Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180222


Dossier : T-496-17

Référence : 2018 CF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

CARON TRANSPORT LTD.

demanderesse

et

QUENCY WILLIAMS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un arbitre, qui a accueilli la plainte pour congédiement injustifié déposée par Quency Williams contre Caron Transport Ltd. (Caron), en application de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (Code du travail).

[2]  Caron a congédié M. Williams de son poste de camionneur en raison des menaces alléguées qu’il aurait proférées contre un collègue. Comme je l’exposerai plus en détail ci‑dessous, M. Williams souhaitait avoir une discussion avec le collègue à propos d’effets personnels qui avaient été volés dans son camion. Après s’être procuré une masse de 10 lb auprès d’un employé de l’atelier, M. Williams a emmené le collègue à un endroit où ils ne pourraient être entendus ou vus par d’autres employés. M. Williams a exprimé ses préoccupations à son collègue à propos du vol de ses effets personnels et lui a dit qu’il [traduction] « le surveillerait ». Le collègue a nié avoir pris quoi que ce soit dans les véhicules de M. Williams. Il y a deux versions contradictoires concernant ce qui s’est ensuite passé, mais il n’est pas contesté qu’une discussion a eu lieu, portant sur la masse, et que l’on a parlé de [traduction] « fracasser des os ». Caron a congédié M. Williams après cet incident. L’arbitre a conclu que, même si la conduite de M. Williams justifiait la prise de mesures disciplinaires, l’enquête sur l’incident menée par Caron a été inadéquate, et que la demanderesse n’avait pas établi que le congédiement était justifié, compte tenu des lacunes et des contradictions dans la preuve qui lui avait été présentée. L’arbitre a ordonné à Caron de verser des indemnités de départ à M. Williams.

[3]  Caron soutient que la décision de l’arbitre est déraisonnable et erronée pour les raisons suivantes : (i) les conclusions clés en matière de crédibilité sont ambigües; (ii) l’arbitre a omis d’appliquer les critères juridiques appropriés à la preuve et aux allégations subséquentes au congédiement; (iii) l’arbitre a privé Caron de son droit à l’équité procédurale durant et après l’audience. Caron soutient également que la décision de l’arbitre ne peut être maintenue à la lumière des mentalités contemporaines à l’égard de la violence en milieu de travail, comme en font foi les modifications apportées aux lois, aux règlements et à la jurisprudence. Caron affirme avoir agi en employeur responsable en adoptant une politique sur la violence en milieu de travail, en prenant des mesures pour informer son personnel de la politique et en l’appliquant lorsque M. Williams a menacé l’un de ses employés. Pour ces motifs, Caron demande que la décision de l’arbitre soit annulée et que la Cour rende une décision en sa faveur plutôt que de renvoyer l’affaire à un autre arbitre.

[4]  M. Williams, qui se représentait lui-même lors de l’audience devant l’arbitre et lors de l’audition de la présente demande, maintient qu’il a été congédié injustement, parce qu’il n’a menacé personne et que l’enquête de son employeur était inadéquate. Il soutient que la décision devrait être confirmée.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse.

I.  Résumé des faits

[6]  Quency Williams est né et a grandi en Géorgie, dans le sud des États-Unis. Il est arrivé au Canada en 1986 et il a fait carrière de footballeur professionnel à Calgary et à Winnipeg. M. Williams a été embauché comme camionneur chez Caron en juillet 2014. Il a affirmé dans son témoignage devant l’arbitre que c’était le meilleur emploi qu’il ait jamais eu, et qu’il envoyait la majorité de l’argent qu’il gagnait à sa famille aux États-Unis. Il dormait souvent dans son camion. Il a aussi affirmé qu’il [traduction] « pouvait à peine lire et écrire » et qu’il [traduction] « n’avait jamais lu un livre en entier » ou utilisé un ordinateur. M. Williams est un homme au gabarit imposant. Il a témoigné qu’il était conscient que sa taille pouvait intimider certaines personnes, c’est pourquoi, lorsqu’il s’adresse à quelqu’un, il préfère s’asseoir ou se tenir en contrebas de la personne à laquelle il parle.

[7]  Le 17 avril 2016, M. Williams souhaitait avoir un entretien privé avec Pierre Fortin, qui était superviseur de l’équipe des techniciens d’équipement lourd à l’entrepôt de Caron situé à Sherwood Park. Plus précisément, il souhaitait discuter de ses préoccupations concernant des effets personnels qui auraient disparu de son véhicule personnel et de son véhicule de travail pendant qu’ils étaient garés sur le terrain de Caron. Pour bien comprendre la situation, il convient de revenir un jour en arrière.

[8]  Ce jour-là, M. Fortin était arrivé tôt à l’atelier. Lors de son témoignage devant l’arbitre, il a affirmé qu’il avait constaté qu’un camion bloquait une entrée de l’atelier. Il est allé chercher les clés du camion pour le déplacer et, lorsqu’il a ouvert la porte, il a été surpris de trouver M. Williams qui dormait à l’intérieur. M. Fortin a affirmé qu’il s’était excusé auprès de M. Williams pour l’avoir dérangé. Il a ensuite refermé la porte et est parti sans déplacer le camion.

[9]  M. Williams a témoigné que, plus tard durant la journée, il a repensé à l’incident et aux objets personnels qui avaient été auparavant volés dans son camion. M. Williams ne croyait pas que son camion bloquait l’entrée. Il s’est donc demandé pour quelle raison M. Fortin était allé chercher les clés et avait ouvert la porte. Je souligne qu’il semble que M. Williams vivait bien dans son camion et que, par conséquent, il y gardait davantage d’effets personnels que les autres chauffeurs, et qu’il avait donc plus de raisons de se préoccuper des vols.

[10]  Dans l’après-midi du lendemain, M. Williams a avancé son camion dans la cour, et s’est approché d’un groupe de collègues. Il s’est procuré une masse de dix livres auprès de l’un des employés présents dans la cour (bien que les témoignages contenaient certaines incohérences sur la manière avec laquelle il se l’était procurée). Selon la preuve dont disposait l’arbitre, M. Williams a ensuite approché M. Fortin et l’a empoigné ou lui a mis la main sur l’épaule pour l’éloigner du groupe d’employés et l’amener jusque derrière un camion, afin qu’ils ne puissent être vus ou entendus des autres employés. M. Williams a affirmé avoir fait cela parce qu’il souhaitait discuter des vols survenus dans ses véhicules, et qu’il ne voulait pas mettre M. Fortin dans l’embarras en soulevant la question devant les autres employés.

[11]  Les collègues ont témoigné qu’ils avaient trouvé [traduction] « étrange » et « intimidant » que M. Williams amène M. Fortin derrière le camion; plusieurs ont affirmé qu’ils s’attendaient à entendre des cris ou une dispute violente. Aucun d’eux n’a été témoin de la discussion entre les deux hommes. M. Williams a affirmé qu’il avait dit à M. Fortin que des objets avaient été volés dans ses véhicules. M. Fortin a nié avoir pris quoi que ce soit dans le camion. M. Williams a dit qu’il n’accusait pas M. Fortin de vol parce qu’il ne l’avait pas vu en train de voler, mais il a ajouté qu’il [traduction] « surveillerait » M. Fortin. Après cet entretien relativement court, les deux hommes ont marché autour du camion puis sont revenus vers les autres employés dans la cour.

[12]  Sur le chemin du retour, une conversation a eu lieu au sujet de la masse. M. Fortin affirme qu’il a demandé à M. Williams pourquoi il avait une masse avec lui, et que M. Williams lui a répondu qu’il lui [traduction] « briserait les genoux et lui fracasserait la colonne vertébrale ». Dans son témoignage, M. Fortin n’a pas présenté cette remarque comme une menace de violence immédiate, mais plutôt comme une menace de ce qui lui arriverait si M. Williams le surprenait à voler dans son camion.

[13]  M. Williams a donné une version tout à fait différente de cet échange. Il a affirmé dans son témoignage qu’il avait utilisé la masse comme un [traduction] « bâton de marche », et qu’il l’avait déposée au sol durant la conversation. Il a affirmé qu’en revenant du camion, M. Fortin lui avait demandé à quoi servait la masse, et qu’il aurait énuméré plusieurs usages, y compris que [traduction] « anciennement, un maître aurait brisé les chevilles et les jambes de son esclave, et lui aurait fracassé le dos, pour donner une leçon aux esclaves ».

[14]  M. Fortin a rejoint le groupe d’employés, et M. Williams est monté dans son camion et est parti. M. Fortin a témoigné qu’il était [traduction] « anxieux, apeuré et effrayé » par la séquence des événements. Lorsque les autres employés lui ont demandé ce qui s’était passé, M. Fortin le leur a raconté, et plusieurs d’entre eux lui ont recommandé de signaler l’incident à la direction, puisqu’il s’agissait d’une menace. M. Fortin a suivi leur conseil, et a fait un signalement à la direction.

[15]  Le lendemain, M. Williams a été convoqué chez le gestionnaire du terminal, Kent Dewart, qui lui a demandé de rédiger sa version des faits et de la lui remettre au plus tard à midi ce jour-là. M. Williams lui a demandé s’ils pouvaient discuter de l’affaire, mais M. Dewart a refusé, lui disant de s’en tenir à rédiger sa déclaration. M. Williams a présenté sa déclaration écrite plus tard ce jour-là, et une déclaration complémentaire trois jours plus tard, soit le 21 avril 2016. L’entreprise a fait enquête à propos de l’incident en demandant à tous les employés qui étaient présents dans la cour de rédiger une déclaration.

[16]  Dans ses déclarations, M. Williams relate les détails des deux rencontres décrites ci-dessus; en ce qui concerne la conversation à propos de la masse, il affirme ce qui suit :

[traduction]

[M. Fortin] m’a demandé à quoi servait la masse, et j’ai répondu qu’une masse servait à cassé des choses comme des roches et à planté des pieux dans la terre et que, parfois, des gens s’en servaient pour briser les os des jambes et de la colonne! Elle sert aussi à réparer des choses tordues ou à les redresser.

[orthographe respectant le texte original]

[17]  L’arbitre a estimé que cette déclaration constituait le fondement de la décision de Caron de mettre fin à l’emploi de M. Williams : [traduction] « Comme Quency Williams a admis avoir menacé un employé, il a été licencié. » Cette déclaration est conforme au témoignage de M. Dewart, ainsi résumé au paragraphe 15 de la décision de l’arbitre :

[traduction]

La pièce no 7, la déclaration de M. William [sic], a été déposée en preuve; dans cette déclaration, M. Dewart affirme que Quency Williams a menacé M. Fortin avec une masse. « Vous avez saisi une masse et avez dit qu’elle servait à briser des os. Ça ressemble à une menace pour moi », a témoigné M. Dewart. Pierre Fortin a affirmé la même chose dans sa lettre, a précisé M. Dewart.

[18]  L’emploi de M. Williams a pris fin le 21 avril 2016, et il a eu quelques minutes pour rassembler ses effets personnels. La lettre de congédiement indique que les motifs du congédiement sont les suivants :

[traduction]

À la suite d’une enquête, les renseignements recueillis sont demeurés cohérents et indiquent que vous avez posé des gestes d’intimidation vis-à-vis votre collègue. Selon la définition que donne le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, l’intimidation est une forme de violence en milieu de travail et est considérée comme un motif suffisant de congédiement.

[19]  La lettre inclut également la phrase suivante : [traduction] « Tout geste de représailles est considéré comme une infraction criminelle et sera signalé immédiatement aux autorités compétentes. » M. Dewart a affirmé qu’il s’agissait d’une précision supplémentaire inhabituelle dans ce genre de lettre, et qu’elle avait été ajoutée parce que M. Fortin craignait que M. Williams use de représailles à son endroit.

[20]  Après le congédiement de M. Williams, plusieurs employés de Caron ont porté plainte à la police, alléguant que M. Williams avait un pistolet et qu’il avait menacé de tuer cinq employés de Caron qui avaient quelque chose à voir avec son congédiement. La GRC a déposé une accusation criminelle contre lui, et M. Williams a signé un engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de la common law, et de ne pas s’approcher des installations de Caron. Les accusations criminelles ont été abandonnées. Par suite de ces allégations, Caron a adopté des mesures de sécurité supplémentaires.

[21]  Le 13 mai 2016, M. Williams a déposé une plainte de congédiement injustifié auprès du ministère du Travail. Après une courte enquête, qui n’a pas permis de régler la plainte, M. Williams a demandé que l’affaire soit renvoyée à un arbitre. L’arbitre a examiné les témoignages de dix témoins et le dossier de preuve documentaire, et a conclu que Caron avait injustement congédié M. Williams. L’arbitre a conclu que sa réintégration n’était pas appropriée compte tenu des circonstances de l’affaire. Il a plutôt ordonné le versement de huit mois d’indemnités de départ, moins les sommes gagnées par M. Williams dans d’autres emplois.

II.  Questions en litige

[22]  Deux questions sont soulevées en l’espèce :

  • (i) La décision est-elle déraisonnable, au regard des faits et du droit?

  • (ii) L’arbitre a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[23]  Je dois souligner ici que la première question comporte un certain nombre d’éléments, qui seront exposés ci-après.

III.  Discussion

[24]  La norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre concernant le caractère injuste du congédiement, et les mesures de réparations accordées, est celle de la décision raisonnable : Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, au paragraphe 15 [Wilson]; Yue c Banque de Montréal, 2016 CAF 107, au paragraphe 5; Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33, aux paragraphes 32 à 34 [Payne]. La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12. Bien que la Cour d’appel fédérale ait indiqué que le droit n’est pas encore fixé sur ce point (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, au paragraphe 13), il n’est pas nécessaire que j’approfondisse cette question compte tenu de mes conclusions sur le sujet.

A.  La décision est-elle déraisonnable, au regard des faits et du droit?

[25]  Caron soutient que la décision de l’arbitre est déraisonnable en raison d’une variété d’erreurs. Caron affirme que l’arbitre n’a pas tiré de conclusions claires en matière de crédibilité, en présence d’éléments de preuve contradictoires, a commis une erreur dans l’application du critère relatif à un congédiement injustifié, surtout dans un contexte de violence en milieu de travail, et n’a pas tenu compte des agissements de M. Williams après son congédiement. Pour l’ensemble de ces motifs, Caron me demande de conclure que la conclusion de l’arbitre n’appartient pas aux issues possibles qui sont justifiables au regard des faits et du droit.

[26]  Caron demande à la Cour de retourner en arrière et d’examiner l’incident entre M. Williams et M. Fortin, en tenant compte des nouvelles mentalités concernant la violence en milieu de travail, qui se répercutent sur l’évolution du droit applicable à ce domaine. Caron rappelle que même si, à une certaine époque, la société et le droit abordaient les menaces en milieu de travail avec une approche assez permissive – peut-être en présumant qu’un tel comportement était normal dans les lieux de travail industriels où travaillaient majoritairement des hommes, et qu’il était préférable de simplement laisser les employés [traduction« s’arranger entre eux » –, il est aujourd’hui devenu inacceptable de laisser les employés se présenter au travail dans la crainte de ce qui pourrait leur y arriver. Ce changement dans les mentalités de la société se reflète dans les obligations juridiques contemporaines des employeurs, qui sont tenus d’adopter et de faire appliquer des politiques de prévention de la violence en milieu de travail : article 125(z.16) du Code du travail; partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304. Dans ce contexte, Caron soutient que la décision de l’arbitre ne peut tout simplement pas être maintenue.

[27]  À mon avis, les diverses questions soulevées par Caron quant au caractère raisonnable de la décision découlent de celle de savoir si l’arbitre a commis une erreur en appliquant le critère du congédiement injustifié défini dans l’arrêt McKinley c BC Tel, 2001 CSC 38 [McKinley]. Devant une plainte de congédiement injustifié aux termes du Code du travail, il revient à l’arbitre d’appliquer aux faits le critère défini dans l’arrêt McKinley. Il doit décider : a) si la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que l’inconduite justifiant le congédiement a réellement eu lieu; b) dans l’affirmative, si la nature et la gravité de l’inconduite justifiaient un congédiement. Comme l’a expliqué le juge dans l’arrêt McKinley, les deux volets de ce critère nécessitent un examen des faits. Le critère a été résumé légèrement différemment dans l’arrêt Banque nationale du Canada c Lavoie, 2014 CAF 268, au paragraphe 9 :

[...] [T]rois questions se posaient lors de la détermination d’une cause juste et suffisante de congédiement, à savoir l’employé(e) a-t’il commit [sic] l’acte reproché, cet acte mérite t-il [sic] une mesure disciplinaire de l’employeur et si oui, la gravité de l’acte justifie-t-elle le congédiement (Heustis c. Nouveau-Brunswick, (Commission d’énergie électrique) [1979] 2 R.C.S. 768 à la page 772) (Heustis).

[28]  L’approche contemporaine en matière de contrôle selon la norme de la décision raisonnable prend sa source dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] :

[47]  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[29]  Une cour de révision devrait aborder les décisions administratives « comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur », et se garder de modifier une décision à moins qu’elle ne constate, au vu du dossier, que celle-ci se retrouve en dehors du champ des issues raisonnables (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54).

[30]  Quand la Cour examine une décision afin d’établir si elle appartient aux issues raisonnables, il convient entre autres de déterminer si les motifs invoqués sont adéquats. L’insuffisance des motifs ne saurait suffire à elle seule pour casser une décision, et fait plutôt partie de l’examen du caractère raisonnable comme tel : « Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses]).

[31]  Puisque les motifs doivent être examinés en corrélation avec le dossier pour établir si le résultat est raisonnable, il peut exister certains cas où une décision qui reste muette sur une question peut être jugée raisonnable, en fonction des motifs « qui pourraient » être donnés à l’appui d’une décision (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 11 et 12). Autrement dit, la cour de révision doit chercher à compléter les motifs d’une décision avant de tenter de les contrecarrer (Newfoundland Nurses, au paragraphe 12). Les tribunaux ont été réticents à renverser des décisions au motif que le décideur n’a pas « coché toutes les cases » d’un critère juridique en particulier, en présence de « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » : Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux paragraphes 57 à 63 (demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : CSC Dossier 36701, 2016 CanLII 20436); Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3; Antrim Truck Centre Ltd. c Ontario (Transports), 2013 CSC 13, aux paragraphes 53 et 54; Développement social Canada c Canada (Commission des droits de la personne), 2011 CAF 202, au paragraphe 19.

[32]  Cependant, cette approche a ses limites. D’abord, comme on l’explique dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 :

[54]  [...] L’invitation à porter une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » ne confère pas à la cour de justice le [traduction] « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » (Petro-Canada c. Workers’ Compensation Board (B.C.), 2009 BCCA 396, 276 B.C.A.C. s135, par. 53 et 56).

[33]  Ensuite, il sera difficile pour une cour de révision d’étayer une décision en l’absence de motifs sur un aspect fondamental de la question. Sans quelque explication sur le cheminement qui a permis de parvenir à ce résultat, une cour de révision n’a simplement aucun fondement sur lequel s’appuyer pour déterminer si l’issue était raisonnable, comme on l’explique dans l’arrêt Edw. Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 :

[121]  Si les motifs de la décision sont inexistants, obscurs ou à d’autres égards indiscernables, et si le dossier dont disposait le décideur administratif ne permet pas de faire ressortir les raisons pour lesquelles il a tranché ou aurait pu trancher l’affaire comme il l’a fait, l’exigence de transparence et d’intelligibilité des décisions administratives n’est pas remplie : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, aux paragraphes 14 et 15 (le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans le cadre du processus d’examen sur le fond, en tenant bien compte du dossier); Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572 et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (à l’intérieur de certaines limites, la décision peut être maintenue sur la base des motifs qui auraient pu être rendus).

[122]  Tout tribunal de révision qui maintiendrait une décision dont les fondements sont indiscernables se trouverait à l’accepter aveuglément, abdiquant ainsi sa responsabilité de s’assurer qu’elle est conforme au principe de la primauté du droit.

[34]  Ainsi, il est possible de confirmer une décision fondée sur des motifs comportant des lacunes si la décision repose suffisamment sur le dossier, puisque dans de tels cas, la cour de révision peut en déduire la justification. D’autre part, une décision peut également être renversée lorsqu’elle est muette sur les motifs justifiant les conclusions clés de droit ou de fait, parce que la cour de révision n’est alors pas en mesure de déterminer si la décision appartient aux issues raisonnables : Canada c Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, aux paragraphes 31 à 39; Wall v Office of the Independent Police Review Director, 2014 ONCA 884, aux paragraphes 59 à 63; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 27 [Delios]; Canada c Première Nation de Long Plain, 2015 CAF 177, au paragraphe 143.

[35]  Quant à la place des conclusions du tribunal administratif sur les faits et la crédibilité dans l’analyse du contrôle judiciaire, l’un des piliers de l’examen du caractère raisonnable veut que les cours fassent preuve de retenue devant le rôle conféré aux tribunaux administratifs d’établir les faits. Par ailleurs, il est acquis en matière jurisprudentielle que les conclusions quant à la crédibilité et l’appréciation du caractère « injustifié » d’un congédiement aux termes de l’article 240 du Code du travail sont au cœur même de l’expertise de l’arbitre : Wilson; Payne; Patanguli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291, au paragraphe 21 [Patanguli].

[36]  Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment affirmé dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c Fraser Health Authority, 2016 CSC 25, au paragraphe 30, « la cour doit faire preuve de retenue lorsque les éléments de preuve peuvent étayer (par opposition à démontrer de façon concluante) une conclusion de fait [...]. En d’autres termes, selon cette norme de contrôle, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier de nouveau la preuve, de rejeter les conclusions que le juge des faits en avait tirées ou de substituer ses propres conclusions à celles du juge des faits ». (Souligné dans l’original.)

[37]  Un des aspects de l’examen des faits, qui revêt une importance particulière en l’espèce, porte sur la question de savoir si l’arbitre commet une erreur susceptible de révision quand il omet d’expliquer de façon explicite pourquoi il donne plus de poids au témoignage d’un témoin plutôt qu’à celui d’un autre. Les conclusions sur la crédibilité qui sont implicites ou qui manquent de clarté ont un lien avec le caractère suffisant des motifs, et soulèvent de nombreuses considérations.

[38]  Tout d’abord, devant deux témoignages contradictoires, un tribunal administratif doit choisir lequel il doit croire. Un tribunal administratif ne peut pas simplement « éviter » de tirer des conclusions relatives à la crédibilité : voir par exemple Carewest c Alberta Union of Provincial Employees (2016), 269 LAC (4th) 177, 127 CLAS 114, au paragraphe 76 [Carewest]; Bell Canada v Halle (1989), 99 NR 149, [1989] ACF no 555 (QL) (FCA); Webber Academy Foundation v Alberta (Human Rights Commission), 2016 ABQB 442, aux paragraphes 102 et 103.

[39]  Les cours ont toutefois reconnu qu’il peut être particulièrement difficile de formuler son appréciation de la crédibilité, et que le juge des faits n’est pas tenu de décrire en détail tous les éléments de preuve contradictoires lorsqu’il formule ses conclusions sur la crédibilité. La Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la question dans un contexte de droit criminel, dans l’arrêt R c R.E.M., 2008 CSC 51, aux paragraphes 49 et 50, même si son commentaire ne se limitait pas à ce domaine :

[50]  [...] Cependant, comme l’arrêt Dinardo le dit clairement, ce qui compte, c’est qu’il ressorte des motifs que le juge a saisi l’essentiel de la question en litige. « Dans une cause dont l’issue repose sur la crédibilité, […] le juge du procès doit répondre à la question déterminante de savoir si la preuve offerte par l’accusé, appréciée au regard de l’ensemble de la preuve, soulève un doute raisonnable quant à sa culpabilité » (par. 23). La juge Charron a ensuite écarté la proposition voulant que le juge du procès doive s’engager dans un compte rendu détaillé des éléments de preuve contradictoires : Dinardo, par. 30.

[40]  En ce qui concerne l’affaire dont je suis saisi, comme je l’ai déjà souligné, il revenait à l’arbitre d’appliquer le critère énoncé dans l’arrêt McKinley aux faits qui lui avaient été présentés. Les principales conclusions de l’arbitre sont exprimées dans les paragraphes qui suivent :

[traduction]

(59)  L’enquête menée par Caron sur la question était superficielle et s’est limitée à recueillir les déclarations écrites des personnes concernées. Aucun entretien en personne n’a été mené avec ces personnes pour recueillir les faits. Lorsque M. Williams a demandé à donner sa version des faits à Kent Dewart, M. Dewart a refusé de l’entendre et lui a dit de s’en tenir à rédiger sa déclaration. De l’aveu même de M. Williams, il arrive à peine à lire et à écrire.

(60)  D’autre part, se procurer une masse et marcher avec M. Fortin hors de la vue de tout témoin n’était pas une chose très intelligente à faire, pas plus que d’expliquer à M. Fortin les nombreux usages d’une masse, qui sert notamment à briser des os. En plus de son gabarit imposant, le fait que M. Williams avait en main une masse, et qu’il a parlé de briser des os, constitue une conduite répréhensible. Ce seul fait constituait un motif de mesure disciplinaire. Mais il ne représentait pas un motif suffisant de congédiement. M. Williams aurait dû recevoir une sévère réprimande écrite et un avertissement de congédiement dans le cas d’une répétition d’un incident du genre dans le futur. Il revenait à l’entreprise de prouver qu’elle disposait de motifs suffisants pour mettre fin à l’emploi de M. Williams. Pour établir que les motifs de congédiement sont suffisants, il doit exister des éléments de preuve clairs, concluants et convaincants. En l’espèce, il n’y a pas de tels éléments de preuve. Il y avait suffisamment de lacunes dans les récits, et suffisamment d’incohérences dans les témoignages des témoins, pour qu’ils soient moins que convaincants.

[41]  C’est là le fondement de la décision de l’arbitre. Caron prétend que des erreurs ont été commises, notamment que l’arbitre aurait omis de tirer des conclusions explicites quant à la crédibilité, et de tenir compte de la législation concernant les menaces de violence en milieu de travail, et qu’il aurait écarté des éléments de preuve portant sur les agissements de M. Williams après son congédiement, en plus de commettre une erreur concernant la réparation accordée à M. Williams. J’examinerai tour à tour chacun de ces arguments.

1)  Défaut de tirer des conclusions sur la crédibilité

[42]  Caron souligne un certain nombre d’incohérences dans la preuve examinée par l’arbitre : comment M. Williams a-t-il obtenu la masse (l’a-t-il prise ou la lui a-t-on remise)?; M. Williams a-t-il mis son bras autour de l’épaule de M. Fortin, ou a-t-il simplement mis sa main sur son épaule?; les deux hommes étaient-ils physiquement proches et en contact, ou y avait-il un espace entre eux lorsqu’ils se sont éloignés en marchant pour aller discuter?; qu’est-ce qui a été dit exactement au sujet de la masse? Caron soutient que l’arbitre n’a tiré aucune conclusion explicite concernant ces points et que, par conséquent, il a simplement « évité » de tirer des conclusions quant à la crédibilité en présence d’éléments de preuve contradictoires, ce qui rend sa décision déraisonnable. Je ne suis pas convaincu.

[43]  L’arbitre a examiné la preuve en détail, y compris les incohérences précédemment relevées. L’arbitre a d’abord souligné les différences entre le témoignage de M. Fortin et celui de M. Williams à propos de l’incident de la veille, quand M. Fortin a ouvert la porte du camion de M. Williams : M. Fortin a affirmé qu’il était avec un autre employé, et M. Williams a affirmé qu’il était seul; M. Williams a affirmé que son camion n’était pas verrouillé, et qu’il ne bloquait pas l’entrée, alors que M. Fortin a affirmé qu’il avait dû déverrouiller la porte du camion, parce qu’il bloquait l’entrée et devait être déplacé. L’arbitre a souligné que cet autre employé qui aurait accompagné M. Fortin, selon ses dires, n’a pas été appelé à témoigner.

[44]  En ce qui concerne l’incident à propos de la masse, l’arbitre a conclu que la preuve était [traduction] « incohérente et contradictoire, tout comme la preuve portant sur l’incident du 16 avril » (au paragraphe 56). Après avoir examiné certaines des principales incohérences dans les récits des témoins, l’arbitre s’est dit [traduction] « confronté à deux versions très différentes des événements. Aucun témoin n’a assisté à la discussion qui a eu lieu derrière le camion. Les collègues ont seulement vu les deux hommes sortir de l’atelier puis y revenir » (au paragraphe 57). L’arbitre a indiqué que c’était [traduction] « la parole d’un homme contre celle d’un autre » (au paragraphe 58).

[45]  L’arbitre a conclu que M. Fortin avait hésité à porter plainte, et avait dû [traduction« se laisser convaincre » par ses collègues de l’atelier (au paragraphe 58); l’arbitre a ensuite posé une série de questions rhétoriques, notamment [traduction] « [M. Fortin] était-il hésitant parce que la situation ne justifiait pas une plainte? Était-il possible que la version des événements donnée par M. Williams ait été la bonne et que M. Fortin n’ait pas vraiment été menacé? L’incident a-t-il pris une ampleur injustifiée, parce que M. Fortin a été incapable de se rétracter sans perdre la face après avoir porté plainte? » (au paragraphe 58).

[46]  Chacune de ces questions correspond au témoignage et aux arguments présentés par M. Williams :

[traduction]

[49]  M. Williams a dit : « Oui, j’avais une masse. Oui, j’ai joué avec et j’ai plaisanté avec Dan à ce sujet. Oui, c’est lui qui me l’a remise. M. Fortin sait qu’il n’a jamais été menacé, à aucun moment. C’est pourquoi il ne voulait pas porter plainte au début. Il savait que je n’avais rien fait. Il s’est retrouvé dans une situation dont il ne pouvait plus se sortir sans perdre la face. Les autres témoins dans l’atelier n’ont pas semblé inquiets pour lui, parce qu’ils n’avaient aucune raison de s’inquiéter […] ».

[47]  L’arbitre a souligné que M. Fortin a affirmé ce qui suit en contre-interrogatoire :

[traduction]

[10] [...] M. Fortin a reconnu que M. Williams n’était pas quelqu’un qui suscitait la peur, et qu’il n’avait pas de problème avec lui. M. Williams n’avait jamais non plus crié ou juré après lui. M. Fortin a affirmé qu’il s’était senti menacé en raison de l’incident du 17 avril, et qu’il se sent toujours menacé par M. Williams aujourd’hui […].

[48]  Enfin, outre les conclusions se rapportant à l’incident, l’arbitre a tiré la conclusion suivante concernant le bien-fondé de l’enquête menée par Caron à propos de l’incident :

[traduction]

[59]  L’enquête menée par Caron sur la question était superficielle et s’est limitée à recueillir les déclarations écrites des personnes concernées. Aucun entretien en personne n’a été mené avec ces personnes pour recueillir les faits. Lorsque M. Williams a demandé à donner sa version des faits à Kent Dewart, M. Dewart a refusé de l’entendre et lui a dit de s’en tenir à rédiger sa déclaration. De l’aveu même de M. Williams, il arrive à peine à lire et à écrire.

[49]  Quand il a évalué la crédibilité des deux comptes rendus, l’arbitre a souligné que seule la déclaration écrite de M. Williams avait été déposée en preuve, même si la preuve indiquait que M. Fortin et ses collègues de l’atelier avaient aussi fait des déclarations écrites après l’incident. L’arbitre a affirmé : [traduction] « Je trouve cela curieux et j’en tire une conclusion défavorable » (au paragraphe 58). Caron soutient qu’il s’agissait d’une erreur, puisqu’elle a remis des copies de toutes les déclarations écrites à l’enquêteur du ministère du Travail, et a présumé que ces documents seraient remis à l’arbitre avec le reste du dossier. Caron affirme ne pas avoir été informée de la conclusion défavorable, et soutient que cela équivaut à un manquement à l’équité procédurale. J’aborderai cet argument plus loin. Pour l’instant, je conclus que la conclusion défavorable me permet de comprendre le processus de raisonnement de l’arbitre.

[50]  L’affaire dont je suis saisi se distingue d’autres dossiers dans lesquels il n’y a aucun élément de preuve à l’appui d’une conclusion d’un tribunal administratif, ou dans lesquels le tribunal administratif n’a donné aucune indication de la version des faits qu’il préférait. En l’espèce, j’estime que l’arbitre a bien tiré et exprimé des conclusions de fait concernant l’incident principal sur lequel Caron s’est appuyée pour justifier le congédiement, et qu’il a également conclu que l’enquête menée par Caron était inadéquate, question sur laquelle je me pencherai ci-dessous.

[51]  Les conclusions de l’arbitre sur la crédibilité découlent d’un certain nombre de facteurs : le témoignage de M. Williams (appuyé par sa déclaration écrite), le témoignage de M. Fortin et ceux de ses collègues, le défaut d’inclure leurs déclarations écrites, et le défaut d’appeler à témoigner l’employé qui, d’après M. Fortin, aurait assisté aux événements la veille de l’incident avec la masse. Ces conclusions sont étayées par les éléments versés au dossier, et appartiennent aux solutions raisonnables dont disposait l’arbitre selon le critère défini dans l’arrêt McKinley.

2)  Conclusions portant sur la menace alléguée

[52]  Caron prétend que l’arbitre devait déterminer si des menaces avaient été proférées et, dans l’affirmative, si elles justifiaient le congédiement de M. Williams : Awuah v Bank of Nova Scotia, 2016 CLAD No 8 [Awuah]. Caron renvoie à des décisions où l’on a conclu que les menaces de violence en milieu de travail proférées par un employé justifiaient son congédiement, et soutient que l’arbitre a commis une erreur en s’écartant de ces précédents. Je rappellerais que dans ces dossiers, les menaces ont été établies en fonction de la preuve au dossier, ce qui n’est pas le cas dans l’affaire dont je suis saisi.

[53]  Par exemple, dans la décision Canadian National Railway Co v National Automobile, Aerospace, Transportation et General Workers Union of Canada (CAW-Canada) Local 100 (Day Grievance), [2013] CLAD No 251 [CNR], un arbitre a confirmé le congédiement d’un employé de longue date d’une gare de triage pour avoir proféré des menaces à l’endroit de cadres de la société, parce qu’il souhaitait exprimer son mécontentement concernant la manière avec laquelle les superviseurs géraient la cour de triage. L’arbitre a conclu que le plaignant avait proféré des menaces, notamment quand il a dit [traduction] « non je ne suis pas en colère, mais si je l’étais il y aurait des cadavres partout » ou encore [traduction] « non je ne suis pas en colère, mais si je l’étais je tirerais sur quelqu’un » (au paragraphe 25).

[54]  De même, dans la décision Awuah, un arbitre a confirmé le congédiement d’un employé pour avoir proféré des menaces. L’arbitre a conclu que l’employé était agité et frustré en raison d’un problème avec un client difficile et, de manière plus générale, avait exprimé son mécontentement concernant sa situation d’emploi. L’incident déterminant s’est produit lorsque l’employé a dit à un collègue, sur le ton de la colère : [traduction] « Il faut vraiment que je cherche un nouveau travail. Là maintenant, je veux juste tirer sur quelqu’un » (aux paragraphes 80 et 93). La décision expose un certain nombre de facteurs à considérer pour déterminer si un congédiement est justifié et, s’il ne l’est pas, si la réintégration de l’employé est appropriée lorsque des menaces de violence en milieu de travail ont été proférées.

[55]  Je me limiterai à un dernier exemple. Dans la décision Dilg v Dr D Sarca Inc, 2007 BCSC 1716, la décision de congédier un employé a été considérée comme étant justifiée, alors qu’une relation d’emploi quelque peu acrimonieuse entre un dentiste et une employée s’était détériorée après une série de confrontations orageuses. La Cour a conclu qu’il avait été établi que l’employée avait affirmé que son mari était en colère contre le dentiste, et qu’il avait dit à son épouse qu’[traduction] « il voulait le tuer ». L’arbitre a accueilli le témoignage de plusieurs collègues qui avaient affirmé que Mme Dilg leur avait dit [traduction] « que si Werner [son époux] franchissait la porte de la clinique, il faudrait se cacher, car Werner était en colère, et que Mme Dilg avait employé le mot “tuer” au moins deux ou trois fois » (au paragraphe 12). Pour cette raison, la Cour a conclu que le congédiement était justifié.

[56]  Dans tous ces dossiers, un employé avait proféré des menaces directes, soit contre un collègue ou un superviseur en particulier, ou de manière plus générale, dans des circonstances donnant lieu à des craintes immédiates chez les autres employés ou l’employeur. Ces décisions illustrent bien l’évolution de l’approche sociale et légale face à la violence en milieu de travail, comme je l’ai souligné précédemment. Les conclusions de fait qui servent de fondement à ces décisions se distinguent toutefois des conclusions de l’arbitre concernant les événements qui se sont produits dans l’affaire dont je suis saisi.

[57]  Je ne peux conclure que le défaut de l’arbitre d’énumérer tous les facteurs énoncés dans la décision Awuah ou dans les décisions analogues citées par Caron équivaut à une erreur qui rend la décision déraisonnable. L’arbitre était pleinement au fait des principaux précédents invoqués par Caron : ils sont résumés au début de la décision. De plus, l’arbitre tire des conclusions concernant les deux volets du critère énoncé dans l’arrêt McKinley. C’est ce qu’il était tenu de faire, et le fait qu’il ne mentionne pas toutes les décisions n’est pas, en soi, une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Patanguli (au paragraphe 21) : « Contrairement à ce que suggère l’appelant, l’arbitre n’avait pas à traiter de la jurisprudence qui réitère simplement les principes généraux applicables en l’espèce. »

[58]  Je ne peux trouver d’erreur dans la conclusion de l’arbitre sur ce point. Cela m’amène à la deuxième erreur alléguée, soit le défaut de tenir compte des agissements du défendeur après le congédiement.

3)  L’arbitre a-t-il commis une erreur en refusant de tenir compte des éléments de preuve se rapportant à ce qui s’est produit après le congédiement?

[59]  Caron soutient que l’arbitre a commis une erreur en n’accordant aucune importance aux agissements de M. Williams après son congédiement, surtout compte tenu des responsabilités légales de l’employeur en matière de sécurité au travail et son obligation de maintenir un milieu de travail exempt de violence. En l’espèce, il existait des allégations selon lesquelles M. Williams aurait proféré des menaces directes contre un certain nombre d’employés de Caron, lesquelles ont mené à des accusations criminelles. L’employeur a pris des mesures de sécurité additionnelles après cet incident, comme l’exigeait la loi. Comme M. Williams a été congédié pour avoir menacé un collègue, sa conduite après le congédiement était manifestement pertinente, et confirmait que le congédiement était justifié.

[60]  Comme le souligne l’arbitre dans sa décision, la Cour suprême du Canada a conclu que la conduite après le congédiement peut être prise en considération par un tribunal administratif saisi d’une procédure pour congédiement injustifié, « mais seulement lorsqu’elle (la preuve d’événements subséquents) est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné » (Cie minière Québec Cartier c Québec (Arbitre de griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095, au paragraphe 13 [Cartier]; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, au paragraphe 74 [Bhadauria]).

[61]  En tentant d’appliquer ce critère aux faits de la présente affaire, l’arbitre a conclu que la preuve sur les événements subséquents ne répondait pas au critère, parce qu’[traduction] « elle se rapportait à une question complètement différente et était sans effet sur le congédiement de M. Williams ». Je ne relève aucune erreur dans cette conclusion. Dans les deux affaires citées ci-dessus, les événements subséquents avaient un lien factuel avec les motifs invoqués par l’employeur pour congédier l’employé. Dans l’arrêt Cartier, la Cour a conclu que l’arbitre avait commis une erreur en tirant la conclusion que le congédiement pour absences répétées causées par une consommation abusive d’alcool devrait être « annulé » au motif que l’employé avait achevé avec succès un programme de traitement de l’alcoolisme après son congédiement. Dans ce dossier, l’employeur avait auparavant tenté à de multiples reprises d’aider l’employé et de l’encourager à entreprendre un tel programme, mais l’employé avait toujours refusé. L’employeur avait fini par congédier l’employé. L’arbitre a conclu que le congédiement était justifié selon les faits au moment du congédiement. Cependant, l’arbitre a aussi décidé que le congédiement devrait être « annulé » au motif que l’employé avait subséquemment suivi avec succès un programme de traitement. La Cour a affirmé que la justification du congédiement ne pouvait être effacée par la conduite de l’employé après le congédiement.

[62]  Dans l’arrêt Bhadauria, la Cour a estimé pertinent qu’un employé qui avait été congédié pour avoir critiqué à de multiples reprises son employeur, dans une série de lettres extrêmes et immodérées, ait poursuivi sa campagne épistolaire après son congédiement. Sa conduite a été considérée comme un facteur pertinent pour déterminer si le congédiement était justifié.

[63]  En l’espèce, il n’existe aucun lien factuel ni aucune similarité entre l’incident qui a donné lieu au congédiement et les menaces alléguées qui ont été signalées à Caron et qui ont mené aux accusations criminelles. Il n’est pas allégué que M. Williams a directement menacé M. Fortin avec la masse ou a fait quoi que ce soit d’autre ce jour-là; aucune référence n’a été faite à une arme à feu ni à une menace de blessure imminente. Même si l’arbitre avait retenu le témoignage de M. Fortin dans son ensemble, ce dernier n’a fait qu’évoquer une menace potentielle si M. Williams découvrait que M. Fortin avait volé des objets dans son camion. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’arbitre n’a pas accepté cette version des faits.

[64]  Caron soutient que la déclaration de M. Williams selon laquelle il [traduction« surveillerait » M. Fortin lui-même constituait une menace insidieuse, et que le lien entre ces incidents et la conduite du défendeur après le congédiement réside dans les menaces proférées contre les employés de Caron. Par ailleurs, Caron soutient que l’arbitre a commis une erreur quand il a conclu que [traduction] « compte tenu de la décision dans l’arrêt Cartier, je ne peux m’appuyer sur la preuve » se rapportant aux événements subséquents. Caron soutient qu’il s’agissait d’un énoncé erroné du droit, qui justifie d’infirmer la décision. Le droit prescrit que la preuve d’événements subséquents n’est admissible que si elle permet de mieux comprendre les motifs du congédiement. En l’espèce, l’arbitre a conclu que la preuve ne satisfait pas à ce critère, et il ne s’est donc pas appuyé sur la conduite du défendeur après le congédiement. Je ne décèle dans cette analyse aucune erreur.

4)  Défaut d’examiner les bons facteurs concernant la réparation accordée

[65]  Le dernier aspect de la décision que conteste Caron se rapporte à la décision de l’arbitre concernant la réparation accordée. Caron soutient que l’arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs pertinents pour déterminer si l’inconduite justifiait le congédiement, comme l’exige l’arrêt McKinley. Les considérations pertinentes dans un dossier de violence en milieu de travail sont exposées dans la décision Awuah, et Caron affirme que l’arbitre a commis une erreur en n’examinant pas ces considérations au regard des faits du dossier.

[66]  Rien n’indique que l’arbitre a omis de tenir compte des facteurs pertinents en l’espèce. L’arbitre a tenu compte des considérations suivantes pour déterminer la mesure de réparation appropriée : la demande de l’employeur afin que les témoins comparaissent par vidéoconférence parce qu’ils avaient peur de M. Williams; le témoignage de M. Dewart selon lequel la réintégration présenterait un problème majeur, étant donné le climat du milieu de travail; l’engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de la common law et, surtout, le fait que M. Williams lui-même n’ait pas demandé à reprendre son poste. L’arbitre a conclu que la conduite de M. Williams était répréhensible et justifiait la prise de mesures disciplinaires, mais qu’elle ne constituait pas un motif suffisant pour justifier un congédiement immédiat. Toutefois, l’arbitre n’a pas ordonné sa réintégration, compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Patanguli, au paragraphe 21 : « De plus, je souligne que l’évaluation de la proportionnalité de la sanction imposée est au cœur même de la compétence et de l’expertise de l’arbitre. »

[67]  Je conclus que l’arbitre a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve, et appliqué le bon critère juridique. Je ne vois aucun motif justifiant d’infirmer la conclusion de l’arbitre sur ce point, compte tenu de la déférence à laquelle a droit un arbitre concernant les questions mixtes de fait et de droit.

5)  Bien-fondé de l’enquête

[68]  J’estime qu’il reste une dernière question concernant le caractère raisonnable de la décision, et c’est celle de savoir si l’arbitre a commis une erreur dans son évaluation du bien-fondé de l’enquête. Cet aspect n’a pas été soulevé par Caron et, même si M. Williams l’a évoqué dans ses observations, il n’a pas élaboré sur ce point. À la lumière du principal extrait de la décision de l’arbitre, précédemment cité, j’estime qu’il s’agit d’une question essentielle qui appuie ma conclusion selon laquelle sa décision est raisonnable.

[69]  Même si rien n’oblige l’employeur à mener une enquête minutieuse et objective en cas d’inconduite en milieu de travail, [traduction] « un employeur qui omet de mener une enquête adéquate et équitable concernant une allégation de harcèlement sexuel ou de toute autre inconduite, et d’offrir à l’employé une occasion raisonnable de répondre aux allégations d’inconduite, court le risque de ne pouvoir s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe et d’établir la cause du congédiement » (van Woerkens v Marriott Hotels of Canada Ltd, 2009 BCSC 73, au paragraphe 150). Ce point a été confirmé dans d’autres décisions : Paulich v Westfair Foods Ltd, 2000 ABQB 74, aux paragraphes 11 à 14; Dziecielski v Lighting Dimensions Inc, 2012 ONSC 1877, aux paragraphes 35 à 41; de manière plus générale, Gillian Shearer, The Law and Practice of Workplace Investigations (Toronto: Emond Montgomery Publications Limited, 2017), aux pages 16 à 22.

[70]  Cette idée transparaît dans le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, qui fournit un cadre afin d’orienter les employeurs qui doivent mener ce type d’enquêtes (les dispositions applicables sont données en annexe de la présente décision). En bref, ces dispositions obligent l’employeur à déployer des efforts pour résoudre une situation de violence alléguée en milieu de travail dès que l’employeur en a connaissance et, à défaut, de mener une enquête. Les dispositions pertinentes définissent des exigences minimales applicables à ce type d’enquêtes, notamment celle voulant que l’employeur doive nommer une « personne compétente » (c’est-à-dire une personne impartiale et considérée par les parties comme étant impartiale) pour faire enquête et présenter ses résultats à l’employeur. Bien que les dispositions ne prescrivent pas en détail comment doit être menée l’enquête, elles indiquent qu’une enquête sur une allégation de violence en milieu de travail doit être menée de manière professionnelle et minutieuse : Canada (Procureur général) c Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273, aux paragraphes 28 à 32; voir aussi Jacobs v Mohawk Internet Technologies/Sports Interaction, [2004] CLAD No 322, infirmée pour d’autres motifs dans 2005 CF 123, confirmée dans 2006 CAF 116, confirmée dans 2007 CF 38, confirmée dans 2007 CAF 396.

[71]  L’évolution des mentalités de la société sur le sujet représente une autre raison de demander une enquête adéquate : de nos jours, il est raisonnable de conclure que tant la personne qui soulève le problème que la personne accusée d’inconduite est importante, et cela doit transparaître dans la réponse de l’employeur. Comme le montrent les faits au dossier, être accusé de menacer un collègue est une accusation très grave, qui devrait nécessiter une enquête sérieuse et impartiale pour établir les faits. Je souscris à cette observation de l’arbitre Monteith sur les obligations de l’employeur lorsque des allégations de violence en milieu de travail sont déposées : voir la décision CNR, au paragraphe 22 :

[traduction]

Comme dans tous les dossiers disciplinaires, il incombe à l’employeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’employé a, dans les faits, commis l’infraction alléguée. Pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités, l’employeur est tenu d’établir que la faute a été commise à l’aide de preuves claires, concluantes et convaincantes. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, les allégations sont très graves et flagrantes.

Voir aussi la décision Carewest, au paragraphe 82, où l’on parle également des obligations de l’employeur en lien avec des allégations de harcèlement sexuel.

[72]  En résumé, même si l’argument de Caron sur ces questions ne soit pas sans effet, compte tenu de la manière avec laquelle l’arbitre a formulé ses motifs, je conclus que les conclusions sur les faits essentiels tout comme le raisonnement ayant mené à ces conclusions sont intelligibles. Sur ce point, je reprendrais les mots du juge Donald Rennie : « L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11). En l’espèce, j’estime qu’il m’est possible de relier les points parce que je comprends les lignes et la direction données dans le raisonnement de l’arbitre.

[73]  Après avoir pris connaissance du dossier et de la jurisprudence, et m’être laissé guidé par la norme empreinte de retenue que commandent l’arrêt Dunsmuir et les jugements subséquents, je conclus que l’application par l’arbitre du critère défini dans l’arrêt McKinley appartient aux solutions raisonnables qui étaient disponibles au regard des faits et du droit, et c’est pourquoi je ne suis pas disposé à modifier sa décision. Le législateur a confié aux arbitres spécialisés nommés aux termes de la partie III du Code du travail la tâche d’établir les faits, comme le confirme le libellé clair de l’article 243. Les conclusions d’un arbitre ne devraient pas être modifiées à la légère lors d’un contrôle judiciaire.

[74]  Sur ce point, je rappellerais les mots du juge John Evans de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Payne, aux paragraphes 80 à 82 :

[80] Il peut sembler surprenant qu’on ait conclu que les faits de la présente affaire ne justifiaient pas le congédiement pour motif valable. Toutefois, le législateur a confié la mission de se prononcer sur cette question à l’arbitre. Une cour réformatrice n’a pas pour mission de substituer son opinion sur le bien-fondé d’un différend à l’opinion de l’arbitre. Elle a uniquement pour mission résiduelle de veiller à ce que les motifs énoncés par l’arbitre justifient le résultat atteint et démontrent que la décision s’inscrit dans l’éventail des issues acceptables. Il se peut qu’une décision, même s’inscrivent [sic] dans l’éventail des issues acceptables, paraisse « contre-intuitive » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 13) aux yeux d’un profane.

[81] Deux facteurs font ressortir la nécessité de la retenue judiciaire en l’espèce : la clause privative figurant au paragraphe 243(1) du Code, et l’importance du pouvoir discrétionnaire dont doit nécessairement disposer l’arbitre pour apprécier et mettre en balance les multiples facteurs composant l’analyse contextuelle prescrite par la jurisprudence McKinley. Le contexte comprend la protection offerte par le Code aux employés non syndiqués contre le congédiement injuste (les employés syndiqués sont protégés du congédiement arbitraire par les clauses relatives au « motif valable » des conventions collectives) en reconnaissance de l’inégalité du rapport de force dans la relation employeur-employé et de l’importance du travail dans la vie des gens. Non seulement le congédiement pour motif valable met fin à la relation employeur-employé sans préavis, mais encore il peut rendre très difficile l’obtention par l’employé concerné d’un travail comparable à l’avenir.

[82] Par conséquent, bien que l’arbitre ait conclu que les écarts de conduite de M. Payne avaient été dangereux, irréfléchis et stupides, ses motifs justifient, à mon sens, sa conclusion selon laquelle le congédiement pour motif valable constituait une sanction excessive. Ce résultat s’inscrit dans l’éventail des issues raisonnablement acceptables au regard des faits et du droit.

6)  L’arbitre a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

[75]  Caron soulève plusieurs doutes quant à la manière avec laquelle l’arbitre a mené la procédure : il était inéquitable de tirer une conclusion défavorable à l’entreprise parce qu’elle a omis de déposer en preuve les déclarations écrites des témoins, sans l’en informer ni lui donner la possibilité de répondre; Caron s’est vu refuser le droit de contre-interroger M. Williams relativement à un document qu’il a produit après l’audience, à la demande de l’arbitre; la manière avec laquelle l’audience s’est déroulée a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. J’examinerai tour à tour chacun de ces arguments.

a)  Conclusion défavorable

[76]  Pour rappel, une fois l’incident signalé à la direction, l’on a demandé à tous les employés de rédiger des déclarations écrites; c’est à cela que s’est limitée l’enquête de l’entreprise. Cependant, seule la déclaration de M. Williams a été déposée en preuve. M. Fortin et d’autres employés ont témoigné de vive voix sous serment, mais leurs déclarations écrites n’ont pas été déposées en preuve par l’entreprise. Comme je l’ai déjà souligné, M. Dewart a fait référence dans son témoignage à la déclaration écrite de M. Fortin, mais ce document n’a pas été déposé en preuve. Sur ce point, l’arbitre a affirmé que : [traduction] « Les déclarations écrites de M. Fortin et de ses collègues de l’atelier n’ont pas été déposées en preuve. Je trouve cela curieux et j’en tire une conclusion défavorable. C’est la parole d’un homme contre celle d’un autre » (au paragraphe 58).

[77]  Caron soutient qu’il était inéquitable de tirer une conclusion défavorable, parce que l’arbitre ne l’en a jamais informée, et ne lui a pas donné la possibilité de déposer ces éléments en preuve. Les déclarations écrites ont été remises à l’agent du ministère du Travail qui a mené l’enquête, et Caron affirme qu’elle a supposé qu’elles auraient été intégrées aux renseignements communiqués à l’arbitre aux termes de l’alinéa 241(3)b) et du paragraphe 242(1) du Code du travail. Elle soutient qu’il était loisible à l’arbitre de délivrer une assignation à déposer les déclarations écrites, aux termes de l’article 16 et de l’alinéa 242(2)c) du Code du travail, et que de ne pas l’avoir fait, ni informé Caron de la possibilité d’une conclusion défavorable, équivaut à un manquement à l’équité procédurale.

[78]  En l’espèce, les déclarations écrites auraient pu constituer des éléments de preuve utiles concernant les autres versions des faits données par les principaux témoins. Les témoignages de vive voix entendus par l’arbitre indiquaient clairement un certain nombre d’incohérences dans les versions des événements, et la décision de congédier M. Williams reposait en grande partie sur l’interprétation faite par Caron de sa version des événements (voir le paragraphe 17, ci‑dessus).

[79]  Alors qu’il était loisible à Caron de s’appuyer principalement sur les témoignages de vive voix de ses témoins, et de déposer en preuve uniquement les déclarations écrites de M. Williams, à mon avis, l’arbitre n’a pas manqué à l’équité procédurale en mentionnant ce fait et en tirant une conclusion défavorable. Plusieurs facteurs viennent appuyer cette conclusion. D’abord, même si les documents avaient été remis à l’arbitre aux termes du sous-alinéa 241(3)b) et du paragraphe 242(1) du Code du travail, Caron ne pouvait prétendre qu’ils faisaient dorénavant partie du dossier présenté à l’arbitre. Je reconnais qu’il s’agissait d’un malentendu, mais il incombait à Caron de déposer son dossier en preuve. Or, elle n’a pris aucune mesure pour vérifier si les déclarations écrites avaient été remises à l’arbitre.

[80]  En outre, les déclarations écrites étaient pertinentes tant pour la question du bien-fondé de l’enquête menée par Caron que pour la question de la cohérence des versions des principaux événements données par les témoins. Le fait qu’elles n’aient pas été déposées en preuve, malgré les contradictions manifestes dans les témoignages des témoins qui ont fait ces déclarations, aurait dû être relevé par l’arbitre : voir la décision Aydin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1329, au paragraphe 21.

[81]  Alors qu’il aurait incontestablement été préférable que la question ait été soulevée par l’avocat ou par l’arbitre à l’audience, je ne peux conclure qu’il était inéquitable que l’arbitre affirme trouver curieux que les déclarations écrites n’aient pas été déposées en preuve, ou qu’il en tire une conclusion défavorable. Comme le souligne Caron, la nature de la conclusion défavorable n’est pas absolument limpide, compte tenu des autres conclusions de l’arbitre.

[82]  Caron invoque la décision Bande indienne de Norway House c Canada (Arbitre, Code du travail), [1994] 3 CF 376, pour appuyer la proposition selon laquelle le fait de tirer une conclusion défavorable contre une partie sans l’en aviser constitue un manquement à l’équité procédurale. Toutefois, dans ce dossier, la Cour a conclu que le fait de ne pas tirer de conclusions défavorables contre une partie qui n’a pas témoigné soulevait une crainte raisonnable de partialité, quand on l’ajoutait aux autres erreurs de procédure. La Cour a conclu que l’arbitre aurait dû aviser la plaignante des conséquences de son refus de témoigner. Il s’agit là d’une situation tout à fait différente de celle du dossier dont je suis saisi, alors qu’une partie représentée par un avocat n’a pas déposé de dossier écrit à jour des principaux témoignages, et s’est plutôt fondée en grande partie sur les témoignages de vive voix donnés par les témoins. Caron était entièrement libre de faire ce choix, mais il était également loisible à l’arbitre de tirer ses propres conclusions du fait que, parmi toutes les déclarations écrites remises à Caron, seule celle de M. Williams avait été versée en preuve.

b)  Contre-interrogatoire

[83]  L’argument suivant concernant le manquement à l’équité procédurale est lié au refus de l’arbitre d’acquiescer à la demande de Caron qui souhaitait contre-interroger M. Williams à propos d’un document se rapportant à son emploi subséquent, document qu’avait présenté M. Williams après l’audience à la demande de l’arbitre. À la conclusion de l’audience, l’arbitre a demandé à M. Williams de déposer des documents se rapportant à ses revenus antérieurs avec l’entreprise, ainsi que des documents se rapportant à l’emploi qu’il a obtenu après son congédiement. M. Williams a présenté un dossier d’emploi chez Caron (que Caron avait déjà remis à l’arbitre), ainsi qu’un état des gains chez un nouvel employeur, RSB Logistics. Caron a demandé à l’arbitre l’autorisation de contre-interroger M. Williams à propos de ces documents, mais sa demande a été rejetée pour les motifs suivants, exposés au paragraphe 62 de la décision de l’arbitre :

[traduction]

L’avocat du défendeur, après l’audience et avant l’octroi de la mesure de réparation, a demandé de pouvoir interroger le plaignant à propos de ces documents. La demande a été rejetée. Les documents fournis par M. Williams relativement aux frais engagés pour l’audience et autres dépens n’ont pas été pris en considération, compte tenu de ma décision sur les dépens mentionnée plus haut. Ensuite, le relevé d’emploi de Caron m’a été transmis par le défendeur avant l’audience. Enfin, l’état des gains de RSB Logistics se passe d’explications.

[84]  Caron soutient que le droit de contre-interroger des témoins est au cœur du principe d’équité procédurale, et qu’il était inéquitable de la priver de ce droit relativement à ce document. Elle affirme qu’elle voulait vérifier la crédibilité de M. Williams concernant son emploi, et déterminer s’il s’était trouvé à proximité des installations de Caron après avoir été congédié. Elle affirme que l’arbitre a mal compris l’objectif de sa demande en vue de contre-interroger M. Williams.

[85]  Il est vrai que la possibilité de contre-interroger des témoins a été jugée comme un élément fondamental du principe d’équité procédurale dans ce type de procédure. Toutefois, les dossiers concernent souvent des situations où il n’y a pas de contre-interrogatoire, et où le contre-interrogatoire a été interrompu ou considérablement affecté par les interventions du décideur. L’extrait qui suit, tiré de la décision Banque Royale du Canada c Siu, 2005 CF 1483, au paragraphe 58, résume bien le droit applicable au refus de permettre un contre-interrogatoire :

Dans la décision Noel, précitée, la Cour a conclu que des éléments de preuve inadmissibles qui ont été obtenus de façon irrégulière en contre-interrogatoire peuvent faire l’objet d’un nouvel examen. De même, dans d’autres compétences d’arbitrage des relations de travail, il a été déterminé que le refus de permettre un contre-interrogatoire ou l’exclusion d’éléments de preuve admissibles et pertinents constitue un motif de révision et peut donner lieu à une ordonnance annulant l’octroi de dommages-intérêts si une grave injustice en a résulté; [renvois omis].

[86]  Dans l’examen de la question de savoir si une « grave injustice » a résulté du refus de permettre un contre-interrogatoire, il est essentiel de tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire. En l’espèce, Caron a mené un contre-interrogatoire étoffé de M. Williams durant l’audience. La plainte ici est liée au refus de permettre de contre-interroger M. Williams sur un document, se rapportant à son emploi subséquent, après la conclusion de l’audience. J’estime que ce refus n’équivaut pas à un manquement à l’équité procédurale, surtout que Caron a eu pleinement possibilité de vérifier la crédibilité de M. Williams concernant tous les autres aspects de son témoignage durant l’audience elle-même.

c)  Crainte raisonnable de partialité

[87]  Le dernier argument concernant la question de l’équité procédurale est que la conduite de l’arbitre durant l’audience soulève une crainte raisonnable de partialité. Le critère relatif à la partialité est bien connu : Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[88]  Je traiterai brièvement de cet argument, puisque je ne retiens pas l’argument avancé sur ce point compte tenu des circonstances de la présente affaire. En l’espèce, Caron était représentée par un avocat, et M. Williams se représentait lui-même. Je rappelle que M. Williams a affirmé dans son témoignage qu’il pouvait à peine lire et écrire, et qu’il n’avait jamais lu un livre en entier, ou utilisé un ordinateur. Dans les circonstances, le fait que l’arbitre n’ait pas suivi les règles reconnues concernant les interrogatoires et les contre-interrogatoires des témoins, ou qu’il ait dit à un certain moment durant l’audience : [traduction] « Il ne s’en tire pas mal, qu’en dites-vous? » ne permet pas de conclure qu’une personne raisonnable aurait pensé que l’arbitre faisait preuve de partialité, réelle ou perçue, à l’endroit de Caron.

[89]  Je dois mentionner que, durant l’audience devant moi, et en dépit de mes mises en garde, M. Williams a fait certaines déclarations qui dépassaient la portée des considérations pertinentes en contrôle judiciaire. Je l’en ai informé à de nombreuses reprises pendant les procédures, et il n’a pas continué. Je n’ai accordé aucun poids ni importance à ces questions, me limitant à les noter au dossier. Comme l’arbitre, je les interprète comme émanant d’une personne qui cherche à se représenter elle-même dans une procédure judiciaire qui ne lui est pas du tout familière.

[90]  En outre, Caron a fait valoir que l’arbitre a été indûment clément à l’endroit de M. Williams durant l’audience – M. Williams a été autorisé à poser des questions suggestives, à donner un témoignage alors qu’il posait des questions, à répéter des questions, et à appeler un témoin qui n’était pas inscrit sur la liste. Je n’examinerai pas ces points en détail, et je me contenterai de dire que selon moi, les erreurs alléguées, considérées seules ou dans leur ensemble, ne sont pas de nature à soulever une crainte raisonnable de partialité compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

IV.  Conclusion

[91]  Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, par le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je ne rendrai pas d’ordonnance à l’égard des dépens.

[92]  Il devrait ressortir clairement de mes motifs que, même si je rejette la demande de contrôle judiciaire, je reconnais que les arguments de Caron ont une certaine force, compte tenu de la manière avec laquelle l’arbitre a formulé sa décision, et du contexte plus général des préoccupations sur la violence en milieu de travail. Plus précisément, vu le contexte social et légal lié aux réponses qui s’imposent pour contrer la violence en milieu de travail, l’approche adoptée par l’entreprise est digne de mention : elle a pris au sérieux la question de la violence en milieu de travail, a adopté et mis en œuvre une politique s’y rapportant, et a réagi quand est survenu un problème.

[93]  Cependant, c’est l’arbitre qui entend les témoins et applique le droit à la preuve, tâche que lui a confiée le législateur. La tâche qui me revenait n’était pas d’appliquer mon propre point de vue de la question, mais plutôt de déterminer si la décision appartenait aux solutions raisonnables au regard du droit et des faits, et j’ai donc conclu que la décision ne devrait pas être infirmée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-496-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de juin 2020

Lionbridge


ANNEXE

Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304 :

Notification et enquête

Notification and Investigation

20.9 (1) Au présent article, personne compétente s’entend de toute personne qui, à la fois :

20.9 (1) In this section, competent person means a person who

a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;

(a) is impartial and is seen by the parties to be impartial;

b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;

(b) has knowledge, training and experience in issues relating to work place violence; and

c) connaît les textes législatifs applicables.

(c) has knowledge of relevant legislation.

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.

(2) If an employer becomes aware of work place violence or alleged work place violence, the employer shall try to resolve the matter with the employee as soon as possible.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.

(3) If the matter is unresolved, the employer shall appoint a competent person to investigate the work place violence and provide that person with any relevant information whose disclosure is not prohibited by law and that would not reveal the identity of persons involved without their consent.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

(4) The competent person shall investigate the work place violence and at the completion of the investigation provide to the employer a written report with conclusions and recommendations.

(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :

(5) The employer shall, on completion of the investigation into the work place violence,

a) conserve un dossier de celui-ci;

(a) keep a record of the report from the competent person;

b) transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni ne soient susceptibles de révéler l’identité de personnes sans leur consentement;

(b) provide the work place committee or the health and safety representative, as the case may be, with the report of the competent person, providing information whose disclosure is not prohibited by law and that would not reveal the identity of persons involved without their consent; and

c) met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète.

(c) adapt or implement, as the case may be, controls referred to in subsection 20.6(1) to prevent a recurrence of the work place violence.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-496-17

 

INTITULÉ :

CARON TRANSPORT LTD. c QUENCY WILLIAMS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Ryan K. Smith

 

Pour la demanderesse

 

Quency Williams

 

Pour le défendeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neuman Thompson

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.