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Date : 20180409


Dossier : IMM-4044-17

Référence : 2018 CF 383

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

TAHIRA YASMIN

MIAN MUZAFFAR ALI JAVED

MUHAMMAD USAMA

MUHAMMAD FARHAN

MARYAN JAVED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Tahira Yasmin, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 17 août 2017 par laquelle un agent des visas (agent) du Haut-Commissariat du Canada à Londres, s’appuyant sur le paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), a rejeté sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des candidats des provinces.

[2]  La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

Résumé des faits

[3]  La demanderesse est une citoyenne du Pakistan. Elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (PCIS). La province a approuvé sa demande le 21 avril 2015. Le Haut-commissariat du Canada à Londres a subséquemment examiné sa demande de résidence permanente, et notamment ses résultats à l’examen de l’International English Language Testing System (IELTS). L’agent chargé du réexamen de son dossier a estimé que la compétence en anglais démontrée par la demanderesse ne lui permettrait pas de réussir son établissement économique au Canada.

[4]  Conséquemment, une lettre relative à l’équité procédurale lui a été envoyée le 23 décembre 2015. Il était mentionné dans cette lettre que, malgré la désignation de la demanderesse par la province de la Saskatchewan, l’agent n’avait pas été convaincu que les renseignements fournis dans sa demande de résidence permanente attestaient de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada ou qu’elle répondait à la définition de candidat des provinces de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Pour ce qui était de sa compétence en anglais, elle avait obtenu une note globale de 4,0 à l’examen de l’IELTS, ce qui correspond au niveau d’un [traduction] « utilisateur limité, dont les habiletés de base lui permettent de se débrouiller dans des situations familières. Les problèmes de compréhension et d’expression sont fréquents, et ne peut utiliser un niveau de langue complexe. » La demanderesse avait obtenu les notes suivantes pour chacune des habiletés linguistiques évaluées : 4,0 en compréhension orale; 4,5 en expression écrite et 4,5 en expression orale. Ces notes correspondent également à la compétence langagière d’un utilisateur limité. En lecture, sa note de 3,5 correspondait, selon les critères de l’IELTS, au niveau d’un [traduction« utilisateur extrêmement limité, qui peut exprimer et comprendre des messages très généraux dans des situations très familières. Rencontre fréquemment des problèmes de communication. » Il est précisé dans la lettre que la capacité à communiquer efficacement dans l’une des langues officielles du Canada est reconnue comme un facteur important pour y réussir son établissement économique. De plus, le site Web du gouvernement de la Saskatchewan mentionne que l’anglais est parlé à la grandeur de la province, et que la compréhension de cette langue ainsi que la capacité de la parler améliorent grandement les chances de réussite des immigrants, et qu’un niveau de compétence linguistique canadien (NCLC) supérieur à 4 est recommandé pour la plupart des emplois. L’agent explique que ce niveau équivaut à des notes de 4,5 en compréhension de l’oral, de 3,5 en compréhension de l’écrit, de 4,0 en expression écrite et de 4,0 en expression orale à l’examen de l’IELTS, soit le niveau le plus élémentaire de compétence en anglais. La demanderesse a obtenu des notes égales ou légèrement supérieures au niveau minimum recommandé pour trois des quatre habiletés, mais une note inférieure en compréhension.

[5]  L’agent ajoute que le PCIS exige que les candidats présentent une compétence en anglais suffisante pour exécuter les tâches de l’emploi que leur a offert un employeur de la Saskatchewan ou pour obtenir un emploi dans leur domaine d’études ou de formation. À ce sujet, l’avocate de la demanderesse a évoqué une offre d’emploi reçue d’un employeur de la Saskatchewan, mais aucun élément de preuve n’a été présenté à cet effet. La demanderesse avait été désignée pour le domaine de l’administration de bureau et elle a manifesté son intérêt à obtenir un emploi dans ce domaine au Canada. Elle a également affirmé qu’elle avait précédemment été enseignante. L’agent a rappelé que dans son site Guichet-Emplois, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) décrit la communication orale, la lecture, l’utilisation de documents et la rédaction comme étant des compétences essentielles pour exercer un travail de commis de bureau et d’enseignant. RHDCC indique que le niveau de complexité des tâches afférentes va de 1 (élémentaire) à 5 (expert), et de 1 à 3, voire 4 dans certains cas, pour les commis de bureau. Comme RHDCC n’a pas établi de profil des compétences essentielles pour les administrateurs de bureau, l’agent a établi la complexité des tâches liées en se fondant sur les tâches des commis de bureau. Il est parvenu à la conclusion que même si les profils des compétences essentielles de RHDCC ne correspondent pas exactement aux niveaux de l’IELTS, il semble raisonnable de penser qu’une compétence en anglais allant de moyenne à élevée est requise pour exécuter les tâches courantes d’un commis ou d’un administrateur de bureau. Pour ce qui est des tâches liées à l’enseignement, il va sans dire qu’elles requièrent une compétence en anglais de niveau supérieur.

[6]  L’agent n’a pas été convaincu de l’aptitude de la demanderesse à exécuter les tâches liées à l’emploi envisagé dans les domaines de l’administration de bureau ou de l’enseignement, ni du reste à obtenir un emploi au Canada ou, plus exactement, un emploi qui lui permettrait de réussir son établissement économique. Même si le certificat de désignation visant la demanderesse indique qu’elle pourrait recevoir le soutien de membres de sa famille en Saskatchewan, ce soutien et la dépendance à celui-ci ne seraient pas considérés comme des indicateurs satisfaisants de son établissement économique, et ils ne compenseraient pas les préoccupations soulevées par sa faible compétence en anglais et le fait qu’elle n’a pas la qualification d’enseignante.

[7]  La demanderesse a présenté des observations détaillées en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Notamment, elle y joint ses résultats plus récents à l’examen de l’IELTS, une offre d’emploi d’agente d’administration chez Entech Plus Ltd ainsi qu’une déclaration d’appui de son employeur éventuel, une offre d’emploi de caissière chez Farah Enterprises, également accompagnée d’une déclaration d’appui de cette société, des documents financiers et d’autres lettres d’appui de sa famille. Selon ces renseignements, sa note globale plus récente à l’examen de l’IELTS était 5,0 (6,5 en compréhension de l’oral; 5,0 en compréhension de l’écrit; 4,0 en expression écrite et 4,0 en expression orale). Ces notes témoignent d’une amélioration en compréhension de l’oral et de l’écrit, mais d’un recul en expression écrite et orale. Sa note globale avait augmenté de 1 point.

[8]  La province a également répondu à la lettre relative à l’équité procédurale et maintenu son appui à la désignation de la demanderesse.

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Après avoir examiné la demande de visa de résidence permanente présentée par la demanderesse à titre de candidate des provinces, l’agent a conclu qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences visant les candidats à l’immigration au Canada dans cette catégorie.

[10]  L’agent a souligné notamment que le paragraphe 87(3) du RIPR dispose qu’un certificat désignant un étranger comme candidat des provinces n’est pas une garantie qu’il réussira son établissement économique au Canada et que, après consultation du gouvernement qui a délivré le certificat, il reste loisible à l’agent de faire sa propre appréciation et d’en substituer l’issue à celle à laquelle est parvenu le gouvernement.

[11]  L’agent a conclu qu’étant donné sa compétence langagière insuffisante, le fait que la demanderesse était visée par un certificat délivré par la province de la Saskatchewan n’était pas un indicateur suffisant de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Par ailleurs, dans les observations soumises en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse n’est pas parvenue à dissiper les doutes de l’agent quant à ses chances de réussir son établissement économique au Canada. L’agent a ajouté que le gouvernement de la Saskatchewan avait été consulté et qu’un second agent avait confirmé son appréciation.

Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Les questions soulevées par la demanderesse peuvent être formulées comme suit :

  1. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse de ses préoccupations eu égard au seuil de faible revenu (SFR), la frustrant ainsi de l’occasion d’y répondre?

  2. L’agent a-t-il apprécié de manière raisonnable l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique au Canada?

[13]  Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824, aux paragraphes 19 et 20); Noh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 529, au paragraphe 20). La décision de l’agent concernant la demande de résidence permanente au titre du Programme des candidats des provinces est quant à elle régie par la norme de la décision raisonnable (Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1072, au paragraphe 14 [Chaudhry]; Sran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 791, au paragraphe 9 [Sran]; Shaukat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1120, au paragraphe 11).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés

[14]  L’article 87 du RIPR dispose ainsi :

87 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

87 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the provincial nominee class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada.

(2) Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait aux critères suivants :

(2) A foreign national is a member of the provincial nominee class if

a) sous réserve du paragraphe (5), il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre;

(a) subject to subsection (5), they are named in a nomination certificate issued by the government of a province under a provincial nomination agreement between that province and the Minister; and

b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

(b) they intend to reside in the province that has nominated them.

(3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

(3) If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

Question 1 : L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse de ses préoccupations eu égard au seuil de faible revenu (SFR), la frustrant ainsi de l’occasion d’y répondre?

Thèse de la demanderesse

[15]  La demanderesse renvoie au passage des notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) dans lequel il est indiqué que l’emploi que lui a offert son neveu lui rapporterait un salaire annuel de 45 600 $ et que ce revenu serait vraisemblablement insuffisant pour subvenir aux besoins d’une famille de 5 personnes (en 2016, Statistique Canada établissait le seul de faible revenu (SFR) à 51 272 $ pour une famille de 5 personnes). Les notes indiquent aussi que l’emploi de caissière qui lui a été offert lui rapporterait seulement 24 440 $ par année. L’agent a estimé que même si la demanderesse était en mesure d’en exécuter les tâches, un emploi à faible qualification ne représenterait sans doute pas un moyen viable de réussir son établissement économique. Elle reproche à l’agent d’avoir manqué à son obligation d’équité procédurale en ne l’avisant pas que le SFR lui avait servi de critère pour déterminer que les offres d’emploi reçues ne représentaient pas un moyen viable pour réussir son établissement économique, la frustrant ainsi d’une réelle possibilité de répondre. Elle fait valoir que l’agent devait lui donner cette information puisque ses doutes n’étaient pas fondés sur les exigences de la LIPR et du RIPR concernant les candidats provinciaux (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 [Hassani]). Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent ne fait pas non plus allusion au SFR et aux préoccupations qu’il suscitait. La demanderesse soutient que l’agent a rejeté sa demande après avoir conclu que pour établir ses chances de réussir son établissement économique, un requérant doit donner la preuve qu’il touchera un revenu correspondant au SFR au Canada.

[16]  Elle fait valoir en outre que puisque l’agent s’est appuyé sur l’article 87 pour substituer son appréciation à celle de la province, un degré plus élevé d’équité procédurale s’impose (Sadeghi c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 675 (CAF) [Sadeghi]). Enfin, étant donné que l’agent a tenu compte d’un élément de preuve extrinsèque (le SFR), l’équité procédurale lui imposait de le divulguer avant de rendre sa décision.

Thèse du défendeur

[17]  Selon le défendeur, rien dans les motifs de l’agent n’indique qu’il a utilisé le SFR comme seuil déterminant l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique. L’agent s’est simplement référé au SFR pour contextualiser son analyse du revenu éventuel de la demanderesse au Canada et déterminer s’il lui permettrait de réussir son établissement économique compte tenu de la taille de sa famille. Cela étant, il ne lui était pas demandé d’informer la demanderesse qu’il s’était référé au SFR. De plus, l’agent est un expert pour ce qui est de déterminer l’aptitude d’un requérant à réussir son établissement économique. Il était donc raisonnable qu’il tienne compte des éléments de preuve fournis par la demanderesse quant à son revenu éventuel pour déterminer sa capacité à subvenir aux besoins de sa famille au Canada. Quoi qu’il en soit, c’est la compétence langagière de la demanderesse qui a été déterminante dans la décision de l’agent, pas son revenu éventuel. Il est manifeste dans la lettre de refus et les notes du SMGC que l’agent a rejeté la demande parce que la demanderesse n’a pas su le convaincre qu’elle possédait la compétence langagière requise pour réussir son établissement économique au Canada.

Discussion

[18]  Je tiens tout d’abord à souligner que même si la demanderesse invoque l’arrêt Sadeghi pour soutenir qu’une décision fondée sur l’article 87 du RIPR commande un degré élevé d’équité procédurale, une jurisprudence plus récente a clairement établi que l’obligation d’équité procédurale d’un agent des visas envers un requérant de la résidence permanente se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006, au paragraphe 23, citant Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 23; Farooq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 164, au paragraphe 10, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 à 32; Rani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1414, au paragraphe 18).

[19]  Je ne partage pas non plus l’avis de la demanderesse concernant le manquement de l’agent à son obligation d’équité procédurale. Les notes du SMGC, la lettre relative à l’équité procédurale et la lettre de refus ne laissent aucun doute : l’agent se préoccupait surtout d’établir si la demanderesse possédait une compétence en anglais suffisante pour réussir son établissement économique au Canada. C’est ce facteur qui a été déterminant dans sa décision. Les notes du SMGC indiquent que cet aspect a été un sujet de préoccupation dès l’évaluation initiale de la demande. C’est pour cette raison que la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale qui évoquait les préoccupations soulevées par sa compétence en anglais et lui donnait la possibilité de répondre, ce qu’elle a fait. Les notes du SMGC traitent ensuite des observations qu’elle a soumises en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Ces notes détaillées portent essentiellement sur sa compétence en anglais. Seules les trois phrases susmentionnées portent sur le SFR. Ces phrases ajoutent un commentaire aux passages traitant des préoccupations suscitées par la compétence langagière de la demanderesse, et elles débouchent sur la conclusion suivante : même si elle pouvait exercer un emploi à faible qualification comme caissière et considérant que sa famille compte 5 personnes, son salaire annuel de 24 440 $ par année ne lui procurerait pas un moyen viable de réussir son établissement économique. La suite des notes est de nouveau consacrée à l’appréciation de l’agent.

[20]  Comme le souligne à raison la demanderesse, le SFR n’est pas un critère obligatoire d’admissibilité dans la catégorie des candidats provinciaux. Toutefois, je ne crois pas que l’agent présente le SFR comme une exigence minimale ou un seuil de revenu imposé à la demanderesse et, comme il a déjà été vu, sa mention très brève ne suggère pas que c’était le fondement de sa décision (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 808, au paragraphe 21). À l’instar du défendeur, j’estime que l’agent a évoqué le SFR pour donner un contexte à son analyse du revenu éventuel de la demanderesse et de la question de savoir s’il lui permettrait de réussir son établissement économique au Canada. À mon avis, la mention du SFR met en cause le caractère raisonnable de la décision et non l’équité procédurale. L’agent n’a pas utilisé le SFR comme élément de preuve extrinsèque ou autrement pour fonder sa décision.

[21]  Cela étant, il n’y avait aucune obligation d’informer la demanderesse que l’agent s’était référé au SFR. Soit dit en passant, la décision Hassani qui est invoquée par la demanderesse établit que lorsque les doutes de l’agent des visas découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, il n’a pas l’obligation de donner au requérant la possibilité d’y répondre. Par contre, si ses doutes surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister, par exemple s’il met en cause « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements » que lui a fournis le requérant (Hassani, au paragraphe 24; voir également Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183, aux paragraphes 24 et 25). Autrement dit, il existe une obligation d’équité procédurale lorsque l’agent met en doute la véracité ou l’exactitude des documents soumis par un requérant. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Question en litige 2 : L’agent a-t-il apprécié de manière raisonnable l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique au Canada?

Thèse de la demanderesse

[22]  La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve et que sa décision n’est donc pas raisonnable. L’agent aurait ainsi écarté tous les éléments de preuve fournis par la demanderesse au sujet de son aptitude à réussir son établissement économique parce qu’il ne les a pas jugés pertinents. Ces éléments de preuve concernaient notamment ses économies personnelles, la capacité d’insertion professionnelle de son époux, l’appréciation par la province de son aptitude à réussir son établissement économique et l’appréciation par son employeur éventuel de sa capacité à exécuter les tâches liées à l’emploi proposé compte tenu de sa compétence langagière. L’agent a plutôt conclu, de manière déraisonnable, que la demanderesse ne pouvait pas réussir son établissement économique parce que sa demande ne révélait pas un moyen viable à cet égard et qu’elle ne possédait pas la compétence langagière requise pour exercer les tâches liées aux emplois offerts.

[23]  Relativement à la conclusion de l’absence de moyen viable pour garantir son établissement économique, la demanderesse estime que l’agent a commis une erreur en refusant d’accorder quelque pertinence et, partant, quelque valeur aux éléments de preuve établissant que ses économies et le soutien de sa famille l’aideraient à réussir son établissement économique. Même si l’attention est dirigée principalement vers la demanderesse, d’autres facteurs de l’aptitude à réussir l’établissement économique devraient entrer en ligne de compte, y compris ceux qui concernent le conjoint et les enfants à charge qui l’accompagnent. Il est également reproché à l’agent de ne pas avoir pris en compte les fonds d’établissement de la demanderesse. Cette omission a des conséquences particulièrement graves si on considère que les revenus éventuels combinés de la demanderesse et de son époux dépasseraient le SFR sur lequel l’agent a fondé sa décision. L’agent a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux éléments de preuve fournis par la demanderesse ou en ne donnant pas d’explication de ce refus. Le SFR n’est pas un critère transparent pour déterminer si un requérant dispose d’un moyen viable pour réussir son établissement économique puisqu’il ne s’agit pas d’une mesure de la capacité d’une famille à subvenir à ses besoins.

[24]  Il était également déraisonnable de la part de l’agent de conclure que la demanderesse n’a pas la compétence langagière requise pour exercer les emplois offerts. Après avoir concédé que la demanderesse pourrait peut-être exécuter certaines tâches liées auxdits emplois, il semble se raviser et considérer qu’elle serait incapable d’occuper ces emplois parce que l’environnement de travail canadien ne lui serait pas [traduction] « familier ». L’agent ne dit pas à quel endroit dans les Niveaux de compétence linguistique canadiens (NCLC) les expressions « familiers », « non exigeants ou « courants et prévisibles » apparaissent, mais on les trouve dans la description des deux premiers des trois stades des NCLC. L’agent affirme en fait que tout immigrant n’ayant aucune expérience professionnelle canadienne devrait démontrer au moins les habiletés du NCLC 5 pour travailler au Canada. Quand il allègue que le stade 1 de compétence ne permet pas de travailler dans un environnement non familier, l’agent insinue que les personnes dont les habiletés se situent aux stades I et II (niveaux 5 à 8) ne seront pas aptes à travailler au Canada. Selon le raisonnement de l’agent, le stade III (niveaux 9 à 12) est le minimum requis pour fonctionner dans des contextes moins familiers. Ainsi, pour satisfaire aux critères linguistiques de l’agent, un requérant qui n’a aucune expérience professionnelle canadienne devrait avoir au moins le NCLC 9. Ce seuil minimal de compétence langagière est déraisonnable puisqu’il ne correspond pas aux seuils exigés par le RIPR pour d’autres programmes d’immigration économique. Le raisonnement de l’agent [traduction] « suggère sans équivoque » qu’un requérant sans expérience professionnelle canadienne doit avoir au moins le NCLC 5 pour être en mesure d’exercer un emploi qui lui a été offert ou un autre emploi au Canada.

[25]  Par ailleurs, la conclusion de l’agent voulant que la compétence en anglais de la demanderesse soit insuffisante est dénuée de fondement.

Thèse du défendeur

[26]  Le défendeur estime que l’agent pouvait raisonnablement conclure qu’au vu des notes obtenues à l’examen de l’IELTS, la demanderesse n’avait pas une compétence langagière suffisante pour réussir son établissement économique au Canada. Plus précisément, l’agent a considéré que les notes de la demanderesse indiquaient qu’elle n’avait pas la compétence langagière requise pour exécuter les tâches d’une agente administrative ou d’une caissière. Il fait valoir notamment que ses habiletés de niveau débutant en expression écrite lui permettraient difficilement de remplir les fonctions d’une secrétaire, qui sont analogues à celles d’une agente administrative. Selon l’agent, l’offre d’emploi reçue par la demanderesse n’était pas un indicateur suffisant de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Pour ce faire, elle devait donner la preuve de sa capacité à exercer l’emploi offert, ce qui ne lui était pas possible compte tenu de ses lacunes en matière linguistique.

[27]  Le défendeur réfute que l’agent ait décrété que la demanderesse devait avoir des habiletés linguistiques équivalant au NCLC 9. Quand on lit attentivement l’ensemble de la décision, force est de constater que l’agent a simplement observé que la demanderesse n’a pas obtenu des notes suffisantes à l’examen de l’IELTS pour faire la preuve qu’elle peut exécuter les tâches liées aux emplois qui lui ont été proposés. À partir de ces notes, l’agent a fait un examen détaillé des habiletés linguistiques de la demanderesse en se fondant sur les descriptions des NCLC. Il a raisonnablement conclu qu’un NCLC 4 (stade débutant) en expression orale et écrite permettrait difficilement à la demanderesse de s’acquitter des tâches liées à un emploi d’agente administrative ou de caissière. Il était aussi raisonnable de sa part de reprendre les termes utilisés dans les descriptions des stades I à IV des NCLC dans la partie de ses motifs où il explique pourquoi il a jugé que la compétence langagière de la demanderesse était insuffisante. Il a utilisé ces termes pour justifier sa conclusion comme quoi l’emploi offert à la demanderesse exige des habiletés supérieures au stade 1, soit le stade débutant selon les NCLC, en expression orale et écrite.

[28]  En outre, l’agent n’a pas écarté les déclarations des employeurs éventuels de la demanderesse concernant l’adaptation à sa compétence langagière. Il a tout simplement estimé que ces éléments de preuve ne suffisaient pas à établir l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique considérant ses lacunes en matière linguistique. Il était loisible à l’agent de mettre en balance les résultats de l’évaluation de sa compétence langagière et les déclarations de ses employeurs éventuels. Enfin, l’agent a bien pris en considération les éléments de preuve fournis par la demanderesse au sujet de ses économies, de la capacité d’insertion professionnelle de son époux et du soutien de sa famille au Canada. Les griefs que formule la demanderesse sur ce point reviennent en réalité à reprocher à l’agent son appréciation des éléments de preuve.

Discussion

[29]  Invoquant la décision Choi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 577 [Choi], la demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de ses fonds d’établissement dans son appréciation de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. L’affaire Choi mettait en cause la question de savoir si l’agent avait conclu à tort que les points attribués suivant l’article 76 du RIPR reflétaient bien l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique au Canada. La Cour a conclu qu’il était déraisonnable de la part de l’agent d’avoir refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de substituer à l’attribution des points sa propre appréciation de l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique au Canada, et de n’avoir accordé à cet escient aucune valeur à une lettre dans laquelle son employeur éventuel confirmait qu’elle remplissait les conditions de l’emploi offert et que sa compétence en anglais atteindrait bientôt les exigences du poste, ce qui constituaient des indicateurs suffisants de sa capacité à exercer cet emploi. L’agent avait aussi déraisonnablement fait fi des fonds d’établissement de la demanderesse.

[30]  Cette décision mettait en jeu le paragraphe 76(3) d’une version antérieure du RIPR, qui énonçait les critères de sélection dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Cette version antérieure disposait ainsi :

76 (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

76 (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

(i) les études, aux termes de l’article 78,

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

(i) education, in accordance with section 78,

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

(iii) experience, in accordance with section 80,

(iv) age, in accordance with section 81,

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

b) le travailleur qualifié :

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

(b) the skilled worker must

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged employment in Canada within the meaning of subsection 82(1).

(2) Le ministre établit le nombre minimum de points que doit obtenir le travailleur qualifié en se fondant sur les éléments ci-après et en informe le public :

(2) The Minister shall fix and make available to the public the minimum number of points required of a skilled worker, on the basis of

a) le nombre de demandes, au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), déjà en cours de traitement;

(a) the number of applications by skilled workers as members of the federal skilled worker class currently being processed;

b) le nombre de travailleurs qualifiés qui devraient devenir résidents permanents selon le rapport présenté au Parlement conformément à l’article 94 de la Loi;

(b) the number of skilled workers projected to become permanent residents according to the report to Parliament referred to in section 94 of the Act; and

c) les perspectives d’établissement des travailleurs qualifiés au Canada, compte tenu des facteurs économiques et autres facteurs pertinents.

(c) the potential, taking into account economic and other relevant factors, for the establishment of skilled workers in Canada.

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

[31]  Notre Cour a conclu que l’article 76 autorisait l’agent à substituer son appréciation aux critères prévus en tenant compte d’autres facteurs que ceux qui sont énumérés à l’alinéa 76(1)a), et qu’un examen fondé sur le paragraphe 76(3) devait, outre l’attribution de points, englober tous les facteurs énoncés au paragraphe 76(1), y compris les fonds d’établissement. La Cour a cependant conclu que rien n’indiquait que l’agent des visas avait tenu compte de ces fonds avant de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire de substituer son appréciation aux critères prévus.

[32]  La demanderesse se fonde également sur la décision Abro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1258 [Abro], qui porte aussi sur le paragraphe 76(3) du RIPR. Il est de nouveau question dans cette affaire du défaut d’une agente de tenir compte d’un certain nombre de facteurs lorsqu’elle a décidé de ne pas substituer son appréciation aux points accordés. La Cour a conclu que ce refus était déraisonnable parce que l’agente n’avait pas pris en considération un avis sur un emploi réservé visant la demanderesse et sa déclaration comme quoi elle comptait vendre sa maison et transférer 450 000 $ au Canada pour y assurer son établissement.

[33]  Contrairement à l’alinéa 76(1)a), l’article 87 du RIPR, qui porte sur les candidats des provinces, n’énonce pas de critères. Selon l’article 87, fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province a conclu avec le ministre, et qui cherche à s’établir dans cette province. Cependant, si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat (certificat de désignation et intention de résider dans la province concernée), substituer son appréciation aux critères prévus.

[34]  À la différence des affaires Choi et Abro, l’agent en cause ici a exercé son pouvoir discrétionnaire sur ce point. La demanderesse ne conteste pas cet aspect de la décision.

[35]  La présente espèce se distingue également des deux affaires précitées en ce que l’agent n’a pas fait fi des documents attestant des ressources financières de la demanderesse. D’après les documents qu’elle a produits, elle possède des biens et des bijoux d’une valeur approximative de 500 000 $. L’agent a affirmé qu’il avait bien pris connaissance de ces renseignements financiers, mais il a jugé qu’ils avaient de l’intérêt uniquement pour déterminer l’admissibilité de la demanderesse sur la base de critères financiers. Ces renseignements ne révèlent rien sur l’aptitude d’un requérant à réussir son établissement économique. Dans le même ordre d’idées, même si des membres de sa famille résidant au Canada se sont engagés à l’aider à se réinstaller et même si son époux présente un bon potentiel d’insertion professionnelle, il s’agit de preuves des capacités de certains membres de sa famille et non de l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique. Cette aptitude doit être établie pour elle seule, pas pour ses personnes à charge.

[36]  L’agent fait une distinction entre les notions de réinstallation et d’établissement économique, qui à son avis ne sont pas interchangeables. Par exemple, on peut penser qu’un immigrant de la catégorie du regroupement familial qui bénéficie du type de soutien dont, aux dires de la demanderesse, sa famille bénéficiera pourrait réussir sa réinstallation au Canada, mais pas son établissement économique. Toutefois, et c’est bien précisé dans la lettre relative à l’équité procédurale, les candidats des provinces font partie d’une catégorie de l’immigration économique. L’aide pour la réinstallation qui pourrait être offerte à la demanderesse n’est pas une garantie de son établissement économique.

[37]  Je souligne que le Bulletin opérationnel 499 établit clairement que l’aptitude à réussir leur établissement économique doit être établie sur une base individuelle pour les personnes qui présentent une demande de résidence permanente au titre du programme des candidats des provinces. Le Bulletin stipule que si un candidat à l’immigration économique compte exclusivement sur le soutien financier d’un parent résidant dans la province, son aptitude à réussir son établissement économique sans ce soutien peut être mise en doute. Il est précisé ensuite que dans les cas où l’agent des visas n’est pas convaincu qu’un certificat de désignation est un indicateur suffisant de l’aptitude du candidat à réussir son établissement économique au Canada, il pourrait apprécier cette aptitude en fonction de certains facteurs dans le cadre de l’évaluation globale. Ces facteurs comprennent notamment un emploi existant ou une offre d’emploi, la compétence langagière, l’expérience professionnelle, l’éducation et la formation. La pondération de ces indicateurs de l’aptitude à s’établir sur le plan économique peut varier d’un cas à l’autre.

[38]  Je ne suis pas convaincue que l’agent était justifié d’affirmer que les ressources financières sont pertinentes eu égard à la réinstallation, jamais comme un facteur favorable à l’aptitude à réussir son établissement économique. Toutefois, l’important est qu’il a conclu en fin d’analyse que la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas dissipé ses doutes concernant sa compétence en anglais (voir Chaudhry, au paragraphe 38). Il faut ajouter à cela que l’agent n’a pas fait fi, au motif qu’elles n’étaient pas pertinentes, de l’offre d’un emploi d’agente d’administration que la demanderesse a reçue de son neveu ni sa déclaration expliquant pourquoi sa tante était la candidate idéale et possédait une compétence en anglais solide et suffisante pour le poste; les lettres par lesquelles sa famille s’engageait à la soutenir; une autre offre d’emploi comme caissière et la déclaration d’appui d’un employeur éventuel, qui indiquait que la demanderesse lui avait été recommandée par sa nièce, une ancienne employée, et qu’il était convaincu qu’elle avait les compétences requises pour travailler comme commis à la vente au détail; et, enfin, l’offre d’emploi faite à son conjoint. L’agent a soupesé ces documents et sa conclusion du défaut de la demanderesse d’établir qu’elle possédait la compétence en anglais requise pour exécuter les tâches de l’emploi qui lui avait été offert et réussir son établissement économique (Parveen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 473, au paragraphe 27 [Parveen]).

[39]  Tel qu’il en découle de la décision Yasmin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1346, aux paragraphes 22 à 26, il est raisonnable d’exiger d’un requérant qu’il fasse la preuve de son aptitude à exercer un emploi qui lui a été offert, et notamment qu’il possède la compétence langagière requise. L’idée que se fait un employeur de l’aptitude future d’une personne à exercer l’emploi qu’il lui propose ne l’emporte pas sur une conclusion objective et raisonnable comme quoi un requérant qui n’est pas en mesure d’exécuter les tâches liées à cet emploi ne pourra pas contribuer pleinement au marché du travail et subvenir à ses besoins financiers au Canada. Par ailleurs, même si l’analyse fait ressortir un facteur en particulier (en l’occurrence, la compétence langagière), il ne s’ensuit pas forcément que les autres facteurs importants n’ont pas été pris en compte (Ijaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 920, au paragraphe 59 [Ijaz]). Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve (Sran, au paragraphe 21).

[40]  Je ne souscris pas non plus à l’observation de la demanderesse selon laquelle l’agent a imposé des exigences concernant la compétence langagière ou l’expérience professionnelle canadienne. Dans le SMGC, l’agent donne une description générale des niveaux 1 à 4 (Stade I, Débutant) et des niveaux 5 à 8 (Stade II, Intermédiaire). Les notes les plus récentes de la demanderesse correspondent au NCLC 4 pour l’expression orale et écrite, au NCLC 6 pour la compréhension de l’écrit, et au NCLC 7 pour la compréhension de l’oral. L’agent ajoute que la compétence en anglais qu’elle a démontrée pourrait sembler suffisante pour certaines tâches liées à l’emploi désigné (agente d’administration) ou à un emploi de secrétaire, dont les tâches, selon son avocate, se rapprochent le plus de celles de l’emploi d’administratrice de bureau qui lui a été proposé. L’avocate a également soutenu que sa compétence en anglais pourrait permettre à la demanderesse d’exécuter certaines tâches liées à l’emploi de caissière qui lui a aussi été proposé. L’agent a toutefois exprimé des doutes eu égard à la capacité de la demanderesse à appliquer ses habiletés linguistiques :

[traduction] Toutefois, le contexte dans lequel les tâches liées à ces emplois ou à d’autres emplois sont exécutées au Canada, où il est raisonnable de supposer que l’usage de l’anglais est plus courant et le niveau plus soutenu que celui auquel la demanderesse principale a été habituée au Pakistan, ne peut pas être qualifié de « familier », « non exigeant » ou « courant et prévisible ». Par conséquent, sa compétence en anglais ne lui permettrait probablement pas d’exécuter de manière satisfaisante les tâches liées aux emplois qui lui ont été offerts. Même si elle a démontré des habiletés de niveau moyen en compréhension de l’oral, ses habiletés dans les autres domaines sont nettement inférieures. Or, il est difficile d’imaginer qu’une personne au stade débutant en expression écrite puisse exercer un emploi de secrétaire au Canada. […] Malgré les documents fournis par les employeurs éventuels, l’avocate et les membres de la famille de la demanderesse principale, il est difficile d’établir si elle possède une compétence en anglais qui est suffisante pour exécuter les tâches de l’emploi qui lui a été offert.

[41]  Quand il fait référence à des contextes familiers, non exigeants, courants et prévisibles, l’agent se fonde sur la description générale des niveaux 1 à 4 (Stade 1 - Débutant) : « Le stade I décrit la gamme des habiletés requises pour pouvoir communiquer dans des situations courantes et prévisibles, afin de combler des besoins essentiels, d’effectuer des activités quotidiennes, et de traiter de sujets connus qui présentent un intérêt personnel immédiat. Dans les NCLC, il s’agit des contextes non exigeants d’utilisation de la langue. » Ces termes se retrouvent ailleurs dans les descriptions des niveaux mentionnés. Selon ce que j’en comprends, quand l’agent explique que les tâches professionnelles sont exécutées au Canada dans un contexte où l’anglais est sans doute utilisé plus couramment et à un niveau plus soutenu que ce à quoi la demanderesse est habituée au Pakistan, il n’impose pas un seuil quant à l’expérience professionnelle canadienne ou à la compétence en anglais. Ce qu’il veut dire, et je conviens qu’il s’est probablement mal exprimé, c’est qu’au Canada, la demanderesse devrait exécuter ces tâches dans un contexte tout autre que celui qui lui est familier et prévisible, et que ses habiletés linguistiques seraient probablement insuffisantes.

[42]  Je suis d’accord aussi avec le défendeur que l’agent n’a pas voulu imposer un seuil de compétence langagière aux candidats des provinces, et qu’il n’était pas tenu de tenir compte des seuils établis pour les différentes catégories d’immigration en fonction des objectifs de politique sous-jacents.

[43]  Même si les notes de la demanderesse sont supérieures au NCLC 4, soit le niveau minimum requis pour les candidats de la province de la Saskatchewan, ce n’est pas en soi une garantie qu’elle réussira à s’établir sur le plan économique (Noreen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1169, au paragraphe 10). L’agent n’était pas non plus lié par les exigences minimales établies en matière linguistique pour apprécier l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique (Parveen, au paragraphe 19). Qui plus est, notre Cour a conclu qu’il n’est pas déraisonnable de la part d’un agent de conclure qu’un emploi de caissière exige de bonnes habiletés linguistiques pour communiquer avec les clients (Ijaz, au paragraphe 62).

[44]  J’aurais peut-être tranché différemment, mais les motifs de l’agent me permettent de comprendre son raisonnement et sa conclusion appartient à la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4044-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne seront adjugés.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4044-17

 

INTITULÉ :

TAHIRA YASMIN ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Aisling Bondy

 

Pour les demandeurs

 

Amy King

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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