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Date : 20180221


Dossier : IMM-3434-17

Référence : 2018 CF 187

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

XIAO QING LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration, en date du 17 juin 2017, qui a rejeté l’appel de la demanderesse, pour des motifs d’ordre humanitaire, d’une mesure d’interdiction de séjour prise par un agent d’immigration en raison du non-respect par la demanderesse des obligations de résidence aux fins du statut de résident permanent en application de l’article 28 de la LIPR (la décision). La demanderesse a admis à la Section d’appel de l’immigration son non-respect de l’article 28 de la LIPR, mais elle a sollicité une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire en application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, ce qui lui a été refusé.

II.  Exposé des faits

[2]  La demanderesse, âgée de 49 ans, son mari et ses deux fils (17 ans et 13 ans) sont des citoyens de la République populaire de Chine.

[3]  L’époux de la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie investisseur NV5 dans le cadre du Programme des candidats des provinces (PCP) du Québec vers le mois de mai 2005. La demanderesse et ses deux fils étaient inclus dans la demande à titre de personnes à charge. Par conséquent, la demanderesse, accompagnée de son mari et de ses deux fils, se sont établis en tant que résidents permanents le 23 décembre 2006.

[4]  Le 3 janvier 2007, environ dix jours après leur établissement, la demanderesse et sa famille sont retournées en Chine. Au cours de sept années qui suivirent, ils n’ont visité le Canada qu’à l’occasion.

[5]  En 2011, environ cinq ans après avoir obtenu leur statut de résidents permanents, la demanderesse et ses fils ont fait une demande de renouvellement de leurs cartes de résidents permanents. Pour ce faire, la mère a engagé les services d’une compagnie nommée New Can Consultants (Canada) Ltd./Wellong International Investments Ltd. (New Can).

[6]  New Can était gérée par Xun « Sunny » Wang. New Can facilitait frauduleusement l’obtention de faux documents d’emploi et d’autres documents pour les cartes de résidents permanents échues, et a fait de même pour la demanderesse. Bien qu’ils aient été préparés pour elle, elle n’a pas eu besoin d’utiliser les faux documents préparés par New Can. Il convient de mentionner le fait que M. Wang a été accusé et a plaidé coupable à un certain nombre d’accusations de fraude en matière d’immigration, impliquant ses autres clients, mais pas la demanderesse.

[7]  La demanderesse a témoigné devant la Section d’appel de l’immigration en disant qu’elle savait, au moment de faire le renouvellement de ses cartes de résidents permanents pour cinq années supplémentaires en 2011, que son nombre de jours de présence était insuffisant pour respecter les exigences en matière de résidence. La demanderesse a soutenu qu’elle avait été absente du Canada pendant 837 jours pendant la période pertinente qui s’étendait de 2006 à 2011. Toutefois, selon les tampons dans son passeport et l’historique de voyage du SIED de l’ASFC, la demanderesse s’était absentée du Canada 1 332 jours en tout pendant cette période de cinq ans. Les cartes de résidents permanents demandées ont été émises.

[8]  En 2014, la demanderesse est revenue au Canada avec ses fils dans l’intention de résider au Canada à long terme.

[9]  En 2015, l’époux de la demanderesse a renoncé à son statut de résident permanent canadien.

[10]  En avril 2016, en essayant d’entrer au Canada par les États-Unis, la demanderesse a été détenue et interrogée par un agent des services frontaliers de l’ASFC. À la suite de l’interrogatoire, en mai 2016, l’ASFC a préparé un rapport conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR soutenant que la demanderesse n’avait pas respecté son obligation de résidence en application de l’article 28 de la LIPR (rapport établi en application de l’article 44). La demanderesse a concédé s’être absentée plus que les 730 jours autorisés. En fait, l’ASFC a calculé qu’elle avait été absente 1 261 jours, soit beaucoup plus que ce qui est permis pour la période allant de 2011 à 2016. Le rapport établi en application de l’article 44 a également conclu que la demanderesse avait fait indirectement ou directement de fausses déclarations en 2011, dans sa demande de renouvellement des cartes de résidents permanents, parce qu’elle avait omis certaines dates de voyage et n’avait pas correctement calculé les jours d’absence du Canada.

[11]  Les remarques jointes au rapport établi en application de l’article 44 soutiennent que le fondateur de New Can a conseillé à ses clients, dont la demanderesse faisait partie, de faire certaines fausses déclarations afin de conserver le statut de résident permanent canadien. Les remarques recommandent que, si la demanderesse interjette appel de la mesure d’interdiction de séjour qui a été prise à son égard, elle soit convoquée à une enquête et qu’une mesure d’exclusion de cinq ans pour fausses déclarations soit prise à son encontre, en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[12]  En juillet 2016, après avoir été invitée à faire des observations sur les motifs pour lesquels une mesure de renvoi ne devrait pas être prise, la demanderesse a été convoquée à une entrevue avec le délégué du ministre pour répondre aux questions concernant son non-respect des obligations de résidence au cours des cinq années précédentes, c’est-à-dire entre 2011 et 2016.

[13]  À la fin de l’entrevue, le délégué du ministre a conclu que la demanderesse n’avait pas respecté son obligation de résidence. Le délégué du ministre a conclu de plus que les motifs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur le fait que la demanderesse n’avait pas maintenu son obligation de résidence. Le délégué du ministre a signé une mesure d’interdiction de séjour.

[14]  Aucune conclusion de fausses déclarations n’a été entamée ou faite contre la demanderesse.

[15]  La demanderesse a interjeté appel à la Section d’appel de l’immigration et a sollicité une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. À l’issue d’une audience, la Section d’appel de l’immigration a rejeté son appel.

III.  Décision

[16]  La demanderesse accepte le fait qu’elle a manqué à ses obligations de résidence entre 2011 et 2016. Par conséquent, la seule question en litige devant la Section d’appel de l’immigration était la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse. La demanderesse a soutenu qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire importants pour que la Section d’appel de l’immigration puisse exercer sa « compétence en équité » conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR et lui accorder une dispense.

[17]  Le 17 juillet 2017, la Section d’appel de l’immigration a confirmé la décision du délégué du ministre de prendre une mesure d’interdiction de séjour, a refusé d’octroyer une dispense pour motifs d’ordre humanitaire en application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR et a rejeté son appel.

[18]  En résumé, pour arriver à sa conclusion, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la crédibilité de la demanderesse avait été entamée par son témoignage concernant ses rapports avec New Can en 2011 et par son témoignage devant la Section d’appel de l’immigration en 2016, nécessitant une obligation plus élevée de facteurs d’ordre humanitaire favorables. En outre, la Section d’appel de l’immigration a conclu que, bien que la demanderesse ait un établissement positif au Canada, le poids qu’il porte a été affecté négativement par le moment de son acquisition. La Section d’appel de l’immigration a également souligné que la demanderesse et sa famille continuaient d’avoir un établissement considérable en Chine.

[19]  En tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (ISE), la Section d’appel de l’immigration a indiqué, entre autres, ce qui suit :

[traduction] Il ne peut pas être affirmé clairement, d’une façon ou d’une autre, qu’il soit dans l’intérêt supérieur des garçons que la famille réside ensemble en Chine ou qu’ils soient séparés de leurs parents, mais qu’ils demeurent au Canada. Par conséquent, l’intérêt supérieur des enfants devient un facteur neutre en l’espèce.

IV.  Questions en litige

[20]  La demanderesse soulève les questions suivantes pour examen :

  • 1) La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’ISE?

  • 2) La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et en ne tenant pas compte de l’établissement survenu après la date de la mesure de renvoi?

  • 3) La Section d’appel de l’immigration a-t-elle tiré une conclusion de fausses déclarations voilée qui a entaché la décision en entier, la rendant ainsi déraisonnable?

[21]  La question générale à trancher est de savoir si la décision de la Section d’appel de l’immigration était raisonnable.

V.  Norme de contrôle

[22]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi, aux paragraphes 57 et 62, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La Cour suprême a décidé que la norme de contrôle en application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 à 59. La raisonnabilité est la norme de la décision raisonnable.

[23]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[24]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte, et au vu du dossier, est raisonnable (Construction Labour RelationsDriver Iron Inc., 2012 CSC 65; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

[25]  Il est bon de répéter qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire constitue un recours exceptionnel et extraordinaire, voir Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, selon le juge Gascon, au paragraphe 15 :

[15]  Il est de jurisprudence constante qu’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 [ Legault], au paragraphe 15; Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193 [Adams], au paragraphe 30). Ce recours n’appartient pas aux catégories d’immigration normales, ou à ce qui est décrit comme « l’asile », par lesquelles les étrangers peuvent venir au Canada de façon permanente, mais constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels. Une telle exemption « ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement ni à offrir un mécanisme d’appel aux demandeurs d’asile » ou aux demandeurs de résidence permanente déboutés (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy CAF], au paragraphe 40).

[26]  À cet égard, voir également la décision du juge en chef Crampton dans Santiago c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, aux paragraphes 27 et 28, celle du juge Shore dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177, au paragraphe 16, et ma décision dans Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904, au paragraphe 24.

VI.  Analyse

A.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants (ISE) en l’espèce?

[27]  La demanderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants. En particulier, la demanderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas fait une évaluation appropriée et établi un juste équilibre de l’intérêt supérieur des enfants, ce qui, selon la demanderesse, était le facteur le plus important dans l’appel de la demanderesse. La demanderesse allègue que la Section d’appel de l’immigration n’a pris aucune décision concluante à l’égard de l’intérêt supérieur des enfants et que, en ne le faisant pas, la Section d’appel de l’immigration n’a pas exercé son pouvoir de manière appropriée conformément au paragraphe 67(1) de la LIPR. Selon les termes de la demanderesse, [traduction] « la (SAI) a, en effet, esquivé sa responsabilité de tirer une conclusion précise quant à l’intérêt supérieur des enfants, comme le requiert la jurisprudence. »

[28]  La demanderesse affirme également que les conclusions de la Section d’appel de l’immigration démontrent que la Section d’appel de l’immigration n’était pas réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Une telle conclusion de la Section d’appel de l’immigration qu’elle critique est :

Quand la preuve pertinente est soupesée, je conclus que, bien que les enfants préfèrent que la Section d’appel de l’immigration permette à leur mère de rester au Canada et pour eux de continuer à profiter du confort dans lequel ils vivent actuellement au Canada, cela ne veut pas nécessairement dire que le fait de le faire est dans leur intérêt supérieur.

[29]  Respectueusement, je ne suis pas convaincu que l’évaluation que la Section d’appel de l’immigration a faite de l’intérêt supérieur des enfants était déraisonnable. Au départ, le défendeur a soutenu à l’audience, mais non dans son mémoire, que l’analyse « complète » de l’intérêt supérieur des enfants n’est requise que dans le cadre d’une analyse des motifs d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la LIPR. Je suis d’accord pour dire que cet argument se retrouve dans Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 [Lewis], au paragraphe 74, où le juge Gleason, au nom de la Cour d’appel fédérale, a déclaré ce qui suit :

[74]  À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas d’accord avec M. Lewis et l’intervenante qui soutiennent que l’arrêt Kanthasamy exige qu’une véritable analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant soit entreprise avant qu’un parent de l’enfant puisse être renvoyé du Canada ou que l’intérêt supérieur de l’enfant doive l’emporter sur les autres considérations dans l’analyse. À mon avis, l’arrêt Kanthasamy s’applique uniquement aux décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire prises en vertu de l’article 25 de la LIPR et, même dans ces cas, n’impose pas que l’intérêt supérieur des enfants doive nécessairement constituer la considération prioritaire.

[30]  Je note qu’à la fois le paragraphe 25(1) et l’alinéa 67(1)c) de la LIPR font précisément référence à l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Je note également que, dans Lewis, il s’agissait d’une mesure de renvoi en application de l’article 48 de la LIPR, tandis que, en l’espèce, la mesure est visée par l’article 67 :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[31]  J’admets qu’une analyse « complète » de l’intérêt supérieur des enfants est exigée en application de l’article 25 de la LIPR. Je tiens également compte de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Lewis.

[32]  J’ai conclu que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants requise en application de l’article 67 de la LIPR a été effectuée raisonnablement en l’espèce. De toute évidence et, respectueusement, la Section d’appel de l’immigration était réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des fils de la demanderesse. La Section d’appel de l’immigration a tenu compte d’un certain nombre de considérations, y compris si ses fils étaient bien intégrés dans leurs écoles canadiennes, s’ils se sont bien adaptés au Canada avec leur mère et leur préférence déclarée de rester au Canada. La Section d’appel de l’immigration a tenu compte de la déclaration du fils aîné qui indiquait que les garçons avaient [traduction] « peu de racines » en Chine et que leur scolarité serait perturbée s’ils retournaient en Chine. Elle en a expressément tenu compte, mais n’a trouvé aucune preuve convaincante du fait que la santé du benjamin serait touchée de manière importante s’il retournait en Chine; bien que cela ait été affirmé comme étant déraisonnable, je ne suis pas convaincu que la Section d’appel de l’immigration devrait être critiquée pour avoir écarté un sujet insignifiant. La Section d’appel de l’immigration a également tenu compte du fait que les deux fils parlent le mandarin, ont vécu la plus grande partie de leur vie en Chine jusqu’en 2014, avaient de la famille, y compris leurs grands-parents et leur père, en Chine, avait suffisamment d’argent pour survenir à leurs besoins en Chine, et avaient accès à une éducation « internationale » occidentalisée en Chine où la langue d’enseignement est l’anglais. En plus, la Section d’appel de l’immigration a tenu compte du fait que, s’ils étaient renvoyés, les fils seraient avec leur mère et leur père.

[33]  La demanderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas évalué la possibilité que la mère demeure avec ses deux fils au Canada. Respectueusement, cette affirmation n’a aucun fondement parce qu’elle est contraire à la conclusion que la demanderesse elle-même critique au paragraphe 28 ci-dessus, qui concerne l’évaluation par la Section d’appel de l’immigration de la possibilité que la mère reste au Canada avec ses deux fils. Pour le répéter ici par souci de commodité, la Section d’appel de l’immigration a conclu ce qui suit :

[traduction] Quand la preuve pertinente est soupesée, je conclus que, bien que les enfants préfèrent que la Section d’appel de l’immigration permette à leur mère de rester au Canada et pour eux de continuer à profiter du confort dans lequel ils vivent actuellement au Canada, cela ne veut pas nécessairement dire que le fait de le faire est dans leur intérêt supérieur.

[34]  Je suis également incapable de blâmer la Section d’appel de l’immigration pour avoir conclu, comme je le mentionne au paragraphe 19 ci-dessus, que : [traduction] « [i]l ne peut pas être affirmé clairement, d’une façon ou d’une autre, qu’il soit dans l’intérêt supérieur des garçons que la famille réside ensemble en Chine ou qu’ils soient séparés de leurs parents, mais qu’ils demeurent au Canada. Par conséquent, l’intérêt supérieur des enfants devient un facteur neutre en l’espèce. »

[35]  Je m’appuie sur plusieurs motifs pour arriver à cette conclusion. Il n’est pas contesté qu’il incombe à la demanderesse de défendre sa cause pour obtenir la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration n’était pas convaincue par ses observations et, par conséquent, la demande d’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse n’a pas été acceptée. Je suis d’accord pour dire que les décideurs devraient énoncer leurs conclusions directement et, lorsque cela est possible et acceptable, qu’ils peuvent raisonnablement se ranger d’un côté ou de l’autre. Toutefois, je ne suis pas convaincu non plus qu’une conclusion neutre est généralement inadmissible, ou qu’une conclusion précisément neutre était déraisonnable. Il ne s’agit pas de se soustraire à ses responsabilités. À mon humble avis, la Section d’appel de l’immigration a tout simplement pris une décision selon les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits dans le dossier en l’espèce.

B.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et en ne tenant pas compte de l’établissement survenu après la date de la mesure de renvoi?

[36]  La demanderesse soutient que, bien que la Section d’appel de l’immigration ait conclu qu’il y avait [traduction] « […] un établissement positif au Canada », faisant référence aux actifs importants de la demanderesse au Canada, y compris une maison de 8 millions de dollars à West Vancouver achetée en 2014 (cet actif et d’autres actifs au Canada valent plus de 10 millions de dollars), et le fait que ses enfants ont commencé à aller à l’école au Canada en 2014, la Section d’appel de l’immigration a quand même entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en écartant un tel établissement à cause du moment où il a eu lieu. La Section d’appel de l’immigration a conclu que les efforts de la demanderesse après 2014 constituaient [traduction] « plus probablement que le contraire une démarche visant à diversifier les biens de la famille à l’extérieur de la Chine et de prouver l’établissement dans le cadre de la présente procédure. »

[37]  La demanderesse soutient que les efforts qu’elle a déployés pour s’établir au Canada n’auraient pas pu être entrepris pour démontrer un établissement dans le cadre de son appel parce que son établissement avait eu lieu en 2014, tandis que la procédure d’appel n’a pas débuté avant la mesure d’interdiction de séjour de 2016. À cet égard, la demanderesse a identifié une conclusion déraisonnable dans la justification de la Section d’appel de l’immigration : l’établissement de la demanderesse en l’espèce s’est effectué avant plutôt qu’après la mesure de renvoi de 2016 et la procédure d’appel. Bien que la demanderesse ait fait état d’une évaluation déraisonnable, cela ne rend pas la décision de la Section d’appel de l’immigration, dans son ensemble, déraisonnable particulièrement étant donné son insignifiance relative.

[38]  Concernant la question soulevée, je ne suis pas convaincu que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte de l’établissement survenu après la mesure de renvoi. Je dis cela parce que la majeure partie, sinon la totalité, de l’établissement en l’espèce a eu lieu avant la mesure de renvoi et non après.

[39]  Après examen et réflexion, je ne suis pas en mesure de voir comment ces motifs soutiennent l’allégation d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

C.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle tiré une conclusion de fausses déclarations voilée qui a entaché la décision en entier, la rendant ainsi déraisonnable?

[40]  À cet égard, la demanderesse fait plusieurs observations. La demanderesse s’oppose à la déclaration de la Section d’appel de l’immigration, [traduction] « […] J’estime que le manque de crédibilité de la [demanderesse] requiert la présence de motifs d’ordre humanitaire très importants […] pour renverser le refus et la [mesure d’interdiction de territoire de séjour] qui en découle. » Cela dit, la demanderesse reconnaît, et cela a été établi, que plus une partie ne se conforme pas à son obligation de résidence, plus les motifs d’ordre humanitaire qui doivent être présentés au dossier de la partie doivent surmonter ce manque de conformité. La demanderesse convient et il a également été établi que la crédibilité peut être pertinente parce qu’elle peut faire en sorte que la Section d’appel de l’immigration accorde moins de poids aux explications ou aux considérations exposées par un demandeur.

[41]  La demanderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration a confondu la question de non-conformité avec la question de la crédibilité : elle soutient que le manque de crédibilité de son côté ne peut pas nécessiter une exigence plus élevée en matière de motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse souligne que l’ASFC n’a pas donné suite à une allégation de fausses déclarations, et en effet, comme cela a déjà été noté, aucune allégation de la sorte n’a été portée contre elle. En obligeant la demanderesse à satisfaire à un seuil plus élevé en matière de motifs d’ordre humanitaire à cause de son prétendu manque de crédibilité, la demanderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration a traité son affaire comme si elle comprenait une conclusion de fausses déclarations, ce qui n’est pas le cas. La demanderesse soutient que la conclusion de la Section d’appel de l’immigration a ainsi été viciée et que cela la rend déraisonnable.

[42]  Une évaluation dans cette voie doit débuter par les préoccupations en matière de crédibilité de la Section d’appel de l’immigration. En l’espèce, les préoccupations en matière de crédibilité que la Cour considère comme pertinentes sont doubles : ce qui a résulté de la relation de la demanderesse avec son consultant New Can en 2011, et ce qui a résulté de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration, cinq ans plus tard en 2016.

[43]  Concernant la demande de renouvellement de ses cartes de résidents permanents effectuée en 2011, ainsi que ses transactions avec New Can, le fait est que la demanderesse savait, comme elle l’a concédé lors de son interrogatoire devant la Section d’appel de l’immigration, qu’elle n’était pas restée au Canada un nombre suffisant de jours pour appuyer le renouvellement de ses cartes de résident permanents. À cet égard, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la demanderesse était mélodramatique et semblait [traduction] « faire montre d’aveugle volontaire par moments au sujet des circonstances dans lesquelles elle avait retenu les services de [New Can] pour l’aider à conserver son statut de résident permanent malgré le fait qu’elle avait passé autant de temps à l’étranger ». Cette conclusion au dossier était justifiée.

[44]  Me penchant sur l’audience de la Section d’appel de l’immigration en 2016, cinq ans après que la demanderesse a fait appel à New Can et sa demande de renouvellement douteuse, la Section d’appel de l’immigration a conclu que des questions de crédibilité étaient toujours présentes dans le témoignage de la demanderesse, que la Section d’appel de l’immigration résume comme suit. À mon humble avis, les conclusions de la Section d’appel de l’immigration qui suivent sont appuyées par le dossier :

[traduction]

Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’un cas de « fausses déclarations » – et je ne tire aucune conclusion à cet égard –, la crédibilité de [la demanderesse] est à mon avis diminuée lorsque celle-ci s’accroche à l’idée qu’elle ne savait pas que [New Can] était, à tout le moins, une entreprise frauduleuse et que son « emploi », que la firme a procuré, était totalement fictif.

L’intimé soutient que la carte de résident permanent de [la demanderesse] n’aurait probablement pas été renouvelée si l’appelante avait été honnête avec les responsables de l’immigration qui ont pris la décision. Je suis d’accord; il n’est tout simplement pas crédible que [la demanderesse] n’ait pas su ce qu’elle faisait. J’estime que, si [la demanderesse] avait reconnu devant le tribunal qu’elle avait essayé de « faire un tour de passe-passe » en retenant les services de [New Can], elle serait jugée beaucoup plus crédible qu’il m’est permis de le faire par rapport à l’ensemble de son témoignage. Il s’agit d’un facteur très défavorable en l’espèce. J’estime que le manque de crédibilité de [la demanderesse] requiert la présence de motifs d’ordre humanitaire très importants (voir ci-après) pour renverser le refus et la [mesure d’interdiction de séjour] qui en découle.

[45]  Le résultat en l’espèce présente des questions de crédibilité, appuyées par le dossier, concernant le comportement de la demanderesse en 2011. Des questions de crédibilité supplémentaires ont persisté et d’une certaine manière ont été amplifiées cinq ans plus tard quand la demanderesse a témoigné devant la Section d’appel de l’immigration, demandant alors la prise d’une mesure extraordinaire et discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire.

[46]  En litige se trouve la question de savoir ce qu’il faut faire de ces conclusions, appuyées comme elles le sont dans le dossier.

[47]  Le fait que le défendeur n’a pas donné suite à l’allégation de fausses déclarations ne change en rien le droit de la Section d’appel de l’immigration de tirer ces conclusions en matière de crédibilité. Plus fondamentalement, en effet, on me demande de ne pas tenir compte ou d’ignorer le comportement de la demanderesse et son témoignage, ainsi que les conclusions défavorables qui en ont été tirées parce qu’une audience sur les fausses déclarations n’a pas été effectuée. Humblement, et en dépit des observations de l’avocate, je ne peux pas accepter cette position. Ces questions ont été présentées à la demanderesse pendant l’audience de la Section d’appel de l’immigration où elle était représentée. Le droit établit que tous les facteurs pertinents doivent être examinés dans une demande pour des motifs d’ordre humanitaire – voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 25 :

[25]  Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Baker, par. 74-75).

[Souligné dans l’original]

[48]  Le comportement de la demanderesse en 2011 avec New Can était une préoccupation pour l’agent de l’ASFC qui a rédigé le rapport établi en application de l’article 44. C’était également une préoccupation pour le délégué du ministre qui appuyait le rapport établi en application de l’article 44. Le fait que c’était également une préoccupation pour la Section d’appel de l’immigration n’est pas surprenant; cela aurait été surprenant s’il en avait été autrement.

[49]  Il n’y a eu aucune audience voilée sur les fausses déclarations en l’espèce; ce qui s’est produit, c’est un examen raisonnable et équilibré des facteurs pertinents. À mon avis, la Section d’appel de l’immigration a agi dans les limites de son mandat conféré par la norme de la décision raisonnable pour examiner les questions de crédibilité en l’espèce, qui ont découlé de son comportement en 2011 et de son témoignage à cet égard et autrement en 2016.

[50]  Je devrais ajouter que je n’accepte pas l’argument selon lequel les commentaires de la Section d’appel de l’immigration, qui faisaient référence au paragraphe 40 des présents motifs fournis par l’enquêteur en l’espèce, tirent des conclusions de droit différentes de celles déjà acceptées.

VII.  Conclusion

[51]  À ce stade-ci, la Cour doit prendre du recul et respecter la décision de la Section d’appel de l’immigration dans son ensemble, en se rappelant que le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, et qu’une mesure fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une mesure extraordinaire et discrétionnaire. Dans l’ensemble, je suis arrivé à la conclusion que la décision est justifiable, transparente et intelligible. De plus, la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VIII.  Questions à certifier

[52]  Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3434-17

 

INTITULÉ :

XIAO QING LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

 

Pour la demanderesse

 

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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