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Date : 20180108


Dossier : IMM-3023-17

Référence : 2018 CF 8

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 8 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JOSEPH KOBBI COBINA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Joseph Kobbi Cobina, est un citoyen du Ghana au lourd parcours en matière d’immigration au Canada et aux antécédents maritaux tout aussi chargés. C’est d’ailleurs la combinaison de ce parcours et de ces antécédents qui est à l’origine de la demande actuelle de contrôle judiciaire visant une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).

[2]  La décision de la SAI confirmait une décision antérieure de la Section de l’immigration de la CIRS de refuser de délivrer un visa de résident permanent (dans la catégorie du regroupement familial) à l’épouse actuelle du demandeur, Janet Opoku. La SAI avait rendu cette décision après avoir conclu que Mme Opoku devait être exclue de la catégorie du regroupement familial au titre de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] parce que son répondant (en l’occurrence le demandeur) avait déjà présenté une demande de résidence permanente ayant été approuvée, mais qu’au moment de cette demande, Mme Opoku n’accompagnait pas le répondant au Canada et n’avait donc pu passer l’entrevue.

[3]  L’interprétation de l’alinéa 117(9)d) du RIPR ne soulève aucune contestation, tout comme le fait que Mme Opoku n’a pas été examinée dans le cadre de la demande de résidence permanente du demandeur. Le litige dans cette affaire porte sur la question de savoir si Mme Opoku était un membre de la famille du demandeur au moment où celui-ci a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Plus précisément, le demandeur conteste la conclusion de la SAI voulant que, selon la prépondérance des probabilités, lui et Mme Opoku entretenaient une relation de fait pendant ces événements.

[4]  Je vais tout d’abord exposer en détail les tribulations conjugales du demandeur. Le demandeur a été marié trois fois. Sa première épouse est Grace Otiwaa Marfo, qu’il a épousée en 1998 au Ghana et de qui il a eu deux enfants. Ce mariage s’est terminé par un divorce en 2002.

[5]  Plus tard cette année-là, il a épousé sa deuxième épouse, Rondell Marilyn Nicholls, une résidence permanente du Canada. Ce deuxième mariage s’est lui aussi soldé par un divorce en 2009, quoique les deux conjoints étaient séparés depuis 2006. Aucun enfant n’est issu de la deuxième union du demandeur. Il importe cependant de noter que le demandeur et sa deuxième épouse (Mme Nicholls) ont eu, pendant qu’ils étaient mariés l’un à l’autre, des enfants avec d’autres partenaires. Ainsi, le demandeur a eu un fils (Joshua) en 2003 et une fille (Esther) en 2007 avec Mme Opoku (qui deviendra plus tard sa troisième épouse).

[6]  Le demandeur a épousé Mme Opoku en 2009. Il a été établi que leur relation avait pris naissance en 2002. Le problème en l’espèce découle de la déclaration du demandeur selon laquelle il a mis fin à sa relation avec Mme Opoku vers la fin de 2002 et n’a appris qu’il avait un fils, Joshua, qu’en 2005 ou 2006. Selon ses dires, il a appris l’existence de Joshua en 2005, mais ne l’a reconnu comme son fils qu’en 2006, lorsqu’il a renoué avec Mme Opoku.

[7]  La question de savoir si Mme Opoku et le demandeur avaient mis fin à leur relation en 2002 avant de renouer en 2006 est importante parce qu’elle permet d’établir s’ils étaient dans une relation de fait lorsque le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente et, par le fait même, si Mme Opoku est exclue de la catégorie du regroupement familial.

[8]  Voici donc les antécédents chargés du demandeur sur le plan conjugal. Je vais maintenant revenir sur ses antécédents en matière d’immigration.

[9]  Le demandeur est arrivé au Canada en provenance de son Ghana natal en 2002, affirmant que son intention en venant au pays consistait à donner suite à des contacts d’affaires. Pendant son séjour ici cependant, il a épousé sa deuxième épouse (Mme Nicholls). Il est retourné au Ghana plus tard en 2002. Au début de 2003, le demandeur a déposé sa demande de résidence permanente, tandis que Mme Nicholls a déposé une demande visant à le parrainer. Le mariage du demandeur avec Mme Nicholls et la demande de résidence permanente subséquente sont des questions ayant été soulevées lorsque le demandeur a voulu revenir au Canada en 2003. Le demandeur a de nouveau soutenu que le but de sa visite était professionnel, mais n’a pu fourni une preuve suffisante des affaires qu’il entendait mener. Qui plus est, il en savait très peu au sujet de Mme Nicholls et a nié à maintes reprises qu’il avait présenté une demande de résidence permanente au Canada dont la décision définitive n’avait toujours pas été rendue. Par conséquent, un agent des douanes est arrivé à la conclusion que le demandeur manquait de crédibilité et que son mariage à Mme Nicholls était un mariage de convenance et l’a jugé inadmissible au Canada pendant une période de deux ans. Ces conclusions ne soulèvent aucune contestation.

[10]  Malgré la séparation relativement longue du demandeur et de Mme Nicholls, la demande de cette dernière visant à parrainer la demande de résidence permanente du demandeur a finalement été accueillie en 2006. Leur réunion n’a toutefois pas duré longtemps. Lorsque le demandeur est arrivé au Canada, chacun des deux conjoints a informé l’autre des enfants eus avec d’autres partenaires et tous deux ont décidé de se séparer. Le demandeur est retourné au Ghana plus tard en 2006 et a renoué avec Mme Opoku. Je trouve nécessaire de répéter à ce point-ci que le demandeur soutient que, bien qu’il connaissait l’existence de Joshua lorsqu’il a été admis au Canada à titre de résident permanent, il ne l’avait toujours pas reconnu comme son fils, ce qu’il n’a fait qu’après son retour au Ghana.

[11]  Faisons maintenant un bond jusqu’en 2011, lorsque Mme Opoku a présenté une demande de résidence permanente et que le demandeur a présenté une demande pour la parrainer. Lors d’une entrevue avec un agent d’immigration en 2012 concernant sa demande, Mme Opoku a déclaré que sa relation conjugale continue avec le demandeur avait pris naissance en 2002 et s’était poursuivie jusqu’à ce qu’il obtienne sa résidence permanente au Canada. Comme je l’ai mentionné précédemment, cette déclaration incite à conclure que Mme Opoku est exclue de la catégorie du regroupement familial puisqu’elle ne figurait pas parmi les membres de la famille qui accompagnaient le répondant au moment où il a demandé la résidence permanente.

[12]  Le demandeur soutient que Mme Opoku a menti lorsqu’elle a fait cette affirmation et qu’elle a voulu embellir son histoire afin d’éviter que l’on arrive à la conclusion que son mariage avec le demandeur n’était pas authentique (comme cela avait été le cas avec le mariage précédent du demandeur). Le demandeur a également expliqué que Mme Opoku souhaitait éviter l’opprobre associé au fait d’avoir un enfant avec un homme marié à une autre femme. Le demandeur se fonde sur les déclarations fournies en guise de soutien par des membres de la famille et des connaissances. Il assure ne pas avoir vu Mme Opoku du tout pendant la période comprise entre la fin de 2002 et son retour au Ghana en 2006.

[13]  La SAI avait le choix entre deux conclusions :

  • (i) croire que Mme Opoku a dit la vérité lors de son entrevue de 2012 et que ses déclarations subséquentes disant le contraire sont des mensonges, par exemple qu’elle entretenait bel et bien une relation avec le demandeur lorsqu’il a demandé le statut de résident permanent au Canada, et conclure qu’elle devrait donc être exclue de la catégorie du regroupement familial;

  • (ii) croire que Mme Opoku a menti lors de son entrevue de 2012 et que ses déclarations subséquentes sont la vérité, et conclure qu’elle ne devrait pas être exclue de la catégorie du regroupement familial.

[14]  L’essentiel de l’argumentation du demandeur dans le cadre de ce contrôle judiciaire est qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de tirer la première conclusion.

[15]  Au vu de la preuve, il y avait des raisons (le propre témoignage de Mme Opoku en est une, et non la moindre) les déclarations subséquentes de Mme Opoku. La SAI a également souligné le caractère improbable de la version des faits du demandeur, surtout son affirmation voulant qu’il n’ait pas vu Mme Opoku pendant toute la période en question. Mentionnons qu’ils vivaient dans la même banlieue d’Accra et que leurs familles sont étroitement liées (le frère de Mme Opoku et la sœur du demandeur sont mariés ou conjoints de fait). La SAI a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il était souvent parti en voyage d’affaires puisqu’il avait la garde de ses deux enfants issus de son premier mariage pendant cette période et ne pouvait donc partir en voyage d’affaires très souvent. Je ne suis pas prêt à dire qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de préférer la déclaration faite par Mme Opoku en 2012, particulièrement en ce qui concerne ce demandeur, qui a des antécédents connus de fausses déclarations aux autorités de l’immigration canadiennes.

[16]  En ce qui a trait aux motifs de la SAI, je rejette l’argument du demandeur comme quoi la SAI n’a pas tenu compte, comme elle le devait, de tous les éléments de preuve qu’il avait présentés pour arriver à la conclusion que Mme Opoku a menti lors de son entrevue de 2012. La SAI a pris en considération les grandes lignes de la version des faits actuelle du demandeur et n’était pas tenue de faire des références explicites à chaque élément de preuve qu’il avait invoqué. Je ne suis pas prêt à dire que la SAI a omis de prendre en considération des éléments de preuve importants.

[17]  Le demandeur, dans son mémoire principal, avançait des arguments qui alléguaient pour la plupart de violations de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et divers accords internationaux. Pourtant, il n’a fait valoir aucun de ces arguments dans ses observations de vive voix. Le demandeur n’a même pas répondu aux divers arguments formulés par le défendeur pour réfuter ces points. En plus de ne pas avoir précisé ses arguments sur la question de la violation de ses droits, le demandeur n’a cité aucune affaire tirée de la jurisprudence pour leur donner du poids. Je suis donc porté à être d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle ces arguments avaient pour principal objectif de nous distraire des questions qui sont au cœur de la présente demande. Je me contenterai donc de dire que ces arguments ne sont pas fondés.

[18]  Je conclus que la présente demande doit être rejetée. Les parties ont convenu qu’il n’y avait aucune question grave de portée générale à certifier en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3023-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3023-17

 

INTITULÉ :

JOSEPH KOBBI COBINA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

Le juge LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

Pour le demandeur

 

Émilie Tremblay

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général au Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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