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Date : 20180411


Dossier : IMM-2326-17

Référence : 2018 CF 393

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2018

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

KUMAR VARATHARASA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Kumar Varatharasa, un citoyen du Sri Lanka, sollicite le contrôle judiciaire du refus d’un agent d’exécution de reporter son renvoi du Canada. M. Varatharasa a demandé à faire reporter son renvoi du Canada dans l’attente du traitement de sa plus récente demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[2]  Il fait valoir que l’agent d’exécution n’a pas tenu compte du risque auquel il serait exposé au Sri Lanka en tant que jeune homme tamoul s’étant vu refuser l’asile à l’étranger et que sa décision est de ce fait déraisonnable. Il reproche en outre à l’agent d’avoir incorrectement apprécié la preuve psychologique relative à son état de santé mentale.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’agent d’exécution a rendu une décision raisonnable, compte tenu notamment des observations qui lui ont été fournies à l’appui de la demande de report de renvoi de M. Varatharasa. Par ailleurs, le demandeur ne m’a pas convaincue que l’agent a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve relatifs à son état de santé mentale. En conséquence, la demande sera rejetée.

I.  Antécédents en matière d’immigration de M. Varatharasa

[4]  Pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrivent les arguments de M. Varatharasa, il est intéressant d’examiner ses antécédents en matière d’immigration.

[5]  M. Varatharasa est arrivé au Canada en décembre 2009 et il a présenté une demande d’asile. Dans une décision rendue en octobre 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. La Section de la protection des réfugiés a conclu que M. Varatharasa était un témoin généralement crédible et elle a concédé qu’avant la fin de la guerre civile au Sri Lanka en 2009, la menace de persécution était réelle pour les jeunes hommes tamouls du nord du pays.

[6]  Cependant, suivant la norme du « caractère persuasif de la décision », la Commission a conclu que d’importants changements positifs sont survenus au Sri Lanka depuis la défaite des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) aux mains de l’armée srilankaise en mai 2009. La Commission a estimé que les hommes ayant le profil de M. Varatharasa n’y sont pas exposés à un risque sérieux de persécution s’ils ne sont pas soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET. Plus important encore, la Commission est arrivée à la conclusion de fait que le gouvernement srilankais ne soupçonne pas M. Varatharasa d’entretenir de tels liens. Il a alors sollicité l’autorisation de notre Cour pour demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais elle lui a été refusée.

[7]  En avril 2012, M. Varatharasa a déposé une première demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Sa demande a été rejetée. Il a sollicité l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision, mais il s’est désisté de cette demande après le rejet par la Cour de sa requête en sursis d’exécution de son renvoi du Canada en attendant que sa demande d’autorisation soit tranchée. M. Varatharasa ne s’est pas présenté pour son renvoi, prétendument parce qu’il avait trop peur de retourner au Sri Lanka.

[8]  En janvier 2015, son père est décédé au Sri Lanka, puis ce fut le tour de son frère le mois suivant. La famille de M. Varatharasa a attribué ces décès au harcèlement de l’Eelam People’s Democratic Party (EPDP).

[9]  M. Varatharasa a ensuite déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée en décembre 2015, et le juge Gleeson a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR en janvier 2017, au motif que l’agent chargé de l’ERAR avait raisonnablement conclu que M. Varatharasa n’encourait aucun risque s’il retournait au Sri Lanka.

[10]  Le 8 mai 2017, l’Agence des services frontaliers du Canada l’a informé qu’il serait renvoyé du Canada le 4 juin 2017. Le même jour, il a déposé une troisième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit de la demande qui était en suspens lorsque M. Varatharasa a réclamé le report de son renvoi du Canada.

[11]  Le 20 mai 2017, il a présenté une demande de report de son renvoi. Cette demande a été rejetée dans une décision datée du 29 mai 2017. À la suite du rejet de sa demande de report de son renvoi, notre Cour a ordonné le sursis d’exécution de la mesure de renvoi dans l’attente de l’audition de la présente demande.

II.  Demande de report de renvoi de M. Varatharasa

[12]  Pour apprécier le caractère raisonnable de la décision de l’agent d’exécution, il faut comprendre le fondement de la demande de report présentée par M. Varatharasa.

[13]  Les observations déposées à l’appui de cette demande remplissent huit pages à simple interligne, et elles sont accompagnées de 139 pages de documents supplémentaires. Ces documents renferment des renseignements sur la situation régnant au Sri Lanka, ainsi qu’une copie de la demande fondée sur des motifs humanitaires que M. Varatharasa a présentée en 2017.

[14]  Dans ses observations préliminaires, l’avocate de M. Varatharasa souligne que certains des documents joints à la demande de report portent sur [traduction] « la situation déplorable des personnes d’origine tamoule au Sri Lanka ». Après avoir exposé les principes de droit régissant la compétence des agents d’exécution pour reporter un renvoi, elle énonce trois motifs pour lesquels la demande de report de renvoi de M. Varatharasa devrait être accueillie :

  1. une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est en suspens;

  2. le fait que son renvoi aurait de graves conséquences pour les enfants de son cousin, dont il subvient aux besoins;

  3. le fait que son retour au Sri Lanka aurait des conséquences sur son état de santé mentale.

[15]  L’avocate propose ensuite une longue analyse de l’offre de services pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale au Sri Lanka et de la stigmatisation qui les afflige dans ce pays. Elle termine ses observations en précisant que si, à strictement parler, un renvoi du Canada n’annule pas une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en suspens, [traduction] « cette mesure a quand même pour effet réel d’annuler la demande » puisque la possibilité qu’elle soit accueillie est très faible une fois que son auteur a quitté le pays.

III.  Discussion

[16]  Avant d’examiner les arguments de M. Varatharasa, il importe de mentionner que le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution d’accorder un report de renvoi se limite aux cas où le défaut de le faire « exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » : Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 51, [2010] 2 RCF 311; Al Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, au paragraphe 13, [2017] 1 RCF 153.

[17]  À défaut de « considérations spéciales », le report d’un renvoi dans l’attente d’une décision sur une demande au titre de motifs d’ordre humanitaire est justifié seulement si les demandes sont « fondées sur une menace à la sécurité personnelle » : Baron, précitée, au paragraphe 51.

[18]  De plus, la décision d’un agent d’exécution est généralement assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable, sauf si elle soulève une question de droit, auquel cas la norme de la décision correcte s’applique : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Aventis, 2011 CAF 286, au paragraphe 27, [2012] 2 RCF 133. Cela dit, les parties conviennent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.

IV.  L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur dans son évaluation des risques?

[19]  M. Varatharasa soutient que la décision de l’agent d’exécution est déraisonnable parce qu’il n’a pas tenu compte du risque auquel il serait exposé au Sri Lanka du fait de son profil de jeune homme tamoul du Nord et demandeur d’asile débouté à l’étranger ou, encore, de personne vulnérable souffrant de troubles mentaux par suite de ses expériences passées au Sri Lanka. Je ne peux souscrire à cette allégation.

[20]  Afin de décider s’il y a lieu de reporter le renvoi d’une personne, l’agent d’exécution doit examiner sa demande et les raisons fournies pour justifier le report de son renvoi. On peut donc s’attendre à ce que l’agent aborde chacune des préoccupations soulevées dans la demande de report. C’est exactement ce que l’agent a fait dans la décision qui nous occupe ici.

[21]  Je reconnais que l’avocate de M. Varatharasa a fourni à l’agent d’exécution des documents sur la situation régnant au Sri Lanka et qu’elle fait une brève allusion dans ses observations préliminaires à [traduction] « la situation déplorable au Sri Lanka pour les personnes d’origine tamoule ». C’est toutefois son unique référence à la situation actuelle au Sri Lanka dans ses observations. L’avocate ne fait pas non plus de lien entre les renseignements sur la situation du pays présents au dossier et la situation personnelle de M. Varatharasa.

[22]  M. Varatharasa était représenté par une avocate chevronnée pour sa demande de report. Elle a énoncé trois motifs précis justifiant le report de son renvoi. Néanmoins, aucun de ces motifs n’est rattaché au risque auquel serait exposé M. Varatharasa au Sri Lanka du fait de sa condition de jeune homme tamoul débouté de sa demande d’asile à l’étranger.

[23]  L’agent d’exécution a abordé les trois points soulevés par l’avocate de M. Varatharasa dans les motifs fournis pour justifier le refus de la demande de report. L’agent a fait le travail qui lui était demandé, et je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans sa décision.

[24]  Avant de passer à la deuxième question soulevée par M. Varatharasa, je tiens à rappeler que les demandes de report sont souvent soumises à la dernière minute et que les agents d’exécution ont très peu de temps pour rendre une décision. Dans certains cas, y compris celui qui nous occupe ici, les demandeurs ont de longs antécédents en matière d’immigration et soumettent aux agents d’exécution énormément de documents. Compte tenu du contexte dans lequel sont rendues les décisions concernant les demandes de report d’un renvoi, il appartient à l’avocat du demandeur de préciser les considérations dont l’agent d’exécution devrait tenir compte. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les agents d’exécution passent au peigne fin une épaisse liasse de documents pour déterminer s’il existe d’autres motifs de reporter un renvoi à part ceux que lui a pointés l’avocat.

V.  Appréciation de la preuve sur l’état de santé mentale de M. Varatharasa par l’agent d’exécution

[25]  Dans son deuxième argument, M. Varatharasa affirme que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve psychologique relative à son état de santé mentale.

[26]  Dans les observations soumises à l’appui de la demande de report, l’avocate attache beaucoup d’importance à la qualité des soins de santé mentale auxquels M. Varatharasa aurait accès au Sri Lanka et à la stigmatisation des personnes atteintes de troubles mentaux dans ce pays. Il convient de souligner que M. Varatharasa a également fourni à l’agent d’exécution le rapport établi en 2015 par un psychologue clinicien pour appuyer sa demande de report du renvoi.

[27]  Dans ce rapport rédigé après une seule consultation, le psychologue mentionne que M. Varatharasa souffre d’un syndrome de stress post-traumatique et d’un trouble dépressif majeur, tous deux résultant de ses expériences au Sri Lanka. Le psychologue ajoute que la seule pensée de retourner au Sri Lanka [traduction] « terrorise » M. Varatharasa et l’expose à un risque élevé de suicide, d’autant plus réel étant donné ses antécédents familiaux.

[28]  Ce rapport psychologique avait déjà été examiné lors du traitement des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et d’ERAR soumises par M. Varatharasa en 2015. L’agent d’exécution a donc été saisi d’une preuve de santé mentale qui avait déjà été examinée dans le cadre de processus qui prévoient un examen exhaustif des éléments de preuve.

[29]  Il a malgré tout étudié le rapport du psychologue. Dans sa décision, il pose la question de savoir si le diagnostic du psychologue restait valide étant donné qu’il ne disposait d’aucune information récente sur l’état de santé mentale de M. Varatharasa.

[30]  L’agent d’exécution souligne en outre qu’au moment de son arrestation en 2015, M. Varatharasa avait déclaré aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada qu’il n’avait aucun problème de santé et qu’il ne prenait aucun médicament. M. Varatharasa a alors expressément nié être atteint d’un trouble de santé mentale quelconque ou avoir des pensées suicidaires.

[31]  Il soutient maintenant que l’agent d’exécution a traité de façon déraisonnable le rapport du psychologue. Selon M. Varatharasa, l’agent d’exécution n’a accordé aucune valeur à la preuve psychologique au motif qu’il n’a rien fait pour se faire traiter après avoir reçu le diagnostic de troubles de santé mentale de son médecin, et il n’a pas pris la pleine mesure du risque de suicide auquel l’exposerait un renvoi au Sri Lanka, commettant ainsi les mêmes erreurs dont parle la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909. Je ne peux souscrire à cette allégation.

[32]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un agent qui accepte un diagnostic psychiatrique dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut raisonnablement écarter un rapport psychiatrique établissant que le demandeur souffre de troubles de santé mentale pour la simple raison qu’il n’a pas cherché à obtenir un traitement de suivi.

[33]  En l’espèce, il est clair d’après les motifs de l’agent qu’il ne met pas en doute la validité du diagnostic du médecin au moment où il a été établi. La question que pose l’agent est celle de savoir si le diagnostic demeure valide puisque deux années se sont écoulées depuis la dernière consultation entre M. Varatharasa et le médecin. Il s’agit d’une préoccupation tout à fait raisonnable, d’autant plus qu’à la fin de 2015, M. Varatharasa avait déclaré ne souffrir d’aucun problème de santé mentale et ne pas avoir de pensée suicidaire.

[34]  À défaut d’élément de preuve récent concernant l’état de santé mentale de M. Varatharasa et au vu du dossier à sa disposition, il était raisonnablement loisible à l’agent d’exécution de conclure que M. Varatharasa n’a pas fait la démonstration du risque auquel il serait exposé au Sri Lanka en raison de sa santé mentale.

VI.  Une dernière observation

[35]  J’ajouterais que M. Varatharasa n’est pas sans recours. Compte tenu du rejet de sa demande, une nouvelle date sera vraisemblablement fixée pour son renvoi (je souligne que l’issue aurait été la même si sa demande de contrôle judiciaire avait été accueillie). M. Varatharasa pourra déposer une autre demande de report, en prenant soin d’y donner de l’information plus précise sur les conditions de vie actuelles des Tamouls au Sri Lanka afin que les risques qu’elles soulèvent fassent l’objet d’une évaluation approfondie. M. Varatharasa pourra également y inclure de l’information à jour sur son état de santé mentale pour que l’agent d’exécution en tienne compte. Si ces conditions sont remplies, l’agent chargé du traitement de sa demande devra examiner les éléments de preuve fournis et trancher s’il serait justifié de reporter le renvoi de M. Varatharasa.

VII.  Conclusion

[36]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties qu’il s’agit d’une affaire qui repose sur les faits qui lui sont propres et qui ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2326-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2326-17

 

INTITULÉ :

KUMAR VARATHARASA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

Pour le demandeur

 

Stephen Jarvis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associations Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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