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Date : 20180126


Dossier : IMM-2166-17

Référence : 2018 CF 83

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

EBER ISAI OAJACA SALAZAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur Eber Isai Oajaca Salazar (le demandeur ou M. Salazar) cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés, laquelle a rejeté son appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés a conclu que M. Salazar n’était ni un réfugié au sens de la Convention en application de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), ni une personne à protéger en application de l’article 97 de la Loi.

[2]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent. La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Salazar n’avait pas démontré qu’il éprouvait une crainte bien fondée de persécution en application d’un motif figurant à l’article 96 de la Convention. Comme l’a souligné la Section d’appel des réfugiés, la question déterminante était le lien, plus particulièrement l’absence de lien, à un motif prévu à la Convention. La crainte de représailles de M. Salazar s’il refusait des offres d’emplois d’individus membres de gangs ou de cartels, selon lui, ne permet pas d’établir un lien avec un motif prévu à la Convention. De plus, la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que le risque invoqué par M. Salazar à son retour au Guatemala, soit le risque d’être victime d’un crime, selon la Section d’appel des réfugiés, constituait un risque de violence généralisée. Par conséquent, celui-ci ne figurait pas parmi les risques prévus à l’article 97.

I.  Le contexte factuel

[3]  Monsieur Salazar explique qu’il s’est joint à l’armée guatémaltèque en 2012, puis qu’il a été accepté au sein d’une unité de forces spéciales, connue sous le nom de « Kaibil ». Il soutient que les Kaibil sont reconnus pour leur entraînement rigoureux et leurs tactiques sans merci. Il a complété son service militaire en octobre 2014, puis est retourné vivre avec sa grand-mère dans son village d’El Juleque.

[4]  M. Salazar raconte également qu’il a commencé à recevoir des offres d’emploi, principalement pour effectuer certaines activités criminelles. Il soutient avoir reçu ses offres en raison de ses aptitudes spécialisées et de sa formation de Kaibil, lesquelles l’ont rendu [traduction] « utile » et attrayant aux gangs et aux cartels. Il décrit plusieurs de ces offres. Il a été approché par un [traduction] « militaire » qui lui a offert de travailler comme garde du corps. Un autre homme, en apparence un fermier, lui a demandé de surveiller du bétail. Il a présumé qu’il s’agissait d’une offre pour effectuer des actes criminels, car l’homme était armé. Il ajoute que le fermier a été tué en juillet 2016, ce qui vient étayer sa présomption voulant que l’offre d’emploi en lien avec le bétail eût véritablement un dessein criminel.

[5]  À une autre occasion, trois gardes du corps l’ont approché et lui ont demandé d’assassiner une personne. Il a appris, après être venu au Canada, que ces gardes du corps avaient été tués. Il estime qu’ils ont été éliminés en raison de leur âge et du fait qu’ils n’étaient plus utiles à long terme pour les cartels. M. Salazar raconte également qu’un homme, connu sous le pseudonyme « El Gringo » le narguait et l’insultait, car il refusait de mettre ses aptitudes de Kaibil au profit d’activités criminelles.

[6]  M Salazar soutient qu’il a commencé à se relocaliser au Guatemala, car il craignait d’être ciblé en raison de son refus d’accepter ces offres d’emploi. Il soutient qu’un homme est venu s’enquérir de ses déplacements à la résidence de sa grand-mère durant son absence. M. Salazar est arrivé au Canada en mars 2015 en qualité de travailleur étranger temporaire et a occupé des emplois dans des fermes. Il a déposé sa demande de statut de réfugié en septembre 2016.

[7]  Il a indiqué dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’il craignait [traduction] « de subir des pressions d’autres et d’être tué si je refuse ». Il a également affirmé [traduction] « Ayant refusé les offres faites par ces hommes, je crains de retourner au Guatemala et qu’ils continuent à me demander de me joindre à eux et m’obligent à faire ce qu’ils attendent de moi. Je ne sais pas jusqu’à quel point ils vont me permettre de refuser et ne m’obligeront pas à me joindre à eux et à accomplir leur travail. »

[8]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande, concluant qu’il n’y avait aucun lien entre les craintes de M. Salazar et un motif prévu à la Convention, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer ses allégations de persécution et qu’il avait omis de renverser la présomption de protection de l’État au Guatemala.

II.  La décision de la Section d’appel des réfugiés faisant l’objet du contrôle

[9]  La Section d’appel des réfugiés a entendu l’appel à la lumière des principes énoncés dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103, 396 DLR (4th) 527, remarquant qu’elle effectuerait sa propre analyse de la preuve, puis qu’elle évaluerait les questions de façon indépendante.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a examiné les motifs d’appels soulevés par M. Salazar. M. Salazar a d’abord soutenu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en évaluant son profil en qualité d’agent formé dans les Forces spéciales. Il a soutenu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas tenu compte du décès des différents hommes qui l’avaient approché pour lui présenter des offres d’emploi. Il a affirmé qu’il présumait que ces hommes avaient été assassinés au motif qu’ils n’étaient plus utiles en tant que gardes de corps en raison de leur âge. Il semble soutenir que leur décès témoigne des risques auxquels l’exposaient les gangs. La Section d’appel des réfugiés a conclu que ces décès n’étaient pas pertinents à la demande de M. Salazar, faisant remarquer qu’il n’y avait aucune preuve convaincante indiquant que les assassinats allégués avaient un quelconque lien avec l’âge des victimes ou avec M. Salazar.

[11]  La Section d’appel des réfugiés a souligné que la question déterminante pour la demande était l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention. La Section d’appel des réfugiés a conclu que M. Salazar n’avait pas démontré qu’il était persécuté, ou qu’il risquait de l’être à l’avenir. La Section d’appel des réfugiés a également conclu à l’absence d’une preuve suffisante pour établir que les hommes qui avaient offert des emplois à M. Salazar étaient des criminels, ajoutant que l’offre d’emplois, même de criminels soupçonnés, ne constituait pas de la persécution.

[12]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur en concluant que rien n’était arrivé à M. Salazar des suites de son refus d’accepter les emplois offerts.

[13]  Quant aux autres arguments de M. Salazar, la Section d’appel des réfugiés a reconnu que la Section de la protection des réfugiés aurait dû prendre le temps d’examiner les documents récents sur la situation dans le pays produits par le demandeur, plutôt que de rendre sa décision dès la conclusion de l’audience. Néanmoins, la Section d’appel des réfugiés a conclu que cette erreur n’était pas fatale. La Section d’appel des réfugiés a réitéré que la question déterminante était celle de l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention, ce que les documents sur la situation dans le pays ne pouvaient pas établir.

[14]  La Section d’appel des réfugiés a ensuite conclu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur dans son traitement du rapport sur la santé psychologique de M. Salazar. La Section d’appel des réfugiés a conclu que le rapport réitérait les propos de M. Salazar dans sa demande. La Section d’appel des réfugiés a reconnu son diagnostic d’état de stress post-traumatique, mais a conclu que le rapport ne comprenait pas de renseignements pertinents à la question déterminante de l’existence d’un lien ou d’un préjudice éventuel.

[15]  La Section d’appel des réfugiés a fait remarquer que M. Salazar avait également soutenu que la Section de la protection des réfugiés avait enfreint l’équité procédurale dans son avis d’appel, mais qu’il n’avait pas donné suite aux erreurs alléguées dans ses observations.

[16]  La Section d’appel des réfugiés a résumé son analyse fondée sur l’article 96, soulignant à nouveau le caractère primordial de l’existence d’un lien aux motifs prévus à la Convention. La Section d’appel des réfugiés a déclaré :

[traduction]

Encore une fois, le lien est au cœur de la présente demande et de l’appel. Avant d’analyser les questions comme la crainte subjective, la crainte objective et la protection de l’État ou la possibilité de refuge intérieur, on doit établir un lien avec l’article 96 et avec l’un des cinq motifs y figurant en lien avec la protection des réfugiés prévue par la Convention. Or, il n’y a pas de lien dans l’espèce, comme l’a mentionné le Comité avant moi. L’appelant n’a jamais été persécuté pour quelque motif que ce soit. Il n’a jamais reçu de menaces et rien ne lui est arrivé à lui, aux membres et de sa famille ou à ses amis lorsqu’il a refusé les offres d’emplois.

[17]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu que M. Salazar pouvait craindre d’être blessé à l’avenir, et qu’il pouvait exister un fondement objectif à cette crainte, mais a conclu que le fait d’être victime d’un crime ou d’une vendetta n’est pas un motif de protection prévu par la Convention.

[18]  Quant à la question à savoir si M. Salazar est une personne à protéger en application de l’article 97, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur [traduction] « doit avoir une crainte distincte du reste de la population élargie ». La Section d’appel des réfugiés a fait remarquer que le Guatemala est un pays très violent et que la crainte d’être victime d’un crime est partagée par pratiquement toute la population. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés a conclu que M. Salazar était soumis à un risque généralisé et exclu de la portée de l’article 97.

III.  Questions en litige

[19]  Monsieur Salazar soulève de nombreuses questions dans ses observations écrites quant à la décision de la Section de la protection des réfugiés, laquelle n’est pas visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Par exemple, il a soutenu que tant la Section de la protection des réfugiés que la Section d’appel des réfugiés ont commis une erreur dans leur conclusion quant à la protection de l’État, en dépit du fait que la Section d’appel des réfugiés a clairement conclu que la question déterminante concernant l’article 96 était celle de l’existence d’un lien et qu’elle n’a pas effectué une analyse de la protection de l’État. Or, toute erreur alléguée commise par la Section de la protection des réfugiés quant à la protection de l’État n’est pas pertinente, puisque seule la décision de la Section d’appel des réfugiés est soumise au contrôle judiciaire de notre Cour.

[20]  M. Salazar a également soutenu que la Section de la protection des réfugiés avait fait preuve de partialité, ou à tout le moins de fermeture d’esprit, en raison de l’utilisation par la Section de la protection des réfugiés de passages tirés de sa décision concernant sa demande dans une décision ultérieure concernant un autre demandeur d’asile. Cette question est abordée ci-dessous, bien qu’elle n’ait aucune incidence dans le présent contrôle judiciaire, lequel porte sur la décision de la Section d’appel des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés ne fait l’objet d’aucune allégation de partialité.

[21]  Je formulerais comme suit les questions faisant l’objet du contrôle judiciaire :

  • La Section d’appel des réfugiés a-t-elle mal interprété ou fait fi des éléments de preuve démontrant le risque vécu par le demandeur en application de l’article 96?

  • La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun lien avec un motif prévu à la Convention; c’est-à-dire que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une crainte de persécution bien fondée en regard d’un motif prévu par celle-ci?

  • La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne faisait face qu’à un risque généralisé en application de l’article 97?

IV.  La norme de contrôle

[22]  Les questions mixtes de fait et de droit émanant des décisions de la Section d’appel des réfugiés doivent être examinées suivant la norme de la décision raisonnable (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, au paragraphe 45, 255 ACWS (3d) 805).

[23]  Le caractère raisonnable tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). La Cour ne réévaluera pas la preuve.

V.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle mal interprété ou fait fi des éléments de preuve démontrant le risque vécu par le demandeur en application de l’article 96?

A.  Les observations du demandeur

[24]  Les observations de M. Salazar à l’audience de la présente demande ont porté sur son profil de Kaibil entraîné, dont les aptitudes le rendent [traduction] « utile » pour les gangs et les cartels au Guatemala. Il soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à l’existence d’un lien entre le décès des hommes qui lui avaient offert des emplois et son propre risque. Il fait référence à son propre témoignage selon lequel trois gardes du corps, dans leur cinquantaine, lui avaient offert de l’argent pour qu’il tue une autre personne, puis que ces mêmes gardes du corps avaient été assassinés par la suite. Il soutient que les cartels cherchaient activement des gardes du corps plus jeune, les plus vieux étant de moindre valeur.

[25]  M. Salazar soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en concluant que sa prétention voulant que les gens qui lui avaient offert des emplois, y compris les fermiers, fussent des criminels au seul motif qu’ils étaient armés relevait de la spéculation. Il soutient que les offres d’emploi impliquant d’assassiner des gens venaient manifestement de criminels. M. Salazar rétorque que la Section d’appel des réfugiés a spéculé en concluant que certaines des offres d’emploi pouvaient être légitimes.

[26]  Il soutient que le fait que rien ne lui soit arrivé des suites de son refus de ces offres met en évidence sa valeur éventuelle de tueur entraîné pour les gangs sollicitant son assistance. Il soutient que ce n’est qu’une question de temps avant que ses refus ne soient plus acceptés.

[27]  M. Salazar estime également que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte de sa preuve ainsi que des documents sur la situation dans le pays ou n’en a pas compris l’importance. Il soutient que les documents, plus particulièrement le rapport intitulé Home Sweet Home, rédigé par Amnistie internationale, dresse les profils des personnes à risque au Guatemala, y compris [traduction] « les personnes persécutées par un gang, car celui-ci estime qu’elles ne respectent pas son autorité ». Il soutient qu’il serait persécuté par un gang, car celui-ci estimerait qu’il ne respecte pas son autorité en refusant de travailler pour lui.

[28]  M. Salazar soutient de plus que la Section d’appel des réfugiés n’a pas accordé le poids approprié au rapport quant à sa santé psychologique, lequel démontre qu’il souffre d’un d’état de stress post-traumatique grave. Il soutient que ce rapport est la preuve objective de sa crainte subjective de persécution, car il est fondé sur des tests administrés par le psychologue. Il soutient de plus que le rapport du psychologue démontre le lien avec un motif prévu à la Convention.

B.  Les observations du défendeur

[29]  Le défendeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que la crainte subjective de persécution de M. Salazar n’était pas objectivement étayée par des éléments de preuve.

[30]  Le défendeur soutient que le témoignage de M. Salazar n’a été ni écarté ni mal interprété par la Section d’appel des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a reconnu que les hommes ayant approché M. Salazar ont été assassinés par la suite, mais elle a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucun lien entre ces décès et un risque pour M. Salazar.

[31]  Le défendeur avance également que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que l’explication de M. Salazar voulant que les gardes du corps aient été assassinés en raison de leur âge était spéculative.

[32]  Le défendeur fait remarquer que c’est le caractère raisonnable de la conclusion de la Section d’appel des réfugiés voulant que le demandeur ne soit pas à risque en raison de sa formation en tant que Kaibil qui est en cause. Le défendeur soutient qu’aucun élément de preuve ne démontre que M. Salazar a été persécuté, ou qu’il le serait, en raison de son refus de différentes offres d’emploi, quelle qu’en soit la source. Le défendeur reconnaît que la preuve documentaire indique que les anciens membres des Kaibil sont une source de travailleurs pour les cartels, mais soutient qu’aucune preuve ne démontre que les anciens membres des Kaibil sont obligés de travailler pour les cartels, ou que ceux-ci persécutent ceux qui refusent de travailler pour eux. Le défendeur ajoute que M. Salazar n’a subi aucune conséquence de son refus des différentes offres d’emploi.

[33]  Le défendeur soutient de plus que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur dans son traitement des documents plus récents quant à la situation dans le pays. La question déterminante était celle de l’existence d’un lien; les documents n’établissaient pas de lien entre le risque invoqué et un motif prévu à la Convention.

C.  La Section d’appel des réfugiés n’a ni écarté ni mal interprété la preuve des risques avancés par le demandeur

[34]  La preuve de M. Salazar démontrait seulement qu’il avait reçu plusieurs offres d’emplois, certaines semblant légitimes, mais qu’il avait présumé qu’elles étaient de nature criminelle, dont certaines étaient manifestement criminelles. Il a refusé toutes ces offres, sans conséquence. Il a appris le décès des gardes du corps après être venu au Canada. Il présume qu’ils ont été assassinés en raison de leur âge et du fait qu’ils étaient de moindre valeur pour les gangs. Il soutient également avoir un profil attrayant et prisé par les cartels en raison de sa formation au sein des Kaibil. Ainsi, il continuera à subir des pressions ou sera contraint de se joindre à ces cartels et à commettre des assassinats en leur nom ou, il sera éventuellement ciblé s’il continue de refuser ces offres. Il n’y a rien dans la décision de la Section d’appel des réfugiés qui laisse entendre qu’elle ait écarté ou mal compris ces facteurs. La Section d’appel des réfugiés a plutôt conclu qu’il n’y avait aucune preuve démontrant qu’il avait fait face à ce risque et que ledit risque n’avait aucun lien avec un motif prévu à la Convention.

[35]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu que certaines personnes ayant offert des emplois à M. Salazar ont été assassinées. Toutefois, la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu qu’il [traduction] « n’y avait aucune preuve convaincante […] laissant entendre que les assassinats allégués soient liés, de quelque façon que ce soit, à l’âge des victimes ou à leur valeur, ou, en l’espèce, avec [le demandeur] ». La seule preuve possible de lien entre ces événements et M. Salazar était sa propre présomption voulant que le décès des gardes du corps établisse l’existence du risque qu’il invoque. La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en refusant d’accepter sa présomption en qualité de preuve.

[36]  Contrairement aux observations de M. Salazar, la Section d’appel des réfugiés n’a pas soutenu que toutes les offres d’emploi pouvaient être légitimes. Elle a plutôt fait remarquer que certaines offres d’emploi pouvaient être légitimes. En outre, la preuve de M. Salazar lui-même indiquait qu’il avait reçu différentes offres d’emploi comme garde du corps, et pour protéger le bétail, et qu’il a présumé qu’il s’agissait d’offres pour effectuer des activités criminelles. Plus important encore, la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune preuve que M. Salazar avait reçu des menaces ou s’était mis en danger en refusant ces emplois, et ce, peu importe l’employeur éventuel.

[37]  La Section d’appel des réfugiés a brièvement analysé les documents sur la situation dans le pays, puis a raisonnablement conclu que ces documents n’étaient pas déterminants étant donné qu’aucun lien avec un motif prévu à la Convention n’avait été établi. Elle a de nouveau fait remarquer que M. Salazar n’avait jamais été menacé ou blessé d’aucune façon que ce soit.

[38]  Bien que les documents sur lesquels s’appuie M. Salazar confirment que les anciens membres des Kaibil ont souvent du mal à se réintégrer à la société, que le gouvernement n’aide pas à leur réintégration et que, par conséquent, ils se tournent vers les emplois plus lucratifs offerts par les cartels, ils ne démontrent pas que les anciens Kaibil qui refusent ces emplois sont persécutés par ces cartels.

[39]  Le rapport Home Sweet Home, sur lequel s’appuie M. Salazar, tient les propos suivants dans sa synthèse :

[traduction]

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a établi que les demandeurs d’asile de pays du Triangle nord entraient dans plusieurs catégories de risque : les personnes persécutées par un gang, car celui-ci estime qu’elles ne respectent pas son autorité; les personnes travaillant ou impliquées dans des activités où il existe un risque d’extorsion; les victimes et les témoins de crimes commis par des membres de gangs ou des forces de sécurité […]

[40]  Contrairement aux observations de M. Salazar, ce document n’est pas déterminant pour sa demande. Le rapport Home Sweet Home décrit les profils de risque et les catégories de demandeurs d’asile du Guatemala et d’autres pays d’Amérique centrale; il ne garantit pas et n’établit pas non plus que quiconque pouvant correspondre à l’un de ces profils se verra attribuer un statut de réfugié. Chaque demandeur d’asile doit établir qu’il éprouve une crainte de persécution bien fondée sur un motif prévu à la Convention. M. Salazar soutient qu’il correspond à l’un de ces profils; soit les personnes persécutées par un gang, car celui-ci estime qu’elles ne respectent pas son autorité, car il refuse de travailler pour un gang. Cependant, aucun élément de preuve ne démontre que les offres d’emploi qu’il a reçues proviennent de gangs ou de cartels ou qu’il ait subi des conséquences ou risque d’en subir des suites de ses refus. La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que les documents sur la situation dans le pays, y compris le rapport Home Sweet Home, n’ont pas produit de preuve démontrant que M. Salazar serait victime de persécution conformément à un motif prévu à la Convention.

[41]  La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur dans son traitement du rapport sur la santé psychologique de M. Salazar. Il revient à la Section d’appel des réfugiés de déterminer le poids qu’elle accorde au rapport. Le rapport affirme, sur la base du propre témoignage de M. Salazar et de celui de son avocat auprès du psychologue, qu’il était un membre entraîné des Kaibil et qu’il avait reçu différentes offres d’emploi, y compris certaines visant à commettre des actes criminels, et qu’il craignait des représailles des suites de ses refus continus. Le diagnostic d’état de stress post-traumatique de M. Salazar posé par le psychologue est fondé sur les événements tels que racontés par le demandeur, ainsi que sur des tests psychologiques.

[42]  La Cour a déjà émis des mises en garde voulant que les rapports psychologiques ne doivent pas usurper le rôle du décideur. Dans la décision Czesak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1149, aux paragraphes 37 à 40, 235 ACWS (3d) 1054, le juge Annis a exprimé des craintes quant aux rapports psychologiques qui se font les avocats sous la forme d’un avis et « lorsqu’ils seraient de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour ».

[43]  De la même façon, dans l’arrêt Egbesola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, [2016] ACF no 204 (QL), le juge Zinn a examiné les arguments selon lesquels le rapport psychologique n’avait pas été pris en compte. Le juge Zinn a fait observer, au paragraphe 12 :

12.  Tels que présentés par le défendeur, les « faits » sur lesquels se fonde le rapport sont ceux qui ont été rapportés au Dr Devins par la demanderesse principale, et ne sont donc pas des faits jusqu’à ce que le tribunal les juge comme tels. Ce qui peut raisonnablement ressortir du rapport, c’est que la demanderesse principale souffre d’un trouble de stress post-traumatique, et qu’elle doit suivre un traitement médical pour cela.

[44]  Dans l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a admis la crainte subjective de M. Salazar, ainsi que son diagnostic d’état de stress post-traumatique. Contrairement aux observations de M. Salazar, le rapport psychologique ne constitue pas une preuve objective de sa demande, tout comme il n’établit pas l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention.

[45]  La Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune preuve objective démontrant que M. Salazar risquait d’être persécuté par les gangs en raison de sa formation de Kaibil ou de ses refus. Il n’a présenté aucune preuve de menaces, ou d’une exposition à des risques de quelconque façon que ce soit, du fait qu’il avait refusé différentes offres. Ses présomptions quant au décès des hommes sont spéculatives et ne portent sur aucun des risques qu’il pourrait avoir à affronter. En d’autres termes, il n’y avait aucun fondement objectif à la crainte de persécution de M. Salazar en raison de son appartenance aux Kaibil.

VI.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une crainte de persécution bien fondée en regard d’un motif prévu à la Convention?

A.  Les observations du demandeur

[46]  M. Salazar, dans ses observations écrites, ne s’est pas concentré sur la question déterminante, comme l’a conclu la Section d’appel des réfugiés, de l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention. Dans ses observations verbales en réponse aux questions de la Cour, il a soutenu que son profil de membre entraîné des Kaibil, dont les aptitudes sont utiles et attrayantes pour les gangs et les cartels, ainsi que sa crainte d’être contraint de travailler pour eux, suffisait pour établir un lien avec un motif prévu à la Convention.

[47]  M. Salazar a également soutenu que les documents sur la situation dans le pays, plus particulièrement le rapport Home Sweet Home, établissaient le profil des personnes à risque, correspondant à la définition d’un réfugié au sens de la Convention. Comme mentionné précédemment, il soutient qu’il correspond à ce profil, car il serait persécuté par un gang, car celui-ci estimerait qu’il ne respecte pas son autorité en refusant ses offres d’emploi.

[48]  À l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, et en réponse aux questions, M. Salazar a également soutenu que sa demande d’asile reposait sur l’opinion politique qu’on lui impute, soit un motif prévu par la Convention.

B.  Les observations du défendeur

[49]  Le défendeur soutient que les risques invoqués par M. Salazar dans son FDA voulant qu’il soit exposé à un risque en raison de sa formation en tant que Kaibil et de son refus de travailler pour des gangs et des cartels ne sont pas des motifs justifiant l’asile. En outre, le défendeur estime que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que la crainte de persécution de M. Salazar n’était pas fondée sur un motif prévu à la Convention. L’opinion politique imputée, motif qu’il invoque désormais comme risque de persécution, ne correspond pas à son FDA et n’a pas été avancée auparavant.

[50]  Le défendeur avance que la question déterminante était celle de l’existence d’un lien et que les documents sur la situation dans le pays n’établissaient pas de lien entre le risque invoqué par le demandeur et un motif prévu à la Convention. De plus, en ce qui a trait au rapport Home Sweet Home, le défendeur soutient que le demandeur ne correspond à aucune des catégories soulignées.

C.  La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que le risque de persécution du demandeur n’était pas lié à l’un des motifs prévus à la Convention

[51]  La Section d’appel des réfugiés a bien énoncé le droit applicable dans sa décision, notamment [traduction] « Avant d’analyser les questions comme la crainte subjective, la crainte objective et la protection de l’État ou la possibilité de refuge intérieur, on doit d’établir un lien avec l’article 96 et avec l’un des cinq motifs y figurant en lien avec la protection des réfugiés prévue par la Convention. » La Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas parvenu à établir l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention.

[52]  En outre, la Loi exige que chaque demandeur d’asile établisse qu’il éprouve une crainte de persécution bien fondée sur un motif prévu à la Convention. L’article 96 dispose ce qui suit :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[53]  Or, M. Salazar, dans son FDA, n’a pas soutenu qu’il demandait l’asile fondé sur une crainte de persécution bien fondée en regard de l’un des motifs énoncés à l’article 96. Dans son FDA, il a mentionné craindre [traduction] « que d’autres me contraignent à agir pour eux, que je refuse, puis qu’ils me tuent » et que [traduction] « Je crains que, ayant refusé ces offres, ces hommes continuent à me faire des offres à mon retour au Guatemala et que je sois contraint d’exécuter leurs ordres. Je ne sais pas jusqu’à quel point ils vont me permettre de refuser et ne m’obligeront pas à me joindre à eux et à accomplir leur travail. »

[54]  Les documents sur la situation dans le pays, lesquels mentionnent plusieurs profils de risque de demandeurs d’asile en provenance d’Amérique centrale, n’aident pas M. Salazar à établir un lien avec un motif prévu à la Convention, même s’il pouvait établir qu’il correspond à l’un des profils mentionnés.

[55]  À l’audience de la demande de contrôle judiciaire, et en réponse aux questions, M. Salazar a soutenu que sa demande d’asile reposait sur l’opinion politique qu’on lui impute, soit un motif prévu par la Convention. Ce nouveau motif semble être fondé sur sa théorie voulant qu’il soit présumé en accord avec le gouvernement s’il refuse les emplois offerts par de présumés cartels ou gangs. Cette théorie n’a pas beaucoup de sens. Il n’a pas cherché à obtenir l’asile fondé sur un motif de persécution en lien avec une opinion politique imputée, ni dans son FDA ni devant la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés. Par ailleurs, ceci ne correspond pas à son témoignage. De plus, aucun élément de preuve ne vient appuyer cette théorie voulant que les anciens membres des forces armées soient présumés en accord avec le gouvernement et qu’une telle opinion les mette en péril.

[56]  M. Salazar avance maintenant qu’il ne craint pas d’être victime d’un crime, mais plutôt qu’il craint d’être contraint par les gangs et les cartels à assassiner et à blesser d’autres personnes, en raison de ses aptitudes spéciales de Kaibil. Cette prétention n’est ni logique ni compatible avec son FDA et son témoignage. Il craint de subir des représailles s’il refuse les emplois qui lui sont offerts. Or, s’il subissait des représailles des suites de ses refus, il serait alors victime d’un crime. Le fait d’être victime d’un crime ou de risquer de l’être n’est pas un motif d’asile en application de la Convention ou de l’article 96 de la Loi. En dépit du fait que M. Salazar estime qu’il s’agisse d’une interprétation insensible, telles sont néanmoins la réalité et la loi.

VII.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son analyse en application de l’article 97 et en concluant que le demandeur ne risquait pas d’être torturé, de subir un traitement ou une peine cruels et inusités, ou qu’on porte atteinte à sa vie s’il retournait au Guatemala?

A.  Les observations du demandeur

[57]  M. Salazar soutient que la Section d’appel des réfugiés a seulement effectué une analyse sommaire du risque en application de l’article 97, ce qui témoigne de son incompréhension de la distinction existant entre un risque généralisé et un risque particularisé. Il soutient que le risque auquel il doit faire face découle de sa formation spéciale de Kaibil, ce qui le met à risque d’être exploité ou d’être forcé ou contraint à commettre des assassinats. Il soutient qu’il ne s’agit pas d’un risque généralisé, mais d’un risque visant les gens ayant ses aptitudes particulières. Conséquemment, il estime être une personne à protéger en application de l’article 97.

[58]  M. Salazar soutient de plus que le rapport Home Sweet Home et d’autres documents sur la situation dans le pays décrivent les difficultés de transition de l’entraînement militaire à la vie civile ainsi que l’absence d’occasions d’emploi légitime. Il avance que ceux-ci viennent étayer son risque particularisé.

B.  Les observations du défendeur

[59]  Le défendeur estime que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Salazar ne devait pas affronter un risque particularisé en raison de son statut d’ex-Kaibil. La preuve ne vient pas appuyer son affirmation continue voulant qu’il soit soumis à un risque particulier en raison de sa formation de Kaibil. En outre, le risque de subir la violence et le crime dans un pays où la violence est généralisée ne constitue pas un risque particularisé aux fins de l’article 97 (citant Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, 70 Imm LR (3d) 128 [Prophète]).

C.  La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur dans son analyse en application de l’article 97

[60]  L’analyse de la Section d’appel des réfugiés en regard de l’article 97 est axée sur la question de savoir si la crainte d’être victime d’un crime à la suite du refus d’une offre d’emploi constitue un risque particularisé par rapport au risque généralisé touchant la population entière d’un pays.

[61]  La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en omettant de s’attarder sur la question de savoir si M. Salazar était visé par un risque particularisé au motif qu’il était susceptible d’être forcé ou contraint à commettre des assassinats en raison de sa formation de Kaibil. La Section d’appel des réfugiés avait déjà conclu qu’il n’y avait aucune preuve démontrant que les membres des Kaibil étaient obligés de travailler comme tueurs à gages pour les cartels, ou qu’ils étaient persécutés s’ils refusaient de le faire. De plus, la demande d’asile de M. Salazar était fondée sur sa crainte de représailles à la suite de son refus des offres d’emplois; la suite logique de celle-ci étant que les gangs ou les cartels s’en prennent à lui, la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement déterminé qu’il s’agissait d’une crainte d’être victime d’un crime.

[62]  La Cour a examiné de nombreuses demandes formulées en application de l’article 97 et a clarifié la méthode d’analyse applicable, laquelle distingue le risque personnel ou particularisé du risque généralisé. Dans Ortega Arenas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 344, au paragraphe 9, [2013] ACF no 377 (QL), la juge Gleason a cité sa décision antérieure dans Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678, 409 FTR 290 [Portillo], dans laquelle elle examinait une jurisprudence imposante. La juge Gleason a indiqué :

[9]  Comme je l’ai soutenu dans la décision Portillo, une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR doit être effectuée. Premièrement, la SPR doit décrire correctement la nature du risque auquel est exposé l’intéressé. Cela exige de la Commission qu’elle considère s’il y a un risque permanent éventuel et, dans l’affirmative, si le risque équivaut à un traitement ou une peine cruel ou inusité. Surtout, la Commission doit déterminer ce qu’est précisément le risque. Une fois cela fait, la SPR doit ensuite comparer le risque auquel est exposé l’intéressé à celui auquel est exposé un groupe significatif de personnes originaires du même pays pour déterminer si les risques sont de même nature et du même degré.

[63]  Dans la décision Portillo, précitée, au paragraphe 41, la juge Gleason a expliqué les étapes à suivre dans une analyse en application de l’article 97 :

[41]  L’étape suivante à franchir dans le cadre de l’analyse prévue à l’article 97 de la LIPR, une fois que le risque a été correctement qualifié, consiste à comparer le risque qui a été correctement décrit et auquel le demandeur d’asile est exposé, avec celui auquel est exposée une partie importante de la population de son pays pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité. Si le risque qu’il court est différent, le demandeur d’asile a alors le droit de se réclamer de la protection de l’article 97 de la LIPR. Plusieurs des décisions récentes de notre Cour — s’inscrivant dans le premier courant jurisprudentiel susmentionné — ont retenu cette approche.

[64]  En l’espèce, bien que son analyse soit brève, la Section d’appel des réfugiés explique qu’elle a qualifié le risque invoqué par M. Salazar comme étant la crainte d’être victime d’un crime, puis qu’elle a cherché à savoir si ce risque touchait une grande partie de la population du pays, avant de conclure que c’était le cas.

[65]  Notre Cour a conclu à de nombreuses reprises que le risque d’être victime d’un crime commis par des cartels au Guatemala touche l’ensemble de la population; il s’agit ainsi d’un risque généralisé (Martinez Menendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 221, au paragraphe 20, 14 Admin LR (5th) 151; Giovani Ipina Ipina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 733, aux paragraphes 17 à 19, 204 ACWS (3d) 131; Alvarez Fuentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 218, aux paragraphes 23 à 25, [2012] ACF no 253 (QL)). Cette conclusion demeure exacte, même si un sous-groupe de la population est plus à risque que la population générale, en raison, entre autres, de sa richesse (Prophète), à moins que la personne puisse démontrer qu’elle est ciblée personnellement pour une raison particulière (voir, par exemple, Martinez Pineda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365, 65 Imm LR (3d) 275, dossier d’un demandeur et de sa famille ayant été directement menacés à la suite de son refus de se joindre à un gang). En l’espèce, rien n’indique que le demandeur subira des conséquences de son refus des différentes offres d’emploi. Il craint un risque généralisé de criminalité, quoique dans un pays ayant un fort taux de criminalité. Bien que cette crainte soit rehaussée par sa notoriété d’ex-Kaibil, l’analyse et les conclusions de la Section d’appel des réfugiés sont raisonnables et conformes à la jurisprudence.

VIII.  Observations quant aux allégations de partialité du demandeur

[66]  M. Salazar soutient que le commissaire de la Section de la protection des réfugiés a utilisé une partie de la décision rendue quant à sa demande dans une décision postérieure quant à la demande d’asile d’un demandeur salvadorien. Il soutient l’avoir appris après l’audience devant la Section d’appel des réfugiés. M. Salazar avance que la Section de la protection des réfugiés a utilisé, dans les deux décisions, des documents plus anciens quant à la situation dans le pays et qu’elle n’a pas mentionné le rapport Home Sweet Home. Il soutient que le choix d’utiliser le même texte dans deux décisions témoigne d’une fermeture d’esprit à l’égard des risques qu’il doit affronter et soulève une crainte raisonnable de partialité de la part de la Section de la protection des réfugiés.

[67]  Le défendeur soutient que M. Salazar et l’autre demandeur d’asile ont avancé des arguments semblables et que, par conséquent, les similitudes entre les décisions de la Section de la protection des réfugiés n’ont rien d’étonnant et démontrent que les commissaires de la Section de la protection des réfugiés appliquent la loi de façon constante à des faits semblables.

[68]  De plus, comme le fait remarquer le défendeur, c’est la décision de la Section d’appel des réfugiés qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La Section d’appel des réfugiés ne fait l’objet d’aucune allégation de partialité.

[69]  Bien que les deux décisions de la Section de la protection des réfugiés produites par M. Salazar indiquent que le commissaire de la Section de la protection des réfugiés a utilisé des passages de la décision dans son dossier dans une décision subséquente, ceci ne témoigne pas de l’existence de préjugés ou d’une fermeture d’esprit à l’égard des demandeurs d’asile en provenance de l’Amérique centrale. En outre, les dossiers comportant des faits semblables pourraient donner lieu à des décisions semblables. De plus, la même jurisprudence risque d’y être citée et devrait y être appliquée de façon uniforme.

[70]  Les passages en cause portent sur l’incapacité des deux demandeurs à établir un lien avec un motif prévu à la Convention, puis sur l’analyse de la jurisprudence établissant que la violence liée aux gangs constitue un risque généralisé dans certains pays d’Amérique centrale.

[71]  Bien que le même texte figure dans des décisions différentes, la Cour cherchera à savoir si le décideur a examiné les questions soulevées par le demandeur et s’il a fondé sa décision sur la preuve qui lui était soumise. À ce chapitre, la juge Snider a tenu les propos suivants dans Gomez Cordova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 309, au paragraphe 24, [2009] ACF no 620 (QL) : « Si on suppose que les “extraits stéréotypés” sont basés sur la preuve documentaire et qu’ils traitent de la preuve et de la position particulière du demandeur, la reprise par la Commission de certains extraits d’autres décisions n’est pas en soi une erreur. »

[72]  En conclusion, la question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire porte à savoir si la décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable. En l’occurrence, la Section d’appel des réfugiés a examiné toute la preuve, a appliqué le droit aux faits de l’espèce et n’a pas commis d’erreur en concluant que la crainte ou le risque invoqué par M. Salazar n’était pas fondé sur un motif prévu à la Convention et que le risque encouru lors d’un éventuel retour au Guatemala constituait un risque généralisé de violence. La décision est justifiée, transparente et intelligible et bien appuyée par les faits devant la Section d’appel des réfugiés et le droit.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2166-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2166-17

 

INTITULÉ :

EBER ISAI OAJACA SALAZAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Mary Jane Campigotto

 

Pour le demandeur

 

Rachel Hepburn Craig

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Jane Campigotto

Avocate

Windsor (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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