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Date : 20171208


Dossier : IMM-2507-17

Référence : 2017 CF 1126

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

RASHID SHAHNAWAZ

INARA LALANI

SHAMSA LALANI

ANOOSHA LALANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de la question

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI), en date du 19 mai 2017, qui a rejeté l’appel des demandeurs, pour des motifs d’ordre humanitaire, d’une mesure d’interdiction de séjour émise par un agent d’immigration en raison du non-respect des obligations de résidence aux fins du statut de résident permanent en vertu de l’article 28 de la LIPR [la décision]. Les demandeurs ont reconnu à la SAI leur non-respect de l’article 28 de la LIPR, mais ils ont demandé un traitement spécial en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, ce qui leur a été refusé.

II.  Les faits

[2]  Les demandeurs sont : Rashid Shahnawaz [Shahnawaz]; son épouse, Shamsa Lalani [Shamsa], leur fille aînée, Anoosha Lalani (21 ans) [Anoosha] ainsi que leur benjamine, Inara Lalani (18 ans) [Inara]. Les demandeurs sont nés au Pakistan et sont des citoyens de Singapour seulement. Ils ont présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés et ils ont reçu leurs visas en juillet 2010. Les demandeurs sont entrés au Canada en tant que résidents permanents le 4 juillet 2010.

[3]  Ils ne contestent pas le fait qu’ils ne sont pas conformés à leurs obligations de résidence entre le 4 juillet 2010 et le 4 juillet 2015 [la période pertinente]. Rashid Shahnawaz, Shamsa et Inara Lalani sont restés au Canada pendant environ 50 jours sur les 730 jours de résidence requis. Anoosha Lalani est restée au Canada pendant seulement 344 jours sur les 730 jours de résidence requis. Toutefois, les demandeurs ont déclaré qu’il existe des considérations humanitaires importantes, de sorte que la SAI aurait dû exerce sa compétence en équité en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR et leur accorder un traitement spécial, encore plus important, ils soutiennent que la décision de la SAI était déraisonnable.

[4]  À mon avis, la demande doit être accordée pour les motifs suivants :

III.  Résumé des faits

[5]  Le 20 juillet 2010, soit six jours après leur arrivée et après avoir acquis le statut de résident permanent, la famille a quitté le Canada pour se rendre à Singapour, parce que Rashid Shahnawaz avait signé un contrat de travail avec la Citibank à Singapour. À la fin de son mandat, en 2013, il s’est senti obligé d’accepter une affectation d’un an en Pologne, afin de toucher sa prime pour ses 22 années de service au sein de la Citibank.

[6]  La famille est revenue au Canada le 10 août 2014, afin de permettre à Anoosha d’entreprendre ses études à l’Université McGill [McGill]. Toutefois, à leur retour, l’agent d’immigration a pris une mesure d’interdiction de séjour à leur encontre, parce qu’ils ne s’étaient pas conformés à leur obligation de séjourner pendant 730 jours au Canada, pendant la période pertinente, aux termes des conditions de résidence permanente qui leur étaient imposées.

[7]  Anoosha Lalani est demeurée au Canada depuis, mais Rashid Shahnawaz, Shamsa et Inara Lalani ont quitté le Canada pour se rendre en Pologne peu après l’émission de la mesure d’interdiction de séjour à leur encontre, afin de permettre à Rashid Shahnawaz de respecter son contrat de travail. Rashid Shahnawaz a séjourné au Canada pendant deux semaines en mars 2015 et de nouveau en juin 2015. Shamsa et Inara sont revenues brièvement au Canada en avril 2015, mais elles sont retournées en Pologne auprès de Rashid Shahnawaz en juin 2015, afin de permettre à Inara d’entreprendre ses études de 11e année. Rashid Shahnawaz et Shamsa et Inara Lalani résident au Canada depuis.

A.  Anoosha

[8]  Anoosha était âgée de 14 ans lorsqu’elle est arrivée au Canada et lorsqu’elle est par la suite partie avec sa famille 16 jours plus tard. Le 10 août 2014, alors qu’elle était âgée de 18 ans, elle est revenue au Canada pour étudier à l’Université McGill. Il ne fait aucun doute qu’Anoosha affiche un parcours impressionnant en tant que jeune immigrante au Canada. Elle a été admise directement comme étudiante de deuxième année en raison de ses résultats exceptionnels au programme Baccalauréat International® (IB). Après avoir reçu son diplôme de l’Université McGill, en juin 2017, elle a obtenu un emploi comme analyste subalterne chez Ernest & Young, à Toronto, à la condition qu’elle soit une résidente permanente du Canada. Elle a acheté un condominium à Toronto et elle a une obligation hypothécaire. Parmi ses nombreux accomplissements figurent des romans, des nouvelles et des essais qu’elle a rédigés, son entreprise en démarrage destinée à faciliter et à accélérer l’intégration des réfugiés au Canada, ainsi que son titre de « Global Shaper » décerné par le World Economic Forum. Elle a entrepris des études à l’Université de Toronto en vue d’obtenir un diplôme en comptabilité, dont le coût est en grande partie subventionné par son employeur. Son diplôme en comptabilité lui permettra de devenir une comptable professionnelle agréée du Canada, titre qui, de l’avis d’Anoosha, n’a aucune valeur hors du Canada.

[9]  Dans son témoignage sous serment, elle déclare :

À mon sens, je voudrais ne jamais quitter ce pays où je suis solidement établie. Je regrette le fait que j’étais mineure lorsque mes parents ont quitté le Canada. Si j’avais été majeure, je ne l’aurais pas fait.

[…]

Parce que j’étais mineure, je ne pouvais pas satisfaire les exigences en matière de résidence et, jusqu’à ce que j’atteigne mes 18 ans, j’ai dû déménager avec ma famille chaque fois que mon père a été nommé à un nouveau poste.

[…]

Nos parents avaient envisagé de nous amener au Canada, ma sœur et moi, en juillet 2013, de sorte que j’aurais pu entreprendre la deuxième année de mon programme IB en septembre 2013. Comme motifs pour ne pas m’accepter, les écoles ont invoqué des problèmes de non-concordance des programmes d’études ou des problèmes logistiques concernant l’acceptation d’une étudiante en deuxième année qui était transférée de l’étranger. En conséquence, mes parents ont jugé prudent de retarder leur arrivée au Canada et, comme j’étais alors mineure, j’ai terminé mon programme IB à Singapour. On ne m’a pas donné le choix.

B.  Inara

[10]  Inara n’avait que 11 ans lorsqu’elle et sa famille sont arrivées au Canada, en 2010, puis ont immédiatement quitté le pays. Elle était âgée de 15 ans lorsqu’elle et les membres de sa famille sont revenus au Canada, le 10 août 2014, et lorsqu’une mesure d’interdiction de séjour a été prise à leur encontre parce qu’ils ne s’étaient pas acquittés de leurs obligations en matière de résidence. En avril 2015, elle est revenue brièvement au Canada pour se soumettre à un examen d’admission au programme IB. Elle était âgée de 16 ans lorsqu’elle est revenue au Canada, le 25 juin 2015, pour entreprendre sa onzième année, et elle y est restée.

[11]  Elle aussi est une jeune immigrante au Canada dont le parcours est impressionnant. En septembre 2015, Inara a entrepris son programme IB d’une durée de deux ans. Elle a obtenu son diplôme en juin 2017 et elle a entrepris ses études à l’Université McGill en août 2017. Au cours de l’été qui a suivi sa première année d’études à l’Université McGill, Inara a occupé un emploi à temps partiel comme conseillère financière au sein du World Financial Group et, tout comme sa sœur, ses œuvres littéraires ont été publiées et elle est une bénévole zélée au sein d’un grand nombre d’organismes différents, dont le Centre universitaire de santé McGill et de la Société canadienne du sang, et elle prodigue des soins aux malades en phase terminale. Dans son témoignage sous serment devant la SAI, elle a déclaré :

Si j’avais eu le choix, je serais restée au Canada et j’aurais pris les mesures pour m’acquitter de mes obligations en matière de résidence. Le Canada est mon pays et c’est le seul endroit que je vois dans mon avenir.

[…]

Mes parents m’ont expliqué qu’ils avaient mis du temps à s’établir au Canada pour diverses raisons, mais ces raisons n’ont rien à voir avec moi. J’étais mineure quand je suis arrivée au Canada et c’est ici que je voulais faire ma vie. Comme j’étais mineure, je n’avais pas mon mot à dire à ce sujet. Je regrette de ne pas être venue au Canada plus tôt.

C.  Rashid Shahnawaz

[12]  Rashid Shahnawaz est un ancien cadre supérieur de Citibank. Lorsqu’il a soumis une demande de résidence permanente au Canada, en 2009, il avait compris que le processus prendrait trois ou quatre ans. S’il avait fallu autant de temps pour traiter sa demande, il aurait eu le temps de mener à terme ses affections professionnelles, permettre à Anoosha de terminer sa deuxième année d’études et déménager au Canada en ayant amplement de temps pour satisfaire l’obligation de séjourner au pays pendant 730 jours. Cependant, le processus a pris moins d’un an et, au moment où les membres de la famille ont reçu des visas de résidence permanente, Rashid Shahnawaz en était à mi-terme d’une affectation temporaire en Indonésie et il avait déjà accepté une affectation de trois ans à Singapour. Certes, il aurait pu quitter son emploi et couper ses liens avec Citibank, mais cela aurait engendré une perte financière importante. Alors, il a plutôt décidé de mener à terme ses affectations en Indonésie et à Singapour, ce qui donnerait à Anoosha et à Inara le temps de finir l’année scolaire, de sorte que la famille pourrait satisfaire l’obligation de séjourner au pays pendant 730 jours entre les mois d’août 2013 et d’août 2015.

[13]  La famille a éprouvé d’énormes difficultés à inscrire Anoosha à la deuxième année du programme IB de deux ans; certaines écoles de Toronto ont invoqué la non-concordance des programmes, tandis que d’autres ont préféré ne pas avoir à composer avec les difficultés inhérentes à l’acceptation d’étudiants transférés de l’étranger. Rashid Shahnawaz et Shamsa Lalani ont donc décidé qu’il valait mieux retarder leur arrivée au Canada jusqu’en août 2014, soit l’année où Anoosha a entrepris ses études à l’Université McGill.

Depuis son arrivée le 25 juin 2015, Rashid Shahnawaz a transféré toutes ses économies au Canada, il a acheté une maison familiale à Brampton et il a effectué divers investissements, notamment dans des immeubles de placement, dans des comptes d’épargne libres d’impôt, des certificats de placement garanti, un REER et autres produits bancaires locaux. Au Canada, il a accepté un poste au sein de la HSBC et son salaire annuel s’établit à 140 000 $. Il a également mis sur pied une entreprise en démarrage, sous la raison sociale Ace Transformation Inc., qui lui permet d’appliquer son expérience du domaine bancaire international au secteur de la vente au détail. Il affirme qu’au cours des deux dernières années les membres de sa famille ont versé 23 000 $ en impôts sur leur revenu annuel. Rashid Shahnawaz et Shamsa Lalani projettent également de verser environ 500 $ jusqu’en 2030 dans un régime enregistré d’épargne-études au profit de deux jeunes enfants de leur communauté.

D.  Shamsa

[14]  Shamsa habite en permanence au Canada depuis son retour le 25 juin 2015. Depuis 2016, elle fait du bénévolat au sein de la Aga Khan Ismali Community où elle siège au sein du Social Welfare Board for Ontario à titre de chef des finances.

IV.  Décision

[15]  Dans une décision datée du 19 mai 2017, la SAI a maintenu la décision de l’agent d’immigration d’émettre une mesure d’interdiction de séjour et elle a refusé d’accorder un traitement spécial en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

V.  Questions en litige

[16]  Les demandeurs soulèvent les questions suivantes pour examen :

  • (1) La SAI a-t-elle commis une erreur en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire/omettant de tenir compte de l’établissement postérieur à la date de la mesure d’interdiction de séjour (août 2014) ou les deux, en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire/omettant de tenir compte de l’établissement postérieur à la date de la période pertinente?

  • (2) La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’Inara et Anoosha avaient exprimé le désir de rester avec leur famille plutôt que de conserver leur statut de résidentes permanentes?

  • (3) La SAI a-t-elle commis une erreur en ignorant qu’Inara et Anoosha n’étaient pas responsables du fait qu’elles ne pouvaient pas satisfaire leurs obligations en matière de résidence?

[17]  La véritable question à trancher est de savoir si la décision de la SAI était raisonnable. J’ai conclu qu’elle ne l’était pas en m’appuyant sur la première des deux questions des demandeurs.

VI.  Norme de contrôle

A.  Raisonnabilité

[18]  Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Dans plusieurs cas, la Cour a conclu que la norme de contrôle en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est la raisonnabilité : Uddin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 314, au paragraphe 19, la juge Strickland; Duquitan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769, au paragraphe 11, le juge Shore; et Cortez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 800, au paragraphe 17, le juge Diner. La raisonnabilité est la norme de la décision raisonnable.

[19]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

(1)  La SAI a-t-elle commis une erreur en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire/omettant de tenir compte de l’établissement postérieur à la date de la mesure d’interdiction de séjour (août 2014) ou les deux, en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire/omettant de tenir compte de l’établissement postérieur à la date de la période pertinente?

[21]  J’ai conclu que la SAI a agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a apprécié les mesures d’établissement qui avaient été menées avant et après la mesure d’interdiction de séjour et après la fin de la période pertinente.

[22]  J’accepte l’argument dans Nekoie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 363, [Nekoie] où notre ancienne collègue, la juge Bédard, a déclaré, au paragraphe 32, qu’il y a lieu de tenir compte, entre autres facteurs, du degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience :

[…] Dans Ambat, au paragraphe 27, la Cour a énuméré les facteurs que la SAI appliquait pour déterminer s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales :

27  La SAI a ensuite examiné la question de savoir s’il fallait accorder une mesure discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a ensuite déclaré que, pour déterminer si des facteurs compensaient le non-respect, par le demandeur, de son obligation de résidence, elle s’inspirait des décisions qu’elle avait rendues dans les affaires Bufete Arce, Dorothy Chicay c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02515) [2003] D.S.A.I. no 370, et Yun Kuen Kok & Kwai Leung Kok c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02277), [2003] DSAI no 514. Ces deux cas montrent qu’il y a d’autres facteurs particulièrement pertinents, outre l’intérêt supérieur de l’enfant touché directement, à prendre en considération dans ces types d’appel. La SAI les a énumérés au paragraphe 38 :

i) L’importance du non-respect de l’obligation de résidence;

ii) Les motifs de son départ du Canada et de son séjour à l’étranger;

iii) Le degré d’établissement initial et au moment de l’audience au Canada;

[23]  En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la SAI a agi de manière déraisonnable à six égards, lorsqu’elle n’a pas tenu compte de l’établissement postérieur à la mesure d’interdiction de séjour et après la période pertinente :

[traduction] [54]  Les exemples où la SAI a commis une erreur dans sa décision en ne tenant pas compte de l’établissement postérieur à la mesure d’interdiction de séjour sont énoncés comme suit :

R.  Au paragraphe 22 de la décision, l’agent déclare en ce qui concerne Madame Shamsa Lalani : [traduction] « Même si j’ai des preuves du travail et du bénévolat accomplis au Canada depuis juillet 2015, j’estime que cet établissement se situe hors de la période visée aux fins des obligations concernant la période de résidence. Les éléments de preuve qui m’ont été présentés indiquent que, depuis 2015, ils ont acheté une maison [sic], travaillé ici et se sont intégrés dans la société canadienne, le problème est que tout cela se situe en dehors de la période pertinente (Non souligné dans l’original). »

B.  Au paragraphe 24 de la décision, l’agent déclare, en ce qui concerne Rashid Shahnawaz : « Quoi qu’il en soit, le moment où M. Shanawaz a fait appel à un courtier immobilier n’est pas aussi important pour moi que celui où il a acheté une maison et celui où les membres de sa famille et lui ont commencé à s’établir au Canada sur une base permanente car, même s’il a communiqué avec un courtier en août 2014, il a de nouveau quitté le Canada pour aller s’acquitter de son affectation en Pologne et il n’est revenu que 10 mois plus tard. À mon avis, l’établissement au Canada a débuté, dans le cas d’Anoosha, en août 2014, lorsqu’elle est revenue au Canada pour poursuivre ses études postsecondaires à l’Université McGill et, dans le cas des autres membres de la famille, à la fin de juin 2015, lorsque l’affectation de M. Shahnawaz à la Citibank a pris fin et lorsque Shamsa et Inara sont revenues au Canada avec lui. Par conséquent, à mon avis, cela montre qu’il n’y avait pas eu d’établissement au Canada avant la délivrance de la mesure d’interdiction de séjour et que, pendant la période de résidence obligatoire de cinq ans, ils ont déployé peu d’efforts pour s’établir au Canada... (Non souligné dans l’original).

C.  Au paragraphe 25 de la décision concernant l’appréciation de l’établissement de M. Shahnawaz : Depuis son déménagement au Canada, le 25 juin 2015, M. Shahnawaz a transféré ses économies ici et les a investies dans une résidence principale à Brampton, dans des immeubles de placement, dans des comptes d’épargne libres d’impôt, des certificats de placement garanti, un REER et autres produits bancaires locaux. Ils ont utilisé de l’argent pour effectuer un versement initial sur leur maison ce qui, aux dires de M. Shahnawaz, n’aurait pas été possible s’il n’avait pas travaillé [sic] pendant toutes ces années pour Citibank. Au Canada, M. Shahnawaz a travaillé pour HSBC... Il a depuis constitué une société, en novembre-décembre 2016, appelée Ace Transformation Inc. Au total, si l’on inclut les trois hypothèques sur leur résidence principale et dans deux immeubles de placement, les actifs de la famille au Canada s’établissent à environ 2 052 846 $. L’établissement de M. Shahnawaz postérieur à la mesure d’interdiction de séjour plus de cinq ans après son arrivée initiale est admirable, mais ne suffit pas à justifier qu’on lui accorde une mesure discrétionnaire parce que tout cela s’est produit après la délivrance de la mesure d’interdiction de séjour. Même si cela constitue un facteur positif en général, cela ne se situe pas à l’intérieur de la période pertinente (Non souligné dans l’original).

D.  Au paragraphe 27 de la décision, en ce qui concerne Mme Shamsa Lalani, la SAI déclare : « Elle fait du bénévolat au Canada à l’Aga Khan Social Welfare Board for Ontario au sein de programme « Quality of Life », lequel vient en aide aux familles dont le revenu est inférieur à 45 000 $... Ces activités de bénévolat se situent après la délivrance de la mesure d’interdiction de séjour et, là encore, en dehors de la période d’établissement pertinente. C’est un facteur positif pour moi (Non souligné dans l’original). »

E.  Au paragraphe 28 de la décision, l’agent aborde les études d’Anoosha à l’Université McGill, l’offre d’emploi qu’elle a reçue d’Ernst & Young, le fait qu’elle est une très bonne étudiante, qu’elle fait du bénévolat au sein d’organismes jeunesses dans le domaine des arts, qu’elle a recueilli des fonds pour la sensibilisation au SIDA, qu’elle a publié une nouvelle en septembre 2014, qu’elle a passé Noël avec sa famille au Canada pour la première fois. L’agent a néanmoins conclu que : « Même si l’établissement d’Anoosha est possiblement plus solide que celui de ses parents, une partie de son établissement se situe également hors de la période de résidence obligatoire (Non souligné dans l’original). »

F.  Au paragraphe 29, en ce qui concerne Mme Inara Lalani, l’agent mentionne son travail acharné à l’école secondaire, ses acceptations hâtives dans divers programmes universitaires, ses amis, son bénévolat, ainsi que le fait qu’elle rédige et publie des poèmes, mais elle conclut que : « Même si l’établissement d’Inara est possiblement plus solide que celui de ses parents, une partie de son établissement se situe également hors de la période de résidence obligatoire [sic]. Elle est revenue au Canada seulement lorsque ses parents l’ont fait (Non souligné dans l’original). »

[Non souligné dans le mémoire des demandeurs]

[24]  À mon avis, au moment d’apprécier l’établissement postérieur à la mesure d’interdiction de séjour, les agents doivent prendre en considération les éléments de preuve de l’établissement et les soupeser à la lumière des autres facteurs pertinents. Ceux-ci sont plus susceptibles d’être ignorés, que d’être acceptés, sans autre... Le moment est l’un des nombreux facteurs à examiner au moment de l’appréciation globale de ce qui constitue des motifs d’ordre humanitaire justifiés dans les circonstances de cas comme celui aux présentes. L’appréciation doit aussi inclure un point de départ légal; même si le point de départ peut éventuellement être le point de fin, il faut quand même procéder à une appréciation.

[25]  En l’espèce, je conviens que les demandeurs ont soulevé un certain nombre de conclusions déraisonnables; elles sont déraisonnables parce qu’elles ne peuvent pas être défendues en droit, comme l’exige Dunsmuir.

(2)  La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’Inara et Anoosha avaient exprimé le désir de rester avec leur famille plutôt que de conserver leur statut de résidentes permanentes?

[26]  À mon avis, les conclusions de la SAI relativement aux préférences d’Anoosha et d’Irana revêtent une importance cardinale pour le rejet des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[27]  En ce qui concerne les préférences d’Inara et d’Anoosha de rester avec leurs parents ou de rester au Canada, la SAI a conclu :

[45]  Les deux filles affirment n’avoir jamais été séparées de leurs parents de manière permanente et disent souhaiter continuer à former une famille. L’avocat des demandeurs n’a pas contesté le fait que l’appel devrait être admis pour une demanderesse en particulier par rapport à une autre; il soutient au contraire que l’appel devrait être admis pour les deux. Compte tenu [sic] du fait que, dans leur témoignage, les membres de cette famille disent souhaiter rester ensemble, je conclus que leurs liens familiaux sont plus solides que leurs liens avec le Canada. Les demandeurs ne m’ont pas convaincu qu’il existe des considérations humanitaires suffisantes pour justifier le recours à un traitement spécial. Les facteurs négatifs militent contre l’accueil de cet appel.

[28]  En ce qui concerne spécifiquement Anoosha, la SAI a fait remarquer ce qui suit :

[28]  ... Anoosha a cependant indiqué clairement dans son témoignage [sic] qu’elle souhaitait rester avec sa famille peu importe l’issue de cet appel. […] Je lui ai demandé si elle allait souhaiter demeurer au Canada si ses parents ne pouvaient pas y demeurer. Elle a tout d’abord déclaré qu’elle ne le savait pas parce qu’elle avait des débouchés d’emploi ici au Canada et elle a terminé sa phrase en disant « Je veux être avec mes parents ».

[29]  À cet égard, un examen du dossier n’indique pas le moment où cette déclaration a été faite. La conclusion n’est donc ni justifiée ni étayée par le dossier. Dans sa réponse à la question de la SAI, Anoosha a répondu :

Je ne sais pas serait une réponse honnête.... Particulièrement parce que souhaite être avec mes parents et que s’il existe un endroit où je peux être avec eux, c’est ce que je préférerais, mais tout de même je ne sais pas si j’ai à d’autres endroits les possibilités que le Canada m’offre ici, par exemple une offre d’emploi, j’ai tout cela mais je veux aussi être avec mes parents.

[30]  Il convient également de noter qu’Anoosha a résidé au Canada pendant 344 jours au cours de la période de résidence – sa première année à l’Université McGill – tout le temps pendant lequel elle n’était pas avec ses parents. La conclusion de la SAI sur ce point est déraisonnable.

[31]  En ce qui concerne Inara, la SAI a conclu que :

[30]  ... Inara ne m’a pas dit qu’elle souhaite demeurer au Canada même si ses parents perdent leur statut ici. Elle est désormais majeure et elle a démontré que ses liens avec le Canada ne sont pas plus forts que ses liens avec ses parents.

[32]  Là encore, la conclusion n’est pas étayée par le dossier. Inara a en fait déclaré à l’audience qu’elle souhaitait continuer à grandir loin de sa famille. Dans son témoignage, elle a dit : « Je me vois capable de grandir à distance, à l’écart des membres de ma famille, mais également pouvoir être proche d’eux et bénéficier de leur appui. »

[33]  Prenant du recul et examinant la décision comme un tout, et non comme une chasse aux erreurs, compte tenu de l’établissement postérieur à la mesure d’interdiction de séjour et postérieur à la période d’établissement, ainsi que des conclusions déraisonnables concernant les témoignages d’Anoosha et d’Inara, j’ai conclu que la décision ne peut être défendue au regard des faits et du droit. En conséquence, la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et doit être rejetée.

[34]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision soit annulée et que l’affaire est renvoyée pour réexamen à un décideur. Aucune question n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2507-17

 

INTITULÉ :

RASHID SHAHNAWAZ, INARA LALANI, SHAMSA LALANI, ANOOSHA LALANI c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Warda Shazadi Meighen

Lorne Waldman

 

Pour les demandeurs

 

 

Suzanne Bruce

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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