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Date : 20180228


Dossier : T-896-17

Référence : 2018 CF 231

Montréal (Québec), le 28 février 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

DANIEL LESIEWICZ

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Daniel Lesiewicz, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] qui confirme son assignation à résidence pour une période de 365 jours. Pour les motifs qui suivent, je rejette cette demande.

[2]  Depuis mars 2011, M. Lesiewicz purge une peine d’emprisonnement de cinq ans, onze mois et dix-neuf jours pour plus de 90 chefs d’accusation liés à la pornographie juvénile et adulte. Entre autres choses, il a extorqué de l’argent à des adolescentes ou à des jeunes femmes qui lui avaient envoyé des vidéos d’elles en train de se dénuder. Il a été déclaré délinquant à contrôler et a été assujetti à une ordonnance de surveillance de longue durée pour une période de dix ans. Lors du prononcé de la peine, le juge a interdit à M. Lesiewicz d’utiliser un ordinateur ou l’Internet. En mars 2015, M. Lesiewicz a été libéré d’office avec assignation à résidence chez ses parents. Cette assignation à résidence a ensuite été levée en décembre 2015 et M. Lesiewicz est ensuite allé résider chez ses parents.

[3]  En mars 2017, une plainte a été déposée auprès de la Sûreté du Québec contre M. Lesiewicz. Une femme qu’il avait rencontrée sur l’Internet en utilisant une fausse identité a affirmé qu’il aurait commis une fraude à son égard et aurait piraté son ordinateur. Informés de la situation, les agents du Service correctionnel canadien [le SCC] ont saisi la Commission du cas de M. Lesiewicz. Le 15 mars 2017, la Commission lui a imposé une assignation à résidence dans un centre correctionnel ou résidentiel communautaire pour une durée de 365 jours. Puisque cette condition n’avait pas fait l’objet d’une recommandation du SCC, M. Lesiewicz a eu le droit de demander une révision de cette décision. Après avoir pris connaissance des observations écrites de M. Lesiewicz, la Commission a confirmé sa décision initiale le 8 mai 2017. C’est de cette décision que M. Lesiewicz demande le contrôle judiciaire.

[4]  Pour rendre sa décision, la Commission devait appliquer l’article 134.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], qui prévoit qu’elle peut « imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». La Cour d’appel fédérale a affirmé que l’article 134.1 confère à la Commission un « pouvoir discrétionnaire large et souple » (Normandin c Canada (Procureur général), 2005 CAF 345, [2006] 2 RCF 112 au para 44 [Normandin]) et que « l’intention du législateur [est] de s’en remettre à l’expertise et à l’expérience de la Commission pour, autant que faire se peut, protéger la société tout en favorisant la réinsertion et l’intégration sociales du délinquant » (Normandin, ci-dessus, au para 46).

[5]  Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire comme celui qui découle de l’article 134.1 de la Loi est révisé selon la norme de l’erreur déraisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Lalo c Canada (Procureur général), 2013 CF 1113 au para 16; Latimer c Canada (Procureur général), 2014 CF 886 au para 18; Joly c Canada (Procureur général), 2014 CF 1253 aux para 21-23). Mon rôle n’est pas d’évaluer moi-même les facteurs pertinents ou d’exercer moi-même le pouvoir discrétionnaire attribué à la Commission, mais simplement de m’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle se fonde sur une interprétation justifiable des principes juridiques applicables et sur une évaluation raisonnable des éléments de preuve.

[6]  Dans sa décision du 8 mai 2017, la Commission a motivé ainsi l’imposition d’une assignation à résidence pour une période d’un an :

[L]a condition spéciale d’assignation à résidence vous a été imposée compte tenu des délits graves que vous avez commis, du grand nombre de victimes mineures (25), des dommages graves causés, de la manipulation, de l’extorsion et du harcèlement dont vous avez fait preuve ainsi que des évaluations du risque élevé effectuées dans votre dossier dans des délits de même nature.

La Commission a considéré votre capacité à maintenir une stabilité au niveau de l’emploi, mais votre dossier indique que vous avez toujours un tempérament irresponsable et égocentrique et vous accordez peu d’importance à certaines modalités de votre surveillance. Vous cumulez un nombre important de retards à des rencontres de surveillance et vous n’hésitez pas à faire faux bond lorsque bon vous semble. Les rencontres disciplinaires réalisées à votre endroit n’ont pas eu l’effet dissuasif escompté.

Par ailleurs, les événements qui ont conduit à votre suspension ont mené vos surveillants à douter de votre authenticité et de votre transparence à leur égard. La Commission a constaté que, non seulement vous n’aviez pas respecté une de vos conditions de votre mise en liberté, mais que vous étiez retourné dans votre cycle délictuel en utilisant le même mode opératoire.

Ainsi, elle constatait que votre projet de sortie n’offrait pas un filet de sécurité suffisant face au risque élevé que vous représentez.

La Commission conclut que l’imposition de la condition d’assignation à résidence est bien justifiée et que cette condition est raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser votre réinsertion sociale.

[7]  Cette décision me semble éminemment raisonnable. La Commission note que des mesures plus strictes sont nécessaires pour prévenir une nouvelle récidive. Elle constate également que M. Lesiewicz n’a pas fait des progrès suffisants en ce qui a trait à sa réinsertion sociale. Ces constatations sont directement reliées aux facteurs mentionnés à l’article 134.1 de la Loi.

[8]  M. Lesiewicz soutient qu’il n’y a pas de lien clair entre la condition imposée et le risque de récidive. Je ne peux accepter cet argument. Il ne faut pas perdre de vue que M. Lesiewicz était sous le coup d’une interdiction d’utiliser un ordinateur ou l’Internet au moment où il a posé les gestes qui ont mené à la suspension de sa libération d’office. Il était donc évident que le fait de résider chez ses parents ne garantissait pas le respect de cette condition. De plus, la preuve démontre que son comportement était davantage adéquat lorsqu’il était en résidence surveillée entre mars et décembre 2015. La Commission pouvait donc raisonnablement conclure que la récidive de M. Lesiewicz rendait une surveillance plus étroite nécessaire. C’est ce que la Commission avait à l’esprit lorsqu’elle a souligné l’insuffisance du « filet de sécurité » entourant M. Lesiewicz. De toute manière, l’article 134.1 de la Loi indique que des conditions peuvent être imposées non seulement pour prévenir la récidive, mais aussi pour assurer la réinsertion sociale. À cet égard, l’article 134.1(2) se distingue de l’article 133(4.1), que cite M. Lesiewicz, qui est centré uniquement sur la prévention de la récidive.

[9]  M. Lesiewicz soutient également que l’imposition d’une assignation à résidence revêtait un caractère punitif incompatible avec les objectifs visés par l’article 134.1 de la Loi, c’est-à-dire la réinsertion sociale et la protection de la société. Au contraire, il me semble évident que la Commission s’est penchée sur ces deux facteurs. Les références aux retards ou aux absences aux rencontres de surveillance ne signifient pas que la Commission a adopté une approche punitive. Elles s’inscrivent tout simplement dans le cadre d’un constat plus général de réinsertion sociale insuffisante.

[10]  Je conclus que la décision de la Commission était raisonnable.


JUGEMENT au dossier T-896-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-896-17

INTITULÉ :

DANIEL LESIEWICZ c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Rita Magloé Francis

 

Pour le demandeur

 

Anne-Renée Touchette

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Surprenant Magloé Golmier Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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