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Date : 20180307


Dossiers : IMM-1534-17

IMM-1901-17

Référence : 2018 CF 262

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2018

En présence de monsieur le juge O’Reilly

Dossier : IMM-1534-17

ENTRE :

MARINO VICTORIA CARDENAS

VALERIE VICTORIA

RAFI MATTHEW VICTORIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-1901-17

ET ENTRE :

MARTHA LUCIA GOMEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 1999, les demandeurs, M. Marino Victoria Cardenas et son épouse, Martha Gomez, ont fui la Colombie avec leurs enfants par peur des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Les demandes d’asile, d’examen des risques avant renvoi (ERAR), et de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaires (demande CH) présentées par M. Victoria Cardenas et Mme Gomez ont été rejetées. La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision rendue relativement aux ERAR des demandeurs. J’ai rendu une décision distincte concernant la demande CH des demandeurs.

[2]  Dans leurs demandes d’ERAR, les demandeurs ont expliqué que M. Victoria Cardenas avait été pris pour cible par les FARC après avoir remporté une élection contre un candidat qu’appuyaient les FARC. Il a reçu des menaces de mort, et une tentative d’assassinat contre lui a entraîné la mort de son neveu. M. Victoria Cardenas a fui vers les États-Unis en 1992; Mme Gomez l’a rejoint deux ans plus tard. Croyant que la situation s’était améliorée en Colombie, ils y sont retournés en 1999. Toutefois, les FARC recherchaient toujours M. Victoria Cardenas. Des membres des FARC ont violé Mme Gomez et annoncé clairement leurs intentions de pourchasser M. Victoria Cardenas. La famille est repartie pour les États-Unis. Les demandeurs affirment que le frère de M. Victoria Cardenas et un collègue ont tous deux été par la suite assassinés par les FARC.

[3]  M. Victoria Cardenas et Mme Gomez ont vécu et travaillé illégalement aux États-Unis, en utilisant de faux documents d’identité. M. Victoria Cardenas a été reconnu coupable de fraude en matière d’identité, et de conduite avec les facultés affaiblies. Mme Gomez a admis avoir acheté de faux documents et avoir participé à un mariage frauduleux avec un citoyen américain.

[4]  En 2009, les demandeurs sont venus au Canada et ont réclamé l’asile. M. Victoria Cardenas a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de son dossier criminel, et de son apparente intention de demeurer au Canada de façon permanente (en vertu des alinéas 20(1)a) et 36(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) – voir l’annexe pour obtenir la liste des dispositions citées). Par conséquent, M. Victoria Cardenas ne pouvait revendiquer le statut de réfugié.

[5]  Les autres demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées en 2013 au motif qu’ils n’avaient pas fait la démonstration d’une absence de protection de l’État en Colombie ou de l’impossibilité de vivre en sécurité dans une autre partie du pays.

[6]  En 2016, les demandeurs ont déposé leurs demandes d’ERAR. M. Victoria Cardenas a inclus les enfants dans sa demande; Mme Gomez a présenté une demande distincte. L’agent d’ERAR a rejeté les deux demandes, essentiellement pour les mêmes raisons.

[7]  Les demandeurs soutiennent que l’agent d’ERAR les a traités de manière inéquitable, et a rendu des décisions déraisonnables. Ils maintiennent que l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve auxquels ils n’ont pas eu accès et a tiré une conclusion négative sur leur crédibilité sans tenir une audience. Ils affirment également que l’agent a accordé une importance excessive à des éléments de preuve documentaires désuets. Enfin, ils soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il existait des raisons impérieuses de permettre à Mme Gomez de demeurer au Canada. Ils me demandent d’annuler les décisions de l’agent et d’ordonner qu’un autre agent examine à nouveau leurs demandes d’ERAR.

[8]  Je ne peux trouver aucun motif justifiant l’annulation des décisions de l’agent. L’agent a traité les demandeurs de manière équitable, et ses conclusions étaient étayées par la preuve au dossier. Par conséquent, je dois rejeter les demandes de contrôle judiciaire.

[9]  Quatre questions se posent en l’espèce :

  1. L’agent a-t-il traité les demandeurs de façon inéquitable?

  2. L’agent s’est-il de façon déraisonnable appuyé sur des éléments de preuve désuets?

  3. L’agent a-t-il conclu de façon déraisonnable que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Colombie?

  4. L’agent a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’y a pas de raisons impérieuses de permettre à Mme Gomez de demeurer au Canada?

II.  La décision de l’agent

[10]  L’agent a reconnu que Mme Gomez avait été violée, mais il n’était pas convaincu que le collègue de M. Victoria Cardenas et son frère ont été assassinés par les FARC. L’agent a conclu que depuis 1999, les demandeurs n’avaient pas été pris pour cibles par les FARC.

[11]  En ce qui concerne la possibilité de refuge intérieur, l’agent a conclu que les demandeurs seraient probablement en sécurité à Bogota ou à Cartagena, plutôt que dans leur ville natale de Roldanillo.

[12]  Sur la question de la protection de l’État, l’agent a conclu que même s’il existait des témoignages de violence et de violation des droits de la personne en Colombie, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que les demandeurs seraient pris pour cibles, en particulier dans des grandes villes comme Bogota et Cartagena, où les FARC sont plus faibles. L’agent a reconnu que ceux qui sont renvoyés en Colombie font parfois face à un risque d’enlèvement parce qu’ils sont perçus comme étant relativement riches. Toutefois, une fois de plus, ce risque est plus faible dans les grands centres. Selon l’agent, les demandeurs pourraient subir de la discrimination à leur retour en raison de leur origine afro-colombienne, mais pas être exposés à un risque de torture ou de mort.

III.  L’agent a-t-il traité les demandeurs de façon inéquitable?

[13]  Les demandeurs maintiennent que l’agent s’est appuyé sur un rapport daté d’avril 2016, alors que leurs observations pour l’agent ont été déposées un an plus tôt. Naturellement, ils n’ont pas eu la possibilité de répondre à ce rapport, et il était injuste que l’agent s’appuie sur ce rapport, selon les demandeurs.

[14]  De plus, les demandeurs soutiennent que l’agent avait l’obligation de convoquer une audience parce qu’ils en avaient précisément demandé une, et que les motifs de l’agent comportent des conclusions déguisées quant à leur crédibilité. Les demandeurs affirment que l’agent aurait dû leur accorder une audience avant de tirer des conclusions défavorables sur leur crédibilité.

[15]  Je suis en désaccord avec les demandeurs sur ces deux points.

[16]  D’abord, le rapport contesté était publiquement disponible et ne faisait état d’aucun changement majeur de la situation en Colombie. En fait, les parties du document de 2016 sur lesquelles l’agent s’est appuyé citaient un rapport précédent de 2013. Je ne relève aucun traitement inéquitable de la part de l’agent concernant cet élément de preuve.

[17]  Deuxièmement, l’agent n’a pas tiré de conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs. Il a plutôt conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant, par exemple, que les FARC avaient tué des membres de la famille des demandeurs. La preuve concernant ces décès émanait de documents déposés par les demandeurs, et non de leur propre témoignage. Ils n’ont pas été témoins des assassinats allégués, leur crédibilité n’était donc pas en cause.

[18]  Par conséquent, je ne peux pas conclure que l’agent a traité les demandeurs de manière déraisonnable.

IV.  L’agent s’est-il de façon déraisonnable appuyé sur des éléments de preuve désuets?

[19]  Les demandeurs affirment que l’agent a accordé une importance excessive à des éléments de preuve désuets. Comme il a été mentionné, l’agent s’est appuyé sur un rapport daté d’avril 2016. Toutefois, les demandeurs soulignent que l’agent a accordé le plus d’importance à des parties du rapport qui font référence à un document de 2013. Selon les demandeurs, le rapport de 2013 ne décrit pas avec exactitude qui sont les personnes ciblées par les FARC, ou la situation actuelle à Bogota et à Cartagena.

[20]  Les conclusions du rapport de 2013 ont été approuvées dans un rapport de la Direction des recherches de 2016. Les auteurs du rapport de 2016 ont pensé de toute évidence que les renseignements dans le document de 2013 étaient raisonnablement exacts et actuels. L’agent était autorisé à tenir compte de cet élément de preuve et à lui accorder l’importance qu’il méritait à son avis. Je ne peux pas dire que cette approche était déraisonnable.

V.  L’agent a-t-il conclu de façon déraisonnable que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Colombie?

[21]  Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas appliqué le bon critère. En particulier, ils disent que l’agent a omis d’évaluer s’il serait raisonnable pour eux de déménager dans une grande ville. L’agent a également omis de reconnaître, selon les demandeurs, le fait que M. Victoria Cardenas correspond au profil des personnes ciblées par les FARC, soit les figures politiques. À ce titre, il courrait un risque même dans les grandes villes.

[22]  Là encore, je ne partage pas cet avis.

[23]  Il incombe aux demandeurs de montrer qu’ils seraient en danger partout en Colombie, ou qu’il serait déraisonnable pour eux de déménager dans un endroit relativement sûr. Les demandeurs n’ont fourni à l’agent aucun élément de preuve nouveau sur ces questions. Quoi qu’il en soit, l’agent a tenu compte du fait que les demandeurs, de descendance africaine, pourraient subir de la discrimination dans une grande ville, mais a conclu qu’ils seraient vraisemblablement en sécurité.  L’agent n’a pas omis d’appliquer le bon critère.

[24]  Concernant le profil politique de M. Victoria Cardenas, l’agent a conclu que depuis 1999, les FARC n’avaient pas pris les demandeurs pour cibles. Je déduis d’après les motifs invoqués par l’agent que ce dernier a conclu qu’il était peu probable que M. Victoria Cardenas soit toujours considéré comme une figure politique en Colombie.

[25]  Je ne peux pas conclure que l’analyse de la preuve qu’a faite l’agent était déraisonnable.

VI.  L’agent a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’y a pas de raisons impérieuses de permettre à Mme Gomez de demeurer au Canada?

[26]  Les demandeurs soutiennent que l’examen qu’a fait l’agent de ce critère, reconnu au paragraphe 108(4) de la LIPR, était fondé sur un critère discrédité énoncé dans Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 630, en vertu duquel seules les personnes faisant l’objet d’un mauvais traitement [traduction] « épouvantable et atroce » pouvaient bénéficier d’une exception.

[27]  Je ne suis pas du même avis que les demandeurs sur cette question pour deux motifs.

[28]  D’abord, l’exception prévue par cette disposition ne s’adresse qu’aux personnes dont la qualité de réfugié a précédemment été reconnue. La demande d’asile de Mme Gomez n’a pas été accueillie. Ensuite, aucun nouvel élément de preuve n’a été fourni à l’agent sur cette question; il avait donc l’obligation d’accepter la décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés sur la même question.

[29]  Je ne relève aucune erreur dans la conclusion de l’agent.

VII.  Conclusion et disposition

[30]  Les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent d’ERAR les a traités de manière inéquitable, a tiré des conclusions déraisonnables, ou a par ailleurs commis une erreur dans son analyse. Par conséquent, je dois rejeter les présentes demandes de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-1534-17 ET IMM-1901-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

  2. Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

  3. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, en y substituant « MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION » à « MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ »;

« James W. O’Reilly »

Juge


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Obligation à l’entrée au Canada

Obligation on entry

20 (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20 (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence;

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

[…]

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

[…]

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

[…]

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossiers :

IMM-1534-17 ET IMM-1901-17

 


DOSSIER :

IMM-1534-17

 

INTITULÉ :

MARINO VICTORIA CARDENAS, VALERIE VICTORIA, RAFI MATTHEW VICTORIA c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

ET DOSSIER :

IMM-1901-17

 

INTITULÉ :

MARTHA LUCIA GOMEZ c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Subodh Singh Bharati

Tyler Goettl

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Subodh S. Bharati

Avocat

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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