphe 111(1) de la Loi si la SAR n’était pas disposée à substituer sa propre décision, aux termes de ce paragraphe, ou à tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6). La décision ne visait expressément que sa demande d’audience en vertu du paragraphe 110(6). La SAR a cependant rejeté la demande de la demanderesse pour une nouvelle audience et a conclu qu’une audience équitable ne lui avait pas été refusée devant la SPR, et elle a déclaré que la demanderesse n’avait pas été « empêchée de quelque manière que ce soit de participer pleinement à l’audience ». La demanderesse affirme que la conclusion de la SAR contredisait les conclusions de la Cour dans le cadre de sa première demande de contrôle judiciaire.

B.  Le défendeur

(1)  Les nouveaux éléments de preuve

[38]  Le défendeur soutient que la SAR a conclu raisonnablement que les nouveaux documents déposés par la demanderesse ne répondaient pas aux critères relatifs à la crédibilité, à la pertinence ou au caractère substantiel établis dans Raza. Voir Singh, précité, aux paragraphes 38 à 49.

[39]  Puisque la SAR a conclu que la demanderesse manquait de crédibilité, elle avait le droit de rejeter sa preuve par affidavit selon laquelle elle était « fancyface » dans les conversations sur Whatsapp. Le défendeur affirme qu’il était loisible à la demanderesse de déposer une preuve objective liant le compte Whatsapp à un numéro de téléphone cellulaire et établissant qu’elle était la propriétaire de ce téléphone cellulaire.

[40]  Le défendeur souligne que la demanderesse a déclaré, dans son témoignage devant la SPR, qu’elle ne pouvait pas fournir de preuve corroborant ses communications avec la femme de l’incident de Montego Bay, parce qu’elle avait supprimé son compte Facebook. Malgré cela, elle a produit des imprimés à partir de Facebook Messenger dans des documents soumis à la SAR.

[41]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la SAR n’accorde aucun poids à la lettre provenant prétendument du policier jamaïcain. La lettre ne portait pas d’en-tête officiel, n’était pas accompagnée du rapport de police auquel elle faisait référence et contredisait la déclaration de la demanderesse, dans son exposé circonstancié du formulaire FDA, selon laquelle elle mettrait sa vie en danger si elle s’adressait à la police. Le défendeur fait remarquer que, dans l’affidavit souscrit par la demanderesse le 17 février 2016, elle a déclaré que la police jamaïcaine était homophobe et qu’elle ne s’était pas adressée à cette dernière.

[42]  Le défendeur soutient qu’après avoir conclu que les nouveaux documents n’étaient pas admissibles, la SAR a conclu raisonnablement qu’elle devait procéder sans tenir d’audience. Voir Singh, précité, aux paragraphes 48 et 71; Ozomba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1418, au paragraphe 21.

(2)  La crédibilité

[43]  Le défendeur soutient que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité étaient raisonnables.

[44]  Suivant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, la SAR a établi qu’elle devait appliquer la norme de la décision correcte aux conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit qui ne soulevaient aucune question de crédibilité. La SAR a reconnu que ce n’était que dans les cas où la SPR avait un avantage dans l’appréciation de la crédibilité qu’il fallait faire montre de retenue à l’égard des conclusions de la SPR. Malgré cela, le défendeur affirme que la SAR a contesté deux des conclusions de la SPR sur la crédibilité.

[45]  Le défendeur affirme que la SAR est autorisée à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité pour des contradictions dans le récit d’un demandeur ou entre le récit d’un demandeur et d’autres éléments de preuve. Voir Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 RCF 238 (CA); Leung c Canada (Minister of Employment & Immigration) (1990), 74 DLR (4th) 313 (CAF); Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 11 (QL) (CA). La SAR peut également tirer des conclusions raisonnables fondées sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison, et peut rejeter des éléments de preuve si ceux-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l’affaire prise dans son ensemble. Voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF); Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (QL) (CA); Araya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 626, au paragraphe 6.

[46]  Le défendeur soutient que le témoignage de la demanderesse devant la SPR était vague, hésitant et contradictoire. La SAR a tenu compte de ce témoignage, faisant abstraction des omissions dans l’exposé circonstancié de la demanderesse dans le formulaire FDA, et sa conclusion selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité était raisonnable.

VIII.  ANALYSE

[47]  Je peux comprendre pourquoi la SPR et la SAR ont toutes les deux trouvé difficile l’appréciation de la demande d’asile de la demanderesse. Elles ont décrit son témoignage comme étant vague, hésitant et contradictoire. Mon interprétation de la transcription de l’audience devant la SPR m’amène à penser que la demanderesse a répondu de manière décousue, indirecte et embrouillée aux questions de la SPR. Elle pourrait être malhonnête ou simplement dotée d’une personnalité qui l’amène à parler et à répondre d’une manière indirecte et détournée. C’est difficile à dire. Quoi qu’il en soit, la SPR et la SAR font figure d’autorités dans ce genre d’appréciation. La SPR était là et je n’y étais pas. Je pense donc que je dois m’en remettre à sa description. Voir Siad c Canada (Secrétaire d’État) (1996), [1997] 1 RCF 608 (CA), au paragraphe 24; Alimi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 709, au paragraphe 31. Toutefois, cela ne met pas un terme à l’affaire.

[48]  La décision de la SAR examinée dans le cadre de la présente demande consistait en une nouvelle décision. Dans les faits, le 5 mai 2016, la demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR de rejeter son appel, dans le dossier IMM-1873-16. Dans son dossier de demande d’autorisation, elle a allégué que la décision de la SAR contrevenait à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de son ancien conseil. Par une requête datée du 29 juin 2016, le défendeur a consenti à ce que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit accueillie, au motif que la mauvaise représentation du conseil précédent avait entraîné un manquement à la justice naturelle. Par ordonnance datée du 11 juillet 2016, le juge Southcott de la Cour a accueilli la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sur ce fondement.

[49]  La SAR a pleinement reconnu cette situation et l’a abordée ainsi :

[52]  L’appelante soutient que la préoccupation de la SPR quant à son témoignage vague et hésitant et à l’absence de détails doit être examinée en tenant compte de l’incompétence de sa représentation. Elle fait valoir qu’elle a le droit de fournir un nouveau témoignage avec l’aide d’un conseil compétent. Elle soutient également que, lorsqu’il y a manquement à la justice naturelle, la décision initiale ne devrait pas être confirmée. Elle a également souligné que la faute ne revenait pas à la SPR, mais plutôt aux erreurs du conseil.

[53]  L’argument de l’appelante ne convainc pas la SAR. Celle‑ci fait remarquer que l’appelante est une femme âgée de 30 ans qui a fait 13 années d’études. Elle a également obtenu un diplôme / certificat de compétence lié à un métier / apprentissage. La SAR ajoute que rien au dossier ne montre que l’appelante a été empêchée de quelque manière que ce soit de participer pleinement à l’audience. La SAR a examiné l’enregistrement de l’audience à cet égard.

[54]  La SAR reconnaît l’argument de l’appelante selon lequel elle n’a pas fourni des renseignements substantiels dans son formulaire FDA parce que son conseil ne lui a pas recommandé de le faire. La SAR fait remarquer que, bien que le tribunal ait mis l’accent sur les omissions de l’appelante dans ses conclusions, il a également souligné qu’elle n’était pas tenue de fournir des renseignements exhaustifs dans son formulaire FDA. La SAR ajoute que, même si le tribunal a tiré un certain nombre de conclusions fondées sur des omissions, il n’y avait aucune incohérence entre la preuve écrite et le témoignage de l’appelante.

[55]  En ce qui concerne les omissions dans le formulaire FDA de l’appelante, la SAR souligne que, à deux reprises, l’appelante a fourni une explication plutôt que de simplement déclarer qu’elle ignorait que des détails devaient être fournis. En réponse aux questions du tribunal quant à la raison pour laquelle Elizabeth n’était pas mentionnée dans son formulaire FDA, l’appelante a expliqué que c’était parce c’était simple et que cela n’avait pas fait de tort. En réponse à une question concernant son défaut de mentionner le nom des agresseurs dans son formulaire FDA, l’appelante a déclaré qu’elle avait peur de le faire.

[56]  Bien que la SAR estime que l’appelante est la principale responsable de la préparation de son formulaire FDA, à moins qu’il n’y ait une preuve de vulnérabilité physique ou psychologique, dans le contexte de la décision de la Cour fédérale susmentionnée, le bénéfice du doute est accordé à l’appelante en ce qui concerne les omissions.

[57]  La SAR conclut toutefois que la preuve orale de l’appelante en réponse aux questions du tribunal ne dépend pas des gestes du conseil. La SAR a examiné et évalué l’enregistrement de l’audience et conclut que le tribunal n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions concernant le caractère vague des réponses de l’appelante.

[50]  Tout d’abord, en ce qui concerne la reconnaissance de l’incompétence de l’ancien conseil, je ne pense pas qu’il est possible d’établir une démarcation nette entre les omissions dans le formulaire FDA ainsi que les problèmes dans la documentation d’une part, et le degré de préparation en vue de répondre aux questions de la SPR d’autre part. L’ensemble du comportement de la demanderesse devant la SPR donnait à penser qu’elle était confuse et n’était aucunement préparée à l’égard de ce qui était attendu d’elle. Son témoignage pouvait être malhonnête ou tout simplement confus, parce que, ne sachant pas à quoi s’attendre, son discours a été perçu comme vague et hésitant. Dans son affidavit à l’appui de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-1873-16, la demanderesse a décrit les problèmes causés par l’incompétence de son ancien conseil :

[traduction]

Premièrement, mon formulaire de Fondement de la demande d’asile a été mal préparé, et manquait totalement de détails adéquats. Deuxièmement, c’est le manque de documents justificatifs fournis à la SPR à l’appui de ma demande. M. Munro n’a soumis qu’une poignée de documents et aucun, pas un seul d’entre eux, n’était un document personnel. Tout ce qu’il a déposé concernait les conditions dans le pays. Ni M. Munro ni personne dans votre bureau ne m’a précisément informée des documents que je devais fournir à l’appui de ma demande de protection. Je n’avais absolument aucune idée que je devais fournir des documents personnels pour établir mon orientation sexuelle. Troisièmement, j’étais mal préparée pour mon audience devant la SPR. J’ai rencontré M. Munro une seule fois, environ trois jours avant mon audience devant la SPR, et notre rencontre n’a duré que 30 minutes. Cette rencontre a eu lieu bien après la date limite de divulgation des documents relatifs à ma demande d’asile. Au cours de cette rencontre, je n’ai pas été informée de la définition de ce qu’était un réfugié, et on ne m’a pas posé beaucoup de questions, voire aucune. Je crois n’avoir reçu quasiment aucune orientation ou préparation pour présenter ma demande d’asile.

[51]  Ce récit témoigne d’un manque général d’orientation qui n’a tout simplement pas été pris en considération par la SAR dans sa décision comme une possible explication des propos vagues et hésitants constatés par la SPR et reconnus par la SAR. La SAR a pris acte des observations de la demanderesse sur sa « mauvaise préparation […] en vue de son témoignage écrit et de vive voix, le défaut de fournir des renseignements quant aux exigences en matière d’éléments de preuve documentaire corroborants et des observations juridiques inadéquates », mais elle a seulement accepté ses observations concernant l’insuffisance de la documentation :

[41]  La SAR convient toutefois que, en conséquence de la décision de la Cour fédérale selon laquelle il y a eu manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale à l’endroit de l’appelante, compte tenu du défaut de son conseil de lui recommander de présenter ces documents, les documents satisfont au critère énoncé au paragraphe 110(4) étant donné qu’ils n’étaient pas normalement accessibles à l’appelante avant que la SPR rende sa décision.

[52]  La SAR a conclu que les autres aspects de la représentation incompétente de l’ancien conseil pouvaient être délaissés, parce que « la preuve orale de l’appelante en réponse aux questions du tribunal ne dépend[ait] pas des gestes [de son] conseil ». La SAR a examiné l’enregistrement de l’audience et a « conclu[…] que le tribunal n’a[vait] pas commis d’erreur dans ses conclusions concernant le caractère vague des réponses de l’appelante ». Mais là n’est pas du tout la question. La question était de savoir si ces propos vagues pouvaient être attribués au manque total de préparation attribuable à l’ancien conseil. La SAR n’a pas tenu compte de cette question et a rejeté la demande d’une nouvelle audience. À mon avis, ce n’était pas raisonnable, et il en résulte un manque continu à l’équité procédurale dans l’appréciation de la présente demande d’asile.

[53]  En outre, dans sa nouvelle décision, la SAR a elle-même refusé de respecter la distinction qu’elle a faite entre les omissions dans le formulaire FDA de la demanderesse – qui peuvent être attribuées à l’ancien conseil et à un manque à l’équité procédurale – et le témoignage devant la SPR, qui, selon la SAR, « ne dépend pas des gestes du conseil ». En appréciant la lettre, extrêmement importante, du policier que la demanderesse a présentée comme nouvel élément de preuve devant la SAR, celle-ci a déclaré ce qui suit :

[44]  La SAR a examiné la pièce « b », soit la lettre du policier. Elle souligne que la lettre concerne un incident qui a été signalé le 23 mars 2015, soit avant que l’appelante quitte la Jamaïque pour venir au Canada. La SAR ajoute que la formule d’adresse de la lettre est [traduction] « À qui de droit » et que la lettre vise clairement à confirmer que l’appelante s’est adressée à la police. La SAR estime qu’il n’est tout simplement pas logique que l’appelante n’ait pas présenté cette lettre à l’audience si elle était vraiment accessible le 23 mars 2015 ou qu’elle n’ait pas du moins signalé dans son formulaire FDA ou dans son témoignage à l’audience qu’elle s’était adressée à la police. La SAR constate également que ce document n’est pas rédigé sur du papier à en-tête qui montrerait qu’il s’agit d’un document officiel. Elle souligne également que, selon la lettre, un rapport a été établi, mais aucun rapport n’a été communiqué. Enfin, la SAR fait remarquer que l’appelante a déclaré dans son formulaire FDA que la police était aussi homophobe que le public et qu’elle mettrait sa vie en danger en s’adressant à celle-ci.

[Renvoi omis.]

[54]  Il n’était pas raisonnable de la part de la SAR de donner à la demanderesse « le bénéfice du doute » quant aux omissions dans le formulaire FDA, et pourtant d’utiliser ces omissions dans le cadre de ses motifs justifiant le rejet de la lettre du policier.

[55]  D’autres lacunes viennent miner la façon dont la SAR a traité la lettre du policier. La SAR a conclu ceci : « le document susmentionné n’est pas crédible et, par conséquent, qu’il n’est pas pertinent; il n’est pas admis en tant que nouvel élément de preuve ». Dans son traitement de la nouvelle preuve, la SAR a généralement confondu et combiné « crédibilité » et « pertinence ». Or, il s’agit de deux notions très différentes. La preuve crédible peut manquer de pertinence et la preuve pertinente peut manquer de crédibilité. Mais la preuve n’est pas dénuée de pertinence simplement parce qu’elle n’est pas crédible. Cependant, la SAR donne quatre raisons pour avoir rejeté la lettre du policier :

  1. Elle n’a pas été présentée à l’audience, alors qu’elle était accessible après la date à laquelle le rapport est censé avoir été fait, le 23 mars 2015, et la demanderesse aurait au moins dû indiquer dans son formulaire FDA ou dans son témoignage qu’elle s’était adressée à la police;

  2. La lettre ne porte aucun en-tête attestant la nature officielle du document;

  3. La lettre indique qu’un rapport a été préparé, mais aucun rapport n’a été communiqué;

  4. La demanderesse a affirmé dans son formulaire FDA que la police était aussi homophobe que le public, et qu’elle mettrait sa vie en danger en s’adressant à celle-ci.

[56]  La SAR a affirmé qu’elle aurait donné le bénéfice du doute à la demanderesse quant à l’omission dans le formulaire FDA.

[57]  Le fait que la demanderesse n’a pas présenté la lettre à l’audience devant la SPR ni mentionné dans son témoignage qu’elle s’était adressée à la police ne peut être dissocié de l’incompétence de l’ancien conseil. Contrairement à la conclusion de la SAR selon laquelle la lettre était accessible après la rédaction du rapport le 23 mars 2015, la lettre même est datée du 10 mai 2016, soit après que la demanderesse eut retenu les services d’un nouveau conseil et présenté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[58]  L’incohérence entre la production de la lettre du policier et la déclaration de la demanderesse dans son formulaire FDA selon laquelle la police était homophobe et qu’elle mettrait [traduction« [s]a vie en danger en s’adressant à celle-ci » doit être expliquée, mais, encore une fois, il faut se demander si le formulaire FDA peut être considéré comme fiable dans quelque mesure que ce soit, vu l’incompétence de l’ancien conseil. Or, cette incohérence n’a jamais été présentée à la demanderesse. Il pourrait bien y avoir une explication crédible, mais la demanderesse n’a pas eu l’occasion de répondre à cette préoccupation.

[59]  Le fait que la lettre ne porte pas d’en-tête pour indiquer qu’il s’agit d’un document officiel est sans contredit un facteur pertinent dans l’appréciation de son authenticité, et l’omission de communiquer le rapport pourrait être importante, mais ce dont la SAR ne tient pas compte entièrement, ce sont les autres facteurs qui appuient l’authenticité du document et qui contredisent sa conclusion voulant que la lettre du policier ne soit pas crédible.

[60]  La lettre de l’agent David Williams se lit ainsi :

[traduction]

À qui de droit,

Objet : Incident signalé par Shawna Nastasia Downer le 23 mars 2015 et qui lui a fait craindre pour sa vie.

Le 23 mars 2015, Mme Shawna Nastasia Downer, âgée de 27 ans, née le 1er septembre 1987, du district de Lucky Valley, St. Catherine, s’est présentée au poste de police, où elle a fait part de ses inquiétudes et affirmé craindre pour sa vie.

Elle m’a raconté que des membres de sa famille et de sa collectivité avaient découvert son orientation sexuelle et, au fur et à mesure que l’information était transmise, les insultes et les menaces verbales étaient proférées.

En raison de la nature de son signalement et des activités qui ont suivi, j’ai consigné les renseignements et préparé un rapport.

À mon avis, les renseignements transmis étaient de nature personnelle, et, si Mme Downer continue de résider dans la région, elle ne sera pas en sécurité, car je crois que son signalement est authentique. Je recommande donc qu’elle déménage et qu’un jour, dans le futur, une présentation soit faite pour informer et sensibiliser les membres de la collectivité, ainsi que de la société en général, en matière de diversité.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec moi au 876-988-1719/876-424-4951.

David Williams

11588Cons.

[61]  Les facteurs pertinents qui n’ont pas été mentionnés ni appréciés par SAR sont que la lettre est signée et datée, de même qu’elle indique le nom, le numéro de badge, l’adresse postale et le numéro de téléphone de son auteur.

[62]  Dans ses observations à la SAR, l’avocat actuel de la demanderesse a fait la remarque suivante :

[traduction]

Cet élément de preuve est crédible, car il me semble être ce que l’on voit à sa face même et est appuyé par un affidavit. Il indique également un numéro de téléphone. Si sa crédibilité n’est pas acceptée, la Commission dispose des ressources nécessaires pour vérifier la lettre en communiquant avec l’auteur par l’entremise de la Direction des recherches.

[63]  La SAR pourrait penser qu’elle n’a pas l’obligation de faire de simples vérifications, même lorsque des vies sont en jeu. J’espère que ce n’est pas le cas, mais ce que la SAR ne peut pas faire, c’est simplement faire fi de la preuve qui contredit ses propres conclusions. Voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17 (CF 1re inst). En l’espèce, la SAR n’a pas tenu compte des caractéristiques importantes permettant d’authentifier la lettre et a simplement choisi de fonder sa conclusion en matière de crédibilité sur d’autres facteurs qui n’étaient pas concluants en soi ou qui pouvaient être liés au formulaire FDA, lequel ne pouvait être considéré comme adéquat, parce qu’il avait été préparé par l’ancien conseil incompétent. En outre, je pense que la SAR doit aussi répondre à la question évidente : pourquoi une demanderesse malhonnête fournirait-elle des renseignements qui permettraient à la SAR de vérifier aisément leur fiabilité, eu égard à l’ensemble de sa demande? D’après mon expérience, les menteurs n’ont pas l’habitude de fournir un moyen facile de vérifier la fiabilité de leur preuve. En l’espèce, la SAR ne fournit aucun motif pour ne pas avoir effectué la vérification (il pourrait y avoir des motifs, mais ils ne sont pas explicités) et omet de mentionner la requête de la demanderesse voulant que la SAR utilise les moyens à sa disposition pour dissiper ou confirmer toute préoccupation quant à la crédibilité.

[64]  Cette lettre est très « pertinente » à l’égard de la prétention de la demanderesse selon laquelle elle était perçue comme une lesbienne par sa collectivité en Jamaïque, ce qui l’exposait à un risque. Elle n’aurait pas dû être exclue pour cause de non-pertinence, et sa crédibilité n’a pas été raisonnablement appréciée.

[65]  Le rejet par la SAR de la lettre de Teresha Rhooms, sœur de la demanderesse, au motif qu’elle n’avait pas une connaissance directe, de sorte que « ce document n’est pas pertinent en tant que preuve corroborant la prétendue identité de l’appelante en tant que lesbienne », néglige des aspects de cette preuve qui ne dépendent pas de la demanderesse. Mme Teresha Rhooms s’est fait dire par un ami en Jamaïque que la demanderesse était lesbienne, et elle a également reçu des messages Facebook du père de l’enfant de la demanderesse selon lesquels la demanderesse était lesbienne. À tout le moins, cette information donne à penser que la demanderesse est perçue comme une lesbienne par certaines personnes qui la connaissent en Jamaïque, dont l’une (le père de l’enfant de la demanderesse) semble avoir connu la demanderesse assez intimement. Cette perception est pertinente et appuie l’argument de la demanderesse selon lequel elle est en danger en Jamaïque, parce qu’elle est perçue comme étant lesbienne. La SAR n’était pas tenue d’accepter cette preuve, mais il était déraisonnable de l’exclure comme étant non pertinente et entièrement fondée sur le propre récit de la demanderesse, ainsi que de ne pas l’examiner.

[66]  La lettre de Tameka Lobban est rejetée pour les motifs suivants :

La deuxième lettre d’une amie, Tameka Lobban, reprend tout simplement brièvement et de façon générale les allégations de l’appelante concernant son identité en tant que lesbienne. La lettre n’est pas claire en ce qui concerne la source des connaissances de l’auteure, autre qu’un indice selon lequel l’appelante s’était confiée à elle à propos de son orientation sexuelle. La SAR est d’avis que la lettre n’est pas pertinente comme corroboration de la prétendue identité de l’appelante en tant que lesbienne. Elle n’est donc pas admise en tant que nouvel élément de preuve.

[67]  Encore une fois, dans sa lettre, Mme Lobban parle des perceptions de la collectivité au sujet de l’orientation sexuelle de la demanderesse, de même que de ses propres observations sur l’amitié de la demanderesse avec une lesbienne après avoir quitté l’école secondaire. C’est une preuve très pertinente. La SAR n’est pas tenue d’accepter cette preuve, mais elle ne peut la rejeter au motif qu’elle n’est pas pertinente et qu’elle est fondée uniquement sur ce que la demanderesse a dit à Mme Lobban.

[68]  La SAR a accordé beaucoup d’importance à l’incident qui est au cœur de la demande d’asile de la demanderesse :

[58]  La SAR est d’avis que l’incohérence dans le témoignage de l’appelante concernant l’incident qui serait survenu à Montego Bay est particulièrement importante. L’appelante a d’abord déclaré qu’elle a rencontré son amie dans le hall d’entrée de l’hôtel et qu’elles se sont étreintes de façon « compromettante ». Elle a ajouté qu’une personne de sa collectivité avait vu cette étreinte et que, par conséquent, de l’information concernant son orientation sexuelle s’était répandue. Le tribunal a questionné l’appelante quant à la raison pour laquelle elle aurait fait cela en public, compte tenu de la nature homophobe de la société jamaïcaine. L’appelante a répondu en changeant son témoignage et a affirmé qu’elles s’étaient seulement serrées dans les bras.

[59]  La SAR souligne que le prétendu événement susmentionné est au cœur de la demande d’asile de l’appelante étant donné qu’elle a déclaré qu’il a donné lieu aux menaces qui l’ont amenée à fuir la Jamaïque et à venir au Canada. La SAR souligne que le tribunal a tiré une inférence défavorable en se fondant sur le témoignage incohérent de l’appelante et des omissions de détails dans son formulaire FDA. Elle estime que, même en l’absence des omissions, l’incohérence concernant cet incident qui est au cœur de la demande d’asile constitue un fondement suffisant pour tirer une inférence défavorable.

[69]  Cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, tirée par la SPR et confirmée par la SAR, est fondée sur l’incohérence, et non sur le caractère vague ou hésitant des propos. Il a été conclu que la demanderesse avait changé son témoignage, qui était passé d’une étreinte « compromettante » à une simple accolade. Ce témoignage se trouve aux pages 26 à 30 de la transcription de l’audience, dont j’ai pris connaissance. Ce témoignage soulève peut-être certains problèmes (p. ex., la logique de la demanderesse est parfois difficile à suivre), mais il n’y a pas d’incohérence du genre de celle invoquée par la SPR et la SAR.

[70]  La demanderesse affirme ceci : [traduction« elle m’a enlacée dans une position très compromettante », et la SPR a tenté d’examiner avec elle la raison pour laquelle ce serait dangereux et, plus particulièrement, pourquoi elles se salueraient de cette façon s’il était dangereux de le faire en Jamaïque. Une discussion a eu lieu sur la différence entre [traduction] « se tenir la main » à l’hôtel et dans la rue, mais, quand vient le temps de répondre aux préoccupations du tribunal, la demanderesse affirme ce qui suit :

[traduction]

Q.  Vous dites donc que se tenir la main dans le hall de l’hôtel n’est pas dangereux.

R.  Ce n’est pas dangereux de se tenir la main dans l’hôtel, dans l’hôtel même, parce que ça aurait pu être ma mère qui marchait constamment dans un hôtel, alors que je lui tenais la main.

Q.  D’accord. Et voici ma deuxième série de questions : pourquoi une personne interpréterait-elle mal votre interaction? Pourquoi en arriverait-elle à penser que vous êtes une lesbienne?

R.  Parce qu’ensuite, les femmes vont vers la chambre. Je suis dans l’hôtel. Je vais dans la chambre avec cette personne, une étrangère. C’était une fille blanche, une fille syrienne blanche. La personne qui était à l’hôtel, qui m’a vue, je ne sais pas si elle travaillait à l’hôtel, si elle avait des raisons à l’hôtel. Et c’est là qu’il a vu...

Q.  Désolé, je n’ai pas compris ce que vous venez de dire, des [traduction] « raisons » à l’hôtel?

R.  L’hôtel, d’accord? Quelqu’un de ma communauté m’a vue. Je ne sais pas si la personne travaillait là-bas ou quelles étaient les raisons de sa présence. Et puis la plupart des gens venaient parfois à l’hôtel avec quelqu’un, en fait une autre femme; ils remarquent [inaudible 00:54:21] qu’ils sont en relation. Est-ce qu’ils viennent d’un autre pays pour ensuite rencontrer quelqu’un d’autre? Et parce qu’ils m’ont vue avec cette personne blanche qui venait d’ailleurs et qui visitait l’endroit, c’est là que la situation a dégénéré et qu’ils sont retournés dans ma communauté en racontant, d’accord, m’avoir vue à cet hôtel avec une certaine personne, et d’autres choses, à mes parents.

Q.  Donc, je ne comprends pas pourquoi, peu importe qui est cette personne, elle pourrait penser instantanément que l’interaction que vous avez eue dans le couloir ou le hall d’entrée signifiait que vous étiez une lesbienne.

R.  À cause de ce qui se passe là-bas. De nos jours, on voit des femmes ensemble, parfois se tenir la main et ainsi de suite. Quand je suis....

Q.  Donc, plus tôt dans votre témoignage, vous avez dit, quand j’ai demandé s’il était dangereux de se tenir la main, vous avez expliqué que personne ne saurait si...

R.  C’est dangereux dans la rue. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. Laissez-moi vous expliquer. Dans la rue, en Jamaïque, on ne peut pas se tenir la main, on ne peut même pas embrasser une femme sans que les gens disent de mauvaises choses; c’est mal. Ils disent des choses [inaudible 00:55:29] comme ça, vous voyez? [traduction] « Démons », excusez mon langage, [inaudible 00:55:33] [traduction] « brûlez... vous les gouines », et ainsi de suite. C’est ça dans la rue, et partout. Comme je l’ai déjà dit, c’était à l’hôtel. Oui, il a fait cette supposition que je ramène dans la communauté [inaudible 00:55:43] et je vais dans une chambre d’hôtel. Mais quand l’information a circulé dans la communauté, personne ne m’a demandé ce que je pensais; ils ont commencé à me bannir; alors, d’accord, oui, je suis une lesbienne et tout. Je ne peux être contente qu’ils aient sorti cela de cette façon, ce que je voulais, mais je ne pouvais pas aller à la police pour faire une déclaration à ce sujet, parce que mon pays est très homophobe. Alors, ma mère réagit comme ceci : « Est-ce que c’est vrai? Pourquoi faisais-tu ça? » Parce que je suis toujours à St. Catherine. Elle commence maintenant à se douter de quelque chose. Pourquoi est-ce que je serais à St. Catherine et devrais partir pour Montego Bay; quelque chose cloche parce qu’elle sait que ce n’est pas vrai; je suis chrétienne, il y a certains endroits que je ne fréquente pas. C’est à ce moment que l’alarme a été déclenchée.

[71]  Ce que la demanderesse semble dire, c’est que c’était dangereux, parce qu’on l’a vue se rendre dans une chambre avec une femme blanche. Son témoignage n’a pas changé d’une étreinte « compromettante » à celui d’une simple accolade. En fait, la demanderesse est difficile à suivre en raison de la façon dont elle s’exprime. Elle n’utilise même pas les mots [traduction] « étreinte » ou [traduction] « façon ». Elle dit [traduction« elle m’a enlacée dans une position très compromettante ». Cela pourrait signifier que l’étreinte même était compromettante ou que la [traduction] « position » pouvait faire allusion à la situation dans son ensemble. La SPR a examiné cela, et la réponse de la demanderesse me semble indiquer que ce qui l’a trahie en tant que lesbienne, c’est le fait d’avoir rencontré une étrangère blanche et d’avoir été vue aller dans une chambre d’hôtel avec elle.

[72]  Des préoccupations semblables émergent dans d’autres questions relevées dans la transcription. Ce que la SPR et la SAR décrivent comme étant vague et hésitant me semble souvent être davantage une description de la façon idiosyncrasique, décousue et embrouillée dont la requérante s’exprime. Toutefois, je n’ai pas besoin d’aller plus loin dans cette analyse, car, sur la base des erreurs que j’ai déjà relevées, la présente affaire doit faire l’objet d’un nouvel examen. La SAR a elle-même décrit le témoignage de la demanderesse au sujet de l’incident de Montego Bay comme étant « particulièrement important[…] », mais la conclusion défavorable quant à la crédibilité est fondée sur une incohérence qui n’apparaît pas dans la transcription.

[73]  Je ne veux pas laisser entendre que le témoignage de la demanderesse était exempt d’incohérences, mais certaines conclusions clés de la SAR, telles qu’elles sont énoncées ci‑dessus, contiennent des erreurs susceptibles de contrôle au point de rendre hasardeuse la décision dans son ensemble.

[74]  Je crois que le véritable problème dans la présente affaire était que la SAR a décidé que les problèmes d’équité procédurale causés par le premier conseil de la demanderesse, qui ont entraîné le renvoi de l’affaire pour un nouvel examen, pouvaient être résolus par la simple écoute de la transcription. Je ne crois pas que ce soit le cas. Lorsque la demanderesse a comparu devant la SPR, le problème ne découlait pas seulement du fait qu’elle n’avait pas été informée au sujet de la documentation et que le formulaire FDA n’avait pas été bien préparé. Le problème, c’était aussi qu’elle n’avait eu qu’une brève rencontre avec son conseil et, comme elle l’a dit dans son affidavit, qu’elle croyait [traduction« n’avoir reçu quasiment aucune orientation ou préparation pour présenter [s]a demande d’asile ». L’iniquité procédurale de cette situation ne pouvait être corrigée par la seule écoute de la transcription et l’appréciation des réponses de la demanderesse aux questions posées par la SPR. Toutefois, après avoir décidé de procéder de cette façon, la SAR a tiré des conclusions – dont certaines que j’ai décrites ci-dessus – qui l’obligeaient à exclure des éléments de preuve pertinents et à interpréter l’audience de la SPR d’une manière qui ne résiste pas à un examen poussé.

[75]  À mon avis, le seul moyen équitable de résoudre les problèmes d’équité procédurale découlant de l’incompétence de l’ancien conseil et de l’absence apparemment totale d’orientation utile en vue de l’audience devant la SPR était d’accueillir la demande d’une nouvelle audience devant la SPR sollicitée par la demanderesse. Et, à mon avis, il était déraisonnable et incorrect de la part de la SAR de ne pas accueillir cette demande.

[76]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2419-17

LA COUR STATUE que :

  1. la demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre commissaire de la SAR;

  2. il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juin 2019.

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2419-17

 

INTITULÉ :

SHAWNA NASTASHA DOWNER, (alias SHAWNA NASTASIA DOWNER) c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 17 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

Pour la demanderesse

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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