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Date : 20180315


Dossier : IMM-3196-17

Référence : 2018 CF 301

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

OLADOYIN DEBORAH FAROMINIYI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision (la décision) de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAR ou la Commission) datée du 29 juin 2017, qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse est citoyenne du Nigéria. Elle soutient qu’elle est bisexuelle et que la découverte par sa famille de son orientation sexuelle peu de temps avant son départ pour le Canada fait en sorte qu’elle risquerait d’être persécutée au Nigéria.

[3]  La demanderesse allègue qu’elle a eu connaissance de sa bisexualité quand elle avait treize ans et avait alors entamé une relation sexuelle avec une camarade de classe, Olayinka, à son pensionnat. La relation a pris fin en 2009 quand la demanderesse et sa camarade de classe ont obtenu leur diplôme. La demanderesse soutient que sa relation sexuelle subséquente avec une femme s’est produite alors qu’elle fréquentait l’université dans une autre ville de 2011 à 2015. En dépit du fait que sa compagne, Mariam Yusuf, avait un petit ami, leur relation a duré même après que la demanderesse a obtenu son diplôme et est retournée à la maison. La demanderesse affirme que Mariam a finalement mis fin à la relation en novembre 2015 quand elle a accepté la demande en mariage de son petit-ami.

[4]  Le mariage imminent de Mariam a amené la demanderesse à poursuivre ses études au Canada. Elle a demandé un visa d’étudiant le 21 avril 2016 et a appris qu’il avait été accordé plus tard au cours du mois de juin.

[5]  Avant son départ pour le Canada, la demanderesse soutient qu’elle s’est fait une nouvelle petite amie, Arewa, en mars 2016. La demanderesse dit qu’au fur et à mesure qu’elles sont devenues des amies, elle soupçonnait qu’Arewa était bisexuelle et elles ont entamé une relation sexuelle à la fin du mois d’avril 2016.

[6]  Étant donné que son départ pour le Canada était prévu le 13 août 2016, la demanderesse affirme qu’elle a rencontré Arewa pour lui dire au revoir le 4 août 2016. Comme cadeau d’adieu, Arewa a donné à la demanderesse une carte et une photo du couple s’embrassant. La demanderesse allègue qu’elle a caché la carte et la photo dans sa valise à la maison, et c’est la découverte de la carte et de la photo par son oncle et sa mère alors qu’ils refaisaient sa valise deux jours plus tard qui a révélé son orientation sexuelle à sa famille. La demanderesse affirme qu’elle était sortie faire des achats quand la découverte s’est produite, mais qu’elle a été prévenue par un appel de sa sœur de ne pas retourner à la maison. La demanderesse allègue qu’après qu’elle n’est pas retournée à la maison, son oncle l’a appelée et l’a menacée d’aller voir la police.

[7]  La demanderesse soutient qu’elle était déjà en possession de son passeport étant donné qu’elle était allée effectuer des opérations bancaires, et qu’elle avait déjà acheté son billet d’avion. Par conséquent, plutôt que de retourner à la maison, la demanderesse est restée chez une amie avant de quitter le Nigéria le 13 août 2016. Elle est arrivée au Canada le 15 août 2016. Elle affirme que sa sœur l’a informée que son oncle était en effet allé voir la police et qu’Arewa avait été arrêtée.

[8]  La demanderesse a présenté une demande d’asile au début du mois de septembre 2016, après avoir été informée par un avocat de la procédure de la demande d’asile. Avant son audience devant la Section de la protection des réfugiés, la demanderesse soutient qu’elle a rencontré une autre demanderesse d’asile du Nigéria, Victoria, avec qui elle a entamé une relation. Dans le cadre de la demande d’asile de la demanderesse, Victoria a fourni une lettre décrivant sa relation avec la demanderesse, mais n’a pas comparu devant la Section de la protection des réfugiés pour témoigner.

[9]  Le 29 décembre 2016, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de la demanderesse pour des motifs liés à la crédibilité. La demanderesse a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés auprès de la Section d’appel des réfugiés.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  La décision confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés et rejette l’appel déposé par la demanderesse.

A.  Nouveaux éléments de preuve

[11]  Après avoir relaté les faits de la demande de la demanderesse, la Section d’appel des réfugiés tient compte du droit concernant les nouveaux éléments de preuve. La Section d’appel des réfugiés conclut ensuite que les nouveaux éléments de preuve fournis par la demanderesse ne respectent pas les exigences du paragraphe 110(4) de la Loi.

[12]  La Section d’appel des réfugiés conclut qu’un affidavit soumis par la demanderesse, qui cherche à corriger les renseignements et à justifier d’autres questions qui ont été soulevées à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, contient principalement des renseignements sans pertinence et ne justifierait pas que la demande de la demanderesse soit accueillie. La Section d’appel des réfugiés mentionne expressément que l’explication de la demanderesse dans l’affidavit au sujet des raisons pour lesquelles Victoria n’a pas pu comparaître devant la Section de la protection des réfugiés contredit l’explication qu’elle a donnée lors de son témoignage. La Section d’appel des réfugiés conclut que l’affidavit n’a aucune valeur probante en raison de cette incohérence, et ne l’admet pas comme nouvel élément de preuve.

[13]  La Section d’appel des réfugiés rejette également l’affidavit de Victoria qui était joint à titre de pièce à l’affidavit de la demanderesse. Dans l’affidavit, Victoria jure qu’elle avait l’intention de comparaître, mais qu’elle est tombée malade la veille de l’audience et n’a pas pu y assister. La Section d’appel des réfugiés souligne, comme dans le cas de l’affidavit de la demanderesse, que cette explication est incohérente avec le témoignage de la demanderesse rendu à l’audience selon lequel Victoria n’a pas pu comparaître parce qu’elle avait un rendez-vous. En raison de cette incohérence, la Section d’appel des réfugiés conclut que l’affidavit de Victoria n’est pas crédible et elle ne l’admet pas à titre de nouvel élément de preuve. Puisque les documents soumis par la demanderesse n’ont pas été admis comme nouveaux éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés rejette la demande d’audience de la demanderesse en application du paragraphe 110(6) de la Loi.

[14]  La Section d’appel des réfugiés a également examiné deux autres documents soumis par la demanderesse après qu’elle a mis en état son dossier d’appel le 15 février 2017. Le premier document est une copie d’un affidavit établi sous serment par la sœur de la demanderesse, Folekemi Abolarinwa, daté du 25 février 2017. La Section d’appel des réfugiés conclut que les renseignements contenus dans le document sont compatibles avec l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de la demanderesse, mais précise qu’« un détail très important » a été omis parce qu’il ne décrit pas l’arrestation d’Arewa. La Section d’appel des réfugiés estime qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que la sœur de la demanderesse inclue les renseignements au sujet de l’arrestation d’Arewa parce qu’elle « aurait pris part aux événements impliquant son oncle et la police ». La Section d’appel des réfugiés souligne également que, selon l’exposé circonstancié du formulaire FDA de la demanderesse et son témoignage, sa sœur est celle qui l’a avertie de ne pas rentrer à la maison et qui l’a mise au courant de l’arrestation d’Arewa une fois que la demanderesse est arrivée au Canada. Or, la demanderesse a témoigné en disant que la révélation de son orientation sexuelle avait atterré sa sœur qui, initialement, n’avait pas voulu fournir d’affidavit. En rejetant l’explication de la demanderesse pour la production tardive de l’affidavit, la Section d’appel des réfugiés conclut qu’il était raisonnablement accessible à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et, par conséquent, qu’il ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et de l’alinéa 29(4)c) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles de la Section d’appel des réfugiés). La Section d’appel des réfugiés conclut également qu’étant donné que le document consiste en une copie et qu’aucune explication n’a été donnée quant à l’impossibilité d’obtenir un document original, il n’y a aucun moyen d’établir l’authenticité à ce sujet et, selon la prépondérance des probabilités, le document n’est pas authentique. La Section d’appel des réfugiés conclut également que la Section de la protection des réfugiés disposait déjà des renseignements contenus dans l’affidavit de la sœur de la demanderesse et, ainsi, rejette les documents, les qualifiant de non pertinents aux termes de l’alinéa 29(4)a) des Règles de la Section d’appel des réfugiés.

[15]  Le deuxième document est un affidavit établi sous serment par Mariam Yusuf, la partenaire de la demanderesse à l’université, daté du 1er mars 2017. La Section d’appel des réfugiés reconnaît que les renseignements fournis dans l’affidavit sont compatibles avec l’exposé circonstancié du formulaire FDA de la demanderesse et remarque que la demanderesse a soutenu que le document n’avait pas été fourni à la Section de la protection des réfugiés parce qu’elle n’avait été en mesure de parler avec Mariam que récemment. La Section d’appel des réfugiés rejette l’affidavit de Mariam, étant donné qu’elle estime que le document aurait raisonnablement pu avoir été obtenu et que la demanderesse « n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas communiqué avec sa présumée amoureuse avant de présenter ce document ». Aucun élément de l’affidavit de la demanderesse qui appuyait l’admission du document ne précisait des tentatives antérieures pour communiquer avec Mariam.

[16]  Étant donné que la Section d’appel des réfugiés n’a reconnu aucun affidavit comme nouvel élément de preuve, elle rejette de nouveau la demande d’audience de la demanderesse.

B.  Crédibilité

[17]  La Section d’appel des réfugiés rejette l’argument de la demanderesse selon lequel la Section de la protection des réfugiés n’a fourni aucun élément de preuve pour appuyer la conclusion selon laquelle la demanderesse s’était montrée hésitante et évasive dans son témoignage, et fait preuve de retenue à l’égard de la conclusion de la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés soutient qu’elle a examiné l’enregistrement de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et conclut qu’« il est impossible d’obtenir un vrai portrait de l’audience en examinant la transcription ». La Section d’appel des réfugiés n’accorde aucun poids à la lettre du centre des femmes immigrantes de Riverdale étant donné que la description que fait la lettre de la demanderesse comme étant « discrète et peu bavarde, et incertaine face à l’avenir » n’explique pas ses réponses évasives et hésitantes à l’audience. La Section d’appel des réfugiés indique également que rien ne précise que la demanderesse a demandé des mesures d’adaptation ou qu’elle a été déclarée personne vulnérable.

[18]  La Section d’appel des réfugiés conclut que la demanderesse n’a pas parlé ouvertement quand elle a témoigné au sujet de sa première partenaire du même sexe, Olaynika. La Section de la protection des réfugiés a posé des questions à la demanderesse qui lui ont permis de fournir des précisions sur les activités auxquelles Olaynika et elle participaient, mais plutôt que d’expliquer l’aménagement des dortoirs à leur pensionnat, la demanderesse a seulement fourni des renseignements qui figuraient déjà dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. La Section d’appel des réfugiés précise également qu’au moment où la Section de la protection des réfugiés a expliqué la nécessité de fournir une corroboration de ses relations avec des partenaires du même sexe, la demanderesse a soutenu qu’elle serait en mesure de se procurer des documents auprès d’Olaynika. La Section d’appel des réfugiés affirme qu’elle n’a jamais reçu de preuve documentaire concernant la relation et tire une conclusion défavorable quant à l’allégation de la demanderesse.

[19]  La Section d’appel des réfugiés conclut également que la demanderesse a témoignage de manière confuse lorsqu’elle a abordé la question de savoir si elle connaissait ou comment elle avait connu une personne qui était lesbienne. Son témoignage selon lequel certaines filles à son école étaient lesbiennes et discutaient du fait d’avoir fréquenté des filles contredit son récit antérieur. La Section d’appel des réfugiés conclut que cela mine la crédibilité de la demanderesse.

[20]  La Section d’appel des réfugiés dit qu’elle n’est pas en mesure d’étudier la prétention de la demanderesse selon laquelle la Section de la protection des réfugiés a commis des erreurs en analysant si elle avait fourni des détails uniques et précis au sujet de chacune de ses relations parce que la demanderesse n’a relevé aucune erreur particulière. La Section d’appel des réfugiés rejette également la prétention de la demanderesse selon laquelle la Section de la protection des réfugiés a eu tort d’exiger des documents corroborants de ses relations avec des partenaires du même sexe. La Section de la protection des réfugiés a énoncé des questions du témoignage et des documents de la demanderesse qui suscitaient des doutes quant à la crédibilité, et a justifié l’exigence de la Section de la protection des réfugiés de fournir des documents corroborants. La Section d’appel des réfugiés remarque qu’il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande et que la Section de la protection des réfugiés peut exiger des documents qui devraient être raisonnablement accessibles.

[21]  La Section d’appel des réfugiés rejette la prétention de la demanderesse selon laquelle elle n’était pas hésitante et incertaine dans son témoignage concernant sa relation avec Victoria, comme l’a conclu la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés estime que la transcription appuie la conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur cette question. En ce qui concerne l’absence de Victoria à l’audience, la Section d’appel des réfugiés distingue la présente affaire de Kamburona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 701, étant donné que, dans cette décision, la Cour a conclu que la majorité des conclusions de la Commission étaient déraisonnables, une circonstance que la Section d’appel des réfugiés considère comme différente de la demande de la demanderesse. La Section d’appel des réfugiés réitère qu’elle a déjà tranché en fonction de motifs relatifs à la crédibilité et au délai pour ne pas admettre les affidavits de la demanderesse et de Victoria attestant de l’explication de Victoria concernant son absence à l’audience. La Section d’appel des réfugiés conclut ainsi que la demanderesse n’est pas bisexuelle étant donné qu’aucun document soumis et aucun témoignage rendu ne permet de juger que sa demande est crédible.

[22]  La Section d’appel des réfugiés conclut de plus que l’omission de deux partenaires masculins dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA de la demanderesse mine la crédibilité de sa demande concernant sa bisexualité. La demanderesse a d’abord témoigné en disant qu’elle ne pensait pas que l’inclusion de partenaires masculins dans l’exposé circonstancié était importante, et a ensuite témoigné en disant qu’elle croyait qu’il était normal de fréquenter des hommes et anormal de fréquenter des femmes. La Section d’appel des réfugiés conclut que les explications de la demanderesse au sujet des omissions sont contradictoires et confuses. Puisque la demanderesse est diplômée universitaire et que rien n’indiquait un dysfonctionnement intellectuel à l’audience, la Section d’appel des réfugiés conclut que ses explications ne sont pas crédibles. La Section d’appel des réfugiés conclut également que la partie de la transcription soumise par la demanderesse pour établir qu’elle était bisexuelle n’est pas représentative, et que la demanderesse a été incohérente sur ce point.

[23]  La Section d’appel des réfugiés conclut que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur concernant la date de la prétendue découverte de l’orientation sexuelle de la demanderesse par sa famille, mais conclut également que cette erreur n’est pas déterminante pour la demande. La Section d’appel des réfugiés conclut également, contrairement aux affirmations de la Section de la protection des réfugiés, que la Section de la protection des réfugiés n’a jamais demandé à la demanderesse la raison pour laquelle elle est sortie de chez elle en possession de son passeport, et pour laquelle elle a identifié son père comme étant un agent de persécution.

[24]  La demanderesse a également soumis un affidavit de sa mère. Compte tenu de l’examen des transcriptions et de l’affidavit de la mère de la demanderesse, la Section d’appel des réfugiés conclut que la demanderesse n’est pas crédible dans son allégation selon laquelle elle a appris de sa sœur la découverte qu’a faite son oncle de sa bisexualité. La Section d’appel des réfugiés précise que la demanderesse a seulement mentionné que sa sœur habitait chez ses parents quand elle a été interrogée à ce sujet par la Section de la protection des réfugiés, et qu’il n’y a aucune mention de sa sœur dans l’affidavit de sa mère « relativement à ce qui s’est produit le 6 août 2016 ».

[25]  La Section d’appel des réfugiés conclut que le retard de la demanderesse à présenter une demande d’asile à son arrivée au Canada ne constitue pas un facteur déterminant. Toutefois, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle présente une demande à son arrivée compte tenu de son niveau d’instruction, des recherches qu’elle admet avoir effectuées au sujet de l’acceptation des gais et des lesbiennes au Canada, et des événements qui ont précédé son départ du Nigéria.

[26]  La Section d’appel des réfugiés déclare qu’elle a examiné les lettres fournies par la demanderesse du centre communautaire 519 et de la coalition noire pour la prévention du SIDA, mais conclut qu’elles ne fournissent pas de preuve quant à l’orientation sexuelle de la demanderesse étant donné que rien n’indique que les groupes communautaires ont examiné la crédibilité de la demanderesse. La Section d’appel des réfugiés reconnaît que ces groupes n’ont aucun intérêt personnel quant au résultat de la demande de la demanderesse, mais n’a trouvé aucune explication sur la façon dont ils ont établi sa sexualité au-delà de l’autodéclaration. La Section d’appel des réfugiés n’accorde aucun poids à une lettre de l’église communautaire métropolitaine de Toronto étant donné que la lettre indiquant que la demanderesse fréquente l’église régulièrement contredit le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’était jamais allée dans une église à Toronto. La Section d’appel des réfugiés n’accorde pas non plus de poids à la lettre du centre des femmes immigrantes de Riverdale étant donné que les renseignements dans la lettre concernant le fait qu’elle aurait été menacée de subir une purification rituelle ainsi qu’un mariage forcé par son oncle ont été omis de l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. La Section d’appel des réfugiés n’accepte pas l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait l’esprit troublé lors de la création de l’exposé circonstancié et estime qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le témoignage de la demanderesse au sujet du moment où elle a reçu ces renseignements soit compatible.

[27]  Étant donné que la Section d’appel des réfugiés a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de documents ou de témoignage crédibles pour appuyer son allégation de bisexualité, elle a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés et a rejeté l’appel de la demanderesse.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[28]  La demanderesse soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. La conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle la demanderesse s’était montrée évasive et hésitante lors de son audience devant la Section de la protection des réfugiés est-elle déraisonnable?
  2. L’examen de la Section d’appel des réfugiés concernant la preuve de l’orientation sexuelle de la demanderesse est-il déraisonnable?

[29]  Le défendeur énonce les questions en litige suivantes :

  1. La décision de la Section d’appel des réfugiés de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse est-elle déraisonnable?
  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés de confirmer les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité est-elle déraisonnable?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[30]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[31]  La décision de la Section d’appel des réfugiés quant à savoir si un nouvel élément de preuve respecte les exigences du paragraphe 110(4) de la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29 [Singh].

[32]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Section d’appel des réfugiés en matière de crédibilité est également celle de la décision raisonnable. Voir Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 667, au paragraphe 24.

[33]  Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, l’intervention de la Cour se justifie seulement si une décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[34]  Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Fonctionnement

Procedure

110 (3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

110 (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

VII.  ARGUMENTATION

A.  Demanderesse

1)  Réponses évasives et hésitantes lors du témoignage

[35]  La demanderesse soutient que l’accord de la Section d’appel des réfugiés avec la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle elle s’était montrée évasive et hésitante lors de son témoignage est déraisonnable. La Section d’appel des réfugiés en est arrivée à cette conclusion en constatant que la transcription ne reflétait pas la réalité de l’audience. La demanderesse affirme qu’elle était effrayée, plutôt qu’évasive, et qu’elle a trouvé difficile de répondre à l’interrogatoire. Elle affirme, néanmoins, qu’elle y a répondu ouvertement et que la lettre du centre des femmes immigrantes de Riverdale fournit une explication légitime quant à ses difficultés à témoigner. Elle soutient que la Section d’appel des réfugiés aurait dû accorder plus d’importance à la lettre et expliquer les raisons pour lesquelles la transcription ne reflétait pas la réalité de l’audience. La déclaration de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle elle a examiné l’enregistrement ne fournit aucun aperçu sur la façon dont un portrait fidèle de l’audience a mené à conclure que la demanderesse s’était montrée évasive et hésitante.

2)  Preuve de l’orientation sexuelle

[36]  La demanderesse soutient que le nouvel élément de preuve qu’elle a soumis à la Section d’appel des réfugiés est pertinent étant donné que la Section de la protection des réfugiés a contesté sa crédibilité au motif que sa partenaire, Victoria, n’avait pas comparu. La demanderesse a également soumis l’affidavit d’une ancienne partenaire sexuelle qui a corroboré l’allégation selon laquelle elle est bisexuelle et l’existence de leur relation. Elle affirme qu’elle n’a pas fourni autant de détails au sujet de sa première partenaire sexuelle du même sexe dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande, puisqu’il s’agissait d’une relation entretenue alors qu’elle fréquentait l’école secondaire et qu’elle avait eu lieu il y a longtemps.

[37]  La demanderesse souligne que le code pénal nigérian criminalise l’homosexualité et que la Cour a reconnu qu’il existait une preuve prima facie selon laquelle les homosexuels et les bisexuels seraient exposés à un risque de persécution s’ils retournaient au Nigéria. Voir Ladipo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 408, au paragraphe 9. Elle soutient qu’elle a fourni la preuve qu’elle est une femme bisexuelle par les affidavits qui répondent à des questions soulevées lors de l’audience de la Section de la protection des réfugiés. Elle affirme que la perte de communication temporaire avec Mariam et l’absence de Victoria à l’audience fournissent des explications raisonnables quant à la raison pour laquelle la preuve a été présentée tardivement à la Commission. La demanderesse soutient que, compte tenu des risques sérieux auxquels elle est exposée si elle retourne au Nigéria, ces affidavits auraient dû être admis par la Section d’appel des réfugiés.

B.  Défendeur

1)  Nouveaux éléments de preuve

[38]  Le défendeur soutient que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle elle ne pouvait tenir compte d’aucun nouveau document qu’avait soumis la demanderesse parce que ces documents ne satisfaisaient pas au critère d’admissibilité de nouveaux éléments de preuve est raisonnable. Le rôle de la Section d’appel des réfugiés est d’évaluer des erreurs potentielles dans la décision de la Section de la protection des réfugiés. Voir Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913, aux paragraphes 42 à 44. Dans ces circonstances, la Section d’appel des réfugiés ne peut examiner que des éléments de preuve qui sont survenus depuis la décision de la Section de la protection des réfugiés, ou qui n’ont pas été normalement présentés au moment de la décision de la SPR : paragraphe 110(4) de la Loi. La Cour d’appel fédérale a conclu que les critères d’admission de nouveaux éléments de preuve prévus par la loi doivent être « interprété[s] restrictivement » : Singh, précité, au paragraphe 35. La Cour affirme ensuite que « le rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR » : Singh, précité, au paragraphe 54.

[39]  Plutôt que d’offrir une approche souple aux nouveaux éléments de preuve devant la Section d’appel des réfugiés, Singh établit qu’« une approche restrictive à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, et la SAR n’a d’autres choix que de tenir compte de ces critères » : Demberel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 731, au paragraphe 31. La Section d’appel des réfugiés peut rejeter des documents s’ils ne satisfont pas aux critères fixés par la loi « en l’absence d’éléments de preuve selon lesquels les documents n’auraient pas pu, moyennant une diligence raisonnable, être identifiés et divulgués » : Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au paragraphe 23 [Figueroa]. Le défendeur souligne que la valeur probante et la crédibilité ne suffisent pas à contrebalancer les exigences du paragraphe 110(4) de la Loi. Voir Figueroa, précité, au paragraphe 45; Singh, précité, aux paragraphes 36 et 63. Le défendeur affirme, malgré le fait que la Cour d’appel fédérale a reconnu, dans Singh, que la Section d’appel des réfugiés jouit d’une certaine souplesse dans l’application des conditions du paragraphe 110(4), qu’une telle souplesse est permise, mais n’est pas exigée. Voir Singh, précité, au paragraphe 64. Le défendeur affirme qu’il revenait à la demanderesse de bien présenter son dossier devant la Section de la protection des réfugiés.

2)  Crédibilité

[40]  Le défendeur précise que la Section d’appel des réfugiés a eu raison de conclure qu’elle ne devrait faire preuve de déférence qu’envers les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité où la Section de la protection des réfugiés bénéficie d’un avantage particulier. Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93. En dépit de cela, la Section d’appel des réfugiés a contesté les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité concernant le père de la demanderesse en tant qu’agent de persécution et la raison pour laquelle elle avait son passeport en sa possession quand son orientation sexuelle a été découverte.

[41]  Le défendeur soutient, néanmoins, que la Commission a le droit de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité au motif qu’il existe des contradictions et des incohérences dans la preuve. Voir Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 RCF 238 (CA); Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 11 (QL) (CA). Des conclusions raisonnables peuvent être fondées sur des invraisemblances, sur le sens commun et sur la rationalité. Voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF); Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (QL) (CA). Le Tribunal peut rejeter des éléments de preuve incompatibles avec « les probabilités qui ressortent du dossier tout entier » : Araya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 626, au paragraphe 6. Des conclusions défavorables quant à la crédibilité peuvent être tirées quand les allégations au cœur de la demande d’un demandeur sont omises de l’exposé circonstancié figurant dans le formulaire FDA et sont soulevées à l’audience. Voir Aragon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 144, aux paragraphes 21 et 22.

[42]  Le défendeur affirme que la preuve documentaire soumise par la demanderesse ne peut combler les lacunes du témoignage de la demanderesse. Le défendeur indique que la preuve de l’église communautaire métropolitaine de Toronto et du centre des femmes immigrantes de Riverdale contredit le témoignage de la demanderesse. Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne refusent pas non plus des conclusions défavorables quant à la crédibilité et ne fournissent pas la possibilité d’ajouter un contexte factuel à une demande qui a été rejetée. Voir Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 5.

VIII.  DISCUSSION

[43]  Certaines des conclusions de la Section d’appel des réfugiés posent considérablement problème et nécessitent la présente affaire pour être renvoyées pour nouvel examen.

[44]  Tout d’abord, la Section d’appel des réfugiés a tiré de nombreuses conclusions fondées sur l’incohérence sans vraiment expliciter en quoi consistait cette incohérence perçue et sans mention précise de la preuve afin que la demanderesse et la Cour puissent décider si ces conclusions sont raisonnables.

[45]  Par exemple, en traitant de l’absence de Victoria à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et son affidavit subséquent présenté à la Section d’appel des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés conclut en ces termes :

[23]  L’appelante a versé un affidavit à titre personnel au mémoire qui a été présenté initialement en appel. Cet affidavit était un compte rendu de l’audience relative à la demande d’asile, dans lequel l’appelante tente de corriger de l’information fournie à l’audience et d’expliquer d’autres questions soulevées pendant l’audience de la SPR. La SAR est d’avis que l’essentiel du contenu de l’affidavit n’est pas pertinent et que, à supposer qu’il soit admis, il ne justifierait pas que la demande d’asile soit accordée.

[24]  La SAR constate qu’une question mentionnée dans l’affidavit (paragraphe 9, page 16) ne concorde pas avec le témoignage présenté à l’audience. L’affidavit précise que l’amie de l’appelante qui devait témoigner souffrait d’une intoxication alimentaire. Or, selon la transcription de l’audience (page 100), l’appelante a affirmé que son amie [Victoria] ne témoignerait pas à l’audience parce qu’elle avait un rendez-vous. À la lumière de cette incohérence évidente, la SAR estime que ce document n’a aucune valeur probante.

[25]  La SAR refuse d’admettre le document à titre de nouvel élément de preuve. Les questions mentionnées dans l’affidavit sont traitées plus adéquatement dans le mémoire présenté en appel.

[26]  L’appelante a présenté un affidavit [de Oluwaseun Victoria Oladutele (Victoria)]. Le document confirme qu’il s’agit d’une amie proche de l’appelante. Il est également écrit qu’elle avait l’intention de comparaître à l’audience comme témoin, mais qu’elle était très malade. Comme la SAR l’a déjà mentionné, l’incohérence entre cette information et le témoignage présenté à l’audience de la SPR est déterminante. La SAR estime que l’affidavit n’est pas crédible, elle n’y accorde aucune importance et refuse de l’admettre à titre de nouvel élément de preuve.

[Renvoi omis.]

[46]  Il n’y a pas d’incohérence évidente ou nécessaire entre le témoignage de la demanderesse devant la Section de la protection des réfugiés selon lequel Victoria « avait un rendez-vous » et sa preuve par affidavit qui dit qu’elle « souffrait d’une intoxication alimentaire ». Si Victoria souffrait d’une intoxication alimentaire, elle a très bien pu avoir un rendez-vous médical. De plus, étant donné que la Section d’appel des réfugiés a refusé la demande d’audience de la demanderesse, l’incohérence perçue n’a jamais été signalée à la demanderesse par une demande d’explications. Pourtant, en ce qui concerne la présente incohérence perçue, la Section d’appel des réfugiés a conclu que l’affidavit de Victoria n’était pas crédible. Aucune explication quant à la raison pour laquelle une incohérence perçue dans la preuve de la demanderesse mène à la conclusion selon laquelle la preuve de Victoria ne peut pas être digne de foi n’a été fournie. Le témoignage de Victoria selon lequel elle ne pouvait pas assister à l’audience de la Section de la protection des réfugiés parce qu’elle est tombée malade est compatible avec le propre témoignage de la demanderesse selon lequel Victoria avait souffert d’une intoxication alimentaire et, sans autre explication, ne contredit pas, de toute évidence, le témoignage de la demanderesse selon lequel Victoria avait un rendez-vous. Victoria a également fourni une preuve écrite de sa relation avec la demanderesse dans une lettre dont la Section de la protection des réfugiés a été saisie. Cette lettre est rédigée comme suit :

[traduction]

À qui de droit,

Je m’appelle Oludutele Victoria Oluwaseun, je suis une femme bisexuelle du Nigéria et je dépose une demande d’asile au Canada, il me reste à comparaître pour ma demande d’asile.

Je connais Oladoyin Deborah Farominiyi et nous avons récemment commencé à avoir une relation intime, je l’ai rencontrée au centre communautaire 519 dans le cadre d’un programme d’orientation en septembre 2016 et nous nous sommes retrouvées plus tard à Black‑Cap. Nous avons commencé à nous parler et nous sommes devenues des amies. Depuis que je l’ai rencontrée, j’aime son audace et sa confiance et je la trouve attrayante et je lui ai demandé si elle voulait sortir avec moi. Après de nombreux efforts de persuasion, elle a finalement accepté et nous sommes sorties ensemble pour la première fois le 25 septembre 2016. Elle s’est confiée à moi au sujet de ses expériences antérieures comme bisexuelle au Nigéria et j’ai aussi parlé de mon histoire avec elle, nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de points communs. Nous avons décidé d’amorcer une relation ensemble et nous comptons que notre audience soit accueillie à la suite de quoi nous planifions nous établir en tant que famille.

Nous aimons sortir ensemble aux centres commerciaux et aux restaurants, je l’aime beaucoup et je trouve qu’elle fait preuve d’ouverture d’esprit et qu’elle a une belle silhouette, nous nous comprenons et elle me complète très bien. Elle est attentionnée et elle se préoccupe toujours de mon bien-être, je sens que je m’identifie davantage à elle, puisqu’elle vient de mon pays et qu’elle vient de la famille du côté de ma mère au Nigéria. Nous comprenons toutes les deux le défi d’être bisexuelles au Nigéria.

Veuillez agréer mes salutations distinguées,

Oladutele Victoria Oluwaseun

[47]  La Section de la protection des réfugiés se réfère à cette lettre dans sa décision (au paragraphe 12), mais la raison pour laquelle elle n’a pas été acceptée comme preuve de la relation bisexuelle entre la demanderesse et Victoria n’est pas claire. La Section de la protection des réfugiés conclut que la demanderesse était [traduction] « hésitante et incertaine au sujet de sa relation avec Victoria » et que la demanderesse [traduction] « a témoigné avoir couché avec Victoria, mais n’a pas pu dire à quand cela remontait, si c’était il y a une semaine, un mois, et elle a simplement déclaré qu’elle ne s’en souvenait pas ». Rien n’indique que la lettre de Victoria n’est pas digne de foi et si le témoignage de la demanderesse et ses problèmes de mémoire sont rattachés à l’état émotionnel de la demanderesse.

[48]  La Section d’appel des réfugiés démontre en l’espèce qu’elle est bien trop désireuse de déceler des incohérences là où il n’y en a peut-être pas, et qu’elle ne souhaite pas examiner suffisamment les éléments de preuve pour déterminer s’il y a de vraies incohérences.

[49]  Il existe des problèmes semblables avec le raisonnement de la Section d’appel des réfugiés quand le commissaire traite du nouvel élément de preuve de la sœur de la demanderesse :

[30]  Le premier affidavit est une copie, et non l’original, d’un document de [Folekemi Abolarinwa], la sœur de l’appelante. Il est daté du 25 février 2017 et a été souscrit à la Haute Cour de l’État de Benue. L’affidavit de l’appelante mentionne que sa sœur était fâchée contre elle en raison de sa bisexualité, mais que, avec le temps, elle s’est faite à l’idée que l’appelante est bisexuelle.

[31]  L’affidavit de la sœur de l’appelante reprend le récit selon lequel leur mère et leur oncle ont découvert les photos de l’appelante et [Arewa] dans une position sexuelle compromettante. La sœur de l’appelante a affirmé qu’elle avait téléphoné à l’appelante et qu’elle l’avait avertie de ne pas revenir à la maison. Elle a également soutenu que son oncle avait téléphoné à la police, qui était à la recherche de l’appelante.

[32]  La SAR constate que ce récit concorde avec l’information fournie par l’appelante dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA). La SAR signale qu’un détail très important a été omis, à savoir l’arrestation [d’Arewa], l’amie de l’appelante. La SAR estime qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’une telle information soit mentionnée dans l’affidavit parce que la sœur de l’appelante aurait pris part aux événements impliquant son oncle et la police.

[33]  Selon l’exposé circonstancié du formulaire FDA, après son arrivée au Canada, l’appelante a été informée par sa sœur ou sa mère, ou par les deux, de l’arrestation [d’Arewa]. En outre, sa sœur l’aurait avertie de ne pas revenir à la maison après que des photos auraient été découvertes dans sa valise. D’après cette information, il semble que l’appelante pouvait compter sur l’appui de sa sœur et que cette dernière tentait d’agir dans l’intérêt supérieur de l’appelante. Celle-ci affirme avoir déclaré, à l’audience de la SPR, que sa sœur était encore anéantie et choquée à l’idée qu’elle soit bisexuelle et qu’elle n’était pas disposée à présenter un affidavit étayant la bisexualité de l’appelante. Elle fait également valoir que sa sœur n’a présenté un affidavit qu’après l’audience parce qu’elle s’était alors faite à l’idée que l’appelante est bisexuelle.

[34]  La SAR n’accepte pas l’explication de l’appelante visant à justifier la présentation tardive de l’affidavit. Compte tenu des allégations concernant la situation de l’appelante et du fait que la sœur et la mère de l’appelante auraient tenté de communiquer avec l’appelante après son arrivée au Canada, en août 2016, la SAR estime qu’il aurait été raisonnable et crédible que l’affidavit soit présenté à l’audience de la SPR. Au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR et de l’alinéa 29(4)c) des Règles de la SAR, la SAR rejette ce document à titre de nouvel élément de preuve.

[Renvoi omis.]

[50]  L’une des raisons pour lesquelles la Section d’appel des réfugiés semble avoir des doutes quant à cet affidavit est celle-ci : « [I]l aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’une telle information [concernant l’arrestation de Arewa] soit mentionnée dans l’affidavit […] ». La Section d’appel des réfugiés a donc des doutes quant à l’affidavit à l’égard de ce qu’il ne dévoile pas. Pourtant, on ne voit pas clairement comment ces doutes influencent la décision de la Section d’appel des réfugiés d’exclure l’affidavit qui semble fondé, notamment, sur le refus de la Section d’appel des réfugiés d’accepter l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas fourni l’affidavit de sa sœur à la Section de la protection des réfugiés étant donné que « sa sœur n’a présenté un affidavit qu’après l’audience parce qu’elle s’était alors faite à l’idée que l’appelante est bisexuelle ». Cela est conforme à la propre explication de la sœur, ce que la Section d’appel des réfugiés ne mentionne pas. Compte tenu des circonstances culturelles au Nigéria, je ne vois pas ce qu’il y a de déraisonnable dans le fait que la sœur de la demanderesse a été extrêmement fâchée d’apprendre la bisexualité de cette dernière et que cette découverte a provoqué un tumulte au sein de la famille, d’autant plus que la sœur de la demanderesse a finalement accepté l’orientation sexuelle de cette dernière et a fourni un affidavit à l’appui.

[51]  Une nouvelle fois, la demanderesse n’a jamais eu la possibilité d’aborder cette question étant donné que l’affidavit de sa sœur a été exclu et qu’aucune audience n’a été accordée. Je suis également troublé par le fait que la Section d’appel des réfugiés n’a pas été plus précise au sujet du fondement d’une partie de ses conclusions importantes. Par exemple, la Section de la protection des réfugiés a conclu que la demanderesse avait été hésitante et évasive dans son témoignage. Afin de réfuter cette accusation, la demanderesse a renvoyé la Section d’appel des réfugiés aux transcriptions de l’audience devant la Section d’appel des réfugiés ainsi qu’au rapport du centre des femmes immigrantes de Riverdale selon lequel elle était « anxieuse et attristée par les problèmes que son identité a entraînés. Elle semble discrète et peu bavarde, et incertaine face à l’avenir ».

[52]  La Section d’appel des réfugiés rejette cette preuve de la façon suivante :

[46]  La SAR fait preuve de déférence à l’égard de la SPR pour ce qui est de la façon dont l’appelante a répondu aux questions. La SAR estime qu’il est impossible d’obtenir un vrai portrait de l’audience en examinant la transcription. La SAR, après avoir écouté l’enregistrement de l’audience de la SPR, souscrit aux conclusions de cette dernière. La SAR n’accorde aucune importance à la lettre susmentionnée provenant du centre des femmes immigrantes de Riverdale étant donné qu’elle n’explique pas pourquoi l’appelante était évasive et hésitante lorsqu’elle a répondu aux questions de la SPR. En outre, la SAR ne dispose d’aucun document démontrant que l’appelante ou son conseil ont présenté, à l’audience de la SPR, une demande en vue d’obtenir une dispense spéciale pour l’appelante, et rien ne permet de penser que l’appelante a été reconnue comme étant une personne vulnérable.

[53]  Ce rejet ne nous révèle pas ce qui a convaincu la Section d’appel des réfugiés de souscrire aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés. Tout d’abord, elle ne dit pas que la transcription appuie la Section de la protection des réfugiés et n’appuie pas la demanderesse. Elle dit plutôt qu’« il est impossible d’obtenir un vrai portrait de l’audience en examinant la transcription », sans expliquer ce qui manque à la transcription qui ne se trouve que dans l’enregistrement. Je ne comprends pas pourquoi une hésitation et des réponses évasives seraient évidentes dans un enregistrement, mais ne se retrouveraient pas dans la transcription. Si la demanderesse avait été évasive, cela figurerait à l’écrit. Sans exemples précis, je ne pense pas qu’il soit possible de comprendre ce que la Section d’appel des réfugiés entend quand elle dit qu’« il est impossible d’obtenir un vrai portrait de l’audience en examinant la transcription ». La Section d’appel des réfugiés ne fait que souscrire aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés au sujet de cet élément important sans mentionner le fait que la demanderesse et la Cour ont besoin de comprendre ce que l’enregistrement révèle que la transcription ne révèle pas. Cela est important, car la Section d’appel des réfugiés ne dit pas si la demanderesse a tort de dire que la transcription ne montre aucune hésitation ou réponse évasive.

[54]  Des problèmes semblables se présentent quand la Section d’appel des réfugiés traite des conclusions de la Section de la protection des réfugiés selon lesquels la demanderesse n’a pas fourni de détails suffisants concernant sa relation avec Olaynika :

[49]  Après avoir examiné le témoignage présenté à l’audience, la SAR estime que l’appelante n’a pas témoigné de façon spontanée au sujet [d’Olaynika], qui aurait été sa première partenaire de même sexe. Dans son témoignage, l’appelante a donné les mêmes renseignements que ceux figurant dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et, outre une explication concernant la disposition des dortoirs, elle n’a donné aucune information sur sa présumée première relation homosexuelle. La SAR ne souscrit pas aux observations de l’appelante selon lesquelles elle n’a pas eu la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires sur sa relation. Après avoir examiné la transcription, la SPR estime que des questions ont été posées à l’appelante pour lui donner la possibilité de parler des diverses activités auxquelles elles participaient.

[Renvoi omis.]

[55]  En l’espèce, et en se fondant sur la transcription, la Section d’appel des réfugiés semble donc accepter les conclusions de la Section de la protection des réfugiés selon lesquelles « des questions ont été posées à l’appelante pour lui donner la possibilité de parler des diverses activités auxquelles elles participaient ».

[56]  On ne nous dit jamais quelles sont ces questions, où elles figurent dans la transcription et dans quel contexte elles ont été posées. Après avoir lu personnellement la transcription, je n’arrive pas à comprendre de quelle façon et à quel moment on a demandé à la demanderesse de fournir plus de détails qu’elle n’en avait déjà fournis ou la raison pour laquelle, si la Section de la protection des réfugiés a estimé que les détails n’étaient pas suffisants, elle n’en a pas fait directement la demande à la demanderesse. En fait, à l’audience de la présente instance, le défendeur a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur étant donné que la demanderesse avait tenté de fournir des détails à la Section de la protection des réfugiés concernant ce qu’elle avait fait avec Olayinka, mais le président de l’audience a déclaré [traduction] : « Je n’ai pas besoin de savoir cela. »

[57]  La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés font grand cas de l’omission de la demanderesse d’en dire davantage au sujet de ses relations avec des hommes et signalent les incohérences perçues quant au fait d’être en amour :

[61]  La SPR a affirmé que l’appelante s’est qualifiée de bisexuelle en soutenant qu’elle était attirée par les hommes et les femmes. Cependant, la SPR a constaté que l’appelante a omis de mentionner ses relations avec deux hommes, [Remi], en 2010, et [Sami], de novembre 2013 à août 2014, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA.

[62]  Priée d’expliquer pourquoi elle n’a pas mentionné XXXX, un homme dont elle a affirmé être amoureuse, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, l’appelante a déclaré que, au départ, elle ne croyait pas que cela était important, puis qu’elle avait pensé qu’il était normal de fréquenter des hommes et anormal de fréquenter des femmes. La SPR a conclu que cette explication était déraisonnable et que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelante n’avait fréquenté que des hommes au Nigéria.

[63]  La SPR a affirmé que le témoignage de l’appelante concernant les sentiments qu’elle éprouvait à l’égard des hommes et des femmes était confus. À un certain moment, l’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas d’opinion, puis elle a soutenu qu’elle avait une préférence peu marquée pour les femmes. Elle a déclaré qu’elle était bisexuelle parce qu’elle aimait aussi les hommes, mais à certains moments, elle a affirmé qu’elle n’aimait pas les hommes, puis elle a modifié son témoignage pour dire qu’elle n’avait pas aimé [Remi] au Nigéria parce qu’il n’était pas une bonne personne. La SPR a mentionné qu’elle ne s’attendait pas à ce que l’appelante adopte une position ferme relativement à ses préférences sexuelles parce que la sexualité humaine est mouvante, notamment chez les jeunes gens, qui peuvent changer d’avis à ce sujet. Toutefois, la SPR a précisé que, d’une phrase à l’autre, le témoignage de l’appelante était incohérent et que l’appelante n’a pas réussi à expliquer de façon raisonnable qu’elle était amoureuse de [Sami] et de [Miriam] en même temps [sic]. La SPR a affirmé que les liens émotifs découlant d’une relation amoureuse intime n’équivalent pas à une attirance sexuelle qui mène une personne à vouloir avoir des rapports sexuels avec deux personnes différentes en même temps. La SPR a conclu que l’appelante n’était pas un témoin crédible.

[64]  En s’appuyant sur la jurisprudence fédérale, l’appelante a soutenu que les omissions relevées dans son formulaire FDA ne devraient pas être utilisées pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Elle a ajouté que tous les détails de la demande d’asile ne figurent pas dans son formulaire FDA et que cette omission ne devrait pas être utilisée pour mettre en doute sa crédibilité.

[65]  L’appelante fait valoir que son explication, mentionnée précédemment par la SPR, est parfaitement juste et raisonnable compte tenu de ses antécédents culturels et sociaux. L’appelante a présenté un petit extrait de l’audience pour confirmer qu’elle se savait bisexuelle.

[66]  La SAR estime que l’omission des deux partenaires masculins de l’appelante dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA est déterminante et qu’elle met en doute sa crédibilité lorsqu’elle affirme être bisexuelle. Le fondement de la demande d’asile était que l’appelante est bisexuelle. Il n’est pas crédible que l’appelante n’ait pas mentionné, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, ses relations avec des hommes.

[67]  La SAR estime que les explications que l’appelante a données dans son témoignage ne sont pas cohérentes et qu’elles sèment la confusion parce que ses réponses aux questions à ce sujet ont eu pour effet de modifier son témoignage. L’appelante a fait des études universitaires, et rien ne porte à croire qu’elle a été frappée d’un dysfonctionnement intellectuel à l’audience. Le conseil de l’appelante n’a porté aucune question à cet égard à l’attention de la SPR. La SAR estime que les explications de l’appelante concernant l’omission de ses relations avec des hommes de l’exposé circonstancié de son formulaire FDA sont déraisonnables et non crédibles.

[68]  En ce qui concerne l’extrait de l’audience présenté par l’appelante, la SAR estime qu’il n’est pas représentatif des propos de l’appelante concernant les hommes et les femmes figurant dans l’ensemble de la transcription de l’audience. Après avoir examiné la transcription, la SAR estime que l’appelante était incohérente dans son témoignage à cet égard. L’appelante a modifié régulièrement son témoignage lorsqu’elle a répondu aux questions sur sa bisexualité.

[Renvois omis.]

[58]  La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés semblent croire que la demanderesse ne peut pas être « amoureuse de [Sami] et de [Miriam] en même temps [sic] ». La Section de la protection des réfugiés, approuvée par la Section d’appel des réfugiés, fait la déclaration catégorique suivante :

[traduction]

[L]es liens émotifs découlant d’une relation amoureuse intime n’équivalent pas à une attirance sexuelle qui mène une personne à vouloir avoir des rapports sexuels avec deux personnes différentes en même temps. La demanderesse n’était pas un témoin crédible.

(Au paragraphe 17)

[59]  Je ne crois pas que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés aient reçu une formation spéciale sur l’amour, en particulier sur les capacités affectives d’une jeune femme bisexuelle qui a grandi au Nigéria. Toutefois, ce que nous avons en l’espèce est une conclusion défavorable quant à la crédibilité qui se fonde, du moins en partie, sur une certaine forme d’état émotionnel normatif et de capacité d’attachement dont la demanderesse ne témoigne pas. Cette conclusion ne s’appuie sur aucun fondement.

[60]  J’estime également déraisonnable le fait que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés reprochent à la demanderesse de ne pas avoir élaboré au sujet de ses relations avec les hommes. La demanderesse ne s’est pas enfuie du Nigéria en raison de ses relations avec les hommes et elle n’est pas en danger si elle retourne au Nigéria et entretient des relations avec des hommes. Le seul motif de sa demande est qu’elle est bisexuelle et a eu des relations avec des femmes et qu’elle est maintenant connue des autorités comme étant une femme qui a eu des relations avec des femmes. Afin d’évaluer ce risque, la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés n’exigent pas de preuve qu’elle a aussi eu des relations avec des hommes.

[61]  La Section d’appel des réfugiés souligne que la Section de la protection des réfugiés a, en fait, commis des erreurs dans ses décisions, mais conclut qu’elles n’étaient pas suffisamment importantes pour infirmer la décision de la Section de la protection des réfugiés. Ces erreurs doivent maintenant être ajoutées à celles que j’ai constatées. Je souligne également qu’en examinant l’affidavit de la mère de la demanderesse, la Section d’appel des réfugiés conclut ce qui suit :

[77]  Après avoir examiné la transcription de l’audience, la SAR constate que l’appelante n’a mentionné que sa sœur vivait chez sa mère que lorsque la SPR a abordé la question. La SAR constate que, dans l’affidavit de la mère de l’appelante, il n’est pas fait mention de la sœur de l’appelante relativement à ce qui s’est produit le [6] août 2016. La lettre précise que l’appelante faisait des courses et qu’elle n’est pas rentrée chez elle. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une conclusion très solide de la SPR, la SAR juge, selon la prépondérance des probabilités, non crédibles les allégations de l’appelante selon lesquelles sa sœur a joué un rôle pour ce qui est de l’informer que son oncle avait prétendument découvert son orientation sexuelle.

[Renvoi omis.]

[62]  Au paragraphe 16 de l’affidavit de la mère de la demanderesse (dossier certifié du tribunal, p. 448), elle dit : [TRADUCTION] « Le 16 août 2016, j’ai pu parler avec Oladoyin [la demanderesse] [...] Elle a admis que sa sœur l’avait avertie de ne pas rentrer à la maison ce jour‑là. » Manifestement, la Section d’appel des réfugiés a oublié d’importants éléments de preuve.

[63]  Je ne dis pas que les éléments de preuve de la demanderesse n’étaient pas sans soulever de problèmes. Néanmoins, la conclusion défavorable quant à la crédibilité sur laquelle se fonde la décision est cumulative, et les préoccupations que j’ai déjà évoquées sont suffisantes, à mon avis, pour rendre la décision déraisonnable et pour exiger qu’elle soit renvoyée pour nouvel examen.

[64]  La décision comporte d’autres problèmes liés à l’omission de la Section d’appel des réfugiés de permettre une audience qui doivent être examinés attentivement lors du nouvel examen. Toutefois, je n’ai pas besoin d’aborder ces questions en l’espèce étant donné que j’ai déjà décidé que cette demande doit être accueillie pour les motifs précités.

[65]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3196-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la Section d’appel des réfugiés constitué différemment.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3196-17

 

INTITULÉ :

OLADOYIN DEBORAH FAROMINIYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

Pour la demanderesse

 

John Loncar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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