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Date : 20180213


Dossier : IMM-3076-17

Référence : 2018 CF 163

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 13 février 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NENMEI MA

SHUQIN CHEN

LIQIN CHEN

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demanderesses sont une mère (la demanderesse principale) et ses deux filles mineures chinoises. Elles sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 juin 2017 par la Section d’appel des réfugiés, laquelle a rejeté leur appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle elles n’ont pas qualité de réfugiées au sens de la Convention ou de personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que l’assignation produite par la demanderesse principale pour démontrer qu’elle était recherchée par le Bureau de la sécurité publique et les autorités de la planification familiale en Chine était fausse. En outre, il aurait été impossible que les demanderesses quittent la Chine sans attirer l’attention des autorités, si l’assignation avait été authentique, conclut-elle.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, car l’analyse par la Section d’appel des réfugiés de l’assignation est déraisonnable et que cette analyse a teinté ses autres conclusions.

I.  Résumé des faits

[4]  La demanderesse principale soutient être de confession catholique romaine depuis l’âge de 20 ans et appartenir à une église clandestine. Elle affirme avoir été obligée de porter un dispositif intra-utérin après la naissance de sa fille aînée. Puis, après la nouvelle de sa deuxième grossesse, elle a vécu cachée. Les autorités de la planification familiale l’auraient recherchée et lui auraient laissé un avis d’amende après qu’elle eut manqué des rendez-vous. La demanderesse principale a donné naissance à son deuxième enfant, et a reçu une nouvelle amende des autorités de la planification familiale.

[5]  En mai 2012, elle a trouvé un médecin qui insérerait, puis retirerait son dispositif intra-utérin lors des rendez-vous avec les autorités de la planification familiale. En décembre 2015, la demanderesse principale a appris que le médecin et une autre femme de son église, laquelle utilisait aussi les services dudit médecin, avaient été arrêtés. La demanderesse principale s’est de nouveau cachée. Le Bureau de la sécurité publique a délivré une assignation visant la demanderesse principale. Elle soutient qu’elle et son mari ont perdu leur emploi à cause de cette assignation; leur aînée a également été suspendue de l’école.

[6]  La demanderesse principale et ses deux filles ont quitté la Chine le 17 février 2016 en ayant recours à l’aide d’un passeur, puis elles sont arrivées au Canada en provenance des États-Unis.

[7]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile des demanderesses le 23 décembre 2016. Elles ont interjeté appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés.

II.  Décision de la Section d’appel des réfugiés

[8]  La Section d’appel des réfugiés, examinant l’appel, a fait remarquer que les deux principaux points en litige étaient d’une part les conclusions sur la crédibilité, et d’autre part, le risque de persécution en raison de la politique de planification familiale chinoise.

[9]  La Section d’appel des réfugiés a confirmé plusieurs conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité des demanderesses. La Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demanderesses du fait qu’elles ont quitté la Chine par un point de contrôle douanier en utilisant leurs véritables pièces d’identité alors que la demanderesse principale était soi-disant recherchée par les autorités chinoises. La Section d’appel des réfugiés a confirmé cette conclusion, soulignant que les documents officiels démontraient que les agents de sécurité aux aéroports avaient accès à une base de données en ligne de personnes recherchées. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont rejeté l’explication des demanderesses voulant que leur passeur eût arrangé leur passage avec les autorités douanières. Bien qu’il soit possible qu’un passeur contourne certains contrôles de sécurité, fait remarquer la Section d’appel des réfugiés, il est fort peu probable que les demanderesses aient pu tous les éviter. À ce titre, la Section d’appel des réfugiés a préféré invoquer les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays d’origine, plutôt que la jurisprudence de la Cour fédérale.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a également rejeté l’assignation qui aurait été signifiée aux demanderesses, car elle ne correspondait pas au modèle habituel des assignations communes à l’ensemble de la Chine. Il s’agissait là d’un élément déterminant pour la Section d’appel des réfugiés. Elle a ainsi conclu que la demanderesse principale n’était pas recherchée par les autorités chinoises, et que ses allégations de persécution religieuse et d’insertion illégale de dispositif intra-utérin n’étaient pas crédibles.

[11]  Quant à la question de l’imposition de dispositif intra-utérin, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés voulant que la réglementation chinoise n’impose pas le port d’un dispositif intra-utérin. La Section d’appel des réfugiés a écarté la jurisprudence de la Cour fédérale laquelle a établi que l’imposition du port d’un dispositif intra-utérin ainsi que des examens périodiques réguliers enfreignait le droit à la liberté. La Section d’appel des réfugiés a fait référence à des documents indiquant que le port d’un dispositif intra-utérin n’était pas obligatoire en Chine. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la demanderesse principale n’était pas parvenue à surmonter les préoccupations liées à sa crédibilité et voulant qu’elle n’eût jamais été obligée de porter un dispositif intra-utérin.

[12]  De façon similaire, la Section d’appel des réfugiés a confirmé que ces conclusions ont entaché la crédibilité de la demanderesse principale quant à sa pratique du christianisme en Chine. La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’elle ne pratiquait pas sa foi chrétienne en Chine et qu’elle n’était pas recherchée par les autorités chinoises. La Section d’appel des réfugiés a conséquemment conclu que la demande d’asile sur place n’était pas fondée.

[13]  La Section d’appel des réfugiés a rejeté les prétentions des demanderesses.

III.  Question en litige

[14]  Les demanderesses et le défendeur soulèvent différentes questions. Toutefois, la question déterminante porte sur le traitement par la Section d’appel des réfugiés de l’assignation, de laquelle découlent toutes les autres questions.

IV.  Norme de contrôle

[15]  La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1020, au paragraphe 7).

V.  Discussion

[16]  Les demanderesses soutiennent la conclusion de la Section d’appel des réfugiés voulant que l’assignation soit fausse est déraisonnable. De plus, elles avancent que cette conclusion est venue teinter le traitement par la Section d’appel des réfugiés de tous les autres volets de leur demande.

[17]  La Section d’appel des réfugiés a fondé ses conclusions sur son appréciation des éléments de preuve documentaire quant à l’uniformité des assignations en Chine, et plus particulièrement sur un exemple d’assignation de 2013. La Section d’appel des réfugiés a conclu que l’assignation produite par la demanderesse principale était fausse en raison de différences entre celle-ci et l’exemple figurant dans les éléments de preuve documentaire.

[18]  Or, les demanderesses soutiennent que l’assignation figurant dans les éléments de preuve documentaire remonte à 2013 et ne peut pas tenir lieu d’élément probant. De plus, elles soutiennent que même s’il y avait des différences entre les assignations, elles sont de nature microscopique.

[19]  En outre, si l’assignation n’est pas fausse, elle démontre de façon concluante que la demanderesse principale est recherchée en Chine. Ainsi, le reste de la décision est discutable puisqu’il [traduction] « repose si fortement » sur cette seule conclusion (Ye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1381, au paragraphe 3).

[20]  La position des demanderesses est appuyée par une décision de la Cour fédérale. Dans la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288 [Lin], la Cour a déclaré :

[52] J’accepte l’argument du demandeur suivant lequel cette conclusion était entièrement déraisonnable. La RDI CHN42444.EF, sur laquelle la SPR s’est fondée, remonte à juin 2004. Il est fort peu probable que ce document ait pu constituer une source fiable pour savoir ce à quoi pouvait ressembler une assignation délivrée en 2009. En tout état de cause, la RDI CHN42444.EF précise bien que les assignations données à titre d’exemple ne sont que des « modèles ».

[...]

[53] Par conséquent, suivant les renseignements contenus dans la RDI, le fait que l’assignation soit différente sous certains aspects des modèles proposés dans la RDI n’est ni surprenant ni douteux. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la SPR a commis l’erreur en rejetant son assignation en se fondant sur une interprétation trop stricte et en fin de compte erronée d’un document désuet.

[21]  De façon similaire, dans la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, au paragraphe 18, la Cour a tenu les propos suivants quant à une assignation désuète : « [u]ne assignation authentique de 2010 pourrait fort bien avoir une autre apparence ».

[22]  En l’espèce, les éléments de preuve documentaire de 2013 démontrent que le modèle d’assignation n’a pas été mis à jour depuis 2003. Toutefois, il n’y a aucun élément de preuve quant à la période courant de 2013 à la date de la décision de la Section d’appel des réfugiés. Il est tout à fait possible que de petites différences soient attribuables à des changements effectués dans l’intervalle.

[23]  De plus, les différences cernées dans le document ne sont pas importantes. Elles portent principalement sur des éléments de mise en forme et d’espacement des caractères et non sur le contenu lui-même. Par conséquent, l’assignation déposée par la demanderesse principale est conforme aux éléments de preuve documentaire, lesquelles démontrent que [traduction] « il ne devrait pas y avoir de différences régionales » observables dans les assignations, qui sont utilisées dans l’ensemble du pays. Toutes les différences soulignées par la Section d’appel des réfugiés sont microscopiques; elles ne sont pas raisonnables (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 44).

[24]  De plus, les conclusions subséquentes de la Section d’appel des réfugiés reposent sur sa conclusion quant à l’assignation. La Section d’appel des réfugiés a conclu que les « demanderesses avaient pu quitter la Chine en utilisant leurs propres pièces d’identité parce qu’elles n’étaient pas recherchées par le BSP... ». Cela constituait une conclusion clé quant à la crédibilité. De façon similaire, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les allégations quant à l’utilisation obligatoire d’un dispositif intra-utérin ainsi que les suivis de grossesse n’étaient pas crédibles en raison [traduction] « du manque de crédibilité quant à de nombreux éléments de la demande, notamment la présentation de faux documents ».

[25]  Finalement, la Section d’appel des réfugiés a mis en doute la foi chrétienne de la demanderesse principale parce qu’elle aurait présenté de [traduction] « faux documents ».

[26]  La Section d’appel des réfugiés, dans la mesure où elle a écarté d’autres éléments de preuve en raison de préoccupations liées à l’authenticité de l’assignation, n’aurait pas dû agir ainsi (Sterling c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 329, au paragraphe 12).

[27]  Par conséquent, la décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3076-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3076-17

INTITULÉ :

NENMEI MA, SHUQIN CHEN, LIQIN CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 13 février 2018

COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour les demanderesses

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis and Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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