Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180130


Dossier : IMM-2846-17

Référence : 2018 CF 101

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

TESSY IGIEWE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Tessy Igiewe, sollicite le contrôle judiciaire, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une décision de la Section d’appel de l’immigration datée du 25 mai 2017 par laquelle l’appel contre la décision d’un agent des visas a été rejeté. L’agent des visas avait conclu que le mariage de la demanderesse avec Andre Palmer, un citoyen de la Jamaïque, n’était pas un mariage authentique ou visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada.

[2]  La défenderesse et M. Palmer se sont rencontrés pour la première fois en Jamaïque, alors que la défenderesse rendait visite à des amis en 2008. Ils ont ensuite vécu ensemble pendant 4 mois en 2009. La défenderesse est allée en Jamaïque à maintes reprises et a soutenu financièrement M. Palmer au fil des ans.

[3]  M. Palmer avait épousé Samantha McFarlane, une citoyenne américaine, en janvier 2007. En 2010, Mme McFarlane a tenté de parrainer M. Palmer pour qu’il puisse entrer aux États-Unis. La demande de parrainage a été refusée. Les autorités américaines de l’immigration ont conclu que M. Palmer et Mme McFarlane s’étaient mariés afin qu’il obtienne le statut d’immigrant, et qu’ils avaient induit les autorités en erreur. Pendant les procédures devant la Section d’appel de l’immigration, M. Palmer a affirmé avoir utilisé Mme McFarlane dans le but de se rapprocher de la demanderesse en passant par les États-Unis. M. Palmer et Mme McFarlane ont divorcé en 2011.

[4]  La demanderesse et M. Palmer se sont mariés en 2013 et une demande de parrainage à titre de conjoint a été déposée en février 2015. La demanderesse a donné naissance à un enfant en décembre 2016. Aucune preuve de paternité n’a été produite, mais ni l’agent des visas ni la Section d’appel de l’immigration n’ont remis en question la paternité de M. Palmer, et c’est à ce titre qu’il est nommé dans le certificat de naissance de l’enfant.

[5]  Dans une lettre du 26 février 2015, l’agent des visas a rejeté la demande au motif qu’il ne s’agissait pas d’un mariage authentique ou le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège en vertu de la LIPR, conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR).

[6]  L’agent a fondé sa décision en grande partie sur les faits entourant le mariage avec la citoyenne américaine. Une fois que la demande de parrainage de M. Palmer pour les États-Unis eut été refusée, l’agent des visas a noté que M. Palmer a rétabli sa relation avec la demanderesse. L’agent des visas a conclu qu’il semblait que M. Palmer manipulait la demanderesse afin d’obtenir son admission au Canada au titre de la catégorie du regroupement familial. À un moment donné, elle avait retiré sa demande de parrainage en raison de préoccupations au sujet de sa fidélité et de ses abus à l’égard du soutien financier qu’elle lui assurait.

[7]  La Section d’appel de l’immigration a conclu, en appel, que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que M. Palmer ne s’était pas marié dans le but principal d’obtenir un statut ou privilège au Canada au titre du paragraphe 4 de la LIPR. La Section d’appel de l’immigration a conclu que le couple manquait de crédibilité. Selon la Section d’appel de l’immigration, leur preuve était contradictoire à de multiples égards, elle n’avait aucun sens ou était une mise en scène.

[8]  La Section d’appel de l’immigration a noté des déclarations contradictoires faites par M. Palmer lors de son entrevue avec l’agent des visas et lors de son témoignage en appel devant la Section d’appel de l’immigration. Plus particulièrement, la Section d’appel de l’immigration a considéré qu’il avait changé des aspects importants de son récit pour bénéficier de l’appel, tel que son implication dans son premier mariage de complaisance et ses remords pour ses actes. Il n’a pas pu expliquer les incohérences. La Section d’appel de l’immigration a jugé qu’elles minaient grandement sa crédibilité.

[9]  M. Palmer avait également menti, au départ, dans sa demande d’admission au Canada. Il avait indiqué qu’on ne lui avait jamais refusé l’admission dans un autre pays et quand on lui a posé des questions au sujet de sa demande antérieure aux États-Unis avec sa première épouse, il a déclaré qu’il [traduction] « essayait d’oublier cela » et qu’il [traduction] « ignorait que toute l’affaire des États-Unis resurgirait [et qu’il ne savait pas] que les États-Unis et le Canada étaient ainsi liés ». La Section d’appel de l’immigration a fait remarquer que le but de l’omission était de donner du poids à sa demande d’immigration au Canada. La Section d’appel de l’immigration a conclu que M. Palmer avait essayé, à plusieurs reprises et par des manœuvres frauduleuses, d’entrer aux États-Unis ou au Canada. Selon la Section d’appel de l’immigration, il s’agit d’un indicateur de son intention première d’acquérir un statut ou un privilège au Canada.

[10]  Il y avait également, selon la Section d’appel de l’immigration, une incohérence concernant la preuve de M. Palmer sur l’endroit où il habiterait s’il venait au Canada; à savoir s’il vivrait avec la demanderesse et leur enfant ou avec sa tante. La Section d’appel de l’immigration a également examiné le fait qu’il avait fait des efforts limités pour passer du temps avec la demanderesse quand elle était en Jamaïque, malgré le soutien financier qu’elle lui offrait, et qu’il faisait référence à des événements impliquant son épouse américaine quand il était interrogé sur sa relation avec la demanderesse.

[11]  Il n’est pas contesté entre les parties, et je suis d’accord, que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable : Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, au paragraphe 17; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 47 et 48.

[12]  La seule question que notre Cour est appelée à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[13]  L’argument de la demanderesse est essentiellement que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en évaluant la crédibilité des témoins et en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve pertinents. Le défendeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a évalué raisonnablement les éléments de preuve, dont les témoignages.

[14]  À mon avis, il était raisonnable que la Section d’appel de l’immigration conclue que le mariage avait pour but principal l’immigration et n’était pas un mariage authentique – du moins pas du point de vue de M. Palmer. La Section d’appel de l’immigration a considéré le témoignage avec compréhension, mais a conclu qu’il manquait de crédibilité sous certains aspects importants.

[15]  Les conclusions de fait de la Section d’appel de l’immigration commandent un niveau élevé de déférence judiciaire, compte tenu de la possibilité qu’a la Section d’appel de l’immigration d’entendre les témoins s’exprimer de vive voix et de les observer : Thach c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 658, aux paragraphes 15 à 19; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 787, au paragraphe 25 [Valencia]. Comme il en a été question dans la décision Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 960, au paragraphe 9 [Grewal] :

La Commission peut à bon droit se prononcer sur la vraisemblance et sur la crédibilité du témoignage ainsi que sur d’autres éléments de preuve mis à sa disposition. Il appartient également à la Commission de déterminer le poids à accorder à cette preuve. Dans la mesure où, eu égard au dossier, il était avec raison loisible à la Commission d’arriver aux conclusions qu’elle a tirées et aux inférences qu’elle a faites, rien ne permet de modifier la décision de la Commission. Lorsqu’une audience est tenue, il convient de faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité.

[16]  Le désaccord de la demanderesse avec les conclusions de la Section d’appel de l’immigration n’en fait pas des conclusions déraisonnables et il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[17]  Il était loisible à la Section d’appel de l’immigration de rejeter l’explication de M. Palmer selon laquelle il avait menti aux agents d’immigration au sujet de sa demande américaine dans le but de se rapprocher de la demanderesse. L’inférence selon laquelle il s’était marié à deux femmes nord-américaines au même moment, ou presque, dans le but d’entrer dans un pays ou dans l’autre était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve.

[18]  Il a pu y avoir une certaine confusion quant au témoignage de M. Palmer à propos de l’endroit où il habiterait quand il viendrait au Canada. Cela découle néanmoins de la déclaration spontanée de M. Palmer, telle qu’elle a été consignée dans la transcription. Il a par la suite clarifié ce qu’il entendait quand il a dit qu’il demanderait à sa tante de rester avec elle [traduction] « jusqu’à ce que je me prenne en main pour avoir mon propre logement avec [la demanderesse] ».

[19]  Bien que la Section d’appel de l’immigration ait mal interprété la première réponse de M. Palmer à la question, les autres déclarations inexactes qui se contredisent et qui portent à confusion faites lors de son témoignage de vive voix ont suffisamment démontré un manque de crédibilité.

[20]  La Section d’appel de l’immigration a été attentive au témoignage de Nichole Green, une amie de la demanderesse. J’ai pris note de ce qui suit : [traduction]

[40] […] Je comprends que Nichole veuille soutenir son amie, mais il m’a semblé clair dans son témoignage qu’elle n’avait pas le tableau complet de la situation. Je ne doute pas de la crédibilité de ce témoin, qui confirme que le mariage semble authentique du point de vue de la demanderesse. Toutefois, cela ne dissipe pas mes préoccupations en ce qui concerne la demanderesse, et le fait que la meilleure amie de la demanderesse ignorait qu’ils avaient entrepris des démarches de parrainage aux États-Unis révèle aussi que la demanderesse ne dit pas tout à sa meilleure amie. Le témoignage du troisième témoin constitue un facteur défavorable dans mon évaluation de l’authenticité du mariage.

[21]  À mon avis, la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle le témoignage de Mme Green a milité contre l’authenticité du mariage est une conclusion de fait fondée sur son témoignage de vive voix et commande un niveau élevé de déférence (Grewal, précité, au paragraphe 9; Valencia, précité, au paragraphe 25).

[22]  Dans le même ordre d’idées, il était loisible à la Section d’appel de l’immigration de conclure que les lettres d’appui d’amis jamaïcains ainsi que des amis et de la sœur de la demanderesse, bien qu’elles méritassent d’être examinées, avaient eu peu de poids. Il est clair pour la Section d’appel de l’immigration que ces amis et membres de la famille en savaient très peu sur ce que M. Palmer était prêt à faire pour quitter la Jamaïque en vue d’une vie meilleure dans un autre pays.

[23]  Le fait que la Section d’appel de l’immigration ait mentionné une partie seulement des lettres dans ses motifs ne constitue pas, en soi, une erreur justifiant l’infirmation de sa décision. Le Tribunal n’est pas tenu de décrire en détail tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés : Tjavara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 960, au paragraphe 8.

[24]  Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt NLNU c Newfoundland & Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 :

[16]  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, Local no 333 c Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 RCS 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[25]  En ce qui concerne la naissance de l’enfant, la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’à lui seul, ce fait ne démontre pas que le mariage était authentique compte tenu des contradictions et des incohérences dans les éléments de preuve. Dans les circonstances, il était raisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure que la naissance de l’enfant n’était pas un facteur déterminant. Il s’agit d’un cas où les questions de crédibilité « l’emportent sur les déclarations concernant la naissance de l’enfant » (Lamichhane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 957, au paragraphe 14).

[26]  Par conséquent, je conclus que la décision de la Section d’appel de l’immigration est raisonnable puisqu’elle est transparente, intelligible et justifiée et appartient aux issues possibles acceptables.

[27]  Aucune question sérieuse d’importance générale n’a été soumise aux fins de certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2846-17

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2846-17

INTITULÉ :

TESSY IGIEWE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 DÉCEMBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Evguenia Rokhline

POUR LA DEMANDERESSE

Nina Chandy

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Legally Canadian

Mississauga (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.