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Date : 20180206


Dossier : T-1363-17

Référence : 2018 CF 137

Ottawa (Ontario), le 6 février 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

AMAL HADDAD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Amal Haddad, originaire du Liban, arrive au Canada à titre de résidente permanente en 2007. Le 11 mars 2013, elle présente une demande de citoyenneté canadienne dans laquelle elle déclare 278 jours d’absence et 1182 jours de présence physique au Canada au cours des quatre (4) années précédentes. La période de référence pour les fins de sa demande de citoyenneté est du 11 mars 2009 au 11 mars 2013.

[2]  Le 11 septembre 2014, la demanderesse rencontre une agente de citoyenneté et réussit l’examen des connaissances.

[3]  Le 26 août 2016, l’agente de citoyenneté prépare à l’intention du juge de la citoyenneté un gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier. Elle indique avoir des préoccupations à l’égard de la crédibilité de la demanderesse. N’étant pas satisfaite que la demanderesse rencontre les exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985 c C-29 [Loi], elle recommande la tenue d’une entrevue. Le 29 mars 2017, la demanderesse se présente devant la juge de la citoyenneté.

[4]  Le 22 juin 2017, la juge de la citoyenneté rejette la demande de citoyenneté de la demanderesse. Elle juge non crédibles certaines des explications fournies par la demanderesse et conclut qu’il lui est impossible de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, le nombre de jours exacts pendant lesquels la demanderesse était effectivement au Canada au cours de la période de référence. Elle estime donc que la demanderesse ne respecte pas les exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, soit 1 095 jours de présence physique au Canada selon l’approche retenue dans Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232 (QL).

[5]  La demanderesse soutient que la juge de la citoyenneté a manqué à son obligation d’équité procédurale, notamment en lui refusant la possibilité de produire une preuve supplémentaire durant et après l’audience, laquelle aurait pu, selon la demanderesse, répondre aux préoccupations de la juge de la citoyenneté et corroborer sa présence effective au Canada. La demanderesse soutient également que la décision est déraisonnable au motif que la juge de la citoyenneté a erré dans son appréciation de la preuve documentaire et dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse.

[6]  Les parties conviennent que les décisions en matière de citoyenneté sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable puisqu’elles soulèvent des questions de fait et de droit (Ajwad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 217 au para 2; Fotros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 842 au para 16 [Fotros]; El-Husseini c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 116 au para 17 [El-Husseini]).

[7]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[8]  En matière d’équité procédurale, la norme de révision applicable est celle de la décision correcte (Khosa au para 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79). La question qui se pose en la matière n’est pas tant celle de savoir si la décision est correcte, mais si le processus suivi par le décideur a été équitable (Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 au para 15; Hashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154 au para 14; Krishnamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342 au para 13).

[9]  Dans un premier temps, la demanderesse soutient que la juge de la citoyenneté a enfreint les règles d’équité procédurale de trois (3) façons : (1) en ne lui communiquant pas avant l’entrevue les préoccupations relatives à sa crédibilité identifiées par l’agente en 2016; (2) en refusant qu’elle produise les éléments de preuve supplémentaire qu’elle avait en sa possession au moment de l’entrevue et qui, selon la demanderesse, lui auraient permis de valider sa crédibilité; et (3) en ne lui offrant pas la possibilité de produire ces preuves additionnelles après l’audience.

[10]  Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au demandeur de citoyenneté d’établir, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’une preuve suffisante, cohérente et crédible, qu’il satisfait aux exigences prévues par la Loi en matière de citoyenneté (Fotros au para 17; El-Husseini au para 19; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Pereira, 2014 CF 574 au para 21; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 145 au para 8; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1311 au para 14 [Zheng]).

[11]  Il est également bien établi que l’équité procédurale exige que le juge de la citoyenneté communique ses préoccupations et permette au demandeur de citoyenneté d’y répondre lors de l’entrevue (El-Husseini au para 21; Johar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1015 au para 41[Johar]. Cependant, le juge de la citoyenneté n’est pas tenu de fournir au demandeur de citoyenneté l’occasion de produire des documents supplémentaires (El-Husseini au para 19; Johar au para 41; Zheng au para 14).

[12]  En tenant compte de ces principes, la Cour n’est pas convaincue que les reproches formulés par la demanderesse constituent un manquement à l’équité procédurale en l’instance. Il appert de la décision et des notes de l’audience que les préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté ont été discutées lors de l’entrevue avec la juge de la citoyenneté. De plus, la juge de la citoyenneté a communiqué ses propres préoccupations à la demanderesse, notamment en lui posant des questions et en lui permettant d’y répondre. La Cour est d’avis que la demanderesse a été suffisamment informée durant l’audience que sa crédibilité était en cause. Malheureusement pour la demanderesse, ses réponses n’ont pas su convaincre la juge de la citoyenneté.

[13]  Par ailleurs, la Cour n’est pas persuadée que la demanderesse n’aurait pu faire suivre dans les soixante (60) jours après l’entrevue les documents qu’elle considérait déterminants pour répondre aux préoccupations soulevées par la juge de la citoyenneté.

[14]  Enfin, la Cour estime que même si la demanderesse avait déposé les documents D-20 à D-26.1, ces documents n’auraient pas permis de pallier l’absence de crédibilité de la demanderesse. Plusieurs des documents identifiés par la demanderesse comme étant des preuves « disponibles non demandées » ne sont que des indices passifs ne permettant pas de démontrer une présence effective au Canada. De plus, il appert des notes postérieures à l’entrevue que cette conclusion défavorable de crédibilité est basée, entre autres, sur le comportement de la demanderesse lors de l’entrevue. La juge de la citoyenneté souligne que la demanderesse n’écoutait pas les questions, lui coupait la parole et que ses réponses étaient longues et s’écartaient du sujet.

[15]  Dans un deuxième temps, la demanderesse soutient que la décision de la juge de la citoyenneté est déraisonnable. Elle reproche d’abord à la juge de la citoyenneté d’avoir tiré une conclusion défavorable de crédibilité en raison du fait qu’elle soit une femme au foyer. La Cour estime au contraire que la conclusion de la juge de la citoyenneté est plutôt fondée sur le fait que la demanderesse n’a pas été en mesure de décrire en quoi consistaient ses activités quotidiennes. Lorsqu’elle a été questionnée sur ses activités quotidiennes, la demanderesse a répondu qu’elle s’occupait de ses enfants. La juge a raisonnablement noté que les enfants étaient alors en âge de fréquenter l’école secondaire en 2009 et l’université par la suite. La demanderesse aurait pu appuyer ses prétentions en produisant les relevés scolaires de ses filles alors qu’elles étaient mineures et fréquentaient l’école secondaire en 2009. La documentation scolaire produite par la demanderesse ne vise que l’année scolaire 2011-2012. Pareillement, la demanderesse aurait pu produire de la preuve démontrant des liens sociaux durant cette période. Or, elle ne l’a pas fait. Il était donc raisonnable pour la juge de la citoyenneté de remettre en question la présence effective de la demanderesse au Canada en raison des réponses vagues qu’elle a fournies et de l’absence de preuve à cet effet. La Cour note d’ailleurs que les documents identifiés par la demanderesse dans le cadre de son argument sur l’équité procédurale n’appuient pas davantage ses prétentions.

[16]  La demanderesse conteste également les conclusions de la juge de la citoyenneté quant à son manque de crédibilité pour les faits et gestes de sa fille aînée, qui est majeure. Elle reproche à la juge de la citoyenneté d’avoir indiqué que sa fille aînée avait perdu son statut de résidente permanente du fait qu’elle ne respectait pas les exigences de la Loi. Selon la demanderesse, sa fille se serait plutôt désistée de sa demande de citoyenneté et de son appel devant la Section d’appel de l’immigration [SAI]. Elle reproche de plus à la juge de la citoyenneté d’avoir tiré une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité. Selon l’information que détenait la juge de la citoyenneté, la fille aînée de la demanderesse aurait déclaré aux agents d’immigration que la demanderesse et son époux auraient pris des mesures pour lui procurer de faux documents afin de simuler sa présence au Canada. La demanderesse fait valoir qu’elle ne peut être tenue responsable des gestes de sa fille, celle-ci étant majeure et indépendante de ses choix et faits.

[17]  La Cour estime que la demanderesse fait preuve d’un formalisme déraisonnable concernant la demande de citoyenneté présentée par sa fille aînée et la perte de son statut de résidente permanente. Si la fille aînée de la demanderesse s’est désistée de son appel à la SAI, c’est que son statut de résidente permanente était remis en question. Quant à l’allégation relative à l’utilisation de faux documents, il était raisonnable pour la juge de la citoyenneté de ne pas être satisfaite de la réponse de la demanderesse compte tenu des autres préoccupations qu’elle avait à l’égard de la crédibilité de la demanderesse. La demanderesse avait indiqué ne pas être au courant de ce que sa fille avait dit ou fait.

[18]  Finalement, la demanderesse allègue que la juge de la citoyenneté a erré en l’associant à un consultant qui aurait conseillé à des demandeurs de faire de fausses déclarations. La demanderesse a indiqué n’avoir retenu que ses services de comptable, et non de consultant en immigration, et avoir cessé de faire affaire avec lui en raison de ses honoraires élevés. Elle soutient qu’elle ne doit pas être pénalisée sans fondement pour les agissements d’un conseiller à l’égard d’autres demandeurs de citoyenneté et qu’il n’y avait aucune preuve démontrant qu’il l’aurait conseillé. Or, il appert du dossier que la carte d’affaires de l’individu en question a été trouvée dans les effets personnels de la demanderesse à son retour du Liban en 2014. Ajoutant cela à la déclaration faite par sa fille aînée relativement à l’obtention de faux documents, il était raisonnable pour la juge de la citoyenneté de ne pas être satisfaite de la réponse fournie par la demanderesse.

[19]  Jugeant la demanderesse non crédible à plusieurs égards, il était loisible à la juge de la citoyenneté d’accorder peu de poids à la preuve de la demanderesse. L’évaluation faite par la juge de la citoyenneté de la crédibilité de la demanderesse commande un haut niveau de déférence (Fotros au para 20). Il n’appartient pas à cette Cour de substituer son appréciation de la crédibilité de la demanderesse aux conclusions tirées par la juge de la citoyenneté.

[20]  En conclusion, la Cour est d’avis que la décision de la juge de la citoyenneté rejetant la demande de citoyenneté de la demanderesse au motif qu’elle ne satisfait pas le critère de la présence physique au Canada est raisonnable puisqu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47). L’intervention de cette Cour n’est donc pas justifiée.

[21]  En ce qui concerne l’objection soulevée par le défendeur relativement aux documents produits par la demanderesse en tant que nouvelle preuve devant cette Cour, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la recevabilité des documents vu la conclusion de la Cour.

[22]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier et la Cour est d’avis que cette affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier T-1363-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est amendé pour remplacer « Le Ministre de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada » par « Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1363-17

INTITULÉ :

AMAL HADDAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2018

COMPARUTIONS :

Joseph Daoura

Pour le DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Me Joseph Daoura

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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