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Date : 20180328


Dossier : IMM-3358-17

Référence : 2018 CF 341

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

SWARN KAUR GORAYA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Swarn Kaur Goraya sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente de Citoyenneté et Immigration Canada qui a refusé sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada, demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[2]  Pour les motifs qui suivent, l’examen de la demande de Mme Goraya par l’agente d’immigration était justifiable, transparent et intelligible et le refus était raisonnable. Mme Goraya n’a pas établi que l’agente d’immigration a agi de mauvaise foi ni qu’elle a commis un manquement au principe de l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Énoncé des faits

[3]  Mme Goraya est citoyenne du Royaume-Uni. Elle est née en Inde en 1943 et est maintenant âgée de 74 ans.

[4]  Mme Goraya a deux enfants. Un de ses fils habite aux États-Unis, mais elle indique ne pas entretenir de liens étroits avec ce dernier. Son deuxième fils est résident permanent du Canada. Il est le père de quatre enfants. La famille habite à Edmonton en Alberta.

[5]  L’époux de Mme Goraya est décédé au mois de janvier 2015 lors d’un voyage au Canada. Elle n’a plus de famille en Angleterre.

[6]  Mme Goraya a souvent rendu visite à son fils au Canada. Sa plus récente visite au Canada remonte au 4 décembre 2015. Elle a par la suite obtenu une prorogation de son statut de visiteur jusqu’au 30 juin 2017.

[7]  En septembre 2016, Mme Goraya a sollicité une exemption à l’exigence habituelle de présenter une demande de résidence permanente de l’étranger. La demande a été formulée au titre du paragraphe 25(1) et de l’article 25.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Mme Goraya a invoqué son âge avancé, l’absence de liens familiaux au Royaume-Uni, ses solides liens familiaux au Canada, son degré d’établissement au Canada et l’intérêt supérieur de ses quatre petits-enfants.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  L’agente d’immigration a estimé que la situation de Mme Goraya ressemblait à celles de plusieurs parents dont les enfants ont immigré dans un autre pays. Bien qu’elle soit âgée de 74 ans, elle est capable de se déplacer, et a été en mesure de voyager entre le Canada et le Royaume-Uni à plusieurs reprises. En dépit de la force de ses liens familiaux, elle avait déjà été séparée de sa famille. Mme Goraya n’avait pas été en mesure de démontrer qu’elle ne pourrait pas obtenir un super visa. Ce type de visa permet de faire plusieurs visites d’une durée maximale de deux ans sur une période de 10 ans. Elle n’a pas non plus expliqué en quoi un visa de visiteur ou une demande de parrainage n’auraient pas constitué des solutions de rechange raisonnables à une exemption fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agente d’immigration a également conclu que les séjours de Mme Goraya au Canada étaient trop brefs pour conclure qu’elle y était bien établie, et ce, malgré ses activités de bénévolat, ses cours d’informatique et ses actifs.

[9]  L’agente d’immigration a souligné que Mme Goraya avait répondu « S.O. » (sans objet) à la question sur le formulaire de demande portant sur les enfants qui pourraient être touchés par la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle a conclu que Mme Goraya n’avait pas établi l’existence d’une interdépendance suffisante entre ses petits-enfants et elle-même ni que son rôle était plus important que celui des parents, surtout compte tenu de son historique d’absences. Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant d’établir qu’une séparation nuirait au bien-être émotif, social, culturel et physique de ses petits-enfants.

IV.  Questions en litige

[10]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agente d’immigration était-elle raisonnable?

  2. La décision de l’agente d’immigration était-elle équitable sur le plan procédural?

V.  Analyse

[11]  Une décision d’un agent d’immigration d’accorder ou de rejeter une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire depuis le Canada est susceptible de contrôle judiciaire par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 [Kanthasamy]). La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[12]  La norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si le bon critère juridique a été appliqué par un agent d’immigration dans le contexte d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire (Guxholli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1267, au paragraphe 17). Les questions d’ordre procédural sont également susceptibles de révision par notre Cour selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

A.  La décision de l’agente d’immigration était-elle raisonnable?

[13]  Mme Goraya prétend que l’agente d’immigration a erronément conclu qu’elle serait admissible à un super visa puisque son fils n’était pas encore résident permanent du Canada. Il a obtenu ce statut au mois d’avril 2017, soit après le dépôt de la demande, mais avant la décision de l’agente d’immigration. De plus, Mme Goraya soutient qu’il aurait fallu que son fils fournisse un élément de preuve d’un revenu minimal et le visa aurait pu être refusé sur la base de l’absence de liens importants au Royaume-Uni. Elle indique que l’octroi d’un super visa constitue une décision discrétionnaire, et « l’incertitude même découlant de la délivrance du permis de résident temporaire ne peut pas remplacer la réparation prévue à l’article 25 » (faisant référence à la décision Greene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 18, au paragraphe 9).

[14]  En ce qui a trait à la possibilité de parrainage par son fils, Mme Goraya prétend que l’agente d’immigration a omis de prendre en compte qu’il aurait fallu que son fils démontre qu’il avait un revenu suffisant depuis trois ans pour se qualifier comme répondant et serait ensuite assujetti aux aléas d’une loterie. Elle fait valoir que l’agente d’immigration n’a pas reconnu l’impact qu’a eu le décès de son mari sur sa situation personnelle et qu’elle a entravé son pouvoir discrétionnaire en concentrant indûment son analyse sur les solutions de rechange au redressement plutôt que sur les considérations d’ordre humanitaire.

[15]  Il est reconnu que l’exercice par un agent d’immigration de son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 25(1) et à l’article 25.1 de la LIPR demeure exceptionnel (Kanthasamy, au paragraphe 19). Il ne devrait pas constituer une voie alternative à l’immigration et devrait être exercé avec parcimonie (Kanthasamy, aux paragraphes 14 et 23).

[16]  Contrairement à l’affirmation de Mme Goraya selon laquelle l’agente d’immigration avait conclu erronément qu’elle serait admissible à un super visa, l’agente d’immigration a simplement conclu qu’elle n’avait pas présenté suffisamment d’information pour démontrer qu’elle n’y serait pas admissible. Il s’agit d’une distinction importante à faire. Il incombait à Mme Goraya de démontrer l’existence de motifs qui permettraient à l’agente d’immigration d’accorder la mesure de redressement exceptionnelle demandée. Il n’incombait pas à l’agente d’immigration de démontrer pourquoi cette mesure devait être refusée.

[17]  De plus, je ne suis pas convaincu que la décision de l’agente d’immigration était fondée exclusivement, ou principalement, sur les options qui s’offraient à Mme Goraya conformément à la LIPR. La décision était fondée sur la considération de plusieurs facteurs, dont les liens familiaux de Mme Goraya au Canada, l’absence de liens familiaux au Royaume-Uni, les liens qu’elle entretenait avec ses petits-enfants, ses antécédents de voyage et sa capacité de voyager librement entre le Royaume-Uni et le Canada sans devoir présenter une demande de visa au préalable.

[18]  Mme Goraya n’a présenté à l’agente d’immigration que des éléments de preuve insuffisants portant sur l’intérêt supérieur de ses petits-enfants. En effet, sur le formulaire de demande, elle a indiqué qu’aucun enfant ne serait touché par la décision. À mon avis, la conclusion de l’agente d’immigration voulant que Mme Goraya n’ait pas démontré l’existence d’une interdépendance entre ses petits-enfants et elle-même était raisonnable, surtout si on considère que le temps passé au Canada par Mme Goraya équivalait, de façon cumulative, à environ un an et demi.

[19]  Mme Goraya conteste également l’évaluation de ses liens avec le Canada par l’agente d’immigration. Elle déclare que l’agente d’immigration a erronément qualifié l’établissement comme une condition plutôt qu’un facteur important (citant l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 47). À mon avis, Mme Goraya demande à la Cour de réexaminer les éléments de preuve. Cependant, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Khosa, au paragraphe 61).

[20]  Je suis donc d’avis que les motifs de l’agente d’immigration étaient suffisamment justifiables, transparents et intelligibles. Sa décision était raisonnable.

B.  La décision de l’agente d’immigration était-elle équitable sur le plan procédural?

[21]  Avant de rendre sa décision, l’agente d’immigration a appelé au domicile du fils de Mme Goraya à Edmonton. Le fils a répondu. Leur conversation a été difficile et houleuse à l’occasion. L’agente d’immigration a indiqué qu’elle appelait afin d’obtenir de l’information supplémentaire à l’appui de la demande, dont le certificat de naissance du fils. Le fils lui a répondu de communiquer avec le consultant en immigration de Mme Goraya et lui a reproché de ne pas suivre la procédure appropriée. Le fils a demandé plus de temps afin de fournir l’information requise. L’agente d’immigration a indiqué que l’attitude du fils lui avait paru agressive et hostile. Selon le fils, l’agente d’immigration lui aurait affirmé qu’elle rejetterait la demande et a mis subitement fin à la conversation. Ni l’agente d’immigration ni le fils n’ont été contre-interrogés sur leur affidavit respectif.

[22]  La même journée, l’agente d’immigration a rejeté la demande. Sa décision ne fait aucunement mention de cet appel téléphonique.

[23]  Mme Goraya prétend que la conversation téléphonique a contribué à la décision de l’agente, et le défaut de l’agente d’immigration d’en faire mention dans ses motifs est très inhabituel. L’agente d’immigration a pris sa décision sans donner l’occasion à Mme Goraya de fournir l’information supplémentaire demandée. Mme Goraya soutient que cela démontre de la mauvaise foi.

[24]  Dans son affidavit, l’agente d’immigration a déclaré que Mme Goraya n’avait pas réussi à établir le lien de filiation avec ses deux fils et qu’elle n’avait pas démontré l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier que la demande soit accordée. À la suite de l’appel téléphonique houleux avec le fils, l’agente d’immigration a décidé d’accorder le bénéfice du doute sur la question de la filiation et a traité la demande en se fondant sur les renseignements déjà fournis. Elle n’a pas fait mention de la conversation téléphonique dans sa décision, car cela ne lui semblait pas pertinent. Elle affirme que cette conversation n’a aucunement influencé sa décision.

[25]  Une allégation de mauvaise foi à l’égard d’un décideur exige un niveau élevé de preuve (Qin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 846, aux paragraphes 30 à 32). La preuve incontestée de l’agente d’immigration était que l’objectif principal de l’appel téléphonique était d’obtenir de l’information supplémentaire sur le lien de filiation entre Mme Goraya et ses deux fils. Puisqu’elle n’a pu obtenir l’information recherchée, l’agente d’immigration a accordé le bénéfice du doute à Mme Goraya sur cette question et a traité la demande selon les renseignements déjà fournis.

[26]  Un agent d’immigration n’est aucunement obligé de cerner les lacunes dans une demande ni de demander à un demandeur de mettre à jour ses éléments de preuve (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 45 [Kisana]). De plus, Mme Goraya n’a pas invoqué d’autres éléments de preuve ou de renseignements qui auraient donné plus de poids à son dossier. Je suis donc d’avis que Mme Goraya a eu pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve pertinents afin qu’ils soient examinés de manière exhaustive et équitable (Kisana, au paragraphe 45). L’agente d’immigration a raisonnablement relaté ses interventions et les éléments de preuve n’appuient pas une conclusion de mauvaise foi.

VI.  Conclusion

[27]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3358-17

 

INTITULÉ :

SWARN KAUR GORAYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Harry Virk

 

Pour la demanderesse

 

Rory Makosz

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Liberty Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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