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Date : 20180221


Dossier : T-640-17

Référence : 2018 CF 200

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

WILTON A. SMITH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, Wilton Anthony Smith, concernant la décision rendue le 22 mars 2017 par la Section d’appel (la Section d’appel) de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission), confirmant la décision de la Commission de rejeter sa demande de semi-liberté ou de libération conditionnelle totale.

[2]  Comme je l’explique en plus amples détails ci-dessous, la présente demande est accueillie, car j’ai conclu que la Commission et la Section d’appel ont toutes deux commis une erreur dans leur traitement de l’argument de M. Smith selon lequel un addenda préparé par l’Équipe de gestion des cas (EGC) du Service correctionnel du Canada (SCC) en prévision de son audience de libération conditionnelle n’aurait pas dû être pris en compte par la Commission.

II.  Résumé des faits

A.  Les faits

[3]  M. Smith est au début de la cinquantaine et purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré. Il est incarcéré depuis le 29 avril 1994 et se trouve actuellement à l’Établissement de Springhill, en Nouvelle-Écosse, établissement à sécurité moyenne où il est incarcéré depuis 2003. M. Smith a porté sa déclaration de culpabilité en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour suprême du Canada, mais en vain. Il continue de clamer son innocence.

[4]  Même si M. Smith est au Canada depuis le début de la vingtaine, il est né à la Jamaïque et fait actuellement l’objet d’une mesure d’expulsion.

[5]  Selon le dossier devant notre Cour, voici les événements ayant mené à la condamnation pour meurtre. M. Smith a entretenu une relation avec une femme nommée Patricia Innis de septembre à décembre 1991, lorsque M. Smith l’a agressée, l’a menacée avec un couteau et a volé plusieurs de ses biens. Il a été accusé d’avoir proféré des menaces, d’agression armée, de vol et de possession de biens criminellement obtenus. M. Smith a été libéré sous caution et assujetti à une ordonnance de non-communication avec Mme Innis. Il a désobéi à l’ordonnance et a continué d’avoir des contacts avec Mme Innis et de lui rendre visite. M. Smith devait être jugé le 12 mars 1992, mais le 10 mars 1992, il s’est introduit chez Mme Innis et l’a attaquée, la frappant au cou avec une machette, causant ainsi sa mort.

[6]  M. Smith a un fils, avec qui il est en contact, et a eu diverses relations amoureuses de durée variable pendant son incarcération. Il a participé au Programme des visites familiales privées (PVFP) avec ces femmes et son fils sans qu’on ne signale de problèmes en matière de violence familiale. M. Smith dit ne jamais avoir été violent dans ses relations. Il a aussi terminé tous les programmes de réadaptation proposés et l’on a dit de lui qu’il s’était comporté de façon appropriée lors de ces programmes et qu’il avait tiré profit de leur contenu. Le dossier carcéral de M. Smith fait état d’une déclaration de culpabilité pour port d’une arme dissimulée après un incident en 2001, où il a été trouvé en possession d’un couteau artisanal. À part cet incident et un différend, en 2016, avec un membre du personnel de cuisine de la prison, M. Smith semble s’être comporté de façon prosociale pendant son incarcération. Il a conservé un emploi et milite pour lui-même et les autres détenus.

[7]  M. Smith est devenu admissible à la libération conditionnelle de jour et à la libération conditionnelle totale en mars 2014 et en mars 2017, respectivement. Dans la demande ayant mené aux décisions faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Smith demandait soit la libération conditionnelle de jour pour une libération en Nouvelle-Écosse ou la libération conditionnelle totale en vue d’un éventuel retour en Jamaïque.

[8]  En prévision de son audience de libération conditionnelle devant la Commission, l’EGC de M. Smith a préparé une évaluation en vue d’une décision datée du 24 octobre 2016 (l’évaluation). Cette évaluation recommandait de lui refuser la libération conditionnelle, mais elle contenait des opinions dissidentes de certains membres de l’EGC de M. Smith et d’autres personnes ayant contribué à l’évaluation.

[9]  L’évaluation a été préparée par l’agente de libération conditionnelle de M. Smith, Diana Pettigrew, mais a également été signée par Carolanne Coon, gestionnaire, Évaluation et Intervention. Mme Pettigrew a indiqué qu’elle n’appuyait pas la demande de libération conditionnelle de jour de M. Smith, parce qu’il ne respectait pas totalement les recommandations des deux plus récents rapports psychologiques à son dossier. Elle a souligné les recommandations selon lesquelles M. Smith devrait premièrement être reclassé comme détenu à sécurité minimale avant de commencer à demander des libérations graduelles, comme des permissions de sortir sans escorte (PSSE), et a indiqué que M. Smith n’avait pas encore démontré à son EGC qu’il pouvait être maîtrisé en toute sécurité dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. Mme Pettigrew a aussi mentionné que M. Smith nie avoir commis le délit qui lui est reproché, et a souligné son manque d’introspection par rapport au meurtre et l’incapacité qui en résulte à examiner tous les détails de son cheminement criminel. Enfin, elle a soulevé des préoccupations selon lesquelles le risque que présente M. Smith pourrait ne pas être surveillé dans un contexte communautaire en raison de la mesure d’expulsion prise à son endroit.

[10]  Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, l’évaluation indiquait aussi qu’il y avait des opinions dissidentes relativement à la demande de libération conditionnelle de M. Smith. Les centres correctionnels communautaires (CCC) Carleton Centre et Carleton Centre Annex à Halifax, en Nouvelle-Écosse, étaient prêts à accueillir M. Smith pour une libération conditionnelle de jour, lorsqu’un lit se libérerait, et le SCC Dartmouth appuyait l’idée de lui accorder une libération conditionnelle de jour dans un CCC, sous réserve de certaines conditions spéciales. Mme Coon et Ian Carr, directeur adjoint des Interventions, ont aussi offert une opinion dissidente. Ils ont conclu qu’il n’y avait aucun avantage particulier à transférer M. Smith vers un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. Selon eux, le plan proposé de libération conditionnelle de jour serait suffisant pour gérer le risque que présentait M. Smith. Ils appuyaient aussi la libération conditionnelle totale en vue d’une expulsion vers la Jamaïque.

[11]  Mme Pettigrew a par la suite préparé un document supplémentaire, daté du 21 novembre 2016, intitulé [traduction] « Addenda à l’évaluation en vue d’une décision » (l’addenda). L’addenda a également été signé par Mme Susan Dunne, en qualité de superviseure du SCC; l’on y explique qu’il a été préparé pour offrir une mise à jour à la Commission au sujet du dossier de M. Smith. Bien que l’addenda n’ait pas changé la recommandation de l’évaluation (de refuser la demande de libération conditionnelle de jour ou totale de M. Smith), l’on y souligne deux nouveaux renseignements à communiquer à la Commission.

[12]  Premièrement, l’addenda indique que l’EGC a reçu de nouveaux renseignements de la communauté par l’entremise d’une évaluation communautaire datée du 16 novembre 2016. Selon l’addenda, l’EGC de l’établissement étudiait la possibilité d’une permission de sortir avec escorte (PSAE) pour permettre à M. Smith de visiter les CCC, car ils avaient appuyé sa demande de libération conditionnelle de jour. Cependant, lorsque les CCC ont examiné son dossier de plus près, ils ont soulevé certaines préoccupations et ont cessé d’appuyer sa libération. La communauté recommandait maintenant que M. Smith travaille plutôt à se faire transférer vers un établissement à sécurité minimale, et présente ensuite une demande de PSSE pour faciliter une libération graduelle.

[13]  Le second renseignement inclus dans l’addenda concernait l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il était indiqué dans l’addenda que le 25 octobre 2016, l’ASFC a affirmé que si l’on accordait à M. Smith une libération conditionnelle de jour, des agents de l’ASFC iraient le chercher à l’Établissement de Springhill dès sa libération. Un juge de l’immigration déciderait alors s’il serait libéré dans la communauté ou expulsé vers la Jamaïque. L’ASFC a indiqué que M. Smith n’avait pas à attendre sa libération conditionnelle totale pour être expulsé.

[14]  La position exprimée par M. Smith devant la Commission, la Section d’appel et maintenant la Cour inclut un argument selon lequel l’addenda n’aurait pas dû être pris en considération. Il souligne que l’addenda avait été préparé par son EGC dans le but d’obtenir une PSAE pour lui permettre de visiter les CCC de Halifax, mais il affirme ne pas avoir autorisé une telle enquête, car il n’avait pas présenté de demande pour une telle PSAE.

B.  Décision de la Commission

[15]  Après une audience, la Commission a rendu sa décision datée du 9 décembre 2016, par laquelle elle rejetait la demande de libération conditionnelle de jour ou totale de M. Smith (la décision de la Commission).

[16]  La Commission a souligné les préoccupations soulevées par M. Smith concernant l’addenda. Elle a ensuite procédé à l’examen du contenu de l’addenda et des autres éléments de preuve dont elle disposait, y compris les opinions divergentes de différents membres de l’EGC de M. Smith. La Commission n’était pas convaincue que ses plans de libération conditionnelle de jour et totale offraient la structure et le soutien nécessaires pour faciliter sa réinsertion sociale, compte tenu de la gravité de l’infraction qu’il avait commise et qu’il pourrait commettre, en cas de récidive, et du risque qu’il présentait pour la société. En tenant compte de ce qui précède, et de ce que la Commission a qualifié d’introspection limitée de la part de M. Smith à l’égard de ses facteurs de risque, et de difficulté à se conformer aux conditions, et du fait qu’il réduit au minimum l’importance de ses infractions et nie les avoir commises, la Commission était d’avis que ses plans actuels de libération nécessitaient une structure et une supervision plus importantes que ce qui pouvait être offert, même avec l’imposition de conditions spéciales.

[17]  La Commission était donc d’avis qu’une récidive de M. Smith pendant sa libération conditionnelle de jour ou totale constituerait un risque inacceptable pour la société.

C.  Décision de la Section d’appel

[18]  Le 22 mars 2017, la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission (la décision de la Section d’appel).

[19]  La Section d’appel indique dans sa décision que le plaidoyer en appel de M. Smith soulève trois questions : a) y a-t-il eu manquement à l’obligation de la Commission d’agir équitablement en raison d’un échange de renseignements inadéquat avec M. Smith? b) la Commission s’est-elle fiée à des renseignements erronés ou incomplets? c) la décision de la Commission était-elle raisonnable? La Section d’appel a souligné les allégations de M. Smith selon lesquelles la demande de PSAE pour visiter les CCC avait été préparée de façon frauduleuse et que son agente de libération conditionnelle s’était rendue coupable d’inconduite, mais elle a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour traiter ces plaintes. La Section d’appel a indiqué que le processus de règlement des plaintes en établissement du SCC était une option qui s’offrait à M. Smith s’il souhaitait aller de l’avant.

[20]  Pour ce qui est de la première question soulevée par M. Smith en appel, la Section d’appel a conclu que les dossiers indiquaient que tous les renseignements que la Commission devait prendre en considération lui avaient été communiqués suffisamment à l’avance.

[21]  Quant aux deuxième et troisième questions, la Section d’appel a conclu que M. Smith n’avait soulevé aucun motif qui l’aurait incitée à intervenir. Elle a conclu que la Commission avait évalué et soupesé de façon équitable les facteurs en sa faveur par rapport aux éléments du dossier qui la préoccupaient. Ces préoccupations incluaient la nature et la gravité de l’infraction à l’origine de sa peine, soit meurtre au premier degré, le fait qu’il nie toute responsabilité pour ce crime, ses facteurs de risque nécessitant toujours un niveau modéré d’amélioration, ses évaluations actuarielles, qui indiquaient un risque modéré de violence familiale, la nécessité d’une libération graduelle, compte tenu de la gravité de toute récidive et du temps passé en milieu institutionnel, et son refus de démontrer que le risque qu’il représentait pourrait être maîtrisé dans un environnement d’un niveau de sécurité inférieur. La Section d’appel a jugé que la conclusion de la Commission, selon laquelle M. Smith présentait un risque inacceptable pour la société, n’était pas déraisonnable et qu’elle était fondée sur des renseignements pertinents, fiables et convaincants.

III.  Norme de contrôle

[22]  La jurisprudence applicable établit que, même si c’est la décision de la Section d’appel qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour doit examiner la légalité de la décision de la Commission, en appliquant généralement la norme de la décision raisonnable, et en tenant compte de toute erreur distincte de la part de la Section d’appel. Comme l’a expliqué le juge LeBlanc aux paragraphes 18 et 19 de la décision Coon c Canada (Procureur général), 2016 CF 340 :

[18]  La révision judiciaire en matière de libération conditionnelle a ceci de particulier : bien que la Cour soit théoriquement saisie d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, elle est en réalité appelée à examiner la légalité de la décision de la Commission lorsque, comme ici, la Section d’appel confirme la décision de la Commission. Il en est ainsi, nous explique la Cour d’appel fédérale dans Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 RCF 317, puisqu’il se dégage de la Loi une intention de refuser la libération conditionnelle dès que la décision de la Commission est raisonnablement fondée en fait et en droit, le rôle de la Section d’appel étant limité à n’intervenir que dans les seuls cas où la Commission a commis une erreur de fait ou de droit et que cette erreur est déraisonnable (Cartier, aux para 6 à 10).

[19]  En d’autres termes, le législateur semble avoir privilégié la décision de la Commission faisant en sorte que si celle-ci est jugée raisonnable, celle par laquelle la Section d’appel l’a confirmée le sera également, sauf erreur particulière de sa part (Collins c Canada (Procureur général), 2014 CF 439, au para 36; Scott c Canada (Procureur général), 2010 CF 496, aux para 19-20).

[23]  Lorsqu’il est allégué que la Commission a commis une erreur en matière d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir Abraham c Canada (Procureur général), 2016 CF 390, au paragraphe 12; Ye c Canada (Procureur général), 2016 CF 35 [Ye], au paragraphe 10).

IV.  Questions en litige

[24]  Outre les questions substantielles soulevées par les parties, les défendeurs soulèvent une question en ce qui concerne la preuve dont est dûment saisie la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire, car ils affirment que l’affidavit de M. Smith, sur lequel il s’appuie dans son dossier de demande, contient en pièces jointes des documents qui n’avaient pas été présentés aux décideurs compétents.

[25]  En tenant compte de cette question touchant la preuve et en appliquant les principes précités concernant la norme de contrôle, j’estime que les arguments présentés par les parties soulèvent les questions suivantes que devra examiner la Cour :

  1. Quels sont les éléments de preuve qui ont été présentés à juste titre à la Cour?

  2. Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué l’évaluation du risque de violence familiale de M. Smith rend sa décision inéquitable sur le plan procédural ou déraisonnable?

  3. Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué la mesure d’expulsion prise à l’endroit de M. Smith rend sa décision déraisonnable?

  4. Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué le fait que M. Smith n’a pas été transféré à un établissement à sécurité minimale rend sa décision déraisonnable?

  5. Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué l’addenda rend sa décision inéquitable sur le plan procédural ou déraisonnable?

  6. Les décisions de la Commission ou de la Section d’appel sont-elles autrement déraisonnables?

V.  Discussion

A.  Quels sont les éléments de preuve qui ont été présentés à juste titre à la Cour?

[26]  Les défendeurs ont recensé, dans l’affidavit de M. Smith, un certain nombre d’éléments de preuve, ou de parties d’éléments de preuve, qui, selon eux, n’ont pas été présentés à juste titre à la Cour, car si on les compare au contenu du dossier certifié du tribunal, ils ne font pas partie du dossier présenté à la Section d’appel. Les défendeurs reconnaissent que, comme on l’a expliqué dans la décision Alkoka c Canada (Procureur général), 2013 CF 1102, au paragraphe 27, il y a des exceptions à cette règle générale concernant les documents jugés pertinents aux fins de contrôle judiciaire. Ces exceptions comprennent les documents pertinents relatifs aux allégations quant au manquement à l’équité procédurale ou à la partialité du décideur. Cependant, les défendeurs affirment que ces exceptions ne s’appliquent pas aux documents auxquels ils s’opposent en l’espèce.

[27]  Si je comprends bien, M. Smith ne conteste pas la position des défendeurs selon laquelle les documents auxquels ils s’opposent n’avaient pas été mis à la disposition de la Section d’appel. Il a plutôt expliqué à la Cour, lors de l’audience de la présente demande, qu’il avait inclus ces documents à son affidavit parce qu’ils portaient sur des questions courantes examinées par la Commission. Par exemple, la pièce O2 de l’affidavit est un reçu pour une autorisation de travailler à l’extérieur du périmètre daté du 30 mars 2017 et qui est, selon M. Smith, pertinent relativement au succès de ses efforts continus visant à démontrer qu’il ne présente pas un risque inacceptable pour la société. M. Smith a raison, ces efforts étaient pertinents, et ils ont été pris en considération dans les décisions de la Commission et de la Section d’appel. Toutefois, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que, sous réserve des exceptions applicables, les documents relatifs à ces efforts ne sont soumis à juste à titre à la Cour que s’ils portent sur des événements ayant eu lieu avant la décision et que le décideur en avait été saisi.

[28]  M. Smith n’a pas soutenu que les documents auxquels s’opposent les défendeurs font partie des exceptions applicables, comme le fait d’être nécessaires à la présentation d’arguments relatifs à l’équité procédurale. J’estime également qu’aucun des documents contestés ne fait partie des exceptions.

[29]  Par conséquent, je suis d’accord avec les défendeurs pour affirmer que les documents suivants, présentés dans l’affidavit de M. Smith, ne doivent pas être pris en considération par la Cour :

  1. Pièces « C », « C2 », « D », « E2 », « F2 », « J1 », « K », « M », « N », « O1 », et « O2 »;

  2. Le document intitulé [traduction] « Reçu pour une demande d’absence temporaire », daté du 30 juin 2016, à la pièce « G2 »;

  3. La pièce « D2 », sauf pour le document intitulé [traduction] « Formulaire de recommandation/décision relativement à une permission de sortir avec escorte » daté du 14 juin 2016;

  4. La pièce « F », à l’exception des documents suivants :

  5. Document intitulé [traduction] « Demande du détenu », datée du 5 juillet 2016, à la pièce « H1 »;

  6. Le document intitulé « Can I? May I? Should I? Getting it Right in Corrections » (« Pourrais-je? Puis-je? Devrais-je? Bien orienter le système correctionnel »), à la pièce « J »;

  7. Le document intitulé [traduction] « Demande du détenu », datée du 16 décembre 2016, à la pièce « N1 ».

  i.  [traduction] Note Re : Mini enquête systémique : Examen du régime rastafarien, exigences du régime religieux et menu national du SCC, datée du 8 mars 2016;

  ii.  [traduction] Demande du détenu Re : Souper du 2 juin 2016 (viande transformée), datée du 2 juin 2016;

  iii.  Affidavit de Claire Wilson, daté du 14 juin 2016;

  iv.  Affidavit de Steven William Jones, daté du 14 juin 2016;

B.  Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué l’évaluation du risque de violence familiale de M. Smith rend sa décision inéquitable sur le plan procédural ou déraisonnable?

[30]  Parmi les documents examinés par la Commission pour en arriver à sa décision se trouve une évaluation du risque de violence familiale (ERVF) datée du 25 février 2008, dans laquelle l’on a conclu que M. Smith présentait un risque élevé de violence imminente envers un partenaire et un faible risque de violence imminente envers les autres. M. Smith soulève un problème d’équité procédurale et fait valoir des arguments quant au caractère raisonnable de la décision de la Commission, compte tenu qu’elle a pris en considération ce document.

[31]  M. Smith soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de tenir compte de cette évaluation du risque de violence familiale, à la fois parce qu’elle est de plusieurs années antérieure aux rapports psychologiques dont était saisie la Commission, et parce qu’elle a été préparée par une agente de libération conditionnelle et non par un psychiatre ou un psychologue. Les deux rapports psychologiques auxquels M. Smith fait référence ont été préparés le 11 mai 2014 et le 28 septembre 2016. L’on a conclu dans les deux rapports que M. Smith présentait un risque général de récidive violente faible et un risque de violence familiale modéré.

[32]  Bien que les rapports psychologiques soient plus favorables à M. Smith que l’évaluation du risque de violence familiale, je souligne que la Commission les a examinés immédiatement après avoir fait mention de l’ERVF. Je reconnais les arguments de M. Smith, selon lesquels les rapports psychologiques sont plus récents que l’ERVF et qu’ils bénéficient des qualifications de leurs auteurs. Toutefois, comme l’ont affirmé les défendeurs, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour n’a pas pour rôle de réévaluer la preuve dont était saisie la Commission (voir Ye, au paragraphe 32). Je ne peux conclure que la décision de la Commission est déraisonnable parce que la Commission a pris en considération les deux rapports psychologiques et l’ERVF.

[33]  Pour sa part, la décision de la Section d’appel ne démontre pas, elle non plus, d’erreur distincte en lien avec cette question. En fait, les observations écrites de M. Smith présentées à la Section d’appel n’indiquent pas qu’il ait soulevé cet argument précis en appel. Ses observations relatives à l’évaluation du risque de violence familiale portaient plutôt sur des questions d’équité procédurale, que j’aborderai plus loin.

[34]  Outre ses arguments quant au caractère raisonnable de la décision de la Commission de s’appuyer sur l’ERVF, M. Smith soutient qu’on l’a privé de son droit à l’équité procédurale en raison de problèmes liés à la communication de l’ERVF. M. Smith a affirmé, devant la Section d’appel, que l’ERVF ne lui avait pas été transmise. La Section d’appel a rejeté ce motif d’appel, en raison d’éléments de preuve indiquant que l’ERVF avait été communiquée à M. Smith. Elle a donc conclu que la décision de la Commission de prendre en considération l’ERVF était conforme à son obligation légale de rendre des décisions fondées sur tous les renseignements pertinents, viables et convaincants disponibles.

[35]  La conclusion de la Section d’appel selon laquelle l’ERVF avait été communiquée à M. Smith avant l’audience est fondée sur la liste de vérification des renseignements à communiquer qui se trouvait dans le dossier. Au cours des semaines précédant l’audience devant la Commission, le SCC a remis à M. Smith deux mises à jour de la liste de vérification des renseignements à communiquer, datées du 27 octobre et du 21 novembre 2016. L’ERVF ne figurait sur aucune de ces deux listes de vérification, mais elle figure sur une liste initiale de vérification des renseignements à communiquer, datée du 20 mai 2015.

[36]  M. Smith prétend maintenant que, même s’il a reçu l’ERVF, il y a tout de même eu manquement aux obligations en matière d’équité procédurale, en raison de la date à laquelle cette évaluation lui a été communiquée. Il affirme que, puisque la communication de l’ERVF a eu lieu plus de deux ans avant l’audience devant la Commission, il n’a pas reçu un préavis suffisant lui indiquant que la Commission prendrait ce document en considération. Il prétend qu’en conséquence, il a été privé de la possibilité de se préparer de façon adéquate et de présenter des arguments à la Commission, comme ceux précités, à savoir s’il serait raisonnable de sa part de s’appuyer sur l’ERVF.

[37]  Comme il s’agit d’une question d’équité procédurale, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je comprends que la communication de l’ERVF a eu lieu plus de deux ans avant l’audience devant la Commission. Je souligne aussi que les deux mises à jour de la liste de vérification des renseignements à communiquer fournies à M. Smith en octobre et en novembre 2016 indiquent explicitement une [traduction] « date prévue d’examen (audience ou étude du dossier) » fixée au 1er décembre 2016, ce que j’interprète comme étant l’audience devant la Commission, même si elle a en réalité eu lieu quelques jours plus tard en décembre. Par contre, la liste initiale de vérification des renseignements à communiquer, qui incluait l’ERVF, mentionnait le 1er juillet 2015 comme « date prévue d’examen (audience ou étude du dossier) ». Ainsi, l’ERVF ne faisait pas partie des documents à communiquer préparés spécifiquement en vue de l’audience de libération conditionnelle de décembre 2016. Cependant, à mon avis, ces faits ne constituent pas un motif pour conclure que M. Smith a été privé de son droit à l’équité procédurale.

[38]  La Section d’appel indique, à juste titre, que la Commission a une obligation de rendre des décisions fondées sur tous les renseignements pertinents disponibles. C’est ce que prescrit l’alinéa 101a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je souligne également qu’il est expressément indiqué sur les listes de vérification accompagnant les deux dossiers de documents à communiquer envoyés à M. Smith en octobre et en novembre 2016 qu’il s’agit de [traduction] « mises à jour » et que chaque liste de vérification [traduction] « donne suite » à une liste de vérification fournie à une date antérieure. Ainsi, je ne considère pas que le mode de communication laisse croire que seuls les documents mentionnés dans les deux plus récentes mises à jour seraient pris en considération lors de l’audience de libération conditionnelle de M. Smith. Je ne vois également aucun motif pour conclure que la Commission a l’obligation, en prévision d’une audience, d’envoyer de nouveau les documents à communiquer ayant déjà été fournis à un délinquant. Le dossier dont dispose la Cour démontre que, conformément aux conclusions de la Section d’appel, l’ERVF a été communiquée à M. Smith. J’estime que le moment de la communication et le moyen de communication sont conformes aux obligations d’équité procédurale de la Commission, et que la conclusion de la Section d’appel à ce sujet est appropriée.

C.  Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué la mesure d’expulsion prise à l’endroit de M. Smith rend sa décision déraisonnable?

[39]  M. Smith souligne que son statut d’immigrant, en particulier le fait qu’il sera potentiellement frappé d’une mesure d’expulsion vers la Jamaïque si on lui accorde une libération conditionnelle, a constitué un facteur menant à la décision de la Commission de rejeter sa demande. Il conteste cet état des choses et renvoie la Cour aux lignes directrices de la Commission et du SCC, y compris à la section 4.4.8 du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires, qui prévoit ce qui suit :

Admissibilité

Délinquants étrangers condamnés avant le 28 juin 2002

8.  Les délinquants étrangers condamnés avant le 28 juin 2002, qui ne se sont pas vu imposer de peine supplémentaire à cette date ou par la suite, sont admissibles à des permissions de sortir sans escorte (PSSE), à la semi-liberté et à la libération conditionnelle totale, qu’il soit ou non visé (sic) par une ordonnance de détention au titre de l’article 105 de la Loi sur l’immigration ou par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Les dates d’admissibilité à la libération conditionnelle qui s’appliquent à ces délinquants sont les mêmes que pour les autres délinquants. Après qu’ils ont atteint la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale, ils peuvent être renvoyés s’ils obtiennent une PSSE ou une libération conditionnelle.

[40]  M. Smith soutient que la politique applicable appuie sa position, selon laquelle il est admissible à la libération conditionnelle même s’il est frappé d’une mesure d’expulsion, et que la Commission a commis une erreur en rejetant sa demande de libération conditionnelle en partie en raison de son statut d’immigrant.

[41]  Je conclus que cet argument est non fondé. Il est clair, d’après la décision de la Commission, qu’elle a tenu compte du statut d’immigrant de M. Smith parce qu’il influait sur la capacité de son EGC de le surveiller s’il obtenait la libération conditionnelle et qu’il était expulsé vers la Jamaïque. La question préoccupait la Commission en raison de l’évaluation selon laquelle M. Smith présentait encore un risque modéré de violence familiale. La Commission a fait référence à ses facteurs de risque concernant ses relations et son aptitude à résoudre les problèmes en périodes d’émotivité exacerbée, et à l’impossibilité pour son EGC de surveiller ces facteurs de risque s’il devait être expulsé. Les lignes directrices auxquelles M. Smith fait référence parlent d’une admissibilité à la libération conditionnelle, non pas d’un droit à la libération conditionnelle. La Commission n’a pas conclu que M. Smith était inadmissible à la libération conditionnelle; elle a simplement exercé son pouvoir discrétionnaire de la lui refuser. Elle l’a fait en raison de facteurs de risque propres à M. Smith, pour qui la possibilité d’une expulsion était pertinente. Cela ne mine aucunement le caractère raisonnable de la décision de la Commission.

[42]  De même, la Section d’appel a examiné l’analyse de la question effectuée par la Commission et a conclu que la décision de la Commission était raisonnable. La décision de la Section d’appel ne fait état d’aucune erreur susceptible de révision à ce sujet.

D.  Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué le fait que M. Smith n’a pas été transféré à un établissement à sécurité minimale rend sa décision déraisonnable?

[43]  Dans sa décision, la Commission souligne que les rapports psychologiques de M. Smith recommandent qu’il soit transféré vers un établissement d’un niveau de sécurité inférieur avant d’envisager une libération conditionnelle. Cependant, la Commission fait référence à des renseignements au dossier indiquant que M. Smith a refusé un transfert vers un établissement à sécurité minimale, parce qu’il croyait devoir reprendre son plan correctionnel depuis le début, et être victime de discrimination. Après avoir examiné les recommandations de l’EGC de M. Smith, la Commission souligne aussi que l’EGC en établissement n’appuyait pas sa demande de libération conditionnelle, en partie parce qu’il ne respectait pas les recommandations des rapports psychologiques.

[44]  La décision de la Section d’appel fait également référence à ces recommandations, indiquant que les outils d’évaluation psycho-judiciaire du risque appuient une approche prudente, par étapes, concernant la libération de M. Smith. Pour conclure que la décision de la Commission était raisonnable, la Section d’appel s’est appuyée, en partie, sur ce qu’elle a décrit comme un refus de la part de M. Smith de démontrer que le risque qu’il représentait pourrait être maîtrisé dans un établissement d’un niveau de sécurité inférieur.

[45]  Pour contester cet aspect des décisions, M. Smith affirme qu’il a demandé un transfèrement dans un établissement à sécurité minimale, au Pénitencier de Dorchester. Les documents auxquels il fait référence pour appuyer son argument incluent une note au dossier rédigée par Mme Pettigrew et datée du 16 avril 2015. Cette note indique qu’il a demandé un transfèrement au Pénitencier de Dorchester – dans le secteur à sécurité minimale – le 21 janvier 2015, mais que l’EGC n’était pas prête à recommander un tel transfert à ce moment. M. Smith fait également référence à un document daté du 29 avril 2016, intitulé [traduction« Reçu pour demande de transfèrement », qui porte sur une demande de transfèrement présentée par M. Smith. Même si ce document ne contenait aucun détail concernant la demande de transfèrement, M. Smith a déclaré à la Cour qu’il portait sur un éventuel transfèrement au Pénitencier de Dorchester – dans le secteur à sécurité minimale. L’essentiel de l’argument de M. Smith est que, contrairement à l’analyse effectuée par la Commission et la Section d’appel, il a tenté d’obtenir un transfèrement vers un établissement à sécurité minimale, et que c’est le SCC qui a refusé le transfert.

[46]  Toutefois, en plus des documents mentionnés par M. Smith, le dossier dont était saisie la Commission comprenait aussi une évaluation. Cette évaluation indique que M. Smith a été reclassé comme détenu « à sécurité minimale » en mai 2016, mais qu’il a refusé le transfèrement vers un établissement à sécurité minimale, parce qu’il craignait devoir reprendre son plan correctionnel depuis le début, et être victime de discrimination s’il était transféré dans le secteur à sécurité minimale de Dorchester. Ce document mentionne aussi le fait que M. Smith a indiqué à Mme Pettigrew, à Mme Coon et à l’ancien directeur de l’Établissement de Springhill qu’il n’était pas intéressé par un transfèrement vers le secteur à sécurité minimale du Pénitencier de Dorchester. Il indique que M. Smith a réitéré cette position lors d’une conférence de gestion de cas le 22 août 2016. Il indique aussi que M. Smith était excessivement prudent, qu’il croyait que son dossier ne serait pas traité de façon équitable s’il était transféré dans le secteur à sécurité minimale à Dorchester, et qu’il mentionnait souvent à quel point il pensait que les autres délinquants étaient injustement traités dans cet établissement, certains en raison de leur race.

[47]  Même s’il semble, si l’on en croit les documents auxquels M. Smith fait référence, qu’il a souhaité à un certain moment obtenir un transfèrement vers un milieu à sécurité minimale, peut-être aussi récemment qu’en avril 2016, les renseignements contenus dans l’évaluation indiquent qu’il a par la suite changé d’idée. Le dossier n’indique pas ce qui a mené à ce changement. Cependant, compte tenu de l’information fournie à la Commission dans l’évaluation, il était raisonnable pour la Commission et la Section d’appel, chargée d’examiner la décision de la Commission, de fonder leur analyse sur le fait que M. Smith refusait, à ce moment, le transfèrement vers un milieu à sécurité minimale.

E.  Est-ce que le fait que la Commission ou la Section d’appel a invoqué l’addenda rend sa décision inéquitable sur le plan procédural ou déraisonnable?

[48]  Comme on l’a déjà expliqué dans la section Résumé des faits des présents motifs, M. Smith a affirmé devant la Commission et la Section d’appel que l’addenda n’aurait pas dû être pris en considération lors de l’examen de sa demande de libération conditionnelle. L’essentiel de l’argument de M. Smith, comme il l’a expliqué à la Cour lors de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire, est qu’un membre de son EGC aurait examiné la possibilité de lui accorder une PSAE pour visiter des CCC, sans que M. Smith n’ait demandé une telle permission de sortir, dans le but d’inciter les CCC à retirer leur appui à sa demande de libération conditionnelle. Il a présenté des observations écrites à la Commission à ce sujet avant l’audience, qualifiant le tout de question d’équité procédurale.

[49]  Même si l’addenda contenait des renseignements sur le soutien de la communauté à sa demande et la probabilité de sa détention par l’ASFC pour une éventuelle expulsion, c’est sur le niveau de soutien de la communauté qu’il concentre ses arguments. En résumé, l’addenda mentionne une mise à jour d’une évaluation communautaire datée du 16 novembre 2017, selon laquelle les CCC de Halifax avaient révisé leur position concernant sa demande. Si l’évaluation préparée plus tôt par le SCC indiquait que les CCC appuyaient sa demande, l’addenda mentionnait qu’ils avaient retiré leur appui, adoptant plutôt une position comparable à celle de l’EGC en établissement, soit que M. Smith devrait essayer de se faire transférer vers un établissement à sécurité minimale, d’où il pourrait présenter une demande de PSAE pour visiter les CCC et assister à une conférence de gestion de cas, puis une demande de PSSE, pour faciliter une libération graduelle. On explique dans l’addenda que le changement de position des CCC s’est produit alors que l’EGC de M. Smith étudiait la possibilité d’une PSAE pour lui permettre de visiter les CCC. Comme nous l’avons souligné ci-dessus, M. Smith affirme qu’il n’avait pas autorisé une telle enquête.

[50]  La Commission mentionne dans sa décision les préoccupations soulevées par M. Smith, y compris sa requête pour qu’elle ne tienne pas compte de l’addenda, mais elle ne donne pas plus de détails. Elle souligne le contenu de l’addenda, y compris le fait que les CCC avaient retiré leur appui à sa demande de libération conditionnelle de jour après un examen plus approfondi de son dossier, et affirme simplement que [traduction] « pour rendre sa décision, la Commission doit tenir compte des mêmes renseignements, ainsi que des renseignements au dossier et des renseignements transmis à l’audience ». La décision de la Commission ne fait état d’aucune analyse des arguments de M. Smith et n’indique pas que l’on a pris sa requête en considération. Elle ne présente aucun motif pour rejeter les arguments de M. Smith par rapport à l’addenda. À mon avis, le défaut de la Commission de présenter une analyse pour étayer sa décision de rejeter les préoccupations de M. Smith mine l’intelligibilité du processus, et donc le caractère raisonnable de cette composante de la décision de la Commission.

[51]  Je souligne que M. Smith affirme que le traitement accordé à l’addenda par la Commission constitue une question d’équité procédurale. Même si les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme, plus rigoureuse, de la décision correcte, je ne suis pas d’accord pour dire que M. Smith a été privé de son droit à l’équité procédurale, en particulier parce qu’il est clair qu’il a eu l’occasion de présenter des observations à la Commission au sujet de l’addenda. Je me préoccupe plutôt de l’intelligibilité de cet aspect de la décision de la Commission. Ces préoccupations sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, qui exige une plus grande retenue, mais que je juge néanmoins déficiente, pour les raisons indiquées précédemment.

[52]  Je vais donc examiner comment la Section d’appel a traité de cette question particulière. Dans ses observations écrites appuyant son appel, M. Smith explique qu’il a rencontré le directeur de l’Établissement de Springhill le 2 décembre 2016, pour exprimer ses préoccupations entourant l’addenda. Il a informé le directeur qu’il n’avait pas demandé de PSAE pour visiter les CCC. Selon les observations que M. Smith a présentées à la Section d’appel, le directeur aurait décidé, le 5 décembre 2016, de demander à Mme Coon de supprimer l’addenda de son dossier et de retirer Mme Pettigrew du comité de la prochaine audience de libération conditionnelle, pour la remplacer par Mme Coon. On se rappellera que Mme Coon était une des membres de l’EGC ayant offert une opinion dissidente, dans le cadre de l’évaluation, en appui à la demande de libération conditionnelle de M. Smith.

[53]  La Section d’appel a abordé cet aspect des observations de M. Smith en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour aborder ces préoccupations, indiquant que le processus de règlement des plaintes en établissement du SCC était une option qui s’offrait à M. Smith s’il souhaitait aller de l’avant. La Section d’appel a ensuite examiné expressément le contenu de l’addenda, soulignant que les CCC n’appuyaient pas la libération conditionnelle de jour de M. Smith, avant d’arriver à la conclusion que la décision de la Commission était raisonnable.

[54]  Notre Cour ne tire pas de conclusion sur le bien-fondé des arguments de M. Smith, selon lesquels un membre de son EGC aurait incité à tort les CCC à retirer leur appui à sa libération conditionnelle. La Cour souligne plutôt que, selon les explications données à la Section d’appel, les préoccupations de M. Smith concernant l’addenda semblaient avoir été examinées par le directeur dans les jours précédant l’audience devant la Commission. Les arguments présentés par M. Smith en appel comprenaient une reproduction du libellé d’une demande du détenu, datée du 14 décembre 2016, adressée par M. Smith à Mme Coon. Cette demande du détenu, dont une copie est également incluse au dossier certifié du tribunal en l’espèce, et qui faisait donc partie du dossier dont était saisie la Section d’appel, fait état de la demande suivante de la part de M. Smith :

[traduction]

Comme j’en ai discuté avec le directeur le 5 décembre 2016, il avait été ordonné de supprimer de mon dossier l’addenda de la stratégie communautaire daté du 30 novembre 2016. Savez-vous si cela a été fait? Merci.

[55]  Je souligne que la demande du détenu semble mentionner une date inexacte pour l’addenda, qui est, en fait, daté du 21 novembre 2016. Cependant, aucune des parties n’a laissé entendre qu’il s’agit d’une erreur importante. Je souligne également que cette même demande du détenu contient la réponse suivante de Mme Coon, donnée le 21 décembre 2016 :

[traduction]

Wilton, le directeur a ordonné que l’addenda au document A4 D concernant la PSAE et la décision connexe soient retirés du dossier. Cela a été fait. Cela concernait la PSAE pour visiter les CCC.

[56]  À ce titre, le dossier dont était saisie la Section d’appel et dont est maintenant saisie la Cour semble démontrer que les préoccupations de M. Smith au sujet de l’addenda et de son origine ont été examinées par le directeur, qui a ordonné que l’addenda soit supprimé du dossier, peut-être dès le 5 décembre 2016, soit avant l’audience devant la Commission. À mon avis, cela mine le caractère raisonnable du traitement de cette question par la Section d’appel.

[57]  Pour expliquer cette conclusion, je souligne d’abord que je ne conteste pas la déclaration de la Section d’appel, selon laquelle elle n’a pas compétence pour examiner les allégations selon lesquelles une demande pour une PSAE aurait été frauduleusement rédigée, ou qu’un agent de libération conditionnelle se serait rendu coupable d’inconduite. Comme l’ont affirmé les défendeurs, c’est le SCC, et non la Commission ou sa Section d’appel, qui est chargé de régler les questions entourant l’exactitude des renseignements figurant au dossier d’un détenu (voir Reid c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2002 CFPI 741 [Reid], aux paragraphes 19 à 21; Eakin c Canada (Procureur général), 2017 CF 394 [Eakin], au paragraphe 29).

[58]  Comme on l’explique dans les décisions Reid et Eakin, et conformément à la décision de la Section d’appel, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit un mécanisme, aux termes du paragraphe 24(1), selon lequel un délinquant peut demander que l’on apporte des corrections à son dossier du SCC. La difficulté entourant la façon avec laquelle la Section d’appel a abordé le problème soulevé par M. Smith découle du fait qu’elle l’a dirigé vers le processus de règlement des plaintes du SCC, alors que le dossier d’appel indiquait qu’il avait déjà demandé qu’on corrige son dossier du SCC, et qu’il semblait avoir obtenu une réponse favorable, possiblement bien avant l’audience devant la Commission. Une fois de plus, je reconnais que c’est le SCC qui est chargé de corriger ou de mettre à jour le dossier d’un détenu, et non la Commission ou la Section d’appel. Cependant, l’on avait présenté à la Section d’appel des éléments de preuve et des observations selon lesquelles le SCC avait apporté de telles corrections, ou entendait le faire, et qu’il avait ordonné que l’addenda soit supprimé du dossier de M. Smith avant l’audience devant la Commission. Dans les circonstances particulières de l’espèce, je ne peux pas conclure qu’il était raisonnable pour la Section d’appel, sans une analyse plus poussée, de prendre ce document en considération lors de sa révision de la décision de la Commission.

[59]  J’estime que la Section d’appel était tenue de prendre en considération les éléments de preuve et les arguments présentés par M. Smith, selon lesquels le SCC avait déjà corrigé le dossier, avant de conclure que la décision de la Commission était raisonnable. Elle ne l’a pas fait, surtout alors que la décision de la Commission elle-même n’est pas intelligible quant à l’analyse sur laquelle était fondé son rejet des préoccupations de M. Smith concernant l’addenda, et cela m’amène à conclure que la décision de la Section d’appel est également déraisonnable.

[60]  Ce faisant, je souligne que j’ai pris en considération les arguments des défendeurs, selon lesquels la décision de la Commission de refuser d’accorder la libération conditionnelle n’était pas uniquement fondée sur l’addenda, mais sur l’ensemble des renseignements dont était saisie la Commission, et sur sa propre évaluation indépendante selon laquelle M. Smith présente un risque indu de récidive. Pour l’essentiel, la position des défendeurs est que la décision de la Commission et de la Section d’appel serait raisonnable, même si l’on n’avait pas tenu compte de l’addenda. La difficulté que présente cet argument est qu’il demande à la Cour de substituer sa propre analyse de la preuve, et des motifs de décision, à celle du tribunal, et ce n’est pas le rôle d’une Cour dans un contrôle judiciaire (voir, p. ex. Delta Air Lines c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 24). Il est clair que l’addenda figure dans l’analyse effectuée par la Commission et la Section d’appel du bien-fondé de la demande de libération conditionnelle de M. Smith, et il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur ce qu’aurait été la conclusion si l’on n’avait pas tenu compte de cet élément de preuve.

[61]  Comme j’ai conclu que la Commission a commis une erreur, le recours approprié dans ces circonstances est de renvoyer la question à un tribunal différemment constitué de la Commission pour un nouvel examen.

F.  Les décisions de la Commission ou de la Section d’appel sont-elles autrement déraisonnables?

[62]  Outre les arguments présentés ci-dessus, M. Smith affirme également que les décisions de la Commission et de la Section d’appel étaient déraisonnables, parce qu’elles étaient fondées sur la croyance qu’il serait avantageux pour lui d’être transféré vers un établissement à sécurité minimale et de demander des possibilités de PSSE avant que sa libération conditionnelle puisse être envisagée. Selon lui, de telles mesures ne prouveraient rien de nouveau, puisqu’il a déjà démontré qu’il ne présentait pas un risque indu pour la société grâce aux mesures déjà prises, comme l’obtention de la permission de travailler sans supervision dans la communauté.

[63]  Je refuse de tirer des conclusions relativement à cet argument. Ces observations demandent à la Cour de se pencher sur l’ensemble des éléments de preuve présentés à la Commission, et qui portent sur la question de savoir si M. Smith présenterait un risque indu pour la société s’il récidivait après sa libération conditionnelle. Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur des préoccupations concernant la manière avec laquelle la Commission et la Section d’appel ont traité les questions relatives à un élément de preuve précis dont elles étaient saisies – l’addenda. La Commission examinera maintenant de nouveau la demande de M. Smith, en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve, et après avoir pris les présents motifs en considération. Il ne serait donc pas approprié ou utile que la Cour tire des conclusions sur cette même question avant que la Commission ne le fasse.

VI.  Dépens

[64]  En tant que partie ayant eu gain de cause, M. Smith a droit aux dépens. Il réclame la somme de 300 $. Les défendeurs ont indiqué, lors de l’audience, qu’ils ne s’opposaient pas à cette quantification des dépens si M. Smith avait gain de cause. J’ordonnerai des dépens correspondant à cette somme.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-640-17

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission constitué différemment pour un nouvel examen, conformément aux présents motifs. Des dépens de 300 $ sont adjugés au demandeur.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-640-17

INTITULÉ :

WILTON A. SMITH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE :

Le 30 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2018

COMPARUTIONS :

Wilton A. Smith

(par vidéoconférence)

Pour le demandeur

(pour son propre compte)

Tokunbo C. Omisade

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour les défendeurs

 

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