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Date : 20180126


Dossier : IMM-2947-17

Référence : 2018 CF 89

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

JAYARAM GHIMIRE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Jayaram Ghimire, est citoyen du Népal. Il est arrivé au Canada en provenance des Émirats arabes unis en 2014, une fois approuvée sa demande de visa de travail canadien. Il a présenté une demande d’asile en 2016. La Section de la protection des réfugiés a refusé la demande après avoir conclu que M. Ghimire n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que M. Ghimire (1) n’était pas crédible et (2) avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Katmandu. La Section d’appel des réfugiés a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés. Dans le présent contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés, M. Ghimire soutient que la Section d’appel des réfugiés a écarté ou déraisonnablement évalué les éléments de preuve, dont les éléments de preuve documentaire qu’il avait présentés en réponse aux documents portant sur la situation dans le pays déposés par la Section d’appel des réfugiés.

[3]  Comme il est expliqué ci-dessous, la demande est accueillie. Je conclus que la Section d’appel des réfugiés n’a pas étudié les éléments de preuve contredisant directement ses conclusions et confirmant le récit de M. Ghimire. Le défaut d’avoir étudié les éléments de preuve contradictoires à la lumière des conclusions de la Section d’appel des réfugiés rend déraisonnable la décision, y compris la conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur.

II.  Résumé des faits

[4]  M. Ghimire indique que son frère et lui étaient enseignants au Népal, et étaient membres du Congrès népalais. En 2004, on leur a proposé de se joindre aux maoïstes, qui fomentaient une insurrection contre le gouvernement népalais. Peu après, 14 présumés maoïstes ont été tués par l’armée royale népalaise. Les maoïstes ont accusé M. Ghimire et son frère d’être liés à ces meurtres, et les ont attaqués. Le frère de M. Ghimire a été tué dans l’attaque, mais M. Ghimire a réussi à s’échapper.

[5]  M. Ghimire indique qu’après le meurtre de son frère, les maoïstes ont tenté de le trouver à la maison familiale, où ils ont agressé et menacé son père. La famille a abandonné la maison et s’est installée ailleurs. M. Ghimire s’est enfui aux Émirats arabes unis muni d’un visa de travail. Il est retourné au Népal à quelques reprises entre 2004 et 2012. Il indique dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’à chaque fois, sa famille a été menacée, et qu’il a été obligé de retourner aux Émirats arabes unis. M. Ghimire s’est marié au Népal en 2011, mais est retourné aux Émirats arabes unis alors que sa femme est demeurée au Népal.

[6]  Le formulaire FDA de M. Ghimire indique qu’en 2012, les maoïstes ont poussé son père âgé contre un mur alors qu’ils le cherchaient, et que son père est par la suite décédé à l’hôpital. M. Ghimire indique qu’après le décès de son père, il est retourné au Népal à trois autres reprises pendant de courtes périodes pour visiter sa femme et sa mère, apparemment sans qu’aucun incident ne se produise.

[7]  En 2014, la demande de visa de travail canadien de M. Ghimire a été approuvée et il est allé travailler en Alberta. Il affirme qu’en janvier 2016, sa femme l’a appelé pour lui dire que des membres du parti maoïste, surtout des membres de la faction maoïste [traduction] « dirigée par Chand », étaient venus la voir; ils étaient toujours à la recherche de M. Ghimire en relation avec les 14 maoïstes tués en 2004. Ils ont également remis à sa femme une lettre lui étant adressée l’accusant d’avoir espionné les maoïstes en 2004 et lui demandant de se présenter en personne pour expliquer ses actes.

[8]  Après avoir présenté en vain une demande de prolongation de son visa de travail et une demande de résidence permanente, M. Ghimire a présenté sa demande d’asile. Il a porté la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés en appel devant la Section d’appel des réfugiés.

[9]  En rejetant l’appel, la Section d’appel des réfugiés a rejeté les nouveaux éléments de preuve de M. Ghimire ainsi que sa demande d’audience. La Section d’appel des réfugiés a conclu que le témoignage de M. Ghimire devant la Section de la protection des réfugiés concernant une menace d’extorsion avait miné la crédibilité de sa présumée crainte de persécution après janvier 2016 parce que ni son formulaire Fondement de la demande d’asile ni la lettre de menace des maoïstes ne faisaient référence à une demande d’argent.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a mené son propre examen du dossier et des éléments de preuve documentaire, dont les documents que M. Ghimire a présentés en réponse à la communication subséquente par la Section d’appel des réfugiés de la situation dans le pays. Après avoir examiné un document que M. Ghimire a déposé intitulé « Enduring Dilemmas: Nepal Insurgency Redux », la Section d’appel des réfugiés a conclu que M. Ghimire n’avait fait aucune observation particulière ni soulevé aucun argument à propos du document, et que le document lui-même n’établissait aucune erreur qui justifierait que la demande d’appel soit accueillie.

[11]  En étudiant les documents sur la situation dans le pays concernant les menaces et l’extorsion – notamment des rapports signalant l’utilisation de lettres de menaces fausses ou contrefaites pour appuyer des demandes d’asile en Europe et en Amérique du Nord, la Section d’appel des réfugiés a souligné l’insuffisance des éléments de preuve d’extorsion par les groupes maoïstes après 2006 et que M. Ghimire ne correspondait pas au profil des cibles habituelles; la Section d’appel des réfugiés a conclu que la lettre de menace adressée à M. Ghimire était frauduleuse. La décision de la Section de la protection des réfugiés a été confirmée et l’appel a été rejeté.

III.  Analyse

[12]  M. Ghimire soutient que les menaces proférées contre lui provenaient de la faction maoïste dirigée par Chand, une faction particulièrement décrite dans la documentation objective. Il affirme que les conclusions de la Section d’appel des réfugiés concernant le recours de cette faction aux lettres de menace – conclusions selon lesquelles 1) il est improbable qu’un groupe fasse des demandes menaçantes sur du papier portant un en-tête officiel et 2) une lettre de menace constituerait une initiative locale – sont incompatibles avec la documentation objective et rendent la décision déraisonnable.

[13]  Le défendeur soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a écarté aucun élément de preuve et qu’elle a en fait exposé un résumé détaillé de son examen des éléments de preuve documentaire. Le défendeur caractérise l’essence des observations de M. Ghimire comme une désapprobation des conclusions de la Section d’appel des réfugiés, ce qui ne rend déraisonnable ni l’analyse ni l’issue. Les arguments du défendeur ne me convainquent pas.

[14]  La Section d’appel des réfugiés affirme dans sa décision [traduction] : « [qu’]aucun des éléments de preuve documentaire ne porte à croire que des lettres de menace sont envoyées ». Cette affirmation est directement contredite par une réponse à une demande d’information datée du 8 août 2016 (demande d’information du 8 août) dans laquelle il est mentionné que des reportages d’août 2015 révélaient que le PCN-M, la faction dirigée par Chand, communément appelé Biplav, [traduction] « intensifiait l’extorsion de fonds » dans le District de Khotang en envoyant des lettres à des bureaux gouvernementaux et non gouvernementaux, et à des commerçants et gens d’affaires qui se sentaient [traduction] « terrorisés » par ces lettres.

[15]  La Section d’appel des réfugiés a en outre noté [traduction] « [qu’il] est improbable qu’un groupe demande, dans une lettre rédigée sur du papier portant un en-tête officiel, que l’appelant comparaisse devant lui et réponde d’un geste qui a mené à la mort de ses membres ». Toutefois, la demande d’information du 8 août affirme que [traduction] « le secrétaire général de l’organisation humanitaire HURON a indiqué que les lettres de menace peuvent être manuscrites ou imprimées et signées, sur du papier à en-tête officiel, ou elles peuvent prendre la forme de lettres personnelles provenant de commandants ou de dirigeants régionaux [...]. Le représentant de l’initiative de renforcement de la paix au Népal, NPI, a indiqué que ces lettres étaient [traduction] « généralement » envoyées sur du papier portant l’en-tête du parti et étaient signées par le commandant de district ou régional sous des pseudonymes ayant été attribués par le parti ».

[16]  La documentation sur la situation dans le pays indique aussi qu’en décembre 2014, [traduction] « la faction du PCN-M de Netyra Bikram Chand a lancé une campagne de financement nationale en ayant recours à des messages textes, à des lettres ainsi qu’à des appels téléphoniques qu’on a qualifiés comme étant [traduction] “de nature menaçante” ». Ce passage contredit la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle le recours à une lettre de menace aurait constitué une initiative locale.

[17]  La Section d’appel des réfugiés n’a ni mentionné ni abordé les éléments de preuve qui appuyaient le récit de M. Ghimire et contredisaient directement ses conclusions concernant l’utilisation et le format des lettres de menace et la portée géographique des activités du groupe maoïste. Ce qui m’amène à conclure que la Section d’appel des réfugiés a négligé de tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 15, 1998 CanLII 8667 (TD)), rendant la décision déraisonnable.

[18]  Il est vrai que le profil de M. Ghimire ne correspond pas aux profils désignés dans la documentation sur la situation dans le pays comme des cibles de tentatives d’extorsion ou de lettres menaçantes (gens d’affaires, industrie privée, agences étrangères de recrutement, et ainsi de suite). Toutefois, les éléments de preuve démontrent bien le motif pour lequel la faction dirigée par Chand a pu cibler M. Ghimire, à savoir, son implication présumée dans la mort des membres du mouvement maoïste en 2004. La preuve démontre aussi que les groupes maoïstes ont continué à le rechercher jusqu’en 2012. La Section d’appel des réfugiés n’a contesté aucun de ces éléments de preuve. Le profil de M. Ghimire ne rend pas anodin le défaut de la Section d’appel des réfugiés d’aborder les éléments de preuve contradictoire dans le cas présent.

[19]  Il n’est pas nécessaire que j’examine l’argument de M. Ghimire selon lequel la Section d’appel des réfugiés a erré dans l’examen des documents qu’il a déposés en preuve.

IV.  Conclusion

[20]  La demande est accueillie. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2947-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  La demande est accueillie.

2.  L’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un autre décideur.

3.  Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2947-17

 

INTITULÉ :

JAYARAM GHIMIRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

Pour le demandeur

 

Khatidja Alam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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