Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180302


Dossier : IMM-886-17

Référence : 2018 CF 240

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2018

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

BERHANE TESWOLD BERAKI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 2003, M. Berhane Teswold Beraki est arrivé au Canada de l’Érythrée avec sa famille. Ils se sont vu accorder le statut de réfugié et ils ont présenté une demande de résidence permanente. Un agent d’immigration a rejeté leurs demandes au motif que M. Beraki était un ancien membre du Front de libération de l’Érythrée (FLE), un groupe qui était, selon l’agent, une organisation terroriste. Cette conclusion a été infirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais un deuxième agent est arrivé à cette même conclusion.

[2]  Le deuxième agent a conclu que M. Beraki avait à de nombreuses reprises admis être membre du FLE. L’agent a recherché si le FLE était une organisation terroriste, examinant différents rapports et éléments de preuve documentaire portant sur le groupe. Il a conclu que le FLE avait kidnappé des civils et détourné des avions et que M. Beraki était probablement au courant de ces activités et qu’il avait contribué aux objectifs du FLE.

[3]  M. Beraki allègue que la décision de l’agent était déraisonnable compte tenu des éléments de preuve parce que bien qu’il ait admis être membre du FLE, il n’avait en fait participé à aucune activité terroriste. En outre, M. Beraki soutient que l’agent avait refusé de façon déraisonnable de lui accorder la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Il me demande d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner qu’un autre agent réexamine sa demande.

[4]  Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de l’agent. L’agent a raisonnablement conclu que le FLE s’était livré à des activités terroristes et que M. Beraki en était membre. De plus, l’agent a examiné les facteurs d’ordre humanitaire pertinents et il a raisonnablement conclu qu’ils ne correspondaient pas à des considérations justifiant la prise d’une mesure exceptionnelle. En conséquence, je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]  Deux questions sont soulevées :

  1. La conclusion de l’agent selon laquelle M. Beraki était membre d’un groupe terroriste était-elle déraisonnable?

  2. L’agent a-t-il refusé de façon déraisonnable d’accorder à M. Beraki la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire?

II.  La décision de l’agent

[6]  M. Beraki a admis à l’agent qu’il a été membre du FLE pendant 30 ans et les éléments de preuve appuient cette admission. M. Beraki a été formé par le FLE, a organisé des rencontres de jeunes, a fait la promotion des objectifs du FLE, a recueilli des fonds pour le groupe et a distribué de l’information sur la guerre avec l’Éthiopie.

[7]  L’agent a examiné si le FLE était un groupe terroriste. L’agent a examiné les éléments de preuve documentaire provenant de plusieurs sources. L’ensemble des éléments de preuve montre que le FLE a participé à des opérations militaires depuis le début des années 1960. Dans les années 1970, une faction du FLE s’est séparée pour former le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE) et une guerre civile a éclaté entre le FLE et le FPLE.

[8]  D’autres éléments de preuve décrivent la participation du FLE à des détournements, à des assassinats, à de l’extorsion et à des enlèvements. Certains qualifient les activités du FLE comme étant liées à la lutte de l’Érythrée pour l’indépendance et ne sont donc pas correctement décrites comme des actes terroristes. Toutefois, l’agent a conclu que les actions du FLE respectaient la définition d’activité terroriste prévue au droit canadien (c’est-à-dire en application du Code criminel). En outre, en raison de son association avec le FLE qui a duré des décennies, M. Beraki était probablement au courant des activités du groupe et il a échangé des renseignements à leur sujet avec d’autres membres, malgré qu’il prétende le contraire.

[9]  Selon ces éléments de preuve, l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le FLE était une organisation qui se livrait au terrorisme et que M. Beraki était interdit de territoire au Canada en raison de son adhésion à ce groupe, même s’il n’était pas directement responsable des actes terroristes.

[10]  L’agent a examiné la question de savoir si M. Beraki pouvait avoir droit à une dispense ministérielle pour des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a examiné l’établissement de M. Beraki au Canada, sa situation financière et la situation de sa famille. Selon l’agent, rien ne démontre que M. Beraki s’est clairement établi au Canada ou que ses liens familiaux y étaient importants. L’agent a également tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants de M. Beraki et il a conclu que peu d’éléments de preuve indiquaient que les enfants subiraient des conséquences négatives si M. Beraki n’obtenait pas la résidence permanente au Canada. Étant donné son statut de réfugié, M. Beraki ne peut être renvoyé. Toute incidence négative sur les enfants en raison du fait qu’il est reconnu comme étant membre d’une organisation terroriste était, selon l’agent, spéculative.

[11]  Dans l’ensemble, l’agent a donc conclu que les facteurs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur son appartenance à une organisation terroriste.

III.  La conclusion de l’agent selon laquelle M. Beraki était membre d’un groupe terroriste était-elle déraisonnable?

[12]  M. Beraki allègue que le FLE est composé de plusieurs factions et qu’il n’a jamais été membre de l’une des divisions responsables de violences. En outre, M. Beraki prétend que l’agent a conclu à tort qu’il était au courant des actes violents du groupe. Le FLE avait un objectif général de parvenir l’indépendance et tous les membres peuvent avoir souhaité le même résultat, mais cela ne signifie pas, selon M. Beraki, qu’ils devraient tous être considérés comme membres d’un groupe terroriste. M. Beraki s’en remet à une opinion du Conseil canadien pour les réfugiés qui indique que le FLE n’a jamais été reconnu comme une organisation terroriste et que les membres ne devraient pas être considérés comme interdits de territoire au Canada.

[13]  Mon analyse de la situation est différente. La preuve dont était saisi l’agent indiquait qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le FLE s’était livré à divers actes terroristes dans le but d’obtenir l’indépendance de l’Érythrée. Le fait que M. Beraki n’ait pas personnellement participé aux activités terroristes du FLE ne signifie pas qu’il n’en est pas membre. Une personne peut être interdite de territoire au Canada pour s’être livrée au terrorisme (alinéa 34(1)c)) ou pour son appartenance à un groupe terroriste (alinéa 34(1)f)). Une conclusion d’interdiction de territoire pour le dernier motif n’exige pas de faire la preuve du premier; autrement, l’alinéa 34(1)f) serait redondant (Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2014 CF 85, au paragraphe 44).

[14]  Par conséquent, la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Beraki était membre d’un groupe terroriste n’était pas déraisonnable.

IV.  L’agent a-t-il refusé de façon déraisonnable d’accorder à M. Beraki la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire?

[15]  M. Beraki soutient qu’il a vécu paisiblement au Canada pendant 13 ans. Selon lui, l’agent n’a pas expliqué comment son appartenance passée au FLE l’a emporté sur des facteurs positifs d’ordre humanitaire militant en sa faveur.

[16]  Je ne suis pas d’accord. L’agent a raisonnablement conclu que M. Beraki n’avait pas démontré qu’il s’était clairement établi au Canada pendant les 13 années qu’il a vécu ici. En outre, comme il n’y a pas de risque que M. Beraki, un réfugié au sens de la Convention, soit renvoyé du Canada, il y a peu d’éléments de preuve indiquant que ses enfants subiront des conséquences négatives si sa demande de résidence permanente est rejetée.

[17]  L’agent a noté le rôle non violent de M. Beraki dans le FLE, mais il a conclu qu’il n’y avait pas de facteurs compensatoires convaincants militant pour une conclusion positive relativement à des considérations d’ordre humanitaire. En outre, selon les éléments de preuve présentés, la décision de l’agent n’était pas déraisonnable.

V.  Conclusion et décision

[18]  L’agent a raisonnablement conclu que M. Beraki était membre d’un groupe terroriste et que les facteurs positifs d’ordre humanitaire en sa faveur ne militaient pas pour une issue positive quant à sa demande de résidence permanente. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-886-17

LA COUR  rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-886-17

 

INTITULÉ :

BERHANE TESWOLD BERAKI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Jack Martin

 

Pour le demandeur

 

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack C. Martin

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.