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Date : 20180309


Dossier : IMM-3636-17

Référence : 2018 CF 285

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

EMMANUEL JEAN-BAPTISTE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, un citoyen haïtien, conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 22 mai 2017. La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur était membre et porte-parole d’une organisation qui aidait des particuliers à cultiver leurs terres et faisait la promotion de l’éducation des enfants. Même si l’organisation n’était pas un groupe politique, elle a soutenu un candidat à la présidence lors des élections de 2010-2011. Les membres d’une autre organisation ont soutenu un candidat différent. Il y avait un conflit entre les deux groupes.

[4]  Le demandeur affirme que, le 10 décembre 2010, trois hommes ont détruit sa maison. Le demandeur n’était pas chez lui et n’a pas été blessé. Il a immédiatement quitté le quartier et est allé se cacher dans la ville de Gonaïves. Le demandeur n’a pas appelé la police puisqu’il allègue que les policiers ne sont pas efficaces et n’interviennent pas dans ces cas. Il soutient que les agresseurs l’ont cherché à Gonaïves en juin 2011.

[5]  Le demandeur a quitté Haïti le 13 septembre 2012 après avoir obtenu un visa de travail à la Dominique. Il n’y a pas demandé l’asile puisqu’il ne savait pas que la Dominique offrait l’asile. Le demandeur a ensuite déménagé aux îles Vierges américaines et, de là, en Floride.

[6]  Quatre ans après l’incident de 2010, le demandeur a demandé l’asile aux États-Unis. Dans le cadre de ce processus, il a comparu deux fois devant un juge. Il devait assister à une troisième entrevue au mois d’avril 2017 qui a été reportée au 9 août 2017.

[7]  Le demandeur a ensuite décidé de demander l’asile au Canada. Il a traversé la frontière et a présenté sa demande le 9 mai 2017.

[8]  Le 5 juillet 2017, dans une décision rendue à l’audience, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La Section de la protection des réfugiés a accepté le fait que, aux fins de son évaluation, les incidents de décembre 2010 ont eu lieu, mais a conclu que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté s’il devait retourner en Haïti en 2017. La Section de la protection des réfugiés a noté qu’il y avait eu d’autres élections en 2015-2016 et que la tension politique entre les deux anciens candidats à la présidence n’existait plus.

[9]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Le demandeur n’avait pas mentionné les allégations de menaces proférées entre juin 2011 et septembre 2012 dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. En réponse à des questions sur les menaces ou les problèmes après l’incident de décembre 2010, le demandeur a dit à la Section de la protection des réfugiés qu’il n’en avait pas eu. Plus tard, interrogé par son avocat, il a soutenu que les personnes étaient toujours à sa recherche et a donné des réponses que la Section de la protection des réfugiés a jugées vagues et incohérentes. De plus, la Section de la protection des réfugiés a contesté l’absence de tout document déposé à l’appui de la demande, y compris le passeport du demandeur.

III.  Questions en litige

[10]  La seule question à examiner est de savoir si l’évaluation des éléments de preuve objective par la Section de la protection des réfugiés était raisonnable. Le demandeur n’a pas vraiment contesté les conclusions de la Section de la protection des réfugiés liées à la crédibilité dans ses observations.

IV.  Norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle de l’appréciation de la preuve dans les causes semblables à la présente affaire a été établie de façon satisfaisante par la jurisprudence comme celle de la décision raisonnable : Jung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 275, aux paragraphes 18 et 19; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 51, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 22, [2011] 3 RCS 708. Il n’y a aucune question litigieuse à laquelle la norme de la décision correcte s’appliquerait : Alberta (Information & Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30.

V.  Discussion

[12]  Le demandeur allègue que l’appréciation des éléments de preuve faite par la Section de la protection des réfugiés était déraisonnable en ce sens que le Cartable national de documentation sur Haïti confirme l’existence d’une culture très répandue de vengeance et que les auteurs d’actes de vengeance peuvent appartenir à des groupes politiques armés. Les actes de vengeance peuvent être commis même 10 ans après l’origine de l’événement.

[13]  Cet élément de preuve va à l’encontre des conclusions de la Section de la protection des réfugiés sur une question centrale, selon le demandeur : Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 807, aux paragraphes 11 à 17; Ramos Meneses c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 179, au paragraphe 22. L’absence de toute mention de cet élément de preuve dans les motifs prononcés à l’audience mène à la conclusion que la Section de la protection des réfugiés l’a ignoré.

[14]  Il n’est pas contesté qu’il y a eu une campagne électorale violente en Haïti en 2010 et que cette violence s’est poursuivie en 2011 à cause de différends sur les résultats. Le demandeur est cependant resté en Haïti jusqu’en septembre 2012. En effet, il s’y est marié en octobre 2011 avant de demander le visa de travail dominicain en juin 2012. Rien ne démontre de façon crédible que quelqu’un était à la recherche du demandeur pendant ce temps. Et il ressort du dossier que la mère, la femme ainsi que les frères et sœurs du demandeur continuent de vivre en Haïti sans problème.

[15]  Pour établir une crainte de persécution, le demandeur doit satisfaire aux deux exigences du critère en deux volets; une crainte subjective et objective de persécution : Ahoua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1239, au paragraphe 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellen, 2008 CAF 381, aux paragraphes 2 et 3. Je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel le demandeur ne satisfait pas à ce critère.

[16]  Plus précisément, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que les tensions politiques et autres problèmes rencontrés en 2010-2011 continuent de présenter un risque pour lui en 2017 ou à tout moment après juin 2011. L’affirmation selon laquelle des personnes continuaient de le chercher n’était simplement pas crédible.

[17]  Le Cartable national de documentation comprend 21 pages énumérant de nombreux documents. Le demandeur a mentionné un document et a prétendu que le tribunal avait fait fi de cet élément de preuve. Le dossier est incomplet en ce sens que la transcription de l’audience n’inclut pas les observations de l’avocat à la conclusion. On ne sait donc pas si on a fait référence à cet élément de preuve dans les observations de l’avocat. Cependant, l’affidavit du demandeur dans la présente procédure ne contient aucune affirmation selon laquelle son avocat a attiré l’attention du tribunal sur le document et qu’il a été écarté.

[18]  Le document en question porte sur la violence des gangs et indique que la culture de vengeance englobe les membres de la famille et les proches de la cible lorsque la cible a fui. Les exemples qu’on y donne ne sont pas particulièrement liés à la violence politique. Comme il a été noté, les membres de la famille du demandeur sont toujours en Haïti. Cela comprend un frère qui a été témoin de la violence de 2010.

[19]  Comme le défendeur le soutient, la Section de la protection des réfugiés n’était pas obligée de passer au peigne fin tous les documents énumérés dans le Cartable national de documentation dans l’espoir de trouver des passages susceptibles d’appuyer la demande du demandeur et de préciser pourquoi ils n’appuient en fait pas le demandeur.

[20]  L’omission de la Section de la protection des réfugiés de mentionner tous les éléments de preuve devant elle n’est pas déraisonnable. La Section de la protection des réfugiés n’est pas tenue de mentionner tous les documents produits en preuve : Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379, aux paragraphes 31 à 34; Quebrada Batero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 988, au paragraphe 13. Le demandeur n’a pas pu établir que les conditions générales du pays décrites dans le Cartable national de documentation s’appliquent à sa situation particulière : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 RCF 164, aux paragraphes 10 à 12, 15 et 16; Assaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 660, au paragraphe 18.

[21]  Pour ces motifs, la demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3636-17

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3636-17

INTITULÉ :

EMMANUEL JEAN-BAPTISTE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mars 2018

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corp

North York (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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