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Date : 20180227


Dossier : IMM-2994-17

Référence : 2018 CF 221

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ESKENDER FUAD IBRAHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, originaire d’Éthiopie, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 13 juin 2017 rendue par la Section d’appel de l’immigration, laquelle confirme la mesure de renvoi prise à l’encontre du demandeur pour fausses déclarations, conformément à l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La Section d’appel de l’immigration a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans ce dossier.

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est issu du clan Oromo d’Éthiopie. En 1999, à cause des troubles en Éthiopie, il est parti s’établir au Kenya.

[3]  En janvier 2008, le demandeur a fait la rencontre de son épouse au Kenya. L’épouse du demandeur est issue du clan Midgan, un groupe marginalisé dont le statut est inférieur à celui du clan Oromo. Les Midgans n’ont aucun trait visible qui leur est propre, et l’épouse du demandeur parlait la langue oromo et vivait au sein des Oromos au Kenya.

[4]  Le demandeur et son épouse se sont mariés en mars 2008 au Kenya et ont eu deux enfants.

[5]  En 2008, le père du demandeur a entamé le processus de parrainage pour faire venir le demandeur au Canada.

[6]  En 2011, le demandeur a obtenu son visa au bureau des visas du Canada à Nairobi. Lorsqu’il a obtenu son visa, il n’a pas indiqué que son état matrimonial avait changé ni qu’il avait deux enfants.

[7]  Une semaine après l’entrevue au bureau des visas à Nairobi, à sa demande, un ami du demandeur envoie une lettre, datée du 8 mars 2011, à la section des visas du Haut-commissariat du Canada à Nairobi pour faire part du nouvel état matrimonial. Le bureau des visas a reçu la lettre le 11 mars 2011.

[8]  Les demandeurs sont entrés au Canada le 9 mars 2011. À son arrivée au Canada, il a indiqué qu’il avait des enfants, mais n’a pas mentionné son mariage.

[9]  Le 18 juillet 2016, la Section de l’immigration a déclaré le demandeur interdit de territoire et a émis une mesure de renvoi pour fausses déclarations, par application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que la mesure de renvoi était valable sur le plan légal. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur ne conteste pas cette conclusion.

[11]  Sur la question de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Section d’appel de l’immigration a indiqué qu’elle était tenue d’appliquer les facteurs établis dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (Commission d’appel de l’immigration), qui ont été modifiés dans le cas de fausses déclarations par la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Deol, 2009 CF 990.

[12]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que la fausse déclaration était grave, car le demandeur était parrainé au Canada par son père en tant que membre de la famille à charge. Si, au moment du parrainage, il était marié, le demandeur n’était pas admissible. La Section d’appel de l’immigration soutient que le demandeur aurait dû savoir tout au long du processus de parrainage qu’il devait informer les fonctionnaires de l’existence de son épouse et de ses enfants. Elle a conclu que le demandeur était au courant de cette obligation puisqu’il s’est organisé pour qu’une lettre à ce sujet soit envoyée. La Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur a omis de divulguer cette information avant son départ parce qu’il savait qu’elle compromettrait son immigration au Canada.

[13]  En ce qui concerne son mariage avec une personne d’un clan marginalisé, elle reconnaît qu’un mariage entre clans pourrait avoir une incidence sur la situation familiale du demandeur en Éthiopie. Cependant, la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’il n’y a aucun élément de preuve que le couple avait été victime de discrimination après leur mariage au Kenya. De plus, la Section d’appel de l’immigration a noté que l’épouse du demandeur a choisi de quitter le Kenya et de retourner en Éthiopie avec ses enfants pour être plus près de sa famille. La Section d’appel de l’immigration ajoute que le demandeur avait invité des amis et des membres de la famille à venir à l’audience devant la Section d’appel de l’immigration, mais qu’il ne leur avait pas encore dévoilé qu’il était marié à une femme midgan. La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’il [traduction] « n’était guère logique » de le faire compte tenu du risque allégué par le demandeur. Elle en a conclu que le demandeur surestime ou exagère les risques auxquels il ferait face en Éthiopie en raison de son mariage de clan mixte, car il n’y a aucune raison que les origines de son épouse deviennent publiques.

[14]  En ce qui concerne le facteur d’établissement, la Section d’appel de l’immigration a noté que le demandeur avait seulement vécu au Canada six ans et que son degré d’établissement était un facteur peu positif. Elle a mentionné son travail et son bénévolat au Canada. La Section d’appel de l’immigration a refusé d’accorder un facteur favorable aux lettres de soutien provenant d’amis et de sympathisants au Canada parce que le demandeur n’a pas révélé à ceux-ci qu’il était marié à une femme midgan et parce que les liens avec sa famille immédiate au Canada étaient tendus.

[15]  Sur la situation au Kenya et en Éthiopie, la Section d’appel de l’immigration a mentionné les troubles civils ayant cours en Éthiopie. Cependant, elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve que le gouvernement visait le peuple Oromo. De plus, la Section d’appel de l’immigration a conclu que rien n’indique que ces désordres civils affectaient directement la femme et les enfants du demandeur. La Section d’appel de l’immigration a noté que, même si le demandeur n’est pas retourné en Éthiopie depuis des années, il existe des réseaux de soutien en place pour sa réintégration.

[16]  En dernier lieu, la Section d’appel de l’immigration s’est penchée sur l’intérêt supérieur des enfants. Le demandeur a déclaré que ses enfants seraient dans une situation plus favorable s’il restait employé au Canada pour les soutenir financièrement. La Section d’appel de l’immigration a cependant noté qu’il est difficile pour les enfants de vivre sans leur père. Elle a conclu que, bien qu’il soit dans l’intérêt supérieur financier des enfants que le demandeur reste au Canada, sa présence physique auprès d’eux joue un rôle plus important dans l’examen de l’intérêt supérieur des enfants.

[17]  La Section d’appel de l’immigration a également conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier une dispense spéciale.

III.  Question préliminaire

[18]  Les parties font valoir que l’intitulé de la cause devrait être modifié pour désigner le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur. Je suis d’accord et l’intitulé sera modifié en ce sens.

IV.  Norme de contrôle

[19]  Il n’est pas controversé entre les parties que la norme applicable au contrôle soit celle de la décision raisonnable.

V.  Questions en litige

[20]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. La question du mariage entre clans a-t-elle été bien examinée?
  2. Les risques d’un retour éventuel en Éthiopie
  3. L’intérêt supérieur des enfants

VI.  Discussion

A.  La question du mariage entre clans a-t-elle été bien examinée?

[21]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur à l’évaluation de la preuve relativement aux risques encourus par un mariage entre clans. Il affirme que son mariage est un tabou social et n’est pas accepté culturellement. Cet argument est étayé par la réaction de sa propre famille. Il fait valoir que, s’il retournait en Éthiopie, ce fait pourrait s’ébruiter et que, par conséquent, sa famille et lui seraient en danger.

[22]  La Section d’appel de l’immigration a examiné les éléments de preuve qui montrent que, même si les Éthiopiens sont portés à poser des questions sur les origines d’une personne, ce type de question se pose généralement au moment du mariage. Dans la présente affaire, le demandeur et sa femme étant mariés depuis plusieurs années, la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une préoccupation valable. Par ailleurs, l’épouse du demandeur a quitté le Kenya pour retourner en Éthiopie et vivre plus près de sa famille. La Section d’appel de l’immigration a également noté une absence de traits distinctifs qui indiqueraient que son épouse est issue du clan Midgan.

[23]  La Section d’appel de l’immigration conclut qu’il n’y a aucun élément de preuve qui montre que les origines de l’épouse du demandeur étaient connues; même si elles l’avaient été, la Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur avait exagéré les conséquences négatives d’une divulgation. La Section d’appel de l’immigration a noté que le demandeur et son épouse ont vécu sans problèmes parmi les Oromos au Kenya.

[24]  Ces conclusions sont toutes raisonnables à la lumière du dossier. Il incombe au demandeur de montrer les éléments de preuve qui appuient ses déclarations (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5). Dans la présente affaire, la Section d’appel de l’immigration a examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés et a appliqué de manière raisonnable ceux-ci à la situation. Les conclusions de la Section d’appel de l’immigration commandent la retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 et 58; Sivapatham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 721, au paragraphe 12).

[25]  Il était raisonnable que la Section d’appel de l’immigration conclue que les éléments de preuve du demandeur [traduction] « manquaient de précision et n’étaient pas conclusifs » sur le simple fait qu’être marié à une personne d’un autre clan entraînerait de la discrimination (Iamkhong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 355, au paragraphe 53 [Iamkhong]).

B.  Les risques d’un éventuel retour en Éthiopie

[26]  Le demandeur soutient que les éléments de preuve documentaire montrent qu’il ferait face à des difficultés en Éthiopie en tant qu’Oromo.

[27]  La Section d’appel de l’immigration a examiné la situation au pays et a noté que les éléments de preuve montrent que les attaques commises contre les Oromos visent uniquement les personnes qui sont considérées comme des voix dissidentes, à savoir les étudiants, les artistes et les chefs de l’opposition. Rien ne prouve en l’espèce que le demandeur répondait à l’un de ces profils. La Section d’appel de l’immigration a donc conclu que le demandeur n’a pas démontré en quoi consistaient les risques à son égard à partir de la situation générale du pays.

[28]  Pour les motifs énoncés plus tôt, la Section d’appel de l’immigration est arrivée à une conclusion raisonnable (Iamkhong, au paragraphe 53).

C.  Intérêt supérieur de l’enfant

[29]  Le demandeur soutient que la conclusion de la Section d’appel de l’immigration relative à l’intérêt supérieur des enfants est déraisonnable, car des éléments de preuve irréfutables démontrent qu’il est la seule personne à soutenir financièrement ses enfants. Il prétend que la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle la présence physique du demandeur auprès de ses enfants devrait se voir accorder plus de poids que le soutien financier va à l’encontre de l’enseignement de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61.

[30]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que l’intérêt supérieur des enfants est un facteur positif qui milite en faveur du demandeur, sans être impérieux. Elle est arrivée à cette conclusion en se fondant sur le fait que, bien que le demandeur soit le seul soutien financier pour sa famille au Canada, ses enfants bénéficieraient de la présence de leur père. Par ailleurs, pour ce qui est du statut d’unique soutien financier pour la famille, la Section d’appel de l’immigration a noté que rien ne montre que le demandeur ne pourrait pas travailler en Éthiopie.

[31]  Malgré son importance, le facteur de l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce n’est pas déterminant (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 24). Lors d’un contrôle relatif à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau les différents facteurs de l’analyse et de déterminer l’importance de chacun.

[32]  Même si le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte de la crise humanitaire des enfants en Éthiopie, la Section d’appel de l’immigration ne disposait que de peu d’éléments de preuve qui s’appliquent directement aux enfants du demandeur; il est alors impossible de reprocher à la Section d’appel de l’immigration de ne pas en avoir fait un élément déterminant de son analyse (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, aux paragraphes 10 et 11).

[33]  Le demandeur demande à la Cour d’accorder plus de poids à l’intérêt supérieur des enfants, alors que la Section d’appel de l’immigration a déjà conclu qu’il s’agissait d’un facteur positif. Il n’appartient pas à notre Cour de le faire.

VII.  Conclusion

[34]  Globalement, la Section d’appel de l’immigration a soupesé les facteurs de la cause et a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour accueillir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, vu les circonstances. La décision de la Section d’appel de l’immigration est justifiée, transparente et intelligible et, par conséquent, elle est raisonnable.

[35]  Globalement, la Section d’appel de l’immigration a soupesé les éléments de preuve devant elle et conclu qu’ils n’étaient pas suffisants pour accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. À l’examen des éléments de preuve divergents, cette conclusion apparaît raisonnable et elle appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 11 et 12).


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2994-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé est modifié de façon à ce que le défendeur désigné soit le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2994-17

INTITULÉ :

ESKENDER FUAD IBRAHIM c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JANVIER 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 27 FÉVRIER 2018

COMPARUTIONS :

Cheryl Robinson

POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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