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Date : 20180129


Dossier : IMM-2585-17

Référence : 2018 CF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

KUN LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Kun Li sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de l’agent des visas de rejeter sa demande de visa de résident temporaire. L’agent des visas a conclu que M. Li était interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) parce qu’il n’avait pas divulgué avoir été accusé de conduite avec facultés affaiblies au Canada.

[2]  Selon moi, l’agent des visas a raisonnablement jugé que la demande de visa de résident temporaire de M. Li comportait une fausse déclaration importante. Dans les circonstances de l’espèce, l’agent des visas n’était pas tenu d’examiner si M. Li pouvait bénéficier d’une exception ni de donner de motifs pour ne pas en accorder une. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Résumé des faits

[3]  M. Li est un citoyen de Chine. Il est entré au Canada en décembre 2008 muni d’un permis d’études qui est resté valide jusqu’au 30 août 2017.

[4]  En novembre 2016, M. Li a été accusé de conduite d’un véhicule à moteur avec facultés affaiblies, en contravention des alinéas 253(1)a) et 253(1)b) du Code criminel, LRC 1985, c C46. Son procès est prévu pour le mois de mai 2018.

[5]  En avril 2017, M. Li a présenté une demande de visa de résident temporaire. Le formulaire de demande comportait la question « Avez-vous déjà commis une infraction criminelle, été arrêté, accusé ou condamné pour une telle infraction, peu importe le pays? », à laquelle M. Li a répondu « Non ».

[6]  Le 12 mai 2017, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à M. Li pour l’informer de la possibilité qu’il puisse être interdit de territoire en raison d’une fausse déclaration puisqu’il n’avait pas déclaré qu’il avait été accusé d’une infraction criminelle. M. Li a répondu dans une brève lettre dactylographiée, dans laquelle il indiquait qu’il avait mal compris la question et pensait qu’elle faisait seulement référence aux condamnations. Il a réitéré qu’il n’avait pas de dossier criminel, mais il a admis qu’il a été arrêté et accusé de conduite avec facultés affaiblies et d’avoir conduit [traduction] « à plus de 80 » en Ontario.

III.  Décision

[7]  Le 30 mai 2017, l’agent des visas a rejeté la demande de visa de résident temporaire de M. Li en raison d’une fausse déclaration comme prescrit par l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, en précisant :

[TRADUCTION]

Votre réponse à notre lettre relative à l’équité procédurale a été examinée. Le formulaire de demande vise clairement à savoir s’il y a eu arrestation, accusation ou condamnation. Les renseignements demandés afin de savoir si vous avez été accusé d’une infraction ont une importance directe pour l’évaluation de votre admissibilité au Canada. Le défaut de déclarer des accusations antérieures empêche de procéder à un examen plus approfondi de la façon dont ces accusations influent sur votre admissibilité.

J’ai donc déterminé que vous êtes interdit de territoire au Canada en raison d’une fausse déclaration.

IV.  Questions en litige

[8]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Le rejet par l’agent des visas de la demande de visa de résident temporaire de M. Li était-il déraisonnable parce que la fausse déclaration n’était pas importante?

  2. L’agent des visas a-t-il déraisonnablement omis d’examiner si M. Li devait bénéficier d’une exception?

V.  Analyse

[9]  Une conclusion de fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Seraj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, au paragraphe 11). La Cour interviendra uniquement si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

A.  Le rejet par l’agent des visas de la demande de visa de résident temporaire de M. Li était-il déraisonnable parce que la fausse déclaration n’était pas importante?

[10]  Une conclusion d’interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR exige que l’agent des visas soit convaincu que : 1) une fausse déclaration directe ou indirecte a été faite; et 2) la fausse déclaration pourrait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 27).

[11]  M. Li soutient qu’une accusation de conduite avec facultés affaiblies au Canada est sans importance pour une demande de permis de séjour temporaire parce qu’une seule accusation d’infraction à une loi fédérale n’a aucune conséquence sur l’immigration. Il s’appuie sur les dispositions suivantes de la LIPR :

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[…]

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

36 (2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits[.]

 

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for:

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[…]

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

36 (2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for:

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence[.]

 

[12]  M. Li affirme qu’une personne accusée d’une infraction au Canada, sans être reconnue coupable, n’est pas interdite de territoire. L’alinéa 36(1)a) et l’alinéa 36(2)a) exigent tous deux une déclaration de culpabilité et l’alinéa 36(1)c) s’applique seulement lorsqu’une infraction a été commise à l’extérieur du Canada. Il maintient donc que son accusation de conduite avec facultés affaiblies n’était pas importante dans sa demande. De plus, il indique que des vérifications des antécédents sont effectuées pour tous les demandeurs et que les accusations auraient inévitablement été découvertes malgré sa fausse déclaration faite de bonne foi.

[13]  Le défendeur réplique qu’une divulgation entière par les demandeurs est nécessaire pour assurer l’application appropriée et équitable du régime d’immigration (Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 28). Une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante afin d’être importante. Elle serait importante seulement si elle avait une importance suffisante pour influer sur le processus (Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 25 [Oloumi]). Ce qui compte, c’est de savoir si des réponses mensongères ou trompeuses ont pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes, même si ces enquêtes pourraient ne pas révéler un motif d’expulsion indépendant (Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) c Brooks, 36 DLR (3d) 522, à la page 537).

[14]  Dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 [Patel], une demande de visa a été rejetée en raison d’une fausse déclaration parce que le demandeur n’avait pas révélé qu’il avait été accusé de conduite avec facultés affaiblies au Canada, même si les accusations avaient été retirées. Le juge James Russell a confirmé la décision, en soulignant que « l’agente des visas aurait peut-être voulu enquêter [sur] les chefs d’accusation et l’arrestation elle-même » (Patel, au paragraphe 70).

[15]  M. Li reconnaît que la décision Patel est identique à l’espèce sur tous les points. Cependant, il demande à la Cour de ne pas suivre la décision Patel puisque toutes les affaires citées par le juge Russel, aux paragraphes 71 à 73 de sa décision, comprenaient des demandeurs qui avaient été accusés à l’étranger.

[16]  Un juge doit habituellement respecter une décision précédente de la Cour, sauf si la décision précédente se distingue sur les faits, si une question différente se pose, si la décision est manifestement erronée ou si l’application de la décision créerait une injustice (Alyafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 45). Je ne vois en l’espèce aucune raison de s’écarter de l’analyse de la Cour dans l’affaire Patel. Le juge Russel a exploré le sujet de la justification de sa décision aux paragraphes 77 à 81 :

[77] Comme la jurisprudence invoquée antérieurement l’indique clairement, l’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment donné particulier du processus de demande. Un agent des visas peut examiner des renseignements au moment de la présentation erronée sur un fait – effectivement, la jurisprudence enseigne que si une présentation erronée sur un fait est effectuée avant une lettre d’équité procédurale et ensuite clarifiée ou corrigée après l’envoi d’une lettre d’équité procédurale, elle constitue encore une présentation erronée sur un fait et l’agent des visas a le droit de refuser la demande.

[...]

[81] À mon avis, la jurisprudence enseigne donc qu’un agent des visas peut quand même évaluer l’interdiction de territoire en fonction de chefs d’accusation, même s’il n’y a aucune condamnation éventuelle – peu importe s’il est grâce à un retrait, à une amnistie ou à un acquittement.

[17]  La dimension temporelle de la fausse déclaration est plus importante en l’espèce que dans la décision Patel. Au moment où M. Li a présenté sa demande, les accusations criminelles étaient toujours en suspens (et le sont toujours). Je ne peux pas accepter l’argument de M. Li selon lequel sa fausse déclaration était sans importance parce qu’elle aurait inévitablement été découverte. L’obligation de franchise n’est pas réduite dans les situations où la fausse déclaration est détectée par les agents d’immigration avant que la décision finale ne soit prise. Cela serait contraire à l’intention, aux objectifs et aux dispositions de la LIPR (Patel, au paragraphe 47, citant Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 9714, aux paragraphes 19, 20 et 43).

[18]  Je conclus par conséquent que l’agent des visas a raisonnablement déterminé que la demande de visa de résident temporaire de M. Li comportait une fausse déclaration importante en contravention de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

B.  L’agent des visas a-t-il déraisonnablement omis d’examiner si M. Li devait bénéficier d’une exception?

[19]  M. Li affirme que l’arrêt Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 (CAF) [Medel] permet une exception lorsque les demandeurs sont en mesure de démontrer qu’ils pensaient honnêtement et raisonnablement qu’ils ne retenaient aucun renseignement important. M. Li soutient que l’agent des visas avait l’obligation légale d’examiner si l’exception de l’arrêt Medel s’appliquait, et de donner des raisons pour ne pas l’accorder.

[20]  Une demande de visa de résident temporaire appelle une norme très restreinte d’équité procédurale (Oloumi, au paragraphe 44). Les demandeurs dans la décision Oloumi, comme en l’espèce, étaient non seulement confrontés à la possibilité que leur demande puisse être rejetée, mais également qu’ils puissent être déclarés interdits de territoire conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Comme M. Li, ils ont reçu une lettre relative à l’équité procédurale et ont eu l’occasion d’y répondre.

[21]  M. Li a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale en se contentant d’affirmer sommairement qu’il avait mal compris la question. Cependant, comme l’a noté l’agent des visas « le formulaire de demande vise clairement à savoir s’il y a eu arrestation, accusation ou condamnation ». Compte tenu de la formulation claire du formulaire de demande, et de l’omission de M. Li de fournir une explication raisonnable de son erreur, je ne suis pas convaincu que l’agent des visas était obligé de tenir compte de l’exception prévue dans l’arrêt Medel ou d’expliquer pourquoi elle n’était pas applicable dans son cas.

[22]  L’exception prévue dans l’arrêt Medel est relativement restreinte (Oloumi, au paragraphe 36). Un facteur déterminant dans l’arrêt Medel était que la demanderesse croyait raisonnablement qu’elle ne cachait pas de renseignements aux autorités canadiennes. En effet, la connaissance des renseignements non divulgués dans l’arrêt Medel dépassait le contrôle de la demanderesse. En revanche, M. Li a simplement omis de s’assurer de l’exactitude de son formulaire de demande.

[23]  Je conclus donc que l’agent des visas n’était pas obligé de se demander si M. Li pouvait bénéficier de l’exception prévue dans l’arrêt Medel ou de donner des raisons pour ne pas l’accorder.

VI.  Conclusion

[24]  Malgré les arguments valables de l’avocat du demandeur, je ne suis pas convaincu que la décision de l’agent des visas était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2585-17

 

INTITULÉ :

KUN LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

 

Pour le demandeur

 

Catherine Vasilaros

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aadil Mangalji

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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