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Date : 20180131


Dossier : IMM-3160-17

Référence : 2018 CF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

NGOMBA LINDA NANYONGO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Ngomba Linda Nanyongo présente une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a conclu que madame Nanyongo n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SPR a également conclu que sa demande était manifestement non fondée, en vertu du paragraphe 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, dont seulement quelques-unes sont remises en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire, étaient étayées par la preuve. Malgré le manque de soin et d’attention portés à la conclusion de la SPR selon laquelle la demande était manifestement non fondée, je conclus que ce règlement était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Résumé des faits

[3]  Madame Nanyongo est citoyenne du Cameroun. Elle déclare être membre du Conseil national du Sud Cameroun (SCNC), une organisation qui prône la séparation de la région anglophone du sud du Cameroun de la République du Cameroun, où le français prédomine. Dans son témoignage devant la SPR, madame Nanyongo a déclaré qu’elle s’est jointe au SCNC en 2014 et qu’elle a été arrêtée et mise en détention deux fois : en septembre 2015, puis en octobre 2016.

[4]  Madame Nanyongo est arrivée au Canada le 20 décembre 2016 et a demandé l’asile le 16 mars 2017. Elle affirme qu’en raison de son affiliation au SCNC, elle sera arrêtée, mise en détention et torturée si elle retourne au Cameroun.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  Le 22 juin 2017, la SPR a conclu que madame Nanyongo n’était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger, et que sa demande était manifestement frauduleuse. La SPR a rendu sa décision en s’appuyant sur les conclusions suivantes :

  • (a) Madame Nanyongo a fourni deux certificats de naissance différents, dont l’un était assurément frauduleux, et n’a pas fourni d’explication adéquate;

  • (b) Madame Nanyongo a déclaré que sa carte d’étudiante permettrait de confirmer qu’elle a été élue secrétaire de l’association de l’université, mais en réalité, ce n’est pas le cas, et aucun autre document n’a été fourni pour appuyer cette déclaration;

  • (c) Madame Nanyongo a admis avoir signé une fausse demande de visa dans laquelle elle a déclaré de façon mensongère et inexplicable qu’elle n’est pas mariée alors qu’elle est mariée à son mari depuis 2005, et qu’elle a deux sœurs alors qu’elle affirme en avoir une seule dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA);

  • (d) Divers documents fournis par madame Nanyongo, dont l’engagement de la caution, les ordonnances de mise en liberté, les mandats d’arrestation, le rapport médical et l’engagement, étaient frauduleux, étant donné les nombreuses erreurs d’orthographe qui ne pouvaient être expliquées;

  • (e) Peu de poids a été accordé à la lettre du président du SCNC compte tenu du manque de crédibilité de madame Nanyongo et des documents faux et trompeurs qu’elle avait présentés;

  • (f) L’affidavit de l’avocat de madame Nanyongo au Cameroun n’a pas été assermenté correctement, ou rédigé à la première personne – il décrivait par ouï-dire ce que le mari de madame Nanyongo a présumément enduré;

  • (g) L’affidavit du mari contenait des irrégularités qui ont diminué le poids qui pouvait être accordé au document; et

  • (h) Madame Nanyongo a voyagé au Canada à l’aide d’un passeport éthiopien et n’a pas pu prouver son identité camerounaise autrement qu’avec une fausse carte d’identité.

[6]  L’avis de décision original de la SPR indiquait que la demande de madame Nanyongo n’avait pas de fondement crédible et était manifestement non fondée. Il a été modifié subséquemment par le greffier pour indiquer que la demande était manifestement non fondée.

IV.  Questions en litige

[7]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse étaient-elles raisonnables?

  2. La SPR a-t-elle conclu raisonnablement que la demande de madame Nanyongo était manifestement non fondée?

V.  Analyse

[8]  Les décisions de la SPR en matière de crédibilité doivent être examinées en vertu de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Nweke c. Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2017 CF 242, au paragraphe 18 [Nweke]). Une conclusion de la SPR selon laquelle une demande est manifestement non fondée est également susceptible de contrôle en vertu de la norme de la décision raisonnable (Nweke, au paragraphe 18). La Cour interviendra uniquement si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

A.  Les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse étaient-elles raisonnables?

[9]  La SPR a conclu qu’il existait des incohérences entre la demande de visa de madame Nanyongo et son formulaire FDA. Madame Nanyongo a reconnu les incohérences, mais affirme qu’elle n’était pas responsable des actions de son agent et qu’elle a menti pour sauver sa vie.

[10]  La SPR a rejeté les explications de madame Nanyongo ainsi :

[10] … Quand on lui a demandé des explications, la demanderesse a pris une longue pause sans donner de réponse avant de déclarer qu’elle avait menti pour protéger sa vie. Par ailleurs, la demanderesse n’a fourni aucune explication sur la façon dont une fausse déclaration sur son mariage pourrait davantage sauver sa vie qu’une déclaration véridique.

[11] Dans le formulaire Informations sur la famille accompagnant la demande de visa de la demanderesse, celle-ci mentionne deux frères et deux sœurs. Toutefois, au moment de signer et de certifier son formulaire FDA, la demanderesse a seulement déclaré une sœur et deux frères. La demanderesse a été invitée à expliquer l’incohérence, mais n’a fourni aucune réponse satisfaisante, même si elle avait apposé sa signature sur les deux documents pour confirmer qu’ils étaient véridiques et complets.

[11]  Madame Nanyongo demande à la Cour de soupeser de nouveau les éléments de preuve et de substituer ses propres conclusions à celles de la SPR. Il ne s’agit pas du rôle de la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61.).

[12]  Madame Nanyongo conteste également la conclusion de la SPR selon laquelle elle a affirmé que sa carte d’étudiante allait confirmer qu’elle était secrétaire de l’association de l’université. La partie pertinente de la transcription se lit comme suit : [traduction]

Q.   Donc, vous avez affirmé qu’en 2012, vous étiez comme la secrétaire de l’association des étudiants?

R.   Oui, monsieur.

Q.   Et avons-nous des éléments de preuve pour confirmer cette affirmation?

R.   Oui, monsieur.

Q.   Quels sont-ils et où sont-ils?

R.   J’en ai, monsieur, mais je ne les ai pas encore reçus. J’ai la carte d’étudiante.

Q.   Il s’agit donc d’une carte d’étudiante sur laquelle il est indiqué que vous êtes secrétaire de l’association?

R.   Oui, monsieur, et je possède une attestation en ce sens.

[13]  Finalement, ni la carte d’étudiante, ni aucun autre document fourni par madame Nanyongo n’a permis de corroborer cette affirmation. Par conséquent, la preuve appuyait les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité.

[14]  De façon plus générale, madame Nanyongo se plaint que la SPR a rejeté sa preuve documentaire de façon déraisonnable en omettant de prendre en compte de déclarations objectives selon lesquelles les erreurs d’orthographe sont courantes dans les documents officiels du Cameroun. Elle affirme également que la SPR a été déraisonnable en accordant peu de poids à l’affidavit de l’avocat camerounais et à la lettre du président du SCNC.

[15]  Les déclarations objectives citées par madame Nanyongo indiquent que les documents camerounais rédigés en anglais peuvent contenir des erreurs d’orthographe et de grammaire. Toutefois, plusieurs des documents présentés par madame Nanyongo contenaient des erreurs d’orthographe et de grammaire en français. De graves erreurs d’orthographe et de grammaire ont également été repérées dans les documents anglais non officiels, dont le rapport médical, qui ont été préparés pour appuyer sa demande. Bien que la SPR aurait préférablement dû reconnaître les déclarations objectives déposées par madame Nanyongo, je ne suis pas persuadé qu’elles remettent en doute les conclusions de la SPR.

[16]  Le manque de crédibilité de la demanderesse peut aller au-delà des éléments de preuve documentaire déposés (Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1250, au paragraphe 15). Dans l’arrêt Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315, le juge Simon Noël a déclaré au paragraphe 20 qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’un document était frauduleux et de n’y accorder aucun poids étant donné le manque de crédibilité du demandeur et de la prévalence des documents frauduleux dans son pays d’origine. Du même coup, la SPR était libre d’accorder peu de poids aux ouï-dire de l’affidavit provenant de l’avocat camerounais et à la lettre du président du SCNC compte tenu des nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité et des documents frauduleux. Madame Nanyongo demande encore une fois à la Cour de réévaluer les éléments de preuve.

[17]  Madame Nanyongo ne conteste pas les autres conclusions défavorables émises par la SPR quant à sa crédibilité.

B.  La SPR a-t-elle conclu raisonnablement que la demande de madame Nanyongo était manifestement non fondée?

[18]  Une demande est manifestement non fondée quand elle est clairement frauduleuse (LIPR, paragraphe 107.1). Pour qu’une demande soit clairement frauduleuse, « il faut à mon avis que le décideur ait la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie » (Warsame c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596, au paragraphe 31). Une conclusion selon laquelle une demande est manifestement non fondée exclut la possibilité d’un appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR) et d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (Nagornyak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 215, au paragraphe 13).

[19]  Dans sa courte discussion à savoir si la demande de madame Nanyongo était manifestement non fondée, la SPR a déclaré que la demanderesse avait utilisé un passeport éthiopien pour entrer au Canada et fourni seulement une fausse carte d’identité nationale pour établir sa citoyenneté camerounaise. La SPR a fait remarquer qu’elle était plus susceptible d’être une citoyenne de l’Éthiopie.

[20]  Ces conclusions sont déroutantes. Le paragraphe en question semble avoir été copié dans une décision différente qui n’a pas de lien avec la présente instance. Au paragraphe 4 de la décision faisant l’objet du contrôle, la SPR a reconnu que madame Nanyongo avait fourni une copie certifiée conforme de la première page de son passeport camerounais et admis qu’elle est une citoyenne du Cameroun. Le défendeur ne conteste pas cette conclusion.

[21]  Il ne fait aucun doute que l’analyse de la SPR à savoir si la demande était manifestement non fondée a été préparée sans les soins et l’attention qui auraient dû lui être accordés. Néanmoins, la décision d’un tribunal est raisonnable si « l’issue est acceptable et se justifie au regard de motifs qui auraient pu être donnés ou au regard de motifs qui, au vu du dossier, peuvent être considérés comme implicites, la décision est raisonnable » (Canada (Procureur général) c. Shakov, 2017 CAF 250, au paragraphe 103). Même en présence d’une conclusion erronée, une décision doit être maintenue s’il existe d’autres faits sur lesquels le décideur aurait raisonnablement pu s’appuyer pour émettre la décision définitive (Stelco Inc c. British Steel Can Inc, [2000] 3 CF 282, au paragraphe 22 [CAF]).

[22]  Compte tenu des circonstances inhabituelles en l’espèce, je conclus à contrecœur que la conclusion de la SPR selon laquelle la demande de madame Nanyongo était manifestement non fondée était raisonnable, même si l’unique paragraphe expliquant le raisonnement de la SPR semble avoir été copié dans une décision qui n’a pas de lien avec la présente instance. Les nombreuses conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, dont seulement certaines sont remises en question dans la présente demande de contrôle judiciaire, sont suffisantes pour appuyer cette détermination.

VI.  Conclusion

[23]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3160-17

 

INTITULÉ :

NGOMBA LINDA NANYONGO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

 

Pour la demanderesse

 

Hillary Adams

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru, Law Office Barrister and Solicitor

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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