Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180205


Dossier : IMM-3026-17

Référence : 2018 CF 125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 février 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ISRAILBEK BORUBAEV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui conteste la décision de la Section d’appel des réfugiés (la décision), laquelle rejette l’appel d’Israilbek Borubaev en confirmant le rejet antérieur de la Section de la protection des réfugiés envers sa demande de statut de réfugié. M. Borubaev est un citoyen du Kirghizistan qui demande l’asile en invoquant son origine ethnique ouzbèke, son engagement envers un parti politique de l’opposition et la crainte qu’il éprouve à l’égard d’un policier qui l’aurait menacé d’extorsion. Après l’examen de ce dossier à la lumière des questions soulevées par le demandeur, notre Cour n’interviendra pas. Bien que la Section d’appel des réfugiés ait commis une erreur relativement aux documents originaux que le demandeur a présentés, cette erreur n’est pas déterminante pour les motifs énoncés ci-dessous.

I.  Résumé des faits

[2]  Le père de M. Borubaev est Kirghize et sa mère est Ouzbèke. Il soutient qu’il a souvent subi de mauvais traitements à cause de son identité ouzbèke en grandissant. Le demandeur raconte que, lorsqu’il était à l’université, il a été attaqué par un groupe d’hommes parce qu’il organisait un événement pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance de l’Ouzbékistan. Toutefois, lorsqu’il a signalé l’attaque, le service de police lui a dit qu’aucun élément de preuve ne l’attestait. M. Borubaev affirme que la police fait régulièrement preuve de discrimination à l’égard des Ouzbeks.

[3]  M. Borubaev raconte que, la violence ayant éclaté dans la ville d’Och le 11 juin 2010, des Ouzbeks ont été battus, torturés et assassinés et de nombreuses maisons ont été incendiées. M. Borubaev et sa femme ont fui Och pendant cet épisode de violence. À leur retour, ils ont constaté que leur maison avait été brûlée.

[4]  M. Borubaev affirme que, après s’être joint au Parti Uluttar Birimdigi (UB) en janvier 2012, il organisait des événements, apportait son aide à la tenue d’élections, recueillait des renseignements et faisait des recherches sur les enjeux du parti. L’année suivante, il a été mis en détention et interrogé par la police en raison de ses activités politiques. M. Borubaev affirme que la police lui a donné un avertissement, à savoir qu’il serait emprisonné s’il continuait à travailler pour le Parti UB.

[5]  M. Borubaev affirme qu’en 2015 une Mercedes noire a frappé l’arrière de sa voiture, que c’était le fils d’un policier qui était au volant et que le policier dont il est question lui a dit qu’il devra payer 30 000 $, à défaut de quoi il serait emprisonné à cause de son engagement envers le Parti UB.

[6]  M. Borubaev soutient que, vu l’intensification de ces menaces, il s’est procuré un visa canadien et a quitté le Kirghizistan par un poste de contrôle non officiel avec l’aide d’un passeur. Le 15 novembre 2015, il a pris un vol du Kazakhstan à destination de Toronto et il a, par la suite, présenté une demande d’asile. Toutefois, le 12 décembre 2016, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de M. Borubaev en mentionnant cinq grands volets où la question de la crédibilité se posait :

  1. Selon son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés, M. Borubaev a dit avoir été attaqué en 2004, alors que le rapport psychiatrique qu’il a déposé en preuve indique que la police l’a attaqué en 2013. Lorsqu’il a dû expliquer cette incohérence, M. Borubaev a offert des explications diverses et contradictoires.

  2. M. Borubaev avait auparavant présenté une demande de visa canadien. Pourtant, les renseignements qu’il a fournis sur son historique d’emploi et ses études pour cette demande et ceux qu’il a inscrits sur des sites de médias sociaux différaient complètement des renseignements qu’il a fournis pour sa demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés n’a pas cru aux explications données, M. Borubaev disant que son père avait embauché un passeur pour présenter une demande de visa et que c’est ce passeur qui avait créé les comptes sur les médias sociaux. En outre, il se trouvait aussi dans la demande de visa antérieure des copies de divers timbres de sortie et d’entrée, et il y avait un visa chinois dans le vieux passeport de M. Borubaev. Ces éléments qui démontrent l’existence de déplacements à l’étranger viennent compromettre le fondement subjectif de la demande d’asile, car certains de ces déplacements ont eu lieu après la persécution alléguée.

  3. Lorsqu’il y a eu persécution et extorsion de la part de la police, a affirmé M. Borubaev, celui-ci s’est réfugié dans la maison de son père, qui était adjacente à la sienne. La Section de la protection des réfugiés a conclu à l’invraisemblance, car le domicile d’un membre de la famille aurait été l’un des premiers endroits où les autorités l’auraient cherché.

  4. Le frère de M. Borubaev a envoyé des documents depuis le Kirghizistan et a inscrit leurs deux noms complets sur l’enveloppe, qui a par la suite été estampillée par les douanes kirghizes. La Section de la protection des réfugiés a conclu que, si les autorités étaient véritablement à la recherche de M. Borubaev, son frère aurait hésité à envoyer par les douanes kirghizes des documents révélant manifestement leur identité.

  5. Les réponses que M. Borubaev a données aux questions portant sur le Parti UB étaient incompatibles les unes avec les autres et aussi avec la recherche effectuée par la Section de la protection des réfugiés. Par exemple, il a fait une grossière erreur sur le nombre de sièges au parlement kirghize par plus de la moitié, alors même qu’il soutenait avoir travaillé en politique à temps plein (pour le Parti UB) pendant plus de trois ans.

[7]  Compte tenu de ces importantes questions en matière de crédibilité, la Section de la protection des réfugiés a accordé peu de poids aux éléments de preuve documentaire présentés, entre autres i) une carte de membre du Parti UB, ii) la note manuscrite d’un membre du parti et iii) un registre des travaux du gouvernement. La Section de la protection des réfugiés a conclu que [traduction] « les documents, même les documents officiels qui comportent une présomption d’authenticité, n’auront jamais assez d’importance pour l’emporter sur les inférences négatives qui découlent d’un examen approfondi du témoignage et des autres éléments de preuve d’un demandeur ». En outre, les lettres que le père, le frère, le cousin et la femme de M. Borubaev ont envoyées n’ont été ni assermentées ni fait l’objet d’un contre-examen, mais qui plus est, elles manquaient de détails. La Section de la protection des réfugiés a examiné une note médicale indiquant que M. Borubaev a été traité pour blessures à la tête en 2004 sans en préciser la cause; cependant, ni cette note ni le rapport psychologique n’ont apaisé les préoccupations en matière de crédibilité. Enfin, la Section de la protection des réfugiés a rejeté l’argument voulant que seule l’origine ethnique ouzbèke suffise à établir le bien-fondé de la demande d’asile, car il n’y a pas de risque visant M. Borubaev lui-même.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  M. Borubaev a fait appel à la Section d’appel des réfugiés en soutenant que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur i) en négligeant de tenir compte des éléments de preuve documentaire, ii) en tirant des conclusions déraisonnables d’invraisemblance et iii) en n’abordant pas de façon inadéquate la protection prévue à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[9]  M. Borubaev a aussi essayé de présenter de « nouveaux » éléments de preuve, à savoir, des lettres au sujet a) de la participation au Parti UB, b) de son historique d’emploi, c) des questions relatives au courrier et d) des photographies provenant de son « véritable » profil Facebook et celles de cartes de membre du parti. M. Borubaev a sollicité à la Section d’appel des réfugiés sur la base de ces éléments de preuve la tenue d’une audience conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR.

[10]  Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés a cru à tort que M. Borubaev avait omis de présenter les originaux (une erreur qui a été admise par le défendeur), et a rejeté ces éléments de preuve après avoir jugé qu’ils n’étaient pas « nouveaux ».

[11]  Au bout du compte, la Section d’appel des réfugiés a confirmé les conclusions que la Section de la protection des réfugiés a tirées dans sa décision du 14 juin 2017 et a rejeté l’appel, d’où le présent contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve et en refusant d’accorder une audience. En outre, le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en tirant des inférences négatives en matière de crédibilité et en appréciant les éléments de preuve relatifs à la persécution des Ouzbeks.

[13]  En réponse, le défendeur soutient que la Cour doit rejeter ce qui équivaudrait à une nouvelle appréciation des éléments de preuve. Le défendeur soutient encore que le fait que le demandeur ne conteste pas les conclusions importantes en matière de crédibilité qui sont négatives suffirait à rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[14]  La Section d’appel des réfugiés examine les décisions de la Section de la protection des réfugiés selon la norme de la décision correcte (arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, paragraphe 103 [Huruglica]), même si on doit accorder une certaine retenue envers la Section de la protection des réfugiés pour ses conclusions de fait (Huruglica, au paragraphe 70). Notre Cour doit contrôler l’appréciation des éléments de preuve et les conclusions de fait et de droit selon la norme de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit de la Section d’appel des réfugiés (Huruglica, au paragraphe 35; arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 51, 54 et 57).

IV.  Discussion

A.  Les conclusions relatives à la crédibilité

[15]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la présente demande est vouée à l’échec. La Section de la protection des réfugiés a tiré plusieurs grandes conclusions en matière de crédibilité qui s’ouvraient à elle et la Section d’appel des réfugiés a examiné chacune d’elles en détail et leur a souscrit. Je conclus que les cinq conclusions principales tirées par les deux tribunaux sont entièrement défendables.

[16]  En outre, le demandeur n’a pas expliqué devant la Section d’appel des réfugiés le premier point, que le paragraphe 6 ci-dessus résume et qui porte sur les incohérences du témoignage relativement au traitement policier. Le fait de ne pas avoir contesté les conclusions en matière de crédibilité (même d’autres conclusions ont été mises en doute) peut être déterminant lors d’un contrôle parce qu’il est alors possible de présumer que ces conclusions sont vraies (décision Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262, aux paragraphes 25 et 26). Quoi qu’il en soit, je conclus que le demandeur a omis de démontrer que ces conclusions étaient déraisonnables. Le demandeur demande enfin à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve.

[17]  Bien que les questions en matière de crédibilité soient déterminantes, j’étudierai néanmoins les arguments du demandeur qui restent, à savoir que la Section d’appel des réfugiés a manqué à l’équité procédurale en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve et de tenir une audience et qu’elle a commis une erreur dans son analyse relative à l’article 97.

B.  Nouveaux éléments de preuve

[18]  Comme il a déjà été mentionné, il a été statué à tort qu’aucun original n’avait été présenté alors que c’était bien le cas. La lettre qui accompagnait le refus de la Section d’appel des réfugiés a informé M. Borubaev que la Section d’appel des réfugiés détenait les originaux et qu’elle était prête à les lui retourner, le tout ayant été admis par le défendeur.

[19]  Je conclus qu’il s’agit d’un manquement technique parce que la conclusion d’absence d’originaux tirée par la Section d’appel des réfugiés n’a pas eu d’incidence sur les motifs invoqués pour le rejet des éléments de preuve et que, par conséquent, elle n’a causé aucun préjudice au demandeur. La Section d’appel des réfugiés a établi, selon le critère défini au paragraphe 110(4) de la LIPR, que les éléments de preuve ne sont pas apparus ou survenus après le rejet de la demande, étaient raisonnablement accessibles et, par conséquent, auraient pu être déposés auparavant. Les conclusions de la Section d’appel des réfugiés sont conformes aux motifs de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 34.

[20]  Par conséquent, l’erreur que la Section d’appel des réfugiés a commise relativement aux originaux n’était pas déterminante. Comme la Cour suprême l’a statué dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, un manquement technique est une erreur qui « n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice ». En termes simples, la devise « ni préjudice ni faute » s’impose en cas d’irrégularités dans la procédure. C’est précisément ce qui s’est produit en l’espèce, parce que même si la Section d’appel des réfugiés s’était appuyée sur les originaux pour déterminer si les éléments de preuve respectaient le critère de nouveauté défini au paragraphe 110(4) de la LIPR, l’issue aurait été la même. La Section d’appel des réfugiés a rejeté les éléments de preuve pour des motifs autres que leur format. La Section d’appel des réfugiés n’a aucunement manqué à l’équité procédurale.

[21]  Après avoir conclu qu’aucun nouvel élément de preuve ne serait admis, la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement rejeté la demande d’audience de M. Borubaev (décision Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 196, au paragraphe 20).

C.  Caractère suffisant de l’analyse relative à l’article 97 de la LIPR

[22]  Enfin, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur dans son analyse relative à l’article 97, en invoquant la décision Dudu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 626, selon le principe voulant que le demandeur d’asile ne doive pas nécessairement prouver qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir si la persécution a été établie par l’examen du traitement réservé aux personnes se trouvant dans une situation semblable (à la page 2). Ce que le demandeur omet de citer est la conclusion du juge Strickland concernant cette observation : « Toutefois, la situation est différente en l’espèce en raison de la conclusion sur la crédibilité tirée par la SPR, et parce que la SPR n’a pas mal énoncé le critère ».

[23]  De la même façon, il a été jugé que M. Borubaev n’était pas crédible. La demande d’asile résiduelle aux termes de l’article 97 reposait uniquement sur son identité ouzbèke. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont conclu toutes deux que M. Borubaev n’était pas personnellement exposé au risque décrit dans la documentation sur la situation du pays. Cette conclusion est tout à fait raisonnable au regard des éléments de preuve présentés et ne vient nullement perturber l’analyse de la Section d’appel des réfugiés relative à l’article 97.

V.  Conclusion

[24]  La décision de la Section d’appel des réfugiés est acceptable et défendable en fonction des faits et du droit et ne justifie pas l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question aux fins de certification n’existe et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3026-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3026-17

 

INTITULÉ :

ISRAILBEK BORUBAEV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2018

 

COMPARUTIONS :

John Cintosun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Cintosun

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.