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Date : 20180130


Dossier : IMM-2763-17

Référence : 2018 CF 99

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

KAWSAR JAHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (Loi), en vue d’un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (SAI ou la Commission), datée du 7 juin 2017 (décision), qui rejetait la demande de la demanderesse en vue d’obtenir un visa de résidence permanente pour son époux.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse est une résidente permanente du Canada depuis son arrivée en provenance du Bangladesh, le 22 janvier 2014.

[3]  Peu de temps avant son départ du Bangladesh, on a présenté la demanderesse à son époux dans le cadre d’une proposition de mariage faite à sa famille. Le couple a discuté de la possibilité de se marier, mais n’a pris aucune décision. En mars 2014, après l’arrivée de la demanderesse au Canada, la famille de son époux a fait une proposition de mariage définitive, qu’elle a acceptée.

[4]  En raison du déclin de l’état de santé de la mère de la demanderesse et de l’incapacité de cette dernière à retourner au Bangladesh, le couple a décidé de procéder à un mariage par procuration au moyen d’Internet en ayant recours à l’application Skype. À l’époque, le droit canadien de l’immigration reconnaissait les mariages par procuration. Un fonctionnaire bangladais a présidé la cérémonie le 28 avril 2014 au Bangladesh en présence de l’époux de la demanderesse, alors que la demanderesse y participait depuis le Canada.

[5]  La demanderesse est retournée au Bangladesh le 21 novembre 2014 et le couple a tenu une cérémonie religieuse ainsi qu’une célébration complète de leur mariage le 5 décembre 2014. Le couple a ensuite cohabité pendant cinq mois avant que la demanderesse retourne au Canada pour respecter ses exigences en matière de résidence.

[6]  Le 15 juillet 2015, la demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer son époux pour qu’il obtienne sa résidence permanente au Canada dans la catégorie du regroupement familial. La demanderesse affirme qu’un fonctionnaire canadien de l’immigration a interrogé son époux au Bangladesh en décembre 2016. Cependant, le dossier certifié du tribunal ne comprend aucune note concernant un tel interrogatoire.

[7]  Dans une lettre datée du 14 décembre 2016, un agent d’immigration a rejeté la demande de l’époux de la demanderesse. L’agent a conclu que l’époux de la demanderesse ne pouvait pas être sélectionné dans la catégorie du regroupement familial, car la demanderesse n’était pas présente physiquement à leur cérémonie de mariage, une exigence inscrite à l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement).

[8]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de l’agent d’immigration auprès de la Section d’appel de l’immigration.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]  La Section d’appel de l’immigration est arrivée à la conclusion que les dispositions transitoires du Règlement sont claires et sans ambiguïté à l’effet que l’alinéa 117(9)c.1) s’applique aux demandes reçues après l’entrée en vigueur de cet alinéa. Étant donné que cet alinéa est entré en vigueur le 11 juin 2015 et que la demande de la demanderesse a été présentée le 15 juillet 2015, son époux ne peut pas être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial.

[10]  La décision renvoie aux faits non contestés pertinents à l’appel de la demanderesse. La demanderesse et son époux ont procédé à un mariage par procuration par l’intermédiaire d’Internet, au moyen de Skype, le 28 avril 2014. La demanderesse se trouvait au Canada et son époux, au Bangladesh, pendant la cérémonie. L’alinéa 117(9)c.1) est entré en vigueur le 11 juin 2015. La demanderesse a présenté sa demande de parrainage le 15 juillet 2015, mais les dispositions transitoires du Règlement disposent que seules les demandes reçues avant l’entrée en vigueur de l’alinéa 117(9)c.1) ne sont pas assujetties à son application.

[11]  La Commission reconnaît que l’époux de la demanderesse est son époux en raison de leur mariage en 2014. L’alinéa 117(9)a) du Règlement établit qu’un membre de la catégorie du regroupement familial comprend l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal. Cependant l’alinéa 117(9)c.1) dispose que n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec le répondant « l’époux du répondant si le mariage a été célébré alors qu’au moins l’un des époux n’était pas physiquement présent […] ». La Commission conclut que le fait que l’agent d’immigration n’a pas examiné la demande de l’époux de la demanderesse dans aucune autre des catégories du regroupement familial n’était pas pertinent, puisque, du fait qu’il s’agissait de son époux, l’alinéa 117(9)c.1) l’excluait de la catégorie du regroupement familial.

[12]  La décision cite Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, au paragraphe 35 [Dragan], pour établir que le Parlement peut adopter une législation avec effet rétroactif ou rétrospectif sous réserve des limites établies par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (Royaume-Uni), 1982, c 11 (Charte). La Commission estime que l’argument de la défenderesse voulant que l’application rétrospective de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement porte atteinte à ses droits acquis a déjà été rejeté par notre Cour dans la décision Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, aux paragraphes 39 et 40 [Gill]. Et la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, paragraphes 46 et 47 [Medovarski], a examiné des arguments fondés sur la Charte similaires à ceux avancés par la demanderesse mais a jugé que « toute iniquité découlant du passage à la nouvelle loi ne constitue pas une violation de la Charte ».

[13]  Compte tenu des objectifs de la Loi et du Règlement modifié ainsi que de leurs dispositions transitoires, la Commission conclut que le législateur avait l’intention que l’alinéa 117(9)c.1) s’applique rétrospectivement aux mariages par procuration et que ce fait est appuyé par le libellé explicite et sans ambiguïté du Règlement modifié. Vu les possibilités ouvertes à la demanderesse en application d’autres dispositions de la Loi, la Commission juge qu’elle n’a pas démontré que l’application rétrospective de l’alinéa 117(9)c.1) porte atteinte à ses droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne et à ses droits à l’égalité.

[14]  La Commission reconnaît qu’il s’agit peut-être d’un résultat sévère, mais réitère que la demanderesse pourrait avoir d’autres possibilités en application de la Loi, par exemple le parrainage de son époux dans une autre catégorie ou une demande auprès du ministre pour des motifs d’ordre humanitaires. Cependant, la Commission estime que ses possibilités outrepassent sa compétence et rejette l’appel de la demanderesse.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[15]  La demanderesse soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

  1. L’alinéa 117(9)c.1) du Règlement s’applique-t-il rétroactivement ou rétrospectivement à une demande en vue d’obtenir un visa de résidence permanente présentée après l’entrée en vigueur de l’alinéa, mais alors que le mariage par procuration en question s’est déroulé avant l’entrée en vigueur de l’alinéa?

  2. L’application rétroactive ou rétrospective de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement est-elle compatible avec les articles 7 et 15 de la Charte?

  3. L’agent d’immigration et la Section d’appel de l’immigration ont-ils manqué à l’obligation d’équité en n’examinant pas la demande comme une relation de conjoint de fait ou de partenaire conjugal?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[16]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est claire quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[17]  Dans la décision Gill, précitée, au paragraphe 18, le juge en chef Crampton a conclu que, même si la raisonnabilité est la norme de contrôle généralement applicable à l’interprétation que la Section d’appel de l’immigration fait du Règlement, la question de déterminer quelle version du Règlement s’applique à une situation de fait particulière fait intervenir les principes de l’équité et de la justice naturelle, auxquels s’applique la norme de la décision correcte. Voir aussi la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1221, au paragraphe 18 [Patel]. Par conséquent, la question de savoir si l’alinéa 117(9)c.1) s’applique rétroactivement ou rétrospectivement à la demande de l’époux de la demanderesse sera examinée selon la norme de la décision correcte.

[18]  De même, il est bien établi en droit que les questions constitutionnelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir la décision Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 409, au paragraphe 41 [Begum]. La décision de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle l’application rétrospective de l’alinéa 117(9)c.1) n’a pas porté atteinte aux articles 7 et 15 de la Charte sera aussi examinée selon la norme de la décision correcte.

[19]  Selon la demanderesse, les décisions de l’agent d’immigration et de la Section d’appel de l’immigration de ne pas examiner la demande de son époux comme une relation de conjoint de fait ou de partenaire conjugal soulèvent une question d’équité procédurale. Toutefois, la question est considérée à juste titre comme une question d’interprétation législative : l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement empêche-t-il l’examen de la demande d’un époux comme une relation de conjoint de fait ou de partenaire conjugal lorsque le mariage en cause est un mariage par procuration? À moins qu’il s’agisse d’une situation exceptionnelle, l’interprétation de la Loi et de son Règlement est présumée être une question d’interprétation législative devant faire l’objet de retenue dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Voir l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner)Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34. Par conséquent, la décision de la Section d’appel de l’immigration voulant que l’alinéa 117(9)c.1) empêche l’examen de la demande de l’époux de la demanderesse dans la catégorie du regroupement familial sera examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[20]  Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[21]  Les dispositions suivantes de la Charte sont applicables en l’espèce :

Droits et libertés au Canada

Rights and freedoms in Canada

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

Vie, liberté et sécurité

Life, liberty and security of person

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

Equality before and under law and equal protection and benefit of law

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[22]  Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Regroupement familial

Family reunification

12 (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12 (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

Permis de séjour temporaire

Temporary resident permit

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

Droit d’appel : visa

Right to appeal — visa refusal of family class

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63 (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

Motifs d’ordre humanitaires

Humanitarian and compassionate considerations

65 Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

65 In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

[23]  Les dispositions suivantes du Règlement sont applicables en l’espèce :

Définitions

Interpretation

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

2 The definitions in this section apply in these Regulations.

partenaire conjugal À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an.

conjugal partner means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year.

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

Restrictions

Excluded relationships

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

c.1) l’époux du répondant si le mariage a été célébré alors qu’au moins l’un des époux n’était pas physiquement présent, à moins qu’il ne s’agisse du mariage d’un membre des Forces canadiennes, que ce dernier ne soit pas physiquement présent à la cérémonie en raison de son service militaire dans les Forces canadiennes et que le mariage ne soit valide à la fois selon les lois du lieu où il a été contracté et le droit canadien;

(c.1) the foreign national is the sponsor’s spouse and if at the time the marriage ceremony was conducted either one or both of the spouses were not physically present unless the foreign national was marrying a person who was not physically present at the ceremony as a result of their service as a member of the Canadian Forces and the marriage is valid both under the laws of the jurisdiction where it took place and under Canadian law;

[24]  Les dispositions suivantes du Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2015-139 (10 juin 2015), sont applicables en l’espèce :

5 (4) L’alinéa 117(9)c.1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’aux demandes reçues après l’entrée en vigueur du présent règlement.

5 (4) Paragraph 117(9)(c.1) of the Immigration and Refugee Protection Regulations applies only to applications received after the day on which these Regulations come into force.

6 Le présent règlement entre en vigueur à la date de son enregistrement.

6 These Regulations come into force on the day on which they are registered.

[25]  Les dispositions suivantes des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (Règles de la Section d’appel de l’immigration), sont applicables en l’espèce :

Avis de question constitutionnelle

Notice of constitutional question

52 (1) La partie qui veut contester la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition législative établit un avis de question constitutionnelle.

52 (1) A party who wants to challenge the constitutional validity, applicability or operability of a legislative provision must complete a notice of constitutional question.

Délai

Time limit

(4) Les documents transmis selon la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle doit être débattue.

(4) Documents provided under this rule must be received by their recipients no later than 10 days before the day the constitutional argument will be made.

VII.  ARGUMENTATION

A.  Demanderesse

1)  Rétroactivité ou rétrospectivité

[26]  La demanderesse fait valoir que l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement ne devrait pas s’appliquer rétroactivement afin de modifier le caractère juridique de son mariage.

[27]  Dans l’arrêt R c Dineley, 2012 CSC 58, au paragraphe 10 [Dineley], la Cour suprême du Canada a appliqué le principe selon lequel « une nouvelle mesure législative qui porte atteinte à de tels droits est présumée n’avoir d’effet que pour l’avenir, à moins qu’il soit possible de discerner une intention claire du législateur qu’elle s’applique rétrospectivement ». La Cour a également conclu : « Ainsi, la règle générale interdisant l’application rétrospective des mesures législatives devrait s’appliquer en cas d’atteinte à des droits constitutionnels »; arrêt Dineley, précité, au paragraphe 21. En outre, dans les cas où les modifications apportées à des mesures législatives envisagent la collecte d’éléments de preuve devenus nécessaires en raison de la nouvelle mesure législative, celle-ci ne devrait s’appliquer que pour l’avenir. Voir l’arrêt Dineley, précité, au paragraphe 25, citant l’arrêt R c Ali [1980] 1 RCS 221.

[28]  L’approche établie lorsqu’il s’agit d’interpréter une loi est « de rechercher la volonté du législateur en lisant les termes de la disposition dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi » : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, au paragraphe 27. Dans ses motifs dissidents dans l’arrêt Dineley, précité, au paragraphe 44, le juge Cromwell a fait remarquer que les « présomptions de non-modification de la nature ou des conséquences juridiques des actes antérieurs et de non-atteinte aux droits acquis » sont une manifestation de la position des tribunaux selon laquelle, lorsque les mots le permettent, « les tribunaux supposent [que le législateur] ne voulait pas créer une injustice ou une iniquité ». Le juge Cromwell poursuit en déclarant que ces présomptions « visent toutes deux à protéger le droit des parties de s’appuyer sur l’état du droit au moment des actes » : arrêt Dineley, précité, au paragraphe 46, citant l’arrêt Angus c Sun Alliance compagnie d’assurance, [1988] 2 RCS 256, p. 268-69 [Angus]; Ciecierski c Fenning, 2005 MBCA 52, au paragraphe 29; Upper Canada College v Smith (1920), 61 SCR 413.

[29]  La demanderesse fait valoir que l’application rétroactive ou rétrospective de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement la prive de son droit substantiel de parrainer son époux pour qu’il obtienne un visa de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial et modifie le caractère juridique de son mariage. Elle affirme que cela mine son recours de bonne foi aux lois d’immigration du Canada au moment de son mariage et qu’un tel résultat donne lieu à une absurdité. Il s’agit d’un principe établi en matière d’interprétation législative que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. Voir l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 27. Elle fait aussi valoir que le seul objectif d’intérêt public que l’alinéa 117(9)c.1) semble poursuivre est la célérité opérationnelle ou administrative à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Une telle justification fournit des motifs insuffisants pour éliminer des droits substantiels ou modifier le caractère juridique de son mariage. Puisque l’alinéa 117(9)c.1) peut être interprété d’une façon qui n’exige pas un effet rétroactif ou rétrospectif, il devrait être interprété d’une façon qui ne lui confère qu’un effet prospectif.

[30]  La demanderesse soutient que la décision Dragan se distingue, car il s’agissait d’une affaire qui concernait exclusivement les droits des étrangers, alors que l’application de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement pourrait avoir une incidence sur les droits de citoyens canadiens. Elle affirme en outre que l’application rétroactive de la disposition en litige dans la décision Dragan était expressément traitée par l’article 190 de la Loi. Étant donné que le libellé de l’alinéa 117(9)c.1) n’est pas clair, la présomption contre l’application rétrospective n’a pas été réfutée. La demande signale que la disposition dans la décision Dragan était également assujettie à des exceptions relatives à son application rétrospective établies par le Règlement. Voir la décision Dragan, précitée, au paragraphe 36.

[31]  La demanderesse laisse entendre que l’affirmation de la Section d’appel de l’immigration voulant que le législateur puisse édicter des mesures législatives qui sont rétroactives, rétrospectives ou qui portent atteinte aux droits acquis constitue une « ordonnance judiciaire » qui n’est pas appuyée par la jurisprudence. Elle déclare que [traduction] « bien que le législateur ait le droit d’édicter des mesures législatives rétroactives, il ne peut le faire lorsque des droits substantiels ont été acquis ou pour modifier le caractère juridique de quelque chose rétroactivement » et signale l’arrêt Angus, précité, pour appuyer sa thèse. Dans l’arrêt Angus, la Cour a conclu qu’« on ne présumera pas facilement que le législateur a eu l’intention d’accorder un effet rétroactif à une disposition lorsqu’elle porte nettement atteinte aux droits acquis d’une partie » : Angus, précité, p. 266-67.

[32]  La demanderesse soutient que la décision Gill ne permet pas d’étayer la proposition générale selon laquelle les droits ne sont pas acquis avant qu’une décision définitive soit rendue. Cela est reconnu dans la décision Gill, où la situation d’une partie à une procédure judiciaire est comparée à celle d’une demande de parrainage du conjoint. Voir la décision Gill, précitée, au paragraphe 41. La demanderesse fait également valoir que la décision Gill se distingue pour des considérations de principe, car les préoccupations relatives à l’intégrité du système d’immigration qui motivaient les modifications à la loi en litige dans la décision Gill n’existent pas en ce qui a trait à l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement. Qui plus est, la décision Gill constituait une affaire où la rétroactivité de la modification législative était manifeste au vu du libellé de la Loi. En outre, on ne s’était pas fondé sur la Loi. Elle affirme que les affaires sur lesquelles on s’est appuyé dans la décision Gill pour établir qu’un demandeur n’a aucun droit acquis avant qu’une décision définitive soit rendue ne portent pas sur ces cas où des actes ont été accomplis en se fondant sur la Loi.

[33]  Plus précisément, la demanderesse fait valoir que la décision Scott v College of Physicians & Surgeons (Saskatchewan) (1992), 95 DLR (4th) 706 (Sask CA) [Scott], appuie sa thèse selon laquelle son mariage avait établi un droit acquis auquel ne pouvait porter atteinte l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement. Dans Scott, le demandeur n’a pas présenté sa demande de réintégration avant que la loi abrogeant son droit d’être réintégré soit entrée en vigueur. Cependant, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que son droit à la réintégration avait commencé à être acquis au sens de l’alinéa 23(1)c) de la loi intitulée The Interpretation Act, RSS 1978, c I-11, abrogée, car il [traduction] « avait fait tout ce qu’il pouvait faire avant que le collège quantifie le montant dû… [et il] n’y avait aucune question du collège à savoir si un tel droit existait » : décision Scott, précitée, à la page 732. La demanderesse affirme que le fait d’interpréter la décision Gill comme indiquant qu’un droit ne peut être acquis avant qu’une demande ait été décidée expose les demandeurs à une menace constante que leurs droits acquis soient assujettis à un rejet rétroactif.

[34]  La demanderesse soutient également que la jurisprudence sur laquelle le défendeur s’est appuyé traite intégralement de questions relatives à l’intégrité du programme, alors que l’alinéa 117(9)c.1) [traduction] « concerne principalement la commodité administrative d’IRCC ». De plus, la demanderesse prétend que le défendeur a uniquement traité de l’argument selon lequel l’application rétroactive de la disposition a une incidence sur les droits acquis de la demanderesse et a ignoré l’argument voulant qu’il modifie le caractère juridique ex post facto.

2)  Arguments fondés sur la Charte

[35]  La demanderesse soutient en outre que l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement porte atteinte aux articles 7 et 15 de la Charte et demande qu’il soit radié ou qu’il reçoive une interprétation atténuante pour le rendre compatible avec la Charte. Subsidiairement, la demanderesse demande que l’alinéa 117(9)c.1) soit appliqué d’une manière compatible avec la Charte.

[36]  La garantie de sécurité de la personne énoncée à l’article 7 de la Charte concerne non seulement la sécurité physique, mais assure aussi une protection contre la tension psychologique causée par l’État. Voir l’arrêt Blencoe c British Columbia (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 57 [Blencoe]. La demanderesse prétend que la perte de la compagnie causée en n’autorisant pas son époux à immigrer au Canada s’élève au niveau d’une tension psychologique grave causée par l’État et fait intervenir son droit à la sécurité de sa personne en application de l’article 7. Elle fait aussi valoir que son droit à la liberté intervient, car l’alinéa 117(9)c.1) l’empêche de faire des choix de vie importants et fondamentaux. Voir l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 49. Lorsqu’un droit protégé par l’article 7 de la Charte intervient, une loi porte atteinte à l’article 7 si elle n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. La demanderesse signale que l’un des principes de la justice fondamentale est qu’une loi ne peut pas être arbitraire. Dans Rodriguez c Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, aux pages 619 et 620, l’arbitrarité a été décrite comme une limite qui « n’a aucun lien ou est incompatible avec l’objectif visé par la loi ». La demanderesse soutient que l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement exerce une influence arbitraire sur ses droits qui est de nature punitive.

[37]  La demanderesse prétend également qu’on a porté atteinte à son droit à l’égalité visé à l’article 15, car elle fait l’objet d’une discrimination fondée sur la forme particulière de son mariage. Elle affirme qu’elle devrait être traitée de la même façon que [traduction] « les couples mariés authentiques qui [se marient] en étant physiquement présents [l’un auprès de l’autre] ». Elle déclare que sa forme de mariage est une caractéristique personnelle qui est immuable ou modifiable uniquement à un prix inacceptable pour sa dignité personnelle et, par conséquent, qu’elle est admissible à titre de motif analogue en application de l’article 15. Voir l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999], 2 RCS 203, au paragraphe 13.

[38]  La demanderesse fait valoir que ces atteintes ne peuvent satisfaire au critère de la justification énoncé dans l’arrêt Oakes en application de l’article 1 de la Charte. Voir R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 [Oakes]. Elle affirme que l’objectif de l’alinéa 117(9)c.1) consiste à empêcher la fraude en matière d’immigration. Cependant, si l’on accepte qu’il s’agisse d’un objectif urgent et réel selon le premier volet du critère énoncé dans Oakes, la demanderesse affirme que l’application prospective de l’alinéa 117(9)c.1) suffirait à atteindre cet objectif. En conséquence, la demanderesse affirme qu’il n’existe aucun lien rationnel entre l’application rétroactive de l’alinéa 117(9)c.1) et l’objectif de la disposition, car la rétroactivité mine la confiance du public envers le système judiciaire canadien.

[39]  La demanderesse fait valoir que, subsidiairement, la prévention de la fraude en matière d’immigration ou la préservation de l’intégrité du programme ne peuvent être considérées comme des objectifs urgents et réels, car ces objectifs sont déjà atteints par d’autres dispositions de la Loi.

[40]  La demanderesse soutient en outre que l’application rétroactive de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement est grossièrement disproportionnée et qu’elle échoue à la troisième partie du deuxième volet dans Oakes. Elle dit que, même si la disposition est entièrement efficace en ce qui a trait à la prévention de la fraude et au maintien de l’intégrité du programme, aucun équilibre n’a été atteint entre l’avantage de cet objectif et son effet préjudiciable d’exclure rétroactivement son mariage de la catégorie du regroupement familial.

[41]  La demanderesse indique que la Section d’appel de l’immigration aurait dû examiner ses arguments fondés sur la Charte en étant conscient que l’application de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement a une incidence sur les droits des citoyens canadiens et des résidents permanents. Elle signale la décision McDoom c Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1978] 1 RCF 323, au paragraphe 12 (1re inst.), pour appuyer la proposition voulant que l’effet rétroactif d’un règlement en matière d’immigration puisse être apprécié du point de vue d’un répondant ainsi que d’un demandeur étranger.

[42]  La demanderesse affirme aussi que le fait que la Commission s’appuie sur l’arrêt Medovarski, précité, pour soutenir la thèse que les non-citoyens n’ont pas de droits absolus d’entrer et de rester au Canada laisse entendre que les non-citoyens ont des droits limités garantis par la Charte. Elle cite de nombreuses affaires pour établir que la Charte s’applique aux non-citoyens. Voir, par exemple, l’arrêt Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177; l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui]. Elle fait valoir que l’arrêt Medovarski ne constituait pas une situation où les droits d’un citoyen canadien étaient concernés. Qui plus est, les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Medovarski doivent être interprétés à la lumière des clarifications ultérieures dans l’arrêt Charkaoui, précité, aux paragraphes 17 à 19, voulant que, même si la déportation en soi ne fait pas intervenir l’article 7 de la Charte, d’autres caractéristiques associées à la déportation le puissent.

[43]  La demanderesse soutient que l’arrêt Medovarski appuie la thèse que lorsque deux interprétations ou plus d’une loi sont possibles, les valeurs de la Charte devraient éclairer l’interprétation à privilégier. Même si une interprétation conforme à la Charte n’était pas possible dans l’arrêt Medovarski, la demanderesse prétend qu’une telle lecture est possible dans le cas de l’alinéa 117(9)c.1 du Règlement. Elle soutient également que, bien que l’iniquité dans Medovarski n’ait pas atteint le niveau d’une atteinte à la Charte, c’est le cas en l’espèce.

[44]  La demanderesse affirme aussi que la possibilité de demande pour des motifs d’ordre humanitaire ne peut corriger une atteinte à la Charte, car une demande pour des motifs d’ordre humanitaire constitue une réparation hautement discrétionnaire qui n’équivaut pas au droit de parrainer un époux aux fins de résidence permanente. Elle fait remarquer qu’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire peut être présentée à l’égard de toutes les questions d’immigration en application de la Loi. En conséquence, le fait d’accepter l’argument du défendeur selon lequel la disponibilité d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire atténue la gravité de toute atteinte aux droits garantis par la Charte immunisera effectivement la Loi contre un examen fondé sur la Charte. Elle soutient que la thèse du défendeur ne trouve aucun appui dans le droit canadien de l’immigration et doit être rejetée.

[45]  La demanderesse fait également remarquer que la décision Gill, précitée, ne relevait pas de la Charte et affirme que la Commission a eu tort de suggérer dans la décision que la décision Gill a examiné l’application de la Charte.

[46]  La demanderesse affirme qu’elle n’était pas tenue de fournir un avis de question constitutionnelle en application du paragraphe 52(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, car la Section d’appel de l’immigration avait tranché l’affaire intégralement par écrit. Elle signale le paragraphe 52(4) des Règles, qui indique qu’un avis de question constitutionnelle doit être communiqué aux parties requises dix jours avant le jour où l’argument constitutionnel sera présenté. Elle dit que, en l’espèce, aucun argument n’a été soumis à la Section d’appel de l’immigration et aucune date n’a été fixée pour un argument et, par conséquent, il n’était pas nécessaire de fournir un avis de question constitutionnelle.

3)  Examen de la relation de conjoint de fait ou de partenaire conjugal

[47]  La demanderesse affirme que la raison pour laquelle le bulletin opérationnel (BO) 613 d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] – le 11 juin 2015, « Instructions – Relations exclues – Mariage par procuration, par téléphone, par télécopieur, par Internet et par d’autres moyens semblables de conclure un mariage où au moins une des deux parties n’est pas physiquement présente » [BO 613], n’a pas été respecté par l’agent d’immigration doit être expliquée.

[48]  La section 3.6 du BO 613 donne les directives suivantes aux membres du personnel d’IRCC :

Avant de prendre la décision de refuser toute demande, si la cérémonie de mariage a été réalisée par procuration, téléphone, télécopieur, Internet ou par une forme similaire où au moins une des deux parties n’était pas physiquement présente, l’agent doit déterminer si le demandeur répond à la définition de conjoint de fait et s’il peut être traité en tant que tel (voir la section 3.8.1)

[49]  La section 3.8.1 est rédigée comme suit :

Si un agent détermine que le mariage d’une personne qui présente une demande au titre de l’un des volets d’immigration a été conclu par procuration, par téléphone, par télécopieur, par Internet ou par d’autres moyens semblables où au moins une des deux parties n’est pas physiquement présente, mais que la personne correspond à la définition de conjoint de fait, l’agent continuera de traiter la demande au titre de la catégorie des conjoints de fait au lieu de celle des époux. L’agent peut évaluer si le demandeur répond à la définition de conjoint de fait en demandant à ce que le demandeur présente un formulaire IMM 5409 (Déclaration officielle d’union de fait) et d’autres documents pertinents pour appuyer l’existence d’une relation de fait.

[50]  La demanderesse reconnaît que les bulletins opérationnels d’IRCC ne sont pas de nature législative, mais fait valoir qu’ils peuvent fournir « un utile éclairage sur le contexte, l’objet et le sens des mesures législatives concernées » : Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275, au paragraphe 28 [Farhat]. Le respect des lignes directrices peut contribuer à un processus décisionnel uniforme à IRCC. Voir la décision Cheng c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 83 FTR 259, au paragraphe 7 (1re inst.).

[51]  La demanderesse fait valoir que ses tentatives de respecter la loi telle qu’elle existait au moment de son mariage constitue des circonstances convaincantes au sens du BO 613 qui mérite un examen en tant que relation de conjoint de fait ou de partenaire conjugal ainsi que pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle affirme que l’agent d’immigration a omis de procéder à cette analyse, malgré les questions de son époux à propos de la façon dont il pouvait satisfaire aux exigences de la catégorie des conjoints de fait. La demanderesse affirme que l’agent d’immigration aurait dû demander à son époux de remplir une déclaration solennelle d’union de fait ou examiner le cas de son époux aux fins de permis de résidence temporaire en application de l’article 24 de la Loi.

[52]  Dans la demande de la demanderesse en vue de parrainer son époux, elle a indiqué que sa relation avec son mari était « époux ». Mais elle a également répondu « oui » à la question « [p]arrainez-vous un membre de la catégorie du regroupement familial ou un membre de la catégorie des époux et conjoints de fait au Canada? » La demanderesse affirme que cela laisse entendre que de telles demandes sont examinées ensemble et que la demande aurait dû être examinée dans la catégorie de conjoint de fait.

[53]  La demanderesse fait valoir que l’absence d’éléments de preuve d’une relation de conjoints de fait signalée par le défendeur est une fonction de l’iniquité découlant du fait de ne pas avoir eu une possibilité de présenter une telle preuve. Elle affirme que son époux et elle auraient pu vérifier leur statut de conjoint de fait ou de partenaire conjugal si l’agent d’immigration avait demandé les renseignements et avait examiné la demande sur ce fondement.

B.  Défendeur

1)  Rétroactivité ou rétrospectivité

[54]  Le défendeur fait valoir que la demanderesse a présenté sa demande de parrainage après l’entrée en vigueur de l’alinéa 117(9)c.1) et que les dispositions transitoires et la jurisprudence sont claires que sa demande de parrainage est assujettie à cette disposition.

[55]  Le défendeur affirme que l’argument de la demanderesse exige que la Cour ne tienne pas compte du sens ordinaire de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement et que la disposition ne devrait pas être interprétée de façon à contrer son libellé clair. La modification des lois est une question qui relève du législateur, non de la Cour. Voir la décision D’Souza c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1982), [1983] 1 RCF 343, au paragraphe 5 (CA).

[56]  Le défendeur fait valoir que le législateur peut édicter des mesures législatives qui sont rétroactives, rétrospectives ou qui portent atteinte aux droits acquis. Voir la décision Dragan, précitée, au paragraphe 35. Le défendeur affirme que la demanderesse n’a aucun droit acquis qui est touché rétroactivement ou rétrospectivement par l’application de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement. Dans la décision Gill, le Règlement modifiait le critère applicable aux demandes de parrainage d’un conjoint après que la demande de parrainage d’un demandeur a été rejetée à tort en application de l’ancien critère. Dans l’appel devant la Section d’appel de l’immigration, la Section d’appel de l’immigration a appliqué la nouvelle version du Règlement. Malgré cela, le juge en chef Crampton a soutenu que si la Section d’appel de l’immigration avait raison d’appliquer la nouvelle version du Règlement, car « les personnes qui présentent de telles demandes n’acquièrent aucun droit avant qu’aient été remplies toutes les conditions préalables à l’exercice du droit dont elles souhaitent se prévaloir par leur demande » : décision Gill, précitée, au paragraphe 40. En conséquence, le simple espoir de la demanderesse que la demande sera accueillie signifiait qu’« [i]l ne peut être porté atteinte à aucun droit de façon rétroactive ou rétrospective par une modification du critère applicable aux demandes de parrainage d’un conjoint ». Cette approche a été suivie dans la décision Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 345, au paragraphe 24 [Burton]; la décision Patel, précitée, aux paragraphes 31 à 38; et la décision Begum, précitée, aux paragraphes 148 à 152.

2)  Arguments fondés sur la Charte

[57]  Le défendeur soutient que la Section d’appel de l’immigration avait raison en affirmant que l’arrêt Medovarski offre une réponse complète aux arguments fondés sur la Charte de la demanderesse. En outre, le défendeur affirme que les possibilités offertes à la demanderesse de présenter une nouvelle demande de parrainage de son époux dans une autre catégorie ou une demande pour des motifs d’ordre humanitaire atténuent suffisamment l’incidence de l’application rétrospective de l’alinéa 117(9)c.1). Compte tenu de ces possibilités, l’incidence ne s’élève pas au niveau d’une atteinte à la Charte.

[58]  Le défendeur affirme également que la demanderesse n’a pas fourni un avis de question constitutionnelle à la Section d’appel de l’immigration, comme l’exige le paragraphe 52(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration.

3)  Examen de la relation de conjoint de fait ou de partenaire conjugal

[59]  Le défendeur fait valoir que la directive dans le BO 613 selon laquelle l’agent d’immigration pouvait continuer à travail la demande en tant que relation de conjoint de fait au lieu d’une relation conjugale n’est pas une exigence juridique. Voir la décision Farhat, précitée, au paragraphe 28. Le défendeur affirme également qu’il n’y a aucun élément de preuve relatif à une relation de conjoint de fait en l’espèce.

[60]  Le défendeur affirme également qu’il n’y avait aucune iniquité procédurale dans la décision de la Section d’appel de l’immigration de ne pas tenir une audience orale, car il n’y avait aucun litige à l’égard des faits pertinents à l’appel de la demanderesse. Voir la décision Yen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1236, au paragraphe 29.

VIII.  DISCUSSION

[61]  La demande de parrainage de la demanderesse a été rejetée, car, en application de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement, son époux au Bangladesh ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial parce que, au moment de la cérémonie de mariage, elle n’était pas présente. Il s’agissait d’un mariage par procuration.

[62]  L’alinéa 117(9)c.1) a été ajouté au Règlement par DORS/2015-139, paragraphe 2(2), le 10 juin 2015. La raison de l’élimination des époux de la catégorie du regroupement familial dans le cas de mariages par procuration n’était pas la simple commodité administrative, comme le prétend la demanderesse, mais de protéger les femmes vulnérables :

Le gouvernement du Canada s’est donné comme priorité de remédier à la vulnérabilité des femmes dans le contexte de l’immigration et a pris des mesures pour s’attaquer au problème des mariages forcés. La nature des mariages par procuration, par téléphone, par télécopieur, par Internet et des autres mariages conclus par des moyens semblables peut contribuer à faciliter les mariages forcés parce qu’au moins un des deux conjoints n’y est pas physiquement présent, de sorte qu’il est plus difficile de déterminer s’ils ont consenti librement au mariage.

Reconnaître explicitement qu’un mariage où l’une des parties ou les deux n’étaient pas physiquement présents est une « relation exclue » grâce à une modification réglementaire à l’article 5 et aux paragraphes 117(9) et 125(1) du RIPR renforcera les outils prévus pour la non-reconnaissance de tous ces mariages à des fins d’immigration, considérant leur connexion possible à des mariages précoces ou forcés.

[BO 613, section 1.]

[63]  La demanderesse n’est pas une femme vulnérable et le défendeur concède que les préoccupations qui sous-tendent l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement ne sont pas soulevées en l’espèce. Néanmoins, la demanderesse, qui est dans un mariage authentique, a présenté sa demande de parrainage le 15 juillet 2015. Les dispositions transitoires dans DORS/2015-139, paragraphe 5(4), indiquent que « [l]’alinéa 117(9)c.1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’aux demandes reçues après l’entrée en vigueur du présent règlement [par exemple DORS/2015-139] ». Les dispositions d’entrée en vigueur dans DORS/2015-139, article 6, indiquent que « [l]e présent règlement entre en vigueur à la date de son enregistrement ». Le règlement DORS/2015-139 a été enregistré le 10 juin 2015.

[64]  Pour éviter les conséquences du Règlement, la demanderesse a soulevé différents motifs d’examen dans la présente demande. Elle dit que l’alinéa 117(9)c.1) ne devrait pas faire l’objet d’une application rétroactive et ne devrait être interprétée pour viser les mariages par procuration qui ont été célébrés après le 11 juin 2015. Elle affirme aussi que, si l’alinéa 117(9)c.1) a effectivement un effet rétroactif, il porte donc atteinte aux articles 7 et 15 de la Charte et devrait être déclaré inconstitutionnel.

[65]  Il me semble que la demanderesse n’a pas réussi à établir une preuve fondée sur ces motifs. La demanderesse n’est pas une personne qui a présenté une demande de parrainage avant l’entrée en vigueur du Règlement. Il s’agit d’une personne qui, lorsque le Règlement est entré en vigueur, n’avait aucun droit, voire aucune attente, à l’égard de sa demande de parrainage, qui n’avait même pas été présentée. Lorsqu’elle a présenté sa demande de parrainage, la loi avait déjà été modifiée, de sorte que sa demande a dû être examinée et traitée conformément à la loi en vigueur au moment de la demande. La demanderesse fait effectivement valoir que sa demande de parrainage aurait dû être traitée conformément à la loi antérieure qui avait cessé d’exister. Lorsqu’elle s’est mariée par procuration, la demanderesse pourrait avoir senti qu’elle serait en mesure de parrainer son époux en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. Le mariage a été célébré le 28 avril 2014. Cependant, lorsqu’elle a ultimement présenté la demande le 15 juillet 2015 [ou après], la loi avait été modifiée. Le système ne comportait aucune demande de la demanderesse le 11 juin 2015. Manifestement, le législateur n’a pas pu avoir l’intention d’autoriser le traitement des demandes de parrainage qui n’ont pas été présentées seulement après la date limite du 11 juin 2015 en application de la loi antérieure. La demanderesse ne pouvait avoir aucun droit ou aucune attente légitime qu’une fois la demande de parrainage déposée. Comme l’a indiqué clairement la Cour suprême dans l’arrêt Medovarski, précité, au paragraphe 47, « [i]l faut s’attendre à ce que la loi change à l’occasion […] ». La demande de parrainage de la demanderesse est datée du 15 juillet 2015, mais on ne sait pas avec certitude si elle a été présentée à cette date, car le dossier certifié du tribunal (DCT) n’en comprend aucune copie. Les observations du défendeur devant la Section d’appel de l’immigration font remarque que [traduction] « [l]a demanderesse reconnaît que la demande de parrainage a été présentée aux environs du 15 juillet 2015. Les renseignements du ministre indiquent que le 14 août 2015 est la date déterminante de la demande. Vu ces renseignements, il est clair que la demande a été reçue après l’entrée en vigueur du nouveau Règlement, le 11 juin 2015 » (DCT, à la page 29). La Section d’appel de l’immigration a ensuite tenu pour acquis que la demande avait été déposée le 15 juillet 2015.

[66]  Donc, même si la demanderesse a qualifié sa situation comme une situation où la loi rétroactive avait anéanti et nié des droits et des attentes antérieurs, ce n’est pas le cas. J’estime que la demanderesse ne pouvait avoir aucun droit ou aucune attente que sa demande de parrainage du conjoint soit traitée et tranchée conformément à une loi antérieure qui n’existait pas au moment du dépôt de sa demande. Il incombait à la demanderesse et à son avocat de s’assurer que la demande respectait la loi au moment de son dépôt. Il ne s’agit pas d’une affaire où une demande a été présentée, puis la loi a changé. Même si tel était le cas, la jurisprudence ne soutient pas la thèse de la demanderesse. Dans la décision Burton, précitée, au paragraphe 20, la juge McDonald formule cette question ainsi : « la vraie question est de savoir si en déposant une demande de parrainage d’un époux, les demandeurs ont acquis un droit auquel serait attachée la présomption [contre la rétroactivité] » (non souligné dans l’original). Elle conclut que « [d]epuis l’arrêt Gill, la Cour a constamment maintenu que le droit de parrainer un membre de la famille n’est pas acquis tant qu’une décision positive n’a pas été rendue » : décision Burton, précitée, au paragraphe 24. L’argument de la demanderesse selon lequel elle jouissait de droits acquis avant même le dépôt de la demande de parrainage n’est pas envisagé.

[67]  Les contestations fondées sur la Charte de la demanderesse à l’encontre de l’alinéa 117(9)c.1) doivent également être rejetées. Pour commencer, la demanderesse n’a ni produit ni signifié l’avis de question constitutionnelle requis pour présenter une telle contestation. L’argument de la demanderesse selon lequel un avis n’était pas requis, car la question de savoir si la Section d’appel de l’immigration tiendrait une audience orale a été rejetée dans la décision Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees Union, [2000] 1 RCF 135, au paragraphe 9 (CA) : « Lorsqu’on ne sait pas si une audition aura lieu, toute partie qui désire amorcer une contestation sur le plan constitutionnel relativement à la validité, à l’applicabilité ou à l’effet d’une loi demeure tenue d’aviser les procureurs généraux de son intention ». Cependant, il me semble que la question de savoir si la demanderesse était tenue de fournir un avis de question constitutionnelle à la Section d’appel de l’immigration est maintenant théorique, car la Section d’appel de l’immigration a examiné les arguments fondés sur la Charte et a tranché en défaveur de ceux-ci. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse demandait simplement à la Cour d’interpréter l’alinéa 117(9)c.1) d’une façon qui est compatible avec la Charte, aucun avis de question constitutionnelle en application de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, paragraphe 57(1), ne serait requis. Voir l’arrêt Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262, aux paragraphes 94 à 97 [Najafi]. Toutefois, la Charte ne peut pas être utilisée comme outil d’interprétation visant à créer de l’ambiguïté lorsque l’intention du législateur est claire : arrêt Najafi, précité, au paragraphe 107. En l’espèce, la demanderesse a expressément demandé que l’alinéa 117(9)c.1) [traduction] « soit radié ou qu’il reçoive une interprétation atténuante pour le rendre compatible avec [la Charte] ». En cas de non-respect de l’exigence relative à l’avis de question constitutionnelle, la Cour n’a pas compétence pour radier une loi ou un règlement : arrêt Canada (Procureur général) c Misquadis, 2003 CAF 473, au paragraphe 38. Deuxièmement, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve qui est requis avant que la Cour puisse entreprendre une analyse d’une contestation fondée sur les articles 7 ou 15. En ce qui concerne l’article 7 de la Charte, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve qui appuierait l’existence d’une tension psychologique grave imposée par l’État requise pour constituer une atteinte à la sécurité de sa personne. Voir l’arrêt Blencoe, précité. La demanderesse semble adopter la thèse que la Cour devrait simplement supposer que le refus de sa demande de parrainage suffit. Cependant, elle ne présente ni précision relative aux éléments de preuve ni éléments de preuve objectifs. Tout ce qu’elle dit dans son affidavit est ce qui suit :

[traduction]

30.  Mon époux et moi nous nous manquions l’un à l’autre. Ma demande de parrainer mon époux prenait du temps.

[…]

42.  Je suis une femme âgée de 42 [ans] qui vit au Canada sans le soutien moral ou mental de mon époux. Je demande à la Cour d’examiner ma demande avec compassion.

[68]  En ce qui concerne l’article 15 de la Charte, la demanderesse affirme qu’elle fait l’objet de discrimination au motif de son état matrimonial, mais, conformément à la présente demande, la demanderesse n’a même pas établi que le fait que son mariage par procuration l’empêche de parrainer son époux. Comme je l’examinerai plus loin, le paragraphe 117(9)c.1) l’a peut-être empêchée de parrainer son époux en qualité de membre de la catégorie du regroupement familial, mais d’autres moyens s’offrent à la demanderesse pour qu’il vienne au Canada auxquels elle n’a simplement pas donné suite. Dans l’arrêt Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5 [Québec c A], les motifs majoritaires de la juge Abella sur l’article 15, au paragraphe 331, parlent d’« une analyse souple et contextuelle visant à déterminer si la distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard du demandeur, du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue ». Cette analyse est fondée sur « une prise de conscience que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu’il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination » : arrêt Québec c A, précité, au paragraphe 332. Même si le fait de se marier par procuration est visé par le motif analogue de l’état matrimonial, la demanderesse n’a pas établi qu’une loi d’immigration canadienne qui ne reconnaît pas les mariages par procuration perpétue un désavantage historique.

[69]  Nonobstant le fait que ses motifs principaux d’examen n’ont pas été établis, la situation de la demanderesse semble effectivement quelque peu incongrue. La Section d’appel de l’immigration a reconnu l’authenticité de son mariage par procuration et elle semble croire que, nonobstant cette conclusion, elle n’a aucun autre moyen de parrainer son époux authentique en application du régime de réglementation actuel. La Section d’appel de l’immigration a reconnu que ce résultat semble sévère, mais avait ce qui suit à dire :

[10]  L’alinéa 117(9)c.1) du Règlement énonce clairement que « [n]e sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant […] l’époux du répondant […] » L’article 117 du Règlement établit les catégories de personnes qui, aux fins du parrainage, peuvent être considérées comme « appartenant à la catégorie du regroupement familial », ce qui comprend l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal au titre de l’alinéa 117(9)a) du Règlement. Le fait que le demandeur, qui est un étranger, soit l’époux, du fait du mariage par procuration conclu en 2014, de l’appelante, qui est la répondante, n’est pas contesté. Ainsi, selon les termes clairs de l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement, le demandeur ne peut pas être considéré comme « appartenant à la catégorie du regroupement familial ». Le fait que l’agent d’immigration n’a pas tenu compte des autres catégories à l’égard du demandeur n’est pas pertinent, puisque celui-ci est exclu en raison du fait qu’il est l’époux de l’appelante et qu’il a été parrainé au titre de cette catégorie.

[…]

[18]  Bien que le résultat de l’appel puisse sembler sévère, étant donné que le mariage par procuration de l’appelante a eu lieu avant que l’alinéa 117(9)c.1) du Règlement soit modifié, l’appelante peut explorer d’autres options. Le législateur a notamment prévu comme options la présentation d’une demande pour le parrainage du demandeur au titre d’une autre catégorie ou la présentation au ministre d’une demande d’examen des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi. Cependant, ces possibilités dépassent le cadre de compétence de la SAI.

[70]  La sévérité reconnue par la Section d’appel de l’immigration a manifestement été reconnue dans les lignes directrices qui figurent dans le BO 613. Par exemple, le BO 613 indique ce qui suit sur ce point :

3.6 Considérations

Pour les demandes de parrainage, avant de prendre la décision de refuser une demande, l’agent doit examiner si la dispense pour les membres des Forces armées canadiennes s’applique.

Avant de prendre la décision de refuser toute demande, si la cérémonie de mariage a été réalisée par procuration, téléphone, télécopieur, Internet ou par une forme similaire où au moins une des deux parties n’était pas physiquement présente, l’agent doit déterminer si le demandeur répond à la définition de conjoint de fait et s’il peut être traité en tant que tel (voir la section 3.8.1)

Avant de prendre la décision de refuser toute demande, si la relation se révèle authentique, malgré que le mariage ait été conclu par procuration, téléphone, télécopieur, Internet ou par d’autres moyens similaires et que le demandeur ne répond pas à la définition de conjoint de fait, des considérations d’ordre humanitaire (CH) pourraient s’appliquer afin d’outrepasser les dispositions réglementaires, si les circonstances sont suffisamment convaincantes (voir la section 3.8.2), y compris les situations où il faut considérer l’intérêt supérieur d’un enfant.

Les ASF de l’ASFC devraient également examiner toutes les considérations de la section 3.6 et effectuer un traitement en conséquence avant de décider de refuser une demande au motif que la relation est exclue.

3.7 Refus

Si l’agent détermine que le demandeur ou son époux n’était pas physiquement présent à la cérémonie de mariage ou qu’ils ne sont pas admissibles en tant que conjoints de fait et le recours aux motifs d’ordre humanitaire n’est pas justifié, il peut refuser la demande au motif que le mariage correspond à la définition de relation exclue aux termes de l’article 5 ou des alinéas 117(9)c.1) ou 125(1)c.1)(1) du RIPR.

S’il refuse la demande, l’agent informe le demandeur que sa relation est considérée comme une relation exclue au titre du RIPR, en faisant référence aux dispositions qui s’appliquent [R5, R117(9)c.1) et/ou 125c.1)], et que seuls les mariages où les deux parties étaient physiquement présentes à la cérémonie sont considérés comme valides, dans la mesure où la relation répond à toutes les autres exigences.

Les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial continueront de faire l’objet d’une évaluation complète de la bonne foi [R4(1)]; par conséquent, les relations qui ne sont pas authentiques devraient encore être repérées et refusées au titre du R4(1).

Si le demandeur n’a pas divulgué que le mariage a été conclu par procuration, par téléphone, par télécopieur, par Internet ou par un autre moyen semblable et avait l’intention de dissimuler cette information, l’agent peut conclure que le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important ou fait preuve d’une réticence sur ce fait et, par conséquent, il peut rédiger un rapport en vertu du L44, basé sur le L40(1).

3.8 Mariages authentiques conclus par procuration, par téléphone, par télécopieur, par Internet ou par d’autres moyens semblables

Les options suivantes permettent d’atténuer l’incidence des nouvelles dispositions sur les personnes dont le mariage est authentique et a été conclu de l’une de ces façons :

3.8.1 Traitement des demandes de partenaires conjugaux

Si un agent détermine que le mariage d’une personne qui présente une demande au titre de l’un des volets d’immigration a été conclu par procuration, par téléphone, par télécopieur, par Internet ou par d’autres moyens semblables où au moins une des deux parties n’est pas physiquement présente, mais que la personne correspond à la définition de conjoint de fait, l’agent continuera de traiter la demande au titre de la catégorie des conjoints de fait au lieu de celle des époux. L’agent peut évaluer si le demandeur répond à la définition de conjoint de fait en demandant à ce que le demandeur présente un formulaire IMM 5409 (Déclaration officielle d’union de fait) et d’autres documents pertinents pour appuyer l’existence d’une relation de fait.

Si une personne dispensée de l’obligation de visa présente à un PDE une demande de statut de résident temporaire qui dépend de sa relation avec son époux et que l’ASF de l’ASFC détermine qu’elle s’est mariée par procuration, par téléphone, par Internet, par télécopieur ou par un autre moyen semblable, l’ASF déterminera si le demandeur correspond à la définition de conjoint de fait. Si le demandeur n’a pas de preuve de sa relation de fait avec lui au PDE, l’ASF peut délivrer un permis de séjour temporaire (PST).

3.8.2 Motifs d’ordre humanitaire

Les motifs d’ordre humanitaire sont un outil discrétionnaire souple qui permet d’accorder des dispenses dans des cas impérieux, avec l’obligation législative de prendre en considération l’intérêt supérieur de tout enfant touché.

Afin d’accorder la souplesse nécessaire pour répondre aux personnes dans des situations vulnérables, les dispositions sur les motifs d’ordre humanitaire de l’article 25 et du paragraphe 25.1(1) de la Loi sur l’immigration et du statut de réfugié (LIPR) peuvent être utilisées pour régler les cas exceptionnels et favoriser l’unité de la famille dans tous les volets d’immigration. Les agents doivent demeurer vigilants et sensibles à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché lorsqu’ils effectuent une évaluation des motifs d’ordre humanitaire en identifiant et en analysant tous les facteurs touchant la vie de l’enfant.

Un exemple de cas exceptionnel où il pourrait y avoir suffisamment de circonstances impérieuses pour justifier qu’une dispense soit accordée est qu’une personne ne puisse pas voyager pour assister à un mariage pour des raisons médicales et a vécu avec son époux pour moins d’un an et ne peut donc pas répondre à la définition de partenaire conjugal.

Une entrevue avec le demandeur peut être nécessaire pour évaluer les motifs d’ordre humanitaire.

[Non souligné dans l’original.]

[71]  Il ressort clairement du témoignage dont je suis saisi que ni l’agent d’immigration ni la Section d’appel de l’immigration n’ont examiné la demande de la demanderesse dans la catégorie des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux. Le défendeur concède que cela aurait dû être fait, mais affirme que les faits n’auraient pas appuyé une relation de conjoint de fait. Un « conjoint de fait [s’entend d’une] [p]ersonne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an » : Règlement, paragraphe 1(1). Je n’arrive pas à voir en quoi la demanderesse et son époux pourraient satisfaire à l’exigence de cohabitation. Malheureusement, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, la demanderesse n’a fait aucun effort pour montrer que son époux pouvait, au moment où la demande de parrainage a été tranchée, se qualifier à titre de conjoint de fait ou de partenaire conjugal, ou qu’il y avait lieu de renvoyer la question pour nouvel examen pour ces motifs.

[72]  Il est incontestable que les facteurs utilisés pour évaluer l’existence d’une « relation conjugale » sont énoncés dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M c H, [1999] 2 RCS 3 [M c H] : « le logement partagé, le comportement sexuel et personnel, les services, les activités sociales, le soutien économique et les enfants, ainsi que la perception sociétale du couple ». Voir, par exemple, la décision Njoroge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 261, au paragraphe 18. Après avoir cité M c H, le guide OP 2 d’IRCC, « Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du groupement familial », (14 novembre 2006), à la section 5.25 [OP 2], précise que « les caractéristiques suivantes devraient être présentes, à un certain degré, dans toutes les relations conjugales » (souligné dans l’original) : engagement mutuel à une vie commune; exclusivité – on ne peut vivre plus d’une relation conjugale en même temps; intimité – engagement envers une exclusivité sexuelle; interdépendance – physique, émotive, financière et sociale; permanence – relations authentiques constantes à long terme; les conjoints se présentent comme un couple; les partenaires sont considérés comme un couple; le couple prend soin des enfants ensemble (le cas échéant). L’OP 2 explique également ce qui suit :

Cette catégorie a été créée pour des cas exceptionnels, c’est-à-dire pour les partenaires étrangers parrainés par un citoyen ou un résident permanent du Canada, qui normalement présenterait une demande à titre de conjoint de fait. Toutefois, ces personnes n’ont pas pu vivre ensemble de façon continue pendant un an, généralement en raison d’un empêchement lié à l’immigration.

[OP 2, à la section 5.45.]

Il me semble que l’interprétation de l’alinéa 117(9)c.1) par la Section d’appel de l’immigration empêche l’époux de la demanderesse d’être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. En outre, le BO 613 ne fait que mentionner l’examen d’un mariage par procuration authentique comme une relation de conjoint de fait, non comme une relation de partenaires conjugaux.

[73]  Le défendeur signale que la demanderesse n’a pas indiqué, dans sa demande de parrainage, d’autres catégories selon lesquelles elle voulait que sa demande soit examinée et qu’elle n’a pas tenté de satisfaire aux critères dans ces catégories. La demande de parrainage de la demanderesse ne figure pas dans le DCT. Les documents qu’elle a inclus dans son dossier ne montrent que le formulaire de demande de parrainage et ne comprennent aucune observation. Son autre affidavit, cependant, laisse entendre que des observations étaient incluses dans la demande de son époux : [traduction] « 2. J’ai examiné la demande d’immigration de mon époux présentée à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). J’ai trouvé de nombreuses photos que je joins... » Il n’est donc pas clair si la demanderesse a demandé un examen et une évaluation dans d’autres catégories.

[74]  Il me semble que la Section d’appel de l’immigration avait raison de signaler que l’article 65 de la Loi l’empêchait d’examiner des motifs d’ordre humanitaire d’après les faits de cette affaire, mais, comme le signale la Section d’appel de l’immigration, cela n’empêche pas la demanderesse de présenter une demande au ministre pour des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1). Dans la demande dont je suis saisi en l’espèce, le défendeur concède qu’il est loisible à la demanderesse de présenter une demande en application du paragraphe 25(1) et affirme qu’elle n’a toujours pas exercé les moyens qui s’offrent à elle en application de la loi habilitante afin d’obtenir le résultat souhaité. La demanderesse n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle elle n’a pas présenté une telle demande. La ligne directrice à la section 3.8.2 (précitée) indique clairement qu’il peut y avoir une circonstance suffisamment impérieuse où un répondant ne peut pas répondre à la définition de partenaire conjugal et ne pouvait pas voyager pour assister à un mariage pour des raisons médicales. D’autres motifs pourraient comprendre l’insuffisance des ressources financières, même si, selon la preuve dont je suis saisi, la demanderesse est retournée à deux reprises au Bangladesh pour des périodes de cinq mois depuis le mariage par procuration. Il est possible que, compte tenu des circonstances de l’espèce, une demande aux termes du paragraphe 25(1) constitue le seul moyen offert à la demanderesse pour parrainer son époux d’après ce qui semble être – dans les éléments de preuve dont je suis saisi – un mariage par procuration authentique auquel la demanderesse n’a pas été contrainte. La modification dans le Règlement concernant les mariages par procuration l’a laissée dans une situation juridique incertaine dont elle n’a aucun moyen de se sortir, hormis une demande aux termes du paragraphe 25(1). Cela semble constituer une difficulté importante pour la demanderesse et son époux, une difficulté qui devrait être examinée sérieusement dans toute demande pour des motifs d’ordre humanitaire qu’elle choisit de présenter.

[75]  Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision.

IX.  QUESTION À CERTIFIER

[76]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et, compte tenu des faits en l’espèce, la Cour est d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2763-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2763-17

 

INTITULÉ :

JAHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Khurshed Chowdhury

 

Pour la demanderesse

 

Marcia Jackson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chowdhury Law Prof. Corp.

Regina (Saskatchewan)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Regina (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 

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