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Date : 20180129


Dossier : IMM-3278-17

Référence : 2018 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 29 janvier 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

DAJEEVAN NADARASA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Dajeevan Nadarasa, est un Tamoul de la province du Nord du Sri Lanka. Après avoir fui son pays en passant par les États-Unis, il est arrivé au Canada le 3 octobre 2011, puis il a fait une demande d’asile. Le demandeur a affirmé qu’il a été interrogé et physiquement maltraité par des agents de la Division des enquêtes criminelles [DEC] en novembre 2009 et en janvier 2010 en raison de son appartenance ou de son soutien apparent aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. Il a ajouté qu’en février 2010, lui et sa sœur cadette ont été interrogés et battus par des agents de la DEC et qu’en avril 2011, il a été détenu par des membres du groupe militaire du Parti populaire démocratique de l’Eelam.

[2]  La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Division de la protection des réfugiés [DPR] en novembre 2012. La DPR a conclu que le témoignage du demandeur au sujet des événements survenus entre février 2010 et avril 2011 n’était pas crédible. Elle a également conclu que le demandeur ne risquerait probablement pas d’être persécuté à son retour au Sri Lanka. La Cour fédérale a refusé d’autoriser le contrôle judiciaire de la décision de la DPR le 10 juin 2013.

[3]  En mars 2014, le demandeur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], qui a été refusée le 8 juin 2015. Le 18 février 2016, j’ai annulé la décision de l’agent de l’ERAR au motif qu’il ne s’était pas fondé sur les renseignements les plus récents sur la situation du pays et qu’il n’avait pas tenu compte des renseignements pertinents fournis par des organismes crédibles et reconnus à l’échelle internationale (Nadarasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 224).

[4]  Le 29 mars 2016, le demandeur a mis à jour ses observations relatives à l’ERAR.

[5]  Dans une décision datée du 31 mai 2017, le deuxième agent de l’ERAR [l’agent] a rejeté la demande du demandeur. L’agent a conclu que le demandeur réaffirmait sensiblement les mêmes faits qui avaient été présentés à l’audience de la DPR et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer un changement important de sa situation personnelle. Pour ce qui est du risque que le demandeur subirait à son retour au Sri Lanka, l’agent a évalué la preuve documentaire et a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les autorités sri lankaises souhaiteraient grandement le cibler.

[6]  Le demandeur demande un contrôle judiciaire de la décision de l’agent au motif que celui-ci n’a pas évalué sa situation personnelle et son profil à la lumière des plus récents éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

II.  Analyse

[8]  Toute décision d’un agent de l’ERAR , y compris son évaluation des éléments de preuve, comporte des questions mixtes de fait et de droit et, en l’occurrence, est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Mbaraga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580, au paragraphe 22; Kulanayagam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, au paragraphe 21; Hernandez Malvaez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 128, au paragraphe 22). Lorsqu’elle revoit une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus de prise de décision et établir si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[9]  Le demandeur fait aussi valoir que durant l’évaluation des plus récents éléments de preuve relatifs aux conditions au Sri Lanka, l’agent omis de tenir compte du fait que le demandeur était un jeune Tamoul qui retournait au Sri Lanka, qui avait été interrogé et battu par la DEC dans le passé, qui portait des marques de torture et dont la famille avait été persécutée par les forces de sécurité en raison de ses liens présumés avec les TLET.

[10]  Le demandeur soutient que son profil en tant que personne interrogée et battue par les forces de sécurité au Sri Lanka n’est pas contesté puisque la DPR n’a pas tiré de conclusion explicite sur la crédibilité de l’allégation du demandeur selon laquelle il a été détenu et maltraité en novembre 2009 et en janvier 2010. Selon le demandeur, il est évident, d’après la décision, que l’agent n’a pas tenu compte de cette partie particulière de son profil étant donné que la preuve documentaire sur laquelle l’agent s’est fondé corroborait clairement la persécution des personnes dans sa situation à leur retour au Sri Lanka. En particulier, il s’appuie sur une partie de la décision de l’agent portant sur le rapport de juin 2017 du Home Office du Royaume-Uni [Home Office du RU], lequel fait référence à une décision du Upper Tribunal du Royaume-Uni, rendue en 2013. Dans ce rapport, il est constaté, entre autres, que si une personne est détenue par les services de sécurité sri lankais, il subsiste un risque réel de mauvais traitements ou de préjudices nécessitant une protection internationale.

[11]  Les faits présentés par le demandeur ne parviennent pas à me convaincre.

[12]  Je conviens que la DPR n’a pas tiré de conclusion sur la crédibilité de l’allégation du demandeur selon laquelle il a été interrogé et physiquement maltraité par la DEC en novembre 2009 et en janvier 2010. Cependant, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte de cet élément. L’agent renvoie clairement à l’allégation du demandeur dans la première partie de son évaluation des risques.

[13]  De plus, l’extrait sur lequel le demandeur s’appuie pour soutenir son argument selon lequel il a le profil d’une personne à risque à son retour au Sri Lanka doit être remis en contexte. Le rapport du Home Office du RU indique également que, depuis la décision du Upper Tribunal en 2013, un nouveau gouvernement est entré en fonction en janvier 2015 et le pays connaît depuis des développements favorables. Contrairement à ce qui se faisait dans le passé, les rapatriés qui ont déjà eu des liens avec les TLET peuvent retourner dans leurs collectivités sans subir de mauvais traitements. Le cas échéant, la police ne s’intéresse pas tant aux relations d’une personne avec les TLET, mais plutôt à la possibilité que cette personne ait commis un acte criminel. Le rapport indique également que les personnes les plus à risque sont celles qui présentent une menace réelle ou apparente parce qu’elles jouent, ou semblent jouer, un rôle important dans le contexte du séparatisme d’après-conflit. Selon le rapport, les personnes qui jouent un « rôle important » sont les anciens leaders et membres des TLET soupçonnés d’avoir commis des actes terroristes ou des actes criminels graves durant le conflit.

[14]  Dans sa décision, l’agent a examiné aussi bien la preuve documentaire présentée par le demandeur que la preuve recueillie dans le cadre de son examen indépendant de la situation générale au Sri Lanka. Après avoir mentionné quelques-unes des preuves documentaires les plus récentes, l’agent a souligné que les personnes les plus à risque sont celles qui ont un lien réel ou perçu avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, celles qui ont fait ou continuent de faire la promotion de l’indépendance, celles qui se sont montrées critiques envers le gouvernement sri-lankais comme les journalistes et les défenseurs des droits de la personne, et celles qui sont recherchées pour des crimes commis au Sri Lanka avant de quitter le pays, y compris celles qui l’ont fait illégalement. L’agent a ensuite souligné que le demandeur n’a pas présenté de preuves pour démontrer que ces facteurs de risque entrent en ligne de compte dans son cas ou que les autorités sri-lankaises auraient un intérêt substantiel à le cibler. L’agent a donc conclu que la situation actuelle dans le pays ne comportait pas de nouveaux risques pour le demandeur. Après avoir examiné le dossier et la décision de l’agent, je suis convaincue que la conclusion de l’agent était raisonnable.

[15]  Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en rejetant les deux (2) photographies montrant des cicatrices sur son corps, qu’il lui avait présentées à titre de preuve nouvelle qui, selon le demandeur, constitue un autre facteur mettant sa vie en danger s’il retourne au Sri Lanka. L’agent a conclu que cette preuve n’était pas nouvelle puisque ces blessures existaient lors de l’audience devant la SPR. L’agent a aussi conclu que les photographies étaient floues et n’illustraient pas clairement les marques, ni que les blessures correspondaient à celles d’une personne ayant été victime de torture. Le demandeur ne m’a pas convaincu que la conclusion de l’agent est déraisonnable.

[16]  Enfin, le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il était également en danger à cause des membres de sa famille, deux (2) frères et une (1) sœur, qui ont été admis comme réfugiés parce qu’ils avaient été persécutés par les forces de sécurité, car on les soupçonnait d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il soutient également que l’agent a commis une erreur en concluant que le formulaire de renseignements personnels et la décision relative au statut de réfugié de sa sœur aînée ne constituaient pas une nouvelle preuve au motif qu’elle était antérieure à l’audience devant la SPR. En outre, aucun motif n’a été fourni pour expliquer pourquoi la preuve n’avait pas été normalement accessible ou pourquoi le demandeur, selon toute attente raisonnable, n’a pas présenté cette preuve devant la SPR.

[17]  Je conviens que le demandeur a fourni un motif expliquant pourquoi il n’avait pas produit les documents de sa sœur aînée lors de l’audience devant la SPR. Il a indiqué que sa sœur avait été incapable de les trouver. Quant à savoir si ce motif constitue une explication raisonnable et suffit pour justifier la caractérisation de la documentation comme un nouvel élément de preuve, je conclus que le traitement effectué par l’agent des nouveaux documents du demandeur n’était pas un facteur déterminant. L’agent a souligné que même s’il acceptait les documents du demandeur, la sœur du demandeur avait quitté le Sri Lanka en 2002. Les documents ne concernent pas les expériences de la famille après cette date et ne corroborent pas les déclarations du demandeur voulant qu’il ait été harcelé par les autorités sri-lankaises en 2009 et 2010.

[18]  En ce qui concerne les deux (2) frères du demandeur, l’agent a souligné qu’ils s’étaient enfuis du Sri Lanka pour échapper à la persécution des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et qu’ils avaient été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention. Bien qu’il ait accordé peu d’importance à la lettre signée par les deux frères du fait qu’elle ne fournissait pas de détails et ne corroborait pas les expériences du demandeur, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas pris en considération leur statut de revendicateurs du statut de réfugié.

[19]  Étant donné les profils dressés par l’agent dans son évaluation des conditions générales actuelles dans le pays des personnes qui sont les plus à risque, il lui était raisonnablement loisible de conclure que le statut de réfugiés des membres de la famille du demandeur ne constituait pas un facteur de risque pour le demandeur.

[20]  En résumé, le demandeur n’a pas démontré que l’évaluation par l’agent de sa situation personnelle et des preuves concernant la situation dans le pays était déraisonnable. De plus, après avoir examiné les prétentions du demandeur, je conclus qu’il demande essentiellement à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve dont l’agent d’ERAR disposait et d’arriver à une conclusion différente. Tel n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire (Kadder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 454 au paragraphe 15; Khosa au paragraphe 61).

[21]  Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable, puisqu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au paragraphe 47). En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et je conviens qu’aucune n’est soulevée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER DE LA COUR IMM-3278-17

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3278-17

INTITULÉ :

DAJEEVAN NADARASA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUéBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JANVIER 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

lE 29 JANVIER 2018

COMPARUTIONS :

Viken Artinian

POUR LE DEMANDEUR

Andréane Joanette-Laflamme

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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