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Date : 20180313


Dossier : IMM-2105-17

Référence : 2018 CF 289

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ISTVAN FAZEKAS, ISTVANNE FAZEKAS, ISTVAN FAZEKAS ET KRYSZTIAN FAZEKAS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sont les membres d’une famille rome de la Hongrie qui allèguent que l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) a déraisonnablement conclu, dans sa décision du 30 mars 2017, qu’ils n’avaient pas droit à la protection accordée aux réfugiés sous le régime des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que l’agent n’a pas correctement évalué la protection offerte par l’État.

I.  Résumé des faits

[2]  Les demandeurs, Istvan Fazekas, Istvanne Fazekas et deux de leurs enfants, Istvan Fazekas Jr., 20 ans, et Krysztian Fazekas, 14 ans, ont fui la Hongrie en 2011 et présenté une demande d’asile à leur arrivée au Canada.

[3]  Lors de l’audition de leur demande par la Section de la protection des réfugiés, ils étaient représentés par un avocat qui a depuis été reconnu coupable d’inconduite professionnelle relativement au traitement de dossiers touchant des Roms. La Section de la protection des réfugiés a rejeté leur demande et, en 2013, les demandeurs ont été renvoyés en Hongrie.

[4]  À leur retour en Hongrie, les demandeurs allèguent avoir été victimes d’une série d’actes de violence.

[5]  La veille du jour de l’An 2015, les fils adultes des demandeurs se trouvaient dans une boîte de nuit quand une fusillade a éclaté, et Istvan a été blessé. Aux dires des demandeurs, les agents de sécurité de la boîte de nuit, les ambulanciers et le personnel de l’hôpital ont tous refusé d’appeler la police. Quand Istvan et Richard se sont eux-mêmes présentés à la police, les agents n’ont pas pris leur plainte au sérieux et ont refusé d’ouvrir une enquête.

[6]  Les demandeurs racontent également qu’en août 2016, ils ont été expulsés de force de leur logement situé à Miskolc.

[7]  En février 2017, Richard, le fils adulte des demandeurs, et son cousin ont été attaqués par un groupe de skinheads. Le cousin a eu la gorge tranchée et Richard a été blessé. Une ambulance a été appelée, mais les ambulanciers ont refusé de se présenter.

[8]  Les demandeurs déclarent que s’ils sont forcés de retourner en Hongrie, ils risquent d’y être persécutés en raison de leur origine rome.

II.  Décision de l’agent d’ERAR

[9]  L’agent a examiné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant les allégations des demandeurs. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à faire la démonstration qu’ils ne pouvaient pas compter sur la protection de l’État hongrois et que le pays avait pris des mesures pour améliorer la situation. Les demandeurs se sont vus refuser l’autorisation d’en appeler de la décision de la Section de la protection des réfugiés devant la Cour fédérale.

[10]  L’agent chargé de l’ERAR a conclu que la fusillade dans la boîte de nuit était le principal incident survenu depuis l’examen des allégations des demandeurs par la Section de la protection des réfugiés. Il a jugé que l’incident n’avait pas de [traduction] « lien avec la Convention ou les motifs regroupés » parce que [traduction] « la blessure subie était le résultat d’un acte de violence gratuite ». L’agent a souligné qu’aucun élément de preuve n’avait été produit à l’appui des allégations selon lesquelles l’attaque contre les deux frères était liée à leur origine rome.

[11]  S’agissant de la protection de l’État, l’agent a conclu que l’incident de la boîte de nuit ne permettait pas de présumer de l’inexistence de la protection de l’État puisque la police était intervenue après l’événement.

[12]  Il mentionne les comptes rendus généraux concernant la situation des Roms en Hongrie, et plus particulièrement pour ce qui a trait aux expulsions forcées. L’agent n’a pas vu de point commun entre ces comptes rendus et les circonstances dans lesquelles les demandeurs allèguent avoir reçu un avis d’expulsion. Il n’a pas trouvé de lien entre l’avis d’expulsion et un motif de la Convention puisque les éléments de preuve ne prouvaient pas que l’origine rome des demandeurs avait provoqué leur expulsion.

[13]  Il a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention conformément à l’article 96, ni des personnes à protéger conformément à l’article 97.

III.  Question en litige

[14]  Les demandeurs soulèvent plusieurs questions, mais l’analyse que fait l’agent de la protection de l’État est déterminante quant à l’issue du présent contrôle judiciaire.

IV.  Norme de contrôle

[15]  La norme de la décision correcte s’applique pour déterminer si l’agent a adopté le critère approprié pour évaluer la protection offerte par l’État (Mata c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1007, au paragraphe 10 [Mata]).

[16]  L’analyse de l’efficacité de la protection de l’État est susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable (G.S. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 599, au paragraphe 12).

[17]  La norme de contrôle applicable à la question du lien avec les motifs prévus à l’article 96 est celle de la décision raisonnable (Sabogal Riveros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 547, au paragraphe 27).

V.  Discussion

A.  Question préliminaire

[18]  Le 6 février 2017, après l’audition du présent contrôle judiciaire, le demandeur Istvan Fazekas Jr. a déposé un avis de désistement se rapportant uniquement à son allégation. Les allégations des autres demandeurs ne sont pas touchées par son désistement.

[19]  Istvan Fazekas Jr. est directement mis en cause dans l’un des incidents de persécution dont les demandeurs allèguent avoir été victimes, mais celui-ci est également invoqué comme élément de preuve objective de la protection de l’État offerte aux autres demandeurs, qui se trouvent « dans une situation semblable » à celle d’Istvan Fazekas Jr. (Mata, au paragraphe 17).

[20]  Par conséquent, l’avis de désistement déposé par Istvan Fazekas Jr. n’a pas d’incidence sur ma décision concernant la demande des autres demandeurs.

B.  Protection de l’État

[21]  Les demandeurs allèguent que l’agent n’a pas tenu compte de leurs témoignages personnels ou des éléments de preuve documentaire liés à leurs démarches pour obtenir que la police enquête sur les attaques contre les fils. Ils estiment que l’agent s’est contenté du fait que [traduction] « la police était intervenue » dans l’incident de la boîte de nuit, sans se soucier d’établir si cette intervention était une preuve d’une protection adéquate de l’État.

[22]  Rien dans les motifs de l’agent n’indique qu’il a fait une analyse pour déterminer si l’État hongrois offrait une protection adéquate aux demandeurs. Il indique que la police est « intervenue » après l’incident de la boîte de nuit et en a déduit que la protection de l’État était adéquate. Or, le critère d’analyse n’est pas l’« intervention » de l’État après un incident. Le critère applicable est celui de l’efficacité de la protection, son caractère adéquat. Rien n’indique que l’agent a fait cette analyse.

[23]  Dans la décision Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1394, la Cour réitère que l’omission d’adopter le bon critère quant à la protection de l’État est une erreur :

[14]  L’agent d’ERAR n’a pas énoncé explicitement le critère de la protection de l’État qu’il appliquait […]

[15]  Rien dans la décision de l’agent d’ERAR n’indique que ce dernier comprenait bien que l’efficacité réelle de la protection de l’État était le bon critère pour décider de l’existence ou non de cette protection aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR. Rien ne donne à penser non plus que l’agent a appliqué ce critère de l’efficacité réelle à la preuve dont il disposait.

[...]

[19]  La norme de contrôle applicable au choix et à l’adoption par l’agent du bon critère quant à la protection de l’État est celle de la décision correcte. La jurisprudence a défini un critère bien précis en ce qui concerne la protection de l’État, toutefois, et il n’est pas loisible au décideur d’appliquer un critère différent. Or, selon moi, l’agent d’ERAR n’a pas choisi et adopté le critère de l’efficacité opérationnelle lorsqu’il a analysé la question de la protection de l’État. Je suis d’avis d’accueillir la demande pour ce seul motif (renvois omis).

[20]  Même si l’agent avait l’intention d’adopter le bon critère, il l’a erronément appliqué en acceptant une preuve des mauvais traitements subis par les personnes atteintes de maladies et de déficiences mentales au Ghana, mais en ne traitant pas de la preuve selon laquelle la protection des malades mentaux au Ghana n’était pas efficace sur le plan opérationnel.

[24]  Une erreur analogue a été commise ici. L’agent n’a pas adopté le bon critère pour évaluer l’efficacité réelle de la protection offerte par l’État (Vidak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 976, au paragraphe 8). Il a admis des éléments de preuve qui ne révèlent rien sur l’efficacité de la protection de l’État et qui, par ricochet, ont faussé son examen de la question relative au lien avec les motifs de la Convention.

[25]  En ce qui concerne la protection de l’État, même si des rapports de police ont été rédigés au sujet de l’incident de la boîte de nuit, l’agent n’a pas pris en compte les déclarations des demandeurs concernant l’absence d’enquête. Il est question dans la preuve retenue par l’agent d’une intervention de la police, mais cette intervention ne permet pas de conclure que l’État offre une protection adéquate.

[26]  De plus, d’après les conclusions de l’agent relativement à l’incident de la boîte de nuit, il est permis de penser qu’il doutait de la véracité de l’avis d’expulsion présenté par les demandeurs. Pourtant, au vu des témoignages sur les expulsions à Miskolc dans les documents sur la situation du pays, cet élément de preuve aurait dû être pris en compte. Parce qu’il a fait une analyse déficiente de la protection offerte par l’État, l’agent n’a pas accordé l’attention voulue à un élément de preuve potentiellement déterminant quant à l’issue de la question du lien.

[27]  L’agent a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État qui a eu une incidence sur son examen de la question relative au lien. Il en découle que sa décision est déraisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2105-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent chargé de l’ERAR concernant Istvan Fazekas Sr., Istvanne Fazekas et Krysztian Fazekas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.
  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.
  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2105-17

INTITULÉ :

ISTVAN FAZEKAS, ISTVANNE FAZEKAS, ISTVAN FAZEKAS ET KRYSZTIAN FAZEKAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 13 mars 2018

COMPARUTIONS :

Anna Shabotynsky

Pour les demandeurs

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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