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Date : 20180410


Dossiers : T-1070-16

T-1071-16

Référence : 2018 CF 380

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2018

En présence de madame la juge Kane

Dossier : T-1070-16

ENTRE :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ONTARIO NATURE et WILDERNESS COMMITTEE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, SUMITOMO CHEMICAL COMPANY LIMITED, BAYER CROPSCIENCE et VALENT CANADA

défendeurs

Dossier : T-1071-16

ET ENTRE :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ONTARIO NATURE et WILDERNESS COMMITTEE

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SYNGENTA CANADA INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

Table des matières

I. Aperçu 4

II. La requête en recevabilité de nouveaux éléments de preuve 9

III. Le contexte factuel 10

IV. La décision de la protonotaire 11

V. La thèse globale des défendeurs (appelants) 16

A. Les observations du procureur général du Canada à titre de défendeur 17

1) Aperçu 17

2) Qualification erronée des avis de demande 17

3) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles 20

4) Autres recours appropriés 21

B. Les observations de Bayer à titre de défenderesse 22

1) Qualification erronée des avis de demande 22

2) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles 24

3) Autres recours appropriés 28

C. Les observations de Sumitomo et Valent à titre de défenderesses 28

1) Qualification erronée des avis de demande 29

2) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles 30

3) Autres recours appropriés 31

D. Les observations de Syngenta à titre de défenderesse 32

1) Qualification erronée des avis de demande 32

2) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles 34

3) Autres recours appropriés 35

VI. Les observations des demandeurs 36

1) Aperçu 36

2) Aucune qualification erronée des avis de demande 40

3) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles 42

4) Autres recours appropriés 44

VII. Les questions en litige 47

VIII. La norme de contrôle 48

IX. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension et son application du critère pour radier une demande de contrôle judiciaire? 52

X. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension du régime législatif et a-t-elle confondu l’objet et l’effet de l’article 8 et de l’article 12? 55

XI. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans la qualification des demandes des demandeurs? 56

XII. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension de la jurisprudence régissant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles et dans sa conclusion portant qu’il y avait lieu de se demander si les avis de demande alléguaient une ligne de conduite? 61

A. Les dispositions législatives pertinentes 62

B. Les principes tirés de la jurisprudence 63

1) Paragraphe 18.1(2) 63

2) Article 302 des Règles 68

3) L’article 302 des Règles et le paragraphe 18.1(2) 70

4) Résumé 72

C. La protonotaire n’a commis aucune erreur en associant l’article 302 des Règles au paragraphe 18.1(2) ou en déterminant qu’il y avait lieu de se demander s’il y existait une ligne de conduite. 74

1) La protonotaire n’a pas associé l’analyse du paragraphe 18.1(2) à celle de l’article 302 des Règles. 74

2) La protonotaire n’a commis aucune erreur en n’effectuant qu’une partie de l’analyse relative à l’article 302 des Règles; elle a procédé à une analyse complète. 78

3) La protonotaire n’a commis aucune erreur à d’autres égards. 80

XIII. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs? 88

A. Les principes tirés de la jurisprudence 88

B. La protonotaire n’a commis aucune erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs 91

XIV. Conclusion 99

I. Aperçu

[1] Les défendeurs interjettent appel de l’ordonnance de la protonotaire Mandy Aylen (la protonotaire), datée du 13 juillet 2017, qui rejetait leurs requêtes en radiation des demandes de contrôle judiciaire des demandeurs (publiées dans la décision David Suzuki Foundation c Canada (Santé), 2017 CF 682).

[2] Les demandeurs (qui étaient les défendeurs dans la requête et qui sont les défendeurs dans le présent appel) forment un groupe d’organisations non gouvernementales œuvrant à la défense de l’environnement. Dans leurs demandes de contrôle judiciaire, ils allèguent que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (l’ARLA), une direction générale de Santé Canada qui applique la Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, c 28 (la Loi ou la LPA), ainsi que le Règlement sur les produits antiparasitaires, DORS/2006-124 (le Règlement) et rend des décisions en tant qu’autorité déléguée du ministre de la Santé, a adopté une ligne de conduite illégale échelonnée sur plusieurs années en homologuant ou en modifiant successivement l’homologation de certains produits antiparasitaires (PA) en l’absence des renseignements nécessaires concernant les risques environnementaux posés, plus précisément en ce qui concerne les risques de toxicité à long terme pour les insectes pollinisateurs, principalement les abeilles.

[3] La protonotaire a énoncé les allégations des demandeurs dans le premier paragraphe de son ordonnance, comme suit :

Selon les demandeurs, les abeilles du Canada pourraient être vulnérables en raison de leur exposition aux pesticides que sont la clothianidine et le thiaméthoxame. Dans les présentes demandes, les demandeurs font valoir que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (l’ARLA) a adopté une ligne de conduite illégale en homologuant successivement ces pesticides et leurs préparations commerciales, ou en modifiant l’homologation de ceux-ci, malgré le fait que les sociétés défenderesses n’ont pas fourni les renseignements scientifiques qu’elles devaient fournir, comme condition préalable à leur homologation, pour démontrer que les risques environnementaux liés aux produits sont acceptables pour les insectes pollinisateurs.

[4] Deux demandes ont été regroupées, car elles soulèvent les mêmes questions. Le dossier T-1070-16 concerne le produit clothianidine. Les défendeurs sont : le procureur général du Canada, Bayer Cropscience Inc. (Bayer), Sumitomo Chemical Company Limited et Valent Canada Inc. (Sumitomo). Sumitomo est la titulaire de la clothianidine active. Valent est la mandataire canadienne de Sumitomo aux fins de la gestion de l’homologation de la clothianidine active et est elle-même la titulaire de cinq [traduction] « préparations commerciales ». Bayer est également titulaire de préparations commerciales de clothianidine.

[5] Le dossier T-1071-16 concerne le produit thiaméthoxame (TMX). Les défendeurs sont le procureur général du Canada et Syngenta Canada Inc. (Syngenta). Syngenta est la titulaire de l’ensemble des produits TMX.

[6] Les demandeurs allèguent que l’ARLA a systématiquement fait mauvais usage des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. L’ARLA est tenue par la loi de recueillir certains renseignements avant d’homologuer des PA, afin de s’assurer que les risques posés par les produits sont acceptables, conformément à l’article 8 de la LPA. Les demandeurs font toutefois valoir que l’ARLA a comme pratique courante d’homologuer les produits et de demander, par l’intermédiaire d’un avis délivré en application de l’article 12 de la LPA, que les renseignements à propos des risques soient fournis après l’homologation. Selon les demandeurs, cela a entraîné l’homologation continue de PA malgré l’absence d’études nécessaires concernant les risques à long terme que ces PA posent pour les insectes pollinisateurs.

[7] À l’occasion de la requête en radiation devant la protonotaire, en qualité de juge chargée de la gestion de l’instance, les défendeurs ont affirmé que les demandes de contrôle judiciaire ne visaient pas une même série d’actes, mais qu’elles constituaient plutôt une tentative d’obtenir le contrôle judiciaire de 79 décisions d’homologation distinctes. Les défendeurs ont affirmé que cela contrevenait à l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), qui dispose qu’une demande de contrôle judiciaire est limitée à une seule décision, sauf ordonnance contraire de la Cour, ainsi qu’au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 (Loi sur les Cours fédérales), lequel ordonne un délai de prescription de 30 jours pour présenter un avis de demande de contrôle judiciaire. Ils ont également affirmé que d’autres recours appropriés s’offraient aux demandeurs, à savoir les processus d’examen permanents lancés par l’ARLA en 2012.

[8] En réponse, les demandeurs ont affirmé qu’ils ne demandaient pas l’examen de décisions d’homologation distinctes, mais plutôt de la pratique courante de l’ARLA de recourir à l’article 12 de la Loi pour homologuer des PA au moyen d’homologations conditionnelles, tout en reportant la réception et l’examen des études nécessaires à propos de leurs risques pour les abeilles, lesquels auraient dû être examinés avant l’homologation du PA en application de l’article 8. Ils ont affirmé qu’il s’agissait d’une contestation d’une même série d’actes, plutôt que de décisions individuelles, et que, à ce titre, la demande n’était pas assujettie à l’article 302 des Règles ni au délai de prescription énoncé au paragraphe 18.1(2). Les demandeurs ont également fait valoir que les processus d’examen de l’ARLA ne constitueraient pas un recours de rechange approprié, car, entre autres choses, ils ne permettraient pas l’examen de la légalité de la conduite de l’ARLA jusqu’à ce jour et ils ne seraient pas expéditifs.

[9] La protonotaire a conclu que ces deux questions étaient discutables et qu’elles devaient donc être tranchées par le juge saisi des demandes de contrôle judiciaire, plutôt qu’à l’occasion d’une requête préliminaire.

[10] On a présenté à la protonotaire un dossier volumineux, ce qui n’est pas la norme lors de la présentation d’une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve à propos des similitudes entre les dossiers d’homologation des PA en cause, en soulignant ce qu’ils allèguent être une pratique systématique et continue (c.-à-d. une ligne de conduite) du recours abusif à l’article 12 de la Loi. À leur tour, les défendeurs ont présenté des éléments de preuve concernant de multiples différences dans les homologations en cause, qui, selon eux, font ressortir le fait qu’il n’existe aucune ligne de conduite, mais plutôt que les demandeurs sollicitent le contrôle de plusieurs décisions hautement distinctes qui ont été rendues par l’ARLA à différents moments et dans différents contextes, et qui sont fondées sur des renseignements différents.

[11] Le point de départ est que les faits allégués sont vrais. Il n’incombe pas à la Cour, lors de la présentation d’une requête en radiation ou du présent appel, d’examiner le dossier de manière plus approfondie pour déterminer la description qui correspond à la réalité.

[12] Dans le présent appel, les défendeurs soutiennent que la protonotaire a commis plusieurs erreurs et que, en raison de celles-ci, elle a commis une erreur en concluant finalement qu’il y avait lieu de se demander s’il existait une même série d’actes et un autre recours approprié. Les défendeurs réitèrent que, manifestement, il n’existait pas de ligne de conduite et qu’il existe un autre recours.

[13] Les défendeurs font valoir, notamment, que la protonotaire a omis de traiter certains arguments, certaines affaires citées et des éléments de divers critères. Cependant, la jurisprudence a établi qu’un décideur n’a pas à mentionner chaque argument et chaque affaire citée par une partie, et que les motifs doivent être interprétés dans leur contexte (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, aux paragraphes 68 et 69, [2017] ACF no 728 (Mahjoub)). À mon avis, la protonotaire a formulé de manière succincte les principes clés de la jurisprudence, les principales questions et les principaux faits. La présente décision, à titre comparatif, sera critiquée comme étant inutilement longue dans sa tentative de couvrir l’ensemble des arguments nuancés des cinq défendeurs et des demandeurs collectifs.

[14] Pour les motifs qui suivent, je juge que la protonotaire n’a commis aucune erreur en concluant que les questions soulevées dans la requête étaient discutables et, par conséquent, en refusant de radier les demandes de contrôle judiciaire.

II. La requête en recevabilité de nouveaux éléments de preuve

[15] À la suite de l’audition du présent appel et pendant que la décision était en délibéré, les défendeurs ont demandé des directives relativement à leur intention de présenter une requête pour demander l’autorisation de faire admettre de nouveaux éléments de preuve. Les nouveaux éléments de preuve proposés comprennent des décisions d’homologation proposées découlant des demandes des défendeurs de convertir des homologations conditionnelles en homologations complètes, qualifiées de PDH (projet de décision d’homologation), et la décision préliminaire de l’ARLA à l’occasion de la réévaluation des néonicotinoïdes, lancée en 2012, qualifiée de PDR (projet de décision de réévaluation). Ces décisions ont toutes été publiées le 19 décembre 2017. Les défendeurs ont affirmé que cet élément de preuve appuie leur allégation selon laquelle ces processus présentent un autre recours approprié pour traiter ces demandes, ainsi que leur allégation voulant que ces demandes ne visent pas une même série d’actes. Par conséquent, la décision dans le présent appel et le prononcé de la présente décision ont été suspendus en attendant l’inscription au rôle et la décision à l’égard de la requête des défendeurs.

[16] La requête en recevabilité de nouveaux éléments de preuve présentée par les défendeurs a été entendue le 7 février 2018 et elle a été rejetée. L’ordonnance et les motifs ont été publiés séparément dans la décision Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 379 (Suzuki 1).

[17] Dans la décision Suzuki 1, la Cour a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne répondaient pas aux critères établis dans la jurisprudence pour l’admission de nouveaux éléments de preuve, car ils n’auraient aucune incidence sur la décision de l’appel. Les nouveaux éléments de preuve n’offrent aucune certitude qu’un autre recours serait approprié et que les allégations des demandeurs ne sont pas liées à une même série d’actes. Cependant, comme il est indiqué dans l’ordonnance, la Cour était tenue d’examiner les nouveaux éléments de preuve pour décider de leur recevabilité. Malgré le fait que les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été admis, la présente décision contient des mentions de leur contenu.

III. Le contexte factuel

[18] De manière générale, il est constant que les libellés de la Loi et de son Règlement sont clairs. Il est constant qu’il n’existe pas de jurisprudence sur l’interprétation des dispositions en litige. Cependant, les demandeurs font valoir que la façon dont la Loi est censée fonctionner diffère de la façon dont elle fonctionne en pratique à l’heure actuelle.

[19] Un aperçu plus détaillé de la Loi et du Règlement est présenté à l’annexe A pour préciser le contexte. En résumé, pour homologuer un PA en application de l’article 8 de la LPA, l’ARLA exige une certitude raisonnable que le PA ne pose aucun risque pour la sécurité, y compris pour l’environnement. En même temps que l’homologation en application de l’article 8, l’ARLA peut demander des données supplémentaires auprès du titulaire en délivrant un avis visé à l’article 12. Si un avis visé à l’article 12 est délivré, l’homologation du PA est réputée être conditionnelle, conformément au Règlement, à la réception des renseignements demandés.

[20] Les demandeurs allèguent que l’ARLA a systématiquement fait une utilisation erronée des avis visés à l’article 12 pour reporter la réception et l’examen des études qui sont nécessaires pour avoir une certitude raisonnable que les PA en cause ne posent pas un risque inacceptable. Ils allèguent que, depuis au moins 2006, l’ARLA a maintenu les homologations conditionnelles des PA en cause malgré l’absence de ces données nécessaires en délivrant des avis visés à l’article 12.

[21] Les défendeurs nient que l’ARLA a fait une utilisation erronée des avis visés à l’article 12. Ils font valoir que toutes les homologations ont été faites en application de l’article 8 et que l’ARLA était convaincue que les PA ne posaient aucun risque inacceptable.

IV. La décision de la protonotaire

[22] Tel qu’il a été susmentionné, la protonotaire a rejeté la requête en radiation des demandes de contrôle judiciaire présentée par les défendeurs compte tenu de sa conclusion selon laquelle il y avait lieu de se demander si les demandes portent sur le contrôle d’une même série d’actes et si les demandeurs disposent d’un autre recours approprié. Elle a conclu que ces deux questions litigieuses devaient être tranchées par le juge saisi des demandes de contrôle judiciaire.

[23] La protonotaire a résumé le régime législatif, les arguments des parties et les principes tirés de la jurisprudence. D’autres précisions tirées de la décision de la protonotaire sont présentées ci-dessous en référence aux questions soulevées dans le présent appel.

[24] La protonotaire a renvoyé aux principes applicables dans la jurisprudence. Elle a fait remarquer que, pour accueillir la requête en radiation, une demande doit être « manifestement irrégulièr[e] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1994] ACF no 1629, au paragraphe 15, [1995] 1 RCF 588 (CA) (David Bull)). La protonotaire a également fait remarquer qu’il doit exister un « moye[n] exceptionne[l] », à savoir un vice fondamental et manifeste (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, au paragraphe 47, [2014] 2 RCF 557 (JP Morgan)). La protonotaire a ajouté que si une question est discutable, elle devrait être tranchée par le juge à l’étape de la demande (David Bull, aux paragraphes 12 et 13).

[25] La protonotaire a reconnu la nécessité de lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande et de « faire une “appréciation réaliste” de la “nature essentielle” de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (au paragraphe 6, citant l’arrêt JP Morgan, aux paragraphes 49 et 50).

[26] La protonotaire a rejeté l’argument préliminaire des défendeurs voulant que les demandeurs aient qualifié différemment leurs actes de procédure dans une tentative de résister à la requête en radiation. Les défendeurs avaient fait valoir que les avis de demande avaient manifestement pour objet de contester les 79 demandes d’homologation individuelles en application de l’article 8 et que la ligne de conduite alléguée concernant l’utilisation des avis visés à l’article 12 n’avait pas été invoquée. La protonotaire était en désaccord, concluant que la réponse des demandeurs à la requête qualifiait avec exactitude leurs actes de procédure. Elle a conclu qu’une ligne de conduite était contestée et elle l’a décrite au paragraphe 20 de sa décision :

[20] En conséquence, je conclus que ce qui est contesté dans les présentes demandes, et ce que les demandeurs ont décrit comme une ligne de conduite, réside dans la pratique apparemment illégale à laquelle l’ARLA se serait livrée en remettant des avis visés à l’article 12 qui ont eu pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires sur le risque de toxicité chronique que présentent la clothianidine, le thiaméthoxame et leurs préparations commerciales pour les insectes pollinisateurs, maintenant de ce fait en vigueur pendant plus d’une décennie les homologations conditionnelles de ces pesticides et de leurs préparations commerciales malgré l’absence d’études valides ou suffisantes.

[27] La protonotaire s’est ensuite penchée sur les principaux arguments des défendeurs. Les défendeurs ont fait valoir que, peu importe la qualification- des actes de procédure, les demandes des demandeurs portaient réellement sur le contrôle de 79 décisions distinctes de l’ARLA, au-delà du délai de prescription de 30 jours, ce qui contrevenait à l’article 302 des Règles des Cours fédérales et au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. En outre, les défendeurs ont soutenu que la réévaluation des PA par l’ARLA en application de l’article 16 de la Loi (désormais qualifiée de PDR) et les demandes de conversion en suspens concernant les PA en question (désormais qualifiées de PDH) offraient un autre recours approprié par rapport au contrôle judiciaire.

[28] La protonotaire a fait remarquer que, en application de l’article 302 des Règles, les demandes de contrôle judiciaire ne peuvent porter que sur une seule décision, à moins que l’on parvienne à démontrer que les décisions en litige constituent une même série d’actes. La protonotaire a également souligné que, en application du paragraphe 18.1(2), les contrôles d’une décision ou d’une ordonnance étaient assujettis à un délai de prescription de 30 jours, mais que cette règle ne s’appliquait pas lorsque l’objet du contrôle judiciaire est une question qui fait partie d’une même série d’actes. La protonotaire a mentionné les considérations pertinentes énoncées dans la jurisprudence, faisant remarquer que la décision à savoir si une même série d’actes est en litige, par opposition à des décisions multiples et distinctes, est une décision qui repose en grande partie sur les faits.

[29] La protonotaire a examiné la jurisprudence pertinente, a traité les arguments des défendeurs et, entre autres choses, a relevé les multiples différences dans les décisions d’homologation recensées par les défendeurs ainsi que les similitudes indiquées par les demandeurs. Elle est arrivée à la conclusion que la question de savoir si les demandeurs tentaient de contester une ligne de conduite était discutable et qu’elle devait être tranchée par le juge saisi des demandes de contrôle judiciaire.

[30] La protonotaire s’est également penchée sur l’argument des défendeurs selon lequel la réévaluation continue entreprise par l’ARLA (le PDR) et les demandes existantes en vue de convertir les homologations conditionnelles en homologations complètes (le PDH) offraient un autre recours approprié.

[31] Les défendeurs avaient soutenu que, si l’objectif premier des demandeurs consistait à corriger l’absence de données concernant les risques que posent les PA pour les insectes pollinisateurs, ces processus constitueraient un recours approprié. Ils ont également fait remarquer que ces processus pouvaient entraîner le refus de l’homologation des PA. À titre de défendeur, le procureur général du Canada a également soutenu que l’instruction des demandes de contrôle judiciaire représenterait un gaspillage des ressources judiciaires, car, même si ces demandes étaient accueillies, il est probable que, en guise de sanction, la Cour renverrait l’affaire à l’ARLA en vue d’une nouvelle décision, ce qui cadre avec ce qu’accompliraient les réévaluations. La protonotaire a fait part de son désaccord, soulignant que les demandeurs ne sollicitaient pas un réexamen des décisions. La protonotaire n’était pas convaincue que l’issue probable des demandes, si elles étaient accueillies, serait de les renvoyer à l’ARLA pour nouvelle détermination.

[32] La protonotaire a souligné qu’il y a plusieurs considérations pertinentes pour déterminer si l’autre recours est approprié, citant l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 RCS 713 (Strickland). Plus particulièrement, elle a exprimé sa préoccupation voulant que les autres procédures n’accordent pas aux demandeurs la principale sanction qu’ils sollicitent, à savoir une déclaration portant que la conduite de l’ARLA est illégale, et qu’elles ne seraient pas expéditives étant donné que la consultation publique ne commencerait qu’après la décision définitive de l’ARLA, qui était prévue le 31 décembre 2018. Elle a également souligné que, dans le passé, il n’avait pas été démontré que les processus de consultation publique et d’opposition étaient expéditifs pour les demandeurs. La protonotaire a conclu qu’il y avait lieu d’examiner si les réévaluations offriraient une sanction appropriée et efficace, comparativement aux demandes de contrôle judiciaire.

V. La thèse globale des défendeurs (appelants)

[33] Il semble que les arguments présentés à la protonotaire ont été présentés une fois de plus à la Cour à l’occasion du présent appel. Les défendeurs font valoir qu’en raison des erreurs commises par la protonotaire – qui, selon eux, sont manifestes et dominantes, et comprennent des erreurs de droit isolables – il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue, et la Cour devrait prononcer l’ordonnance que la protonotaire aurait dû rendre et rejeter les demandes.

[34] L’ensemble des défendeurs formulent des arguments similaires, avec certaines variations individuelles. La thèse des défendeurs est, en général, que la protonotaire a mal compris le régime législatif pour l’homologation des PA; a mal compris et a mal qualifié la nature des demandes des demandeurs qui, lorsqu’elles sont interprétées correctement, ne peuvent être qualifiées comme visant une ligne de conduite; a confondu et a mal appliqué la jurisprudence régissant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles et, par conséquent, a commis une erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait une même série d’actes qui n’était pas assujettie à l’article 302 des Règles ou au paragraphe 18.1(2); et a commis une erreur en appliquant le critère juridique pour décider s’il existait un autre recours approprié. Chaque défendeur a présenté à la Cour un historique détaillé du statut d’homologation des PA en cause. Les défendeurs insistent une fois de plus sur le fait que ces demandes portent sur plusieurs décisions fortement distinctes rendues par l’ARLA à différents moments, dans différents contextes, et en fonction de renseignements différents, qui ne peuvent pas faire partie d’une même série d’actes.

A. Les observations du procureur général du Canada à titre de défendeur

1) Aperçu

[35] Le procureur général du Canada a présenté un résumé de la LPA et du Règlement et a étayé l’historique des homologations de la clothianidine et du TMX. Le procureur général du Canada a décrit l’historique des décisions d’homologation de la clothianidine et du TMX, et il a mis en évidence les multiples différences, y compris le fait que certains PA ont été homologués aux termes de la loi antérieure et que les PA proposent différentes utilisations et qu’ils sont assujettis à différentes exigences en matière de données.

[36] Le procureur général du Canada a expliqué que le processus de réévaluation concernant les néonicotinoïdes (qui comprennent la clothianidine et le TMX) et les risques qu’ils posent aux insectes pollinisateurs est mené en application de l’article 16 de la Loi, qu’il a été amorcé en 2012 et qu’il devrait être terminé d’ici décembre 2018. Le procureur général du Canada a expliqué qu’il faut habituellement plusieurs années pour réaliser de telles évaluations.

2) Qualification erronée des avis de demande

[37] Le procureur général du Canada fait valoir que la protonotaire a commis une erreur de droit et a commis des erreurs manifestes et dominantes en qualifiant les avis de demande comme une même série d’actes. Plus précisément, le procureur général du Canada soutient que la protonotaire a omis de faire une appréciation réaliste de la nature essentielle des demandes et qu’elle n’a pas compris la différence entre l’article 8 et l’article 12. Invoquant le témoignage de sa déposante, Mme Sterkenburg, le procureur général du Canada explique que l’ARLA n’homologuera un PA que s’il ne présente aucun risque inacceptable, et que la délivrance d’un avis visé à l’article 12 a lieu après qu’il a été conclu qu’il n’existe aucun risque inacceptable. Le procureur général du Canada a affirmé que l’avis visé à l’article 12 a pour objet de fournir des renseignements supplémentaires pour confirmer les résultats de l’évaluation du risque.

[38] Le procureur général du Canada fait valoir que la ligne de conduite relevée par la protonotaire va à l’encontre des avis de demande. Le procureur général du Canada soutient qu’aucun des avis de demande ne sollicite de sanction relativement à la délivrance par l’ARLA des avis visés à l’article 12, et qu’ils ne limitent pas non plus la contestation à l’incidence sur les insectes pollinisateurs. Le procureur général du Canada soutient que même l’accueil d’un contrôle judiciaire à l’égard de la délivrance des avis visés à l’article 12 par l’ARLA et l’annulation des avis visés à l’article 12 n’invalideraient pas les homologations sous-jacentes des PA, qui ont été homologués conformément à l’article 8 et qui étaient fondés sur une décision selon laquelle il n’existait aucun risque inacceptable.

[39] Le procureur général du Canada souligne en outre que, dans leurs avis de demande, les demandeurs sollicitent une déclaration d’invalidité des homologations accordées aux termes de l’article 8. Le procureur général du Canada fait valoir que cela exigerait le contrôle de 79 décisions distinctes rendues en application de l’article 8 remontant jusqu’à 2006, qui ne peuvent faire l’objet d’un contrôle au motif qu’elles font partie d’une même série d’actes. Le procureur général du Canada fait valoir que la protonotaire a fait fi des éléments de preuve pertinents qui montraient les différences entre les différentes décisions et entre les avis visés à l’article 12 et, par conséquent, qu’elle a commis une erreur en présumant du caractère commun des décisions.

[40] Le procureur général du Canada signale les renseignements fournis par sa déposante, Mme Sterkenburg, qui relèvent les différences entre les décisions d’homologation. Mme Sterkenburg explique que les décisions portent sur différents PA dans différents contextes. Les données nécessaires pour obtenir la certitude raisonnable que le PA ne pose aucun risque varient considérablement selon ces différences. Le procureur général du Canada ajoute que les décisions d’homologation portaient sur différents ingrédients actifs (la clothianidine et le TMX) et 31 préparations commerciales distinctes (33 PA au total). Selon le procureur général du Canada, chacune de ces décisions individuelles concernait une décision de l’ARLA, aux termes de l’article 8, fondée sur des documents distincts, selon laquelle l’homologation, le renouvellement, la continuation ou le rétablissement du produit (selon le cas) ne présentait pas un risque inacceptable pour la santé humaine ou l’environnement.

[41] Le procureur général du Canada ajoute que des avis visés à l’article 12 n’ont pas été délivrés pour l’ensemble des décisions, mais plutôt pour 55 des 79 décisions. Cependant, le procureur général du Canada reconnaît que les 24 autres décisions étaient liées à des homologations pour lesquelles un tel avis avait été délivré en raison de l’application de l’article 15 du Règlement (tel qu’il est expliqué dans l’annexe) et, en conséquence, elles correspondaient également à des homologations conditionnelles.

[42] Relativement à l’observation de la Cour selon laquelle il y avait toujours une demande en suspens découlant d’un avis visé à l’article 12 concernant une étude sur les risques de toxicité pour les abeilles pendant toute la durée de l’historique d’homologation des PA en litige, le procureur général du Canada a répondu que le même avis visé à l’article 12 n’a pas été délivré dans chaque cas; les avis visés à l’article 12 sont propres à chaque décision, ce qui tient compte du fait que la science évolue au fil du temps, tout comme les protocoles pour l’évaluation des risques posés pour les insectes pollinisateurs.

3) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles

[43] Le procureur général du Canada fait valoir que les avis de demande doivent être radiés parce qu’ils contreviennent au paragraphe 18.1(2) et qu’aucune prorogation du délai n’a été demandée, et qu’une telle prorogation ne serait pas justifiée, car cela compromettrait le principe de l’irrévocabilité.

[44] Le procureur général du Canada fait en outre valoir que les avis de demande contestent plus d’une décision, ce qui contrevient à l’article 302 des Règles et à son objet d’efficacité. Il souligne une fois de plus qu’aucune exemption n’a été demandée et n’aurait été justifiée.

[45] Le procureur général du Canada soutient que les allégations ne constituent pas une ligne de conduite, car elles ne contestent aucune politique, mais visent plutôt à invalider plusieurs homologations individuelles, qui, entre autres différences, ont été délivrées à des moments différents et dans des dossiers différents, et qui auraient toutes pu faire l’objet d’un contrôle judiciaire en temps opportun. De plus, la protonotaire a omis d’examiner s’il était difficile de cerner une décision unique, ce qui constitue un indice pertinent d’une ligne de conduite.

[46] Le procureur général du Canada fait aussi valoir que, contrairement aux présentes circonstances, dans les cas où les Cours fédérales ont accueilli des contestations de lignes de conduite, les demandes portaient sur une contestation distincte de la légalité du processus décisionnel, les distinctions factuelles entre les décisions étaient négligeables, la conclusion recherchée était prospective et le caractère raisonnable des décisions individuelles n’était pas en litige.

4) Autres recours appropriés

[47] Le procureur général du Canada fait valoir que la protonotaire a commis une erreur dans l’application du critère juridique pour décider du caractère approprié des autres recours. La protonotaire a fondé sa conclusion sur sa décision selon laquelle la réévaluation de l’ARLA et la demande de conversion ne permettraient pas d’accorder aux demandeurs la « principale réparation » qu’ils sollicitent, soit des déclarations d’illégalité en matière de conduite. Le procureur général du Canada fait valoir que la mention par la protonotaire de la « principale réparation » est synonyme d’une réparation [traduction] « privilégiée ». Cependant, la question de savoir si un autre recours correspond à la réparation privilégiée d’un demandeur n’atteste pas de son caractère approprié (Strickland, au paragraphe 59). Le procureur général du Canada a fait valoir que la protonotaire a également commis une erreur : en mettant l’accent exclusivement sur la célérité et la capacité de réparation de l’autre recours; en omettant d’appliquer tous les éléments pertinents du critère, par exemple l’examen de l’expertise de l’ARLA, qui est mieux placée pour décider si les décisions contestées ont été rendues sur des renseignements scientifiques insuffisants; et en omettant de considérer que le fait de permettre aux demandes de suivre leur cours constituerait une utilisation inefficace des ressources judiciaires.

B. Les observations de Bayer à titre de défenderesse

[48] Bayer fait valoir que la protonotaire a commis trois erreurs fondamentales. Premièrement, la protonotaire a confondu les articles 8 et 12 de la Loi, de telle sorte qu’elle a mal qualifié la nature des demandes des demandeurs et de la ligne de conduite alléguée. Cela l’a menée à commettre une erreur en concluant que les décisions d’homologation étaient concernées. Deuxièmement, la protonotaire a commis une erreur en confondant l’analyse relative à une ligne de conduite en application du paragraphe 18.1(2) et de l’article 302 des Règles, et en effectuant uniquement l’analyse aux termes de l’article 302 des Règles, et ce, en partie uniquement. Troisièmement, la protonotaire a commis une erreur en appliquant le critère pour un autre recours approprié, notamment en mettant l’accent uniquement sur l’autre recours et non pas sur le caractère approprié du contrôle judiciaire demandé.

1) Qualification erronée des avis de demande

[49] Bayer fait valoir que l’interprétation des actes de procédure est une détermination juridique et que l’erreur de la protonotaire est donc une erreur de droit. Bayer fait valoir que les avis de demande sont manifestement axés sur les décisions d’homologation rendues en application de l’article 8, et non sur la délivrance d’avis visés à l’article 12.

[50] Bayer fait mention de l’avis de demande portant sur la clothianidine, qui sollicite le contrôle judiciaire de la ligne de conduite de l’ARLA en « homologuant successivement » des PA malgré l’absence des renseignements scientifiques nécessaires pour avoir une certitude raisonnable à l’égard des risques environnementaux et en [traduction] « prorogeant illégalement les périodes de validité » des PA. Bayer fait valoir que ces deux allégations concernent des décisions d’homologation rendues aux termes de l’article 8. En outre, les conclusions recherchées dans l’avis de demande visent à obtenir une déclaration d’invalidité de la ligne de conduite consistant à homologuer successivement des produits de clothianidine et à proroger la durée de leur validité, laquelle porte également sur les décisions fondées sur l’article 8. Bayer ajoute que la déclaration d’invalidité demandée ne viserait que les décisions rendues en application de l’article 8.

[51] Bayer soutient que l’avis de demande vise à faire déclarer illégaux tous les aspects des homologations de la clothianidine active et de ses préparations commerciales, pas seulement les risques que les PA posent pour les insectes pollinisateurs. Bayer ajoute que les avis de demande ne contiennent pratiquement aucune mention des avis visés à l’article 12, ajoutant que l’article 12 n’est même pas mentionné dans le sous-titre [traduction] « La ligne de conduite de l’ARLA est illégale ». Bayer signale d’autres parties des avis de demande et fait valoir que toutes les allégations portent sur le pouvoir décisionnel aux termes de l’article 8, sans aucune mention d’une délivrance illégale ou d’une utilisation inappropriée des avis visés à l’article 12. Bayer soutient que la réparation maintenant demandée et la ligne de conduite désormais alléguée ne sont pas les mêmes que celles invoquées dans les avis de demande.

[52] Bayer fait valoir que les demandeurs ont qualifié différemment leurs avis de demande en réponse à la requête en radiation des défendeurs, puis ont mis l’accent sur la pratique illégale de l’ARLA consistant à délivrer des avis visés à l’article 12 afin de conserver les homologations conditionnelles malgré l’absence d’études suffisantes.

[53] Bayer fait valoir que les allégations des demandeurs concernant une grave lacune dans les données ciblent les décisions rendues aux termes de l’article 8. Cependant, contrairement aux allégations des demandeurs, les éléments de preuve disponibles montrent que pour chaque décision d’homologation, l’ARLA disposait de données suffisantes pour juger que les risques étaient acceptables. Dans les cas où des avis visés à l’article 12 ont été délivrés, les défendeurs se sont conformés et ont fourni les études sur la toxicité chronique demandées, lesquelles ont été évaluées par l’ARLA. Bayer insiste sur le fait que lorsque les produits ont été homologués ou que des demandes ont été présentées en vue de convertir des homologations conditionnelles en homologations complètes, des avis visés à l’article 12 nouveaux et différents ont été délivrés par l’ARLA pour obtenir des renseignements supplémentaires.

[54] Bayer affirme que si la Cour conclut qu’on a fait une utilisation erronée des avis visés à l’article 12, toute déclaration en découlant ne ferait qu’invalider ces avis visés à l’article 12; l’homologation du PA demeurerait en vigueur, mais ne serait plus conditionnelle à la présentation des renseignements supplémentaires demandés dans l’avis visé à l’article 12.

2) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles

[55] Bayer fait valoir que, même si la jurisprudence aux termes du paragraphe 18.1(2) et de l’article 302 des Règles utilise l’expression « ligne de conduite », l’analyse de ce qui constitue une ligne de conduite diffère, car l’objet des deux dispositions est différent. Bayer soutient que la protonotaire a confondu les critères juridiques applicables au paragraphe 18.1(2) et à l’article 302 des Règles, et qu’elle n’a procédé qu’à l’analyse relativement à l’article 302.

[56] À l’égard du paragraphe 18.1(2), Bayer fait valoir qu’il n’existe aucune ligne de conduite ou politique d’application générale en litige. Bayer soutient que l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils sollicitent le contrôle d’une pratique est une tentative après coup de lier 35 décisions distinctes fondées sur la délivrance des avis visés à l’article 12, ce qui constitue une tentative de [traduction] « plaider autour » du paragraphe 18.1(2). Au lieu de cela, il existe 35 décisions distinctes en litige concernant la clothianidine, dont 21 ont été rendues entre 2 et 10 ans après le délai de prescription de 30 jours, et les demandeurs n’ont présenté aucune demande de prorogation.

[57] Bayer soutient que le fait de qualifier les décisions en litige de politiques ne permet pas d’éluder le paragraphe 18.1(2). Le seul élément de preuve dont la Cour est saisie est l’affidavit de Mme Sterkenburg, qui a répondu en contre-interrogatoire qu’il n’existe aucune politique ou ligne directrice concernant l’utilisation des avis visés à l’article 12. Bayer prétend que la jurisprudence (examinée plus loin) sur laquelle se sont appuyés les demandeurs ne leur est d’aucune utilité, car ces affaires portent sur une politique officielle ou la mise en œuvre de celle-ci, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[58] Bayer affirme que, en réalité, la protonotaire a uniquement procédé à l’analyse servant à décider si une exonération de l’article 302 des Règles devait s’appliquer, mais elle a commis une erreur en se concentrant uniquement sur les similitudes et les différences entre les décisions et en omettant de considérer si l’examen des 35 décisions sur la clothianidine favoriserait l’efficacité judiciaire. Bayer fait valoir que le critère énoncé dans la décision Truehope Nutritional Support Ltd. c Canada (Procureur général), 2004 CF 658, 251 FTR 155 (Truehope) est applicable. Ce critère vise à déterminer si les similitudes entre les décisions l’emportent sur les différences, de sorte que d’exiger la présentation de deux demandes ou plus constituerait une perte de temps et d’énergie, ou si une seule demande permettrait un gain de temps et d’énergie pour les parties et la Cour.

[59] Bayer affirme que la jurisprudence contient peu d’exceptions à l’article 302 des Règles : de manière générale, elles se limitent à quatre décisions, lesquelles n’ont pas été rendues sur plusieurs années, mais sur une période beaucoup plus courte.

[60] Bayer affirme qu’il ne serait pas efficace d’examiner simultanément 35 décisions distinctes. Bayer cite en exemple l’historique d’homologation d’un produit en particulier. Pour ce produit, un avis visé à l’article 12 a été délivré après l’homologation afin de demander une étude complète sur la toxicité pour les abeilles mellifères. Un protocole a été élaboré pour l’étude, puis celle-ci a été menée et présentée. Le produit a été homologué de nouveau et un autre avis visé à l’article 12 a été délivré pour demander une nouvelle étude sur les ruches. Bayer fait valoir que, dans chaque cas, les risques ont été jugés acceptables. Bayer affirme que si les demandes en l’espèce devaient suivre leur cours, chaque décision devrait faire l’objet d’un contrôle en fonction du dossier dont était saisie l’ARLA à l’époque; chaque dossier serait différent et vraisemblablement volumineux; le contrôle qui s’ensuivrait serait long et exigerait des ressources considérables, allant à l’encontre de l’objet de l’article 302 des Règles et de l’exigence que les contrôles judiciaires soient entendus sans délai.

[61] En outre, Bayer affirme que même si la Cour conclut à l’existence d’une ligne de conduite après avoir effectué l’analyse fondée sur l’article 302 des Règles, cela n’exonère pas un demandeur de l’application du paragraphe 18.1(2), puisqu’une analyse et une décision distinctes aux termes de ce paragraphe sont exigées. Bayer s’appuie sur la décision James Richardson International Ltd. c Canada, 2004 CF 1577, au paragraphe 22, [2005] 2 RCF 534 (James Richardson) pour faire valoir que le critère applicable pour conclure à une même série d’actes aux termes de l’article 302 des Règles ne peut pas être utilisé afin de permettre à un demandeur de contourner le délai de prescription de 30 jours imposé au paragraphe 18.1(2), et elle affirme que [traduction] « c’est pourtant ce qui s’est produit en l’espèce ».

[62] Bayer ajoute qu’une demande de contrôle judiciaire visant plusieurs ordonnances pourrait respecter le paragraphe 18.1(2) (c.-à-d. une ligne de conduite ou une politique), mais contrevenir tout de même à l’article 302 des Règles, une fois de plus parce qu’une analyse distincte est requise. Bayer souligne également qu’on pourrait accorder à une partie l’autorisation de contester plus d’une décision aux termes de l’article 302 (si les décisions étaient toutes très similaires), mais cette partie pourrait tout de même se voir refuser une prorogation aux termes du paragraphe 18.1(2) (en s’appuyant sur la décision Whitehead c Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270, au paragraphe 54, 360 FTR 274 (Whitehead)).

[63] Bayer reconnaît que le critère est exigeant lors de la présentation d’une requête en radiation, mais elle fait valoir que le « moye[n] exceptionne[l] » en l’espèce est que les avis de demande portent sur le contrôle de 79 décisions au-delà du délai de prescription de 30 jours, sans qu’une prorogation ne soit accordée, et que, par conséquent, ils contreviennent au paragraphe 18.1(2). De même, les avis de demande visent le contrôle de plus d’une décision, contrairement à l’article 302 des Règles; les décisions sont différentes et il serait contraire à l’efficacité judiciaire de procéder simultanément au contrôle de ces décisions.

3) Autres recours appropriés

[64] Bayer affirme que la protonotaire a commis une erreur en mettant l’accent exclusivement sur les questions de savoir si la réévaluation entreprise par l’ARLA en 2012 fournirait aux demandeurs la réparation déclaratoire qu’ils demandent et si la procédure serait expéditive. Selon Bayer, il n’est pas nécessaire que l’autre recours soit identique à celui invoqué par les demandeurs, et il n’est pas nécessaire qu’il soit aussi expéditif.

[65] Bayer affirme en outre que la protonotaire a commis une autre erreur en n’examinant pas si les demandes de contrôle judiciaire étaient convenables et appropriées, comme l’exige l’arrêt Strickland, et qu’elle a commis une erreur en omettant d’évaluer la prépondérance des inconvénients entre la solution de rechange proposée et les demandes de contrôle judiciaire. Bayer fait valoir qu’un contrôle judiciaire n’est pas approprié, car il reproduit les réévaluations permanentes de l’ARLA et qu’il soulève la possibilité de parvenir à des décisions contradictoires.

C. Les observations de Sumitomo et Valent à titre de défenderesses

[66] Sumitomo a également présenté un résumé de la LPA, en insistant sur le fait que toutes les décisions d’homologation sont rendues en application de l’article 8, qu’elles doivent statuer sur le caractère raisonnable des risques et que les avis visés à l’article 12 sont délivrés uniquement lorsque cette évaluation a déjà été faite.

1) Qualification erronée des avis de demande

[67] Sumitomo fait valoir qu’au moment de trancher une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, la première étape consiste à déterminer la nature essentielle des demandes. Cependant, la méprise fondamentale de la protonotaire à l’égard des articles 8 et 12 a entraîné son défaut d’examiner la nature essentielle des demandes, telle qu’elle est exposée dans les avis de demande.

[68] Sumitomo fait valoir que le paragraphe 20 de la décision de la protonotaire démontre qu’elle a mal qualifié l’effet d’un avis visé à l’article 12. Ces avis n’ont pas pour conséquence de reporter la date de réception des études nécessaires. Conformément à l’article 14 du Règlement, l’effet d’un avis visé à l’article 12 est plutôt de raccourcir la période de validité de l’homologation à trois ans et de reporter le processus de consultation publique et de l’avis d’opposition. Sumitomo ajoute que les avis visés à l’article 12 n’ont pas eu pour effet de prolonger l’homologation des produits de clothianidine; la prolongation des homologations est le résultat des décisions rendues par l’ARLA aux termes de l’article 8.

[69] Sumitomo prétend que la qualification des demandes par la protonotaire ne tient pas compte des conclusions recherchées par les demandeurs, qui sont d’invalider les décisions d’homologation. Sumitomo fait valoir que si les demandes portaient réellement sur une pratique illégale qui consiste à délivrer des avis visés à l’article 12, les conclusions recherchées devraient cibler les conséquences de l’article 12, notamment la suspension de la consultation publique.

2) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles

[70] Sumitomo affirme que la question de savoir s’il existe une ligne de conduite n’est pas discutable, et qu’il n’existe manifestement aucune ligne de conduite. La protonotaire a commis une erreur dans son interprétation de la jurisprudence concernant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles ainsi que dans son analyse.

[71] Selon Sumitomo, lorsque des décisions sont rendues à des moments différents et qu’elles portent sur un autre objet, elles ne constituent pas une ligne de conduite. Sumitomo ajoute que ces avis de demande ne contestent pas une politique de l’ARLA concernant l’article 12, mais plutôt plusieurs décisions distinctes, rendues à des moments différents à propos de produits différents, qui auraient toutes pu faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Sumitomo ajoute que, en l’espèce, les différences dans les décisions l’emportent sur leurs similitudes et qu’il n’est pas difficile de cerner une décision individuelle aux fins de contrôle.

[72] Sumitomo fait valoir que le fait de permettre l’audition des demandes minerait les principes d’irrévocabilité et d’efficacité qui éclairent le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles. En outre, cela indiquerait aux plaideurs que des attaques générales contre des décisions administratives historiques peuvent être entreprises sous le couvert d’une ligne de conduite alléguée.

3) Autres recours appropriés

[73] Sumitomo fait valoir que cette question n’est pas discutable non plus; il existait manifestement un autre recours approprié. La protonotaire a commis une erreur de droit en omettant d’examiner les éléments essentiels énoncés dans l’arrêt Strickland pour déterminer l’existence d’un autre recours approprié et, par conséquent, sa décision n’appelle aucune retenue.

[74] Sumitomo soutient que, dans l’arrêt Strickland, la Cour suprême du Canada a établi que de nombreux facteurs doivent être pris en considération. Sumitomo affirme que la protonotaire s’est concentrée sur deux facteurs seulement – la célérité et l’[traduction] « identité », ou l’uniformité de l’autre recours – ce qui correspond à ce que la protonotaire voulait dire par « principale réparation ». Elle prétend que l’autre recours doit uniquement être approprié et non identique à celui offert à l’occasion d’un contrôle judiciaire.

[75] Sumitomo invoque la jurisprudence pour faire valoir que la célérité ne saurait l’emporter sur d’autres facteurs (Girouard c Canada (Procureur général), 2017 CF 449, [2017] ACF no 675), et que les demandes de contrôle judiciaire ne devraient pas être entendues lorsqu’elles sont susceptibles d’intervenir dans des processus administratifs en cours avant qu’ils ne soient achevés Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 RCF 332 (C.B. Powell)).

[76] En outre, Sumitomo soutient que la protonotaire a omis de tenir compte d’autres facteurs pertinents dans son analyse portant sur un autre recours approprié, notamment l’expertise de l’ARLA, l’utilisation économique des ressources judiciaires, la possibilité de conclusions contradictoires entre la réévaluation et le contrôle judiciaire et, de manière plus générale, la question de savoir si un contrôle judiciaire serait approprié. Sumitomo prétend qu’il ne serait pas approprié, car il engloberait l’examen de 79 décisions ayant chacune son propre dossier, et qu’il chevaucherait le processus de réévaluation permanent.

[77] Sumitomo fait valoir que le processus de réévaluation de l’ARLA est approprié, car les demandes concernent réellement la question de savoir si les risques environnementaux posés par les PA sont acceptables, ce qui sera évalué à l’occasion de la réévaluation. À la suite de la réévaluation, l’ARLA annulera, modifiera ou confirmera les homologations. À la fin de ce processus, les demandeurs pourront alors demander le contrôle judiciaire des décisions définitives. Il serait plus prudent d’attendre l’issue de la réévaluation avant d’entreprendre un contrôle judiciaire, car cela permettrait à la Cour de bénéficier des dernières analyses et conclusions scientifiques de l’ARLA fondées sur son expertise. De plus, Sumitomo souligne que les demandeurs pourraient obtenir les résultats demandés dans la réévaluation, rendant inutile un contrôle judiciaire subséquent.

D. Les observations de Syngenta à titre de défenderesse

1) Qualification erronée des avis de demande

[78] Syngenta souligne l’historique d’homologation du TMX tel qu’il est décrit par sa déposante, Mme Tout : 44 décisions d’homologation distinctes ont été rendues sur une période de 10 ans; 19 homologations sont en litige; et, dans chacun des cas, l’ARLA a rendu des décisions indépendantes fondées sur une évaluation des risques et une conclusion selon laquelle il n’existait aucun risque inacceptable. Syngenta fait aussi remarquer que l’historique décrit par les demandeurs en ce qui concerne la clothianidine n’est pas identique à l’historique d’homologation pour le TMX. Plus précisément, il n’a jamais été question d’une [traduction] « lacune majeure dans les données » relativement au TMX.

[79] Syngenta attire l’attention sur le paragraphe 20 de la décision de la protonotaire, comme l’ont fait les autres défendeurs, et fait valoir que la protonotaire n’a pas bien compris le rôle des articles 8 et 12. La description que fait la protonotaire de la ligne de conduite illégale – à savoir la pratique illégale de remettre des avis visés à l’article 12 « qui ont eu pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires [...] maintenant de ce fait en vigueur pendant plus d’une décennie les homologations conditionnelles » – est insoutenable, car la délivrance d’avis visés à l’article 12 n’est pas illégale. Syngenta affirme qu’un contrôle judiciaire peut uniquement être demandé à l’égard de décisions ou d’une conduite qui sont illégales.

[80] Elle fait valoir que le recours à des avis visés à l’article 12 n’entraîne pas le maintien de l’homologation des PA sans une évaluation du risque, car l’homologation est toujours fondée sur une décision rendue en application de l’article 8 portant qu’il n’existe aucun risque inacceptable. Syngenta fait valoir que les demandeurs allèguent en réalité que l’ARLA a agi de manière illégale en rendant 44 décisions en application de l’article 8.

[81] Elle invoque les pièces pour démontrer l’historique d’homologation de ses propres produits. Dans certains cas, à la réception des données en réponse à un avis visé à l’article 12, un avis subséquent et différent visé à l’article 12 a été délivré pour demander d’autres renseignements ou études. Syngenta souligne également les données qu’elle était tenue de présenter en réponse à un avis visé à l’article 12 dans le cadre de différentes demandes de conversion en homologation complète suivant une homologation conditionnelle, d’homologation pour de nouveaux sites d’utilisation et de prorogation des homologations pour permettre la production de données, afin d’illustrer la façon dont les avis visés à l’article 12 sont uniques, la manière dont elle s’est conformée à ces demandes dans chaque cas et la conclusion portant que l’homologation du produit ne posait aucun risque inacceptable conformément à l’article 8. Syngenta prétend que la nature de l’évaluation du risque était distincte dans chaque cas et que l’ARLA a examiné les éléments de preuve scientifiques, notamment à propos des insectes pollinisateurs, afin de rendre une décision en application de l’article 8. Syngenta soutient également que l’ARLA a examiné les renseignements qui étaient d’actualité pendant la période pertinente et que le processus décisionnel de l’ARLA était transparent, puisque toutes les décisions ont été publiées dans le registre public.

2) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles

[82] Syngenta affirme que les demandeurs ont tenté d’éluder l’obstacle créé par leurs propres actes de procédure en reformulant leur théorie d’une ligne de conduite illégale pour mettre l’accent sur la délivrance des avis visés à l’article 12 plutôt que sur les décisions d’homologation rendues en application de l’article 8.

[83] Elle souligne l’avis de demande relativement au TMX et elle prétend qu’il allègue une ligne de conduite illégale qui est propre à chacune des 44 décisions portant sur le TMX.

[84] Syngenta fait valoir que les homologations en application de l’article 8 ne peuvent pas constituer une ligne de conduite, car les différences entre les décisions l’emportent grandement sur leurs similitudes. Syngenta fait remarquer que les 44 décisions liées au TMX concernent 18 produits avec des formulations et des concentrations chimiques différentes; le profil de risque diffère pour chacun selon le mélange d’ingrédients actifs; chaque décision porte sur des sites d’utilisation, des demandes et des produits différents; les exigences en matière de données différaient et ont évolué au fil du temps, ainsi que l’état des connaissances scientifiques; les décisions concernaient différents décideurs au sein de l’ARLA; et différentes étiquettes de restrictions ont été appliquées aux différents produits et variaient selon la méthode d’application et d’autres facteurs. Syngenta affirme que la demande de contrôle judiciaire exigerait un examen de chacune des décisions d’homologation, lesquelles ont été rendues dans des circonstances différentes, portaient sur des produits différents, invoquaient différentes dispositions législatives (selon, par exemple, la question de savoir si l’homologation était maintenue, renouvelée ou rétablie) et étaient fondées sur une conclusion distincte quant au caractère acceptable du risque. Syngenta ajoute que l’examen comprendrait plus de 50 000 pages de renseignements concernant le TMX et toutes les autres données scientifiques et tous les autres renseignements détenus par l’ARLA.

[85] Syngenta ajoute qu’elle a dépensé des millions de dollars pour fournir les études nécessaires à l’ARLA et que des agriculteurs se fient à ses produits depuis des années. Elle fait valoir que ces homologations ne devraient pas être invalidées des années plus tard, ajoutant qu’il s’agit du méfait que le paragraphe 18.1(2) vise à prévenir.

3) Autres recours appropriés

[86] Comme l’a fait Sumitomo, Syngenta affirme que la protonotaire a commis une erreur dans son analyse en mettant l’accent exclusivement sur la question de savoir si les solutions de rechange proposées permettraient d’accorder la principale sanction demandée et seraient comparables au contrôle judiciaire, sans tenir compte du caractère approprié du contrôle judiciaire. Syngenta fait valoir que le contrôle judiciaire n’est ni approprié ni conforme au processus habituel pour contester les décisions de l’ARLA. Un contrôle judiciaire exigera de la Cour qu’elle passe en revue des décisions qui remontent à plus de 10 ans et qui comprennent des dizaines de milliers de pages de données scientifiques qui ont évolué au fil du temps. Pour ce faire, il faudrait employer des ressources judiciaires considérables et cela soulèverait des questions qui outrepassent l’expertise technique de la Cour.

VI. Les observations des demandeurs

1) Aperçu

[87] Les demandeurs font valoir que les défendeurs ont plaidé le présent appel comme s’il s’agissait d’une requête en radiation de novo. Cependant, ils signalent que la première question n’est pas de savoir si notre Cour devrait radier les demandes, mais plutôt si la protonotaire a commis une erreur en refusant de le faire. Les demandeurs insistent sur le fait que dans la décision faisant l’objet du contrôle, la protonotaire n’a pas tranché de façon définitive les questions soulevées par les défendeurs; au lieu de cela, elle a conclu qu’elles étaient discutables.

[88] Les demandeurs soutiennent que la décision discrétionnaire de la protonotaire est susceptible de révision seulement en présence d’une erreur manifeste et dominante (Corporation de soins de la santé Hospira v Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331 (Hospira)). En qualité de juge chargée de la gestion de l’instance depuis le dépôt des présentes demandes en juillet 2016, la protonotaire a tenu quatre conférences de gestion de l’instance et comprend parfaitement les questions en litige. Contrairement à la thèse des défendeurs, il n’existe aucune question juridique ou aucun principe juridique isolable et aucune erreur manifeste et dominante n’a été démontrée.

[89] Les demandeurs soulignent le critère exigeant que les défendeurs doivent remplir pour obtenir la radiation de l’avis de demande (JP Morgan). L’important dossier de requête dont était saisie la protonotaire est exceptionnel et tous ces éléments de preuve contredisent les observations des défendeurs portant qu’il existe un vice manifeste dans les avis de demande.

[90] Les demandeurs font valoir que leurs avis de demande et les conclusions recherchées sont axés sur une ligne de conduite illégale alléguée. Les demandeurs expliquent que les avis visés à l’article 12 ont été le moyen par lequel l’ARLA a reporté la réception et l’examen des études nécessaires liées aux répercussions des PA sur les insectes pollinisateurs, que l’ARLA a elle-même qualifié de [traduction] « lacune majeure des données ». Les demandeurs allèguent qu’en l’absence des données demandées dans les avis visés à l’article 12, il est impossible pour l’ARLA d’évaluer si les risques posés par les PA sont acceptables; pourtant, l’ARLA l’a prétendument fait systématiquement depuis 2006. Ils allèguent également que des avis visés à l’article 12 ont été utilisés pour contourner l’obligation de consultation publique de l’ARLA, notamment à l’égard du TMX, qui n’a fait l’objet d’aucune consultation depuis 2006.

[91] Les demandeurs reconnaissent que l’article 8 régit l’accueil ou le refus de la demande d’homologation d’un PA, selon l’acceptabilité du risque. Cependant, ils se demandent comment un risque peut être jugé acceptable lorsqu’il existe une lacune majeure dans les données et que l’homologation est conditionnelle à la production de données supplémentaires systématiquement exigées. Les demandeurs invoquent les pièces contenues dans l’affidavit de leur déposante, Mme Elaine MacDonald, qui établissent la chronologie des homologations des PA en litige, notamment les demandes d’études sur la toxicité comme conditions d’homologation, la décision de l’ARLA selon laquelle les études présentées étaient insuffisantes, et les avis visés à l’article 12 subséquents demandant d’autres études, qui étaient toutes axées sur les risques liés à la toxicité pour les insectes pollinisateurs. Les pièces comprennent les homologations originales, les renouvellements et les demandes de conversion en homologation complète, qui sont accompagnés d’avis visés à l’article 12 successifs (qui ne sont pas tous identiques) pour l’obtention de renseignements supplémentaires concernant les risques de toxicité pour les insectes pollinisateurs.

[92] Les demandeurs soulignent également des exemples où l’homologation d’un PA a été maintenue, même si l’exigence relative à l’article 12 n’a pas été respectée, ou lorsque les renseignements ou les études fournis pour satisfaire au précédent avis visé à l’article 12 ont été jugés insatisfaisants.

[93] Les demandeurs font valoir qu’aucun élément de preuve ne démontre qu’une homologation conditionnelle est parvenue à son expiration. Au lieu de cela, l’homologation des PA a été prorogée en raison des demandes de conversion ou de renouvellement et elle a été assortie d’un autre avis visé à l’article 12 sollicitant des renseignements supplémentaires et donnant lieu à une autre homologation conditionnelle. Chaque fois qu’une date d’expiration approchait, l’ARLA rendait une décision en application de l’article 8 (renouvellement, continuation ou prorogation), malgré la lacune majeure persistante dans les données, et elle délivrait un autre avis visé à l’article 12 pour demander des renseignements supplémentaires concernant les risques de toxicité à long terme pour les insectes pollinisateurs.

[94] Les demandeurs reconnaissent qu’à mesure que la science évolue, les demandes de renseignements supplémentaires évoluent elles aussi et que, en conséquence, les avis visés à l’article 12 ne concernaient pas exactement les mêmes renseignements dans chaque cas. Cependant, les avis visés à l’article 12 ont été utilisés de manière répétée pour demander que les études portent sur les risques de toxicité pour les insectes pollinisateurs en fonction de l’état des connaissances scientifiques à l’époque pertinente.

[95] Relativement aux arguments des défendeurs voulant que des avis visés à l’article 12 n’aient pas été délivrés pour chaque PA en cause, les demandeurs font remarquer que l’ARLA a eu recours à l’article 15 pour homologuer conditionnellement plusieurs nouvelles préparations commerciales en les rattachant à des avis visés à l’article 12 déjà délivrés portant sur les mêmes ingrédients actifs ou sur des préparations commerciales connexes. Par conséquent, chaque PA en cause est conditionnel à la présentation d’autres données relativement à son risque pour les insectes pollinisateurs, lesquelles données ont été sollicitées au moyen d’un avis visé à l’article 12. (Comme je l’ai déjà mentionné, le procureur général du Canada, à titre de défendeur, a reconnu que bien que les 79 décisions d’homologation en litige n’aient pas toutes été accompagnées d’avis visés à l’article 12, celles qui ne l’étaient pas étaient liées aux autres.)

[96] Les demandeurs font remarquer qu’il n’existe pas de jurisprudence sur l’interprétation des dispositions de la LPA en cause. Ils font valoir que les dispositions de la LPA ne semblent pas cadrer avec la conduite de l’ARLA au fil des ans. Le concept d’une homologation conditionnelle ne figure pas dans la Loi. L’effet d’une homologation conditionnelle se dégage uniquement du Règlement, qui a été adopté après l’entrée en vigueur de la Loi. Bien que le procureur général du Canada, à titre de défendeur, ait décrit l’article 12 comme autorisant la présentation de renseignements probants, cette autorisation n’est pas prescrite dans la Loi et elle ne ressort pas de l’historique des homologations des produits en cause.

[97] Les demandeurs font également remarquer qu’en décembre 2015 l’ARLA a prorogé les homologations des PA sans fondements législatifs. L’ARLA a écrit aux titulaires pour les informer que la date de validité des homologations serait prolongée de deux années supplémentaires à compter de 2015 pour qu’elle corresponde à la date d’échéance de l’évaluation des néonicotinoïdes. Mme Sterkenburg, la déposante pour le compte du procureur général du Canada, a expliqué en contre-interrogatoire que l’ARLA avait apparemment corrigé cette situation en juin 2016 en délivrant de nouveaux avis visés à l’article 12 et en rétablissant les homologations des produits en cause.

2) Aucune qualification erronée des avis de demande

[98] Les demandeurs prétendent que les motifs de la protonotaire démontrent qu’elle comprenait pleinement le régime législatif et qu’elle n’a pas confondu les articles 8 et 12.

[99] Les demandeurs font valoir que l’utilisation inappropriée alléguée des avis visés à l’article 12, bien qu’elle ne soit pas explicitée de manière détaillée dans les avis de demande, a été pleinement expliquée dans le dossier de requête dont la protonotaire était saisie. Les demandeurs soulignent l’application de la présomption selon laquelle la protonotaire a pris en considération tous les éléments de preuve dont elle disposait, et ils font valoir que cette présomption n’a pas été réfutée (Mahjoub, au paragraphe 67).

[100] Les demandeurs reconnaissent que la délivrance des avis visés à l’article 12 n’est pas illégale en soi. Ils expliquent que leur thèse n’a jamais été que la ligne de conduite prétendument illégale concerne exclusivement l’article 12 ou l’article 8. Elle concerne plutôt l’interaction entre les articles 8 et 12 dans le processus d’homologation. Ils font valoir que la protonotaire a interprété les avis de demande de façon téléologique et qu’elle n’a commis aucune erreur en concluant que les demandes portaient sur la pratique de l’ARLA consistant à délivrer des avis visés à l’article 12, laquelle pratique avait pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires concernant les effets des PA sur les insectes pollinisateurs, maintenant ainsi les homologations conditionnelles de ces PA pendant plus d’une décennie malgré l’absence des données nécessaires. Les demandeurs soutiennent que la protonotaire comprenait que la ligne de conduite alléguée correspondait à cette pratique de fusionner les avis visés à l’article 12 au processus d’homologation prévu par la loi d’une façon qui mine les objets de la Loi, lesquels exigent que l’ARLA soit raisonnablement certaine des risques environnementaux des produits au moment de rendre des décisions d’homologation.

[101] Les demandeurs répondent que, contrairement aux arguments des défendeurs, ils n’ont pas créé de toute pièce une théorie pour que leurs demandes résistent à la requête en radiation. Même si les avis de demande en disent moins sur l’article 12 que sur d’autres dispositions, les avis décrivent l’interaction entre l’article 8 et l’article 12 sur laquelle s’est appuyée l’ARLA pour continuer d’homologuer des PA sans les données qu’elle a désignées comme [traduction] « lacune majeure des données ». Les demandeurs ajoutent que les motifs de la protonotaire dénotent qu’elle comprenait que les avis visés à l’article 12 sont ce qui rend une homologation conditionnelle et qu’ils sont au cœur de la conduite illégale alléguée.

[102] Les demandeurs insistent sur le fait que les principales conclusions recherchées dans les demandes sont une déclaration de conduite illégale, et non l’invalidation des décisions d’homologation, même s’il s’agissait d’une conséquence de la déclaration et que cette conclusion est également recherchée. Les actes de procédure demandent à juste titre une sanction visant la ligne de conduite alléguée.

3) La ligne de conduite – le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles

[103] Les demandeurs soulignent que la protonotaire n’a pas conclu qu’il existait une même série d’actes. Elle en était plutôt incertaine.

[104] Les demandeurs font valoir que la protonotaire n’a pas confondu les objets de l’article 302 des Règles et du paragraphe 18.1(2). En outre, ils contestent le fait que des analyses distinctes sont requises pour l’article 302 des Règles et le paragraphe 18.1(2). Ils prétendent qu’une évaluation fondée sur des faits est nécessaire à l’égard des deux dispositions.

[105] Les demandeurs font valoir que bien que l’ARLA ne dispose peut-être pas d’une politique explicite, son approche systématique consistant à délivrer des avis visés à l’article 12 et à maintenir les homologations atteste d’une pratique continue qui constitue une ligne de conduite, comme la jurisprudence le démontre. Les demandeurs invoquent la décision Société Radio-Canada (Canadian Broadcasting Corporation) c Canada (Procureur général), 2016 CF 933, [2017] 2 RCF 304 (SRC), dans laquelle la Cour a conclu qu’il n’y avait aucune politique particulière en litige, mais plutôt une pratique continue, et elle a déterminé qu’il s’agissait d’une ligne de conduite qui n’était pas assujettie au délai de prescription ordonné au paragraphe 18.1(2).

[106] Les demandeurs mentionnent également la décision Fisher c Canada (Procureur général), 2013 CF 1108, 441 FTR 273 (Fisher), dans laquelle la Cour a conclu qu’elle pouvait se pencher sur « la décision générale, sur les mesures de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement ». Les demandeurs font remarquer que, comme dans la décision Fisher (au paragraphe 79), leurs demandes visent à limiter une « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales » au moyen d’un jugement déclaratoire.

[107] Les demandeurs prétendent que la protonotaire a abordé l’argument des défendeurs voulant que la nature des demandes des demandeurs soit une contestation de 79 décisions de l’ARLA rendues en application de l’article 8. La protonotaire a examiné la jurisprudence, en soulignant que l’on pouvait conclure à une ligne de conduite même lorsque des décisions distinctes peuvent être cernées.

4) Autres recours appropriés

[108] Les demandeurs soulignent que, conformément à l’arrêt JP Morgan, une demande ne devrait pas être radiée prématurément au motif qu’il existe un autre recours approprié, sauf s’il est certain qu’il existe un recours ailleurs et qu’il est approprié. La protonotaire n’avait pas la certitude qu’il existait un autre recours approprié. Cette question devait être tranchée par le juge saisi des demandes de contrôle judiciaire.

[109] Les demandeurs soulignent également que la réévaluation de l’ARLA portant sur les néonicotinoïdes a été lancée en 2012, qu’un rapport provisoire devait être présenté en décembre 2017 et qu’un rapport définitif était attendu en décembre 2018. Ils mentionnent qu’il s’agit d’un examen de fond, à savoir un processus scientifique visant à évaluer globalement les néonicotinoïdes, qui ne portera pas sur les pratiques réglementaires de l’ARLA, le processus d’homologation ou la pratique consistant à utiliser des avis visés à l’article 12 pour combler les lacunes dans les données.

[110] Les demandeurs appuient une réévaluation fondée sur la science, mais ils remettent en question la façon dont la réévaluation de l’ARLA peut être considérée comme un autre recours ou la façon dont un avis d’opposition aux conclusions de la réévaluation pourrait donner lieu à la sanction demandée dans les demandes de contrôle judiciaire en l’espèce.

[111] Les demandeurs affirment que leur expérience justifie leur argument voulant que les processus d’examen internes de l’ARLA ne constituent pas d’autres recours appropriés. Ils soulignent que la consultation publique menée par l’ARLA est l’élément déclencheur du droit d’une partie de déposer un avis d’opposition à une décision d’homologation. Ils ajoutent qu’étant donné que l’ARLA utilise de façon constante des avis visés à l’article 12, lesquels ont pour effet de suspendre l’exigence de consultation, leur droit de déposer un avis d’opposition à l’égard d’une décision portant directement sur les PA en cause a été déclenché qu’à une seule reprise, en 2013, relativement à la décision de l’ARLA de renouveler les [traduction] « homologations de produits de clothianidine pour le traitement des feuilles ou du sol ». L’opposition des demandeurs était axée sur le fait que l’ARLA avait accordé des renouvellements sans avoir reçu les études sur la toxicité chronique et les autres études requises dans les avis visés à l’article 12. En d’autres mots, l’avis d’opposition était fondé, à la fois, sur une pratique réglementaire (les lacunes majeures dans les données existantes) et sur des motifs substantiels (à savoir que la littérature scientifique attaque les connaissances sur lesquelles l’ARLA s’est appuyée). Les demandeurs soulignent qu’il a fallu trois ans à l’ARLA pour décider de ne pas mettre sur pied un comité d’examen. L’ARLA a refusé d’examiner l’opposition et elle a expliqué que les oppositions qui concernent la pratique réglementaire ne sont habituellement pas renvoyées à un comité. Les demandeurs ajoutent que la décision de l’ARLA a été rendue après l’expiration théorique de l’homologation conditionnelle en litige (au début de 2016). Les demandeurs soulignent également qu’ils ont été informés de la décision un jour après avoir déposé les présentes demandes de contrôle judiciaire.

[112] Les demandeurs contestent le fait que la Cour suprême du Canada a établi les éléments essentiels d’un critère juridique dans l’arrêt Strickland ou que la protonotaire a omis d’examiner certains éléments essentiels. Ils prétendent qu’il s’agit d’une tentative des défendeurs de formuler une question de fait et droit comme s’il s’agissait d’une question de droit, une pratique à l’égard de laquelle la Cour suprême du Canada a émis une mise en garde dans l’arrêt Teal Cedar Products Ltd. c Colombie‑Britannique, 2017 SCC 32, au paragraphe 45, [2017] 1 RCS 688 (Teal Cedar).

[113] Les demandeurs font valoir que les motifs de la protonotaire indiquent qu’elle a examiné l’ensemble des arguments et des facteurs pertinents de l’arrêt Strickland dans le contexte de l’espèce. La protonotaire n’a pas limité son examen à deux facteurs. Au lieu de cela, elle a conclu que deux facteurs revêtaient une importance particulière – la célérité et la capacité de réparation de l’autre recours proposé – et elle leur a accordé plus de poids. Elle n’a pas conclu qu’une sanction parfaite ou identique était requise.

[114] Les demandeurs reconnaissent que les nouveaux éléments de preuve que les défendeurs cherchaient à faire admettre, comprenant les décisions proposées de l’ARLA en décembre 2017, précisent que le processus d’avis d’opposition s’appliquera toujours à la réévaluation des néonicotinoïdes (le PDR), mais ne s’appliquera pas aux décisions concernant la conversion des homologations conditionnelles en homologations complètes (le PDH). Le PDH fera l’objet d’un processus de consultation publique et pourrait donner lieu à des décisions définitives en décembre 2018; à ce moment, une partie intéressée pourrait présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision définitive. Les demandeurs font valoir que, peu importe ces nouveaux éléments de preuve, le caractère adéquat de l’autre recours demeure discutable, car la modification apportée au processus de consultation touche uniquement le PDH et, là encore, de façon modeste seulement. Qui plus est, les demandes de contrôle judiciaire peuvent être entendues avant décembre 2018.

[115] Les demandeurs contestent également les arguments des défendeurs selon lesquels le dossier de chacune des 79 décisions en litige devrait être examiné, ce qui rendrait le contrôle judiciaire long et complexe. Ils font également valoir que le dossier ne serait pas aussi important qu’on le laisse entendre, car les allégations portent sur des données particulières concernant les insectes pollinisateurs et non pas sur les nombreux autres risques qui auraient pu être examinés par l’ARLA au moment d’homologuer les PA en cause. Même si le contrôle judiciaire sera complexe, il ne sera pas impossible à gérer. La protonotaire, en qualité de juge chargée de la gestion de l’instance, est manifestement au fait des questions en litige et de la portée.

VII. Les questions en litige

[116] La question en litige dans le présent appel est de savoir si la protonotaire a commis une erreur en concluant qu’il [était] permis de se demander si les demandes de contrôle judiciaire étaient liées à une ligne de conduite alléguée et s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs et, par conséquent, si elle a commis une erreur en refusant de radier les avis de demande des demandeurs. Les défendeurs semblent avoir réitéré à la Cour les mêmes arguments formulés auprès de la protonotaire.

[117] D’après les arguments avancés, il faut examiner les questions suivantes :

  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension et son application du critère pour radier une demande de contrôle judiciaire?
  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension du régime législatif et a-t-elle confondu l’objet et l’effet de l’article 8 et de l’article 12?
  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans la qualification des demandes des demandeurs?
  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension de la jurisprudence régissant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles et dans sa conclusion portant qu’il y avait lieu de se demander si les allégations pour lesquelles les demandeurs ont sollicité un contrôle judiciaire étaient liées à une ligne de conduite?
  • La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs?

VIII. La norme de contrôle

[118] Les défendeurs font valoir que les questions en litige sont des questions juridiques pour lesquelles la norme de contrôle est celle de la décision correcte et que la décision discrétionnaire de la protonotaire est fondée sur des erreurs manifestes et dominantes. Les défendeurs font aussi valoir que certaines erreurs découlent de questions de droit isolables et qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue. Par exemple, Bayer affirme que la protonotaire a qualifié les actes de procédure de manière erronée, ce qui, selon elle, constitue une erreur de droit isolable ayant mené à d’autres erreurs. Sumitomo affirme que la protonotaire a omis d’examiner un élément essentiel du critère juridique pour trancher s’il existait un autre recours approprié, entraînant ainsi une erreur de droit.

[119] Le procureur général du Canada, à titre de défendeur, fait valoir que la question de savoir si les questions en litige sont qualifiées comme des questions de droit ou des questions de droit et de fait est sans importance, car les erreurs sont si importantes qu’elles sont manifestes et dominantes et qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue.

[120] Les demandeurs font valoir que les défendeurs tentent de qualifier les erreurs alléguées de questions de droit isolables en vue d’obtenir un résultat particulier; cependant, les erreurs alléguées devraient être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[121] Les demandeurs font valoir que, en sa qualité de juge chargée de la gestion de l’instance, la protonotaire connaît très bien les questions et les circonstances particulières et, en conséquence, un niveau accru de retenue est justifié (Hospira). Ils soulignent qu’il existe une présomption réfutable voulant que la protonotaire ait examiné et apprécié tous les documents dont elle était saisie, et que ses motifs devraient être interprétés de manière holistique au moment de trancher si elle a commis une erreur manifeste et dominante (Mahjoub).

[122] Il n’est pas controversé entre les parties que le critère applicable pour réviser les ordonnances discrétionnaires rendues par les juges des requêtes, y compris les juges chargés de la gestion des instances, est énoncé dans l’arrêt Hospira. Ces ordonnances doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme civile d’appel ordinaire établie dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 (Housen). Les questions de droit doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, et les questions de fait appellent la retenue, à moins d’une erreur manifeste et dominante. Les questions de droit et de fait appellent également la retenue en l’absence d’une erreur manifeste et dominante, à moins que l’analyse ne contienne une erreur de droit ou une règle de droit isolable. Le cas échéant, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue (Hospira, au paragraphe 66).

[123] Une erreur de droit ou un principe isolables comprendraient l’« application d’une norme incorrecte, [...] l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou [...] une autre erreur de principe semblable » (Housen, au paragraphe 36). Plus récemment, dans l’arrêt Teal Cedar, la Cour suprême du Canada a mis en garde les instances inférieures contre le fait de conclure trop rapidement à des erreurs de droit isolables, constatant que « les questions mixtes, par définition, comportent des aspects de droit », ajoutant la mise en garde voulant que les avocats ont des raisons de « qualifie[r] stratégiquement une question mixte de question de droit ».

[124] Le juge Stratas a expliqué l’« erreur manifeste et dominante » dans l’arrêt Mahjoub au paragraphe 61 :

[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St-Germain, précité.

[125] Le juge Stratas a décrit l’erreur « manifeste » comme une erreur qui est évidente (au paragraphe 62) et l’erreur « dominante » (au paragraphe 64), comme « une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas “dominante”. Le jugement du tribunal de première instance demeure. »

[126] Le juge Stratas a également précisé la norme de contrôle applicable au pouvoir discrétionnaire exercé par un tribunal de première instance, ce qui comprendrait les décisions du juge chargé de la gestion de l’instance, en faisant remarquer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire fait intervenir l’application de normes juridiques aux faits tels qu’on les trouve, et qui sont des questions mixtes de fait et de droit (Mahjoub, au paragraphe 72). Il a expliqué ce qui suit au paragraphe 74 :

[74] En vertu de la jurisprudence Housen, les questions mixtes de droit et de fait, y compris l’exercice du pouvoir discrétionnaire, peuvent être annulées uniquement aux motifs d’une erreur manifeste et dominante — le seuil élevé décrit plus haut —, à moins qu’une erreur à l’égard d’une question de droit ou de règle de droit isolable ne soit présente. Donc, par exemple, si un tribunal d’appel peut discerner une erreur de droit ou de règle de droit sous-tendant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance, il peut renverser l’exercice du pouvoir discrétionnaire aux motifs de cette erreur. En d’autres termes, il s’agit de savoir si le pouvoir discrétionnaire était « entaché ou vicié » d’une méconnaissance de la loi ou de la règle de droit : arrêt Housen, au paragraphe 35.

[127] Il a également été tranché que la qualification de l’avis d’appel constituait une conclusion mixte de fait et de droit dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Santé), 2012 CAF 322, au paragraphe 9, 443 NR 291 (Apotex CAF).

[128] Contrairement aux arguments des défendeurs, la qualification de ces actes de procédure par la protonotaire constitue une conclusion de droit et de fait. Les autres questions en litige dans le présent appel, comme je l’ai expliqué ci-dessous, sont également des questions de droit et de fait. À moins que la protonotaire ait commis une erreur de droit isolable (par exemple, en omettant d’examiner un élément essentiel d’un critère juridique), la question en litige est de savoir si la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante – c.-à-d. une erreur évidente ayant une incidence sur l’issue de l’affaire.

IX. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension et son application du critère pour radier une demande de contrôle judiciaire?

[129] Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel a énoncé les exigences concernant les avis de demande de contrôle judiciaire, ainsi que la bonne approche à adopter pour les requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire.

[130] Au paragraphe 47, la Cour d’appel a réitéré que le critère à remplir pour radier un avis de demande de contrôle judiciaire est exigeant :

[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun [sic] chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959.

[131] Dans l’arrêt David Bull, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que de tels cas « doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations […] où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » [Non souligné dans l’original].

[132] Dans l’arrêt JP Morgan, au paragraphe 48, la Cour d’appel a expliqué le motif de ce critère exigeant : la compétence de radier un avis est fondée sur la compétence plénière de la Cour plutôt que sur une règle particulière; et, les demandes de contrôle judiciaires devraient être introduites et instruites sans délai et d’une façon sommaire. La Cour a ajouté qu’« [u]ne requête totalement injustifiée – de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience – fait obstacle à cet objectif ».

[133] La Cour a également souligné l’importance de lire l’avis de demande « de manière à saisir la véritable nature de la demande », faisant remarquer que « [l]a Cour doit faire une “appréciation réaliste” de la “nature essentielle” de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme [...] » (aux paragraphes 49 et 50, renvois omis).

[134] En outre, la Cour a traité la question de la recevabilité des affidavits dans le cadre d’une requête en radiation, confirmant que la règle générale est que les affidavits ne sont pas recevables (au paragraphe 51). La Cour a expliqué la justification : les affidavits peuvent donner lieu à des contre‑interrogatoires et des refus de répondre à des questions et ils risquent, en conséquence, de retarder l’examen des demandes de contrôle judiciaire; d’ailleurs, parce que les faits allégués dans l’avis de demande sont tenus pour avérés, cela élimine la nécessité de faire état des faits au moyen d’un affidavit. La Cour a ajouté qu’un défendeur doit signaler l’existence d’un vice fondamental et manifeste dans l’avis de demande et qu’« [u]n vice dont la démonstration nécessite le recours à un affidavit n’est pas manifeste » (au paragraphe 52).

[135] En l’espèce, les éléments de preuve par affidavit ont été reçus par la protonotaire, chacun comprenant de nombreuses pièces. La réception de tels éléments de preuve lors de la présentation d’une requête en radiation est inhabituelle et exceptionnelle. La preuve volumineuse présentée pour appuyer les thèses des demandeurs et des défendeurs met en évidence le débat entre les parties, mais ne réfute pas le principe voulant que, dans lors de la présentation d’une requête, les faits allégués dans les avis soient tenus pour avérés.

[136] Comme je l’ai déjà indiqué, le seuil à franchir pour radier des plaidoiriesnotamment un avis de demande – est élevé. Le « moye[n] exceptionne[l] » ou le « vice fondamental et manifeste » ne peut être cerné lorsqu’il n’y a aucune certitude (c.-à-d. lorsque les questions en litige sont discutables). La protonotaire comprenait manifestement ces principes. Elle s’est penchée sur la question de savoir si les avis de demandes et les demandes qu’ils contenaient étaient « manifestement irrégulièr[es] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[es] », et elle a conclu que ce n’était pas le cas. Comme je l’explique plus loin, d’après les conclusions qu’elle a tirées, la protonotaire n’a commis aucune erreur en refusant de radier les avis de demande.

X. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension du régime législatif et a-t-elle confondu l’objet et l’effet de l’article 8 et de l’article 12?

[137] Les défendeurs font valoir que la protonotaire a mal compris le régime législatif et qu’elle n’a pas compris que les avis visés à l’article 12 sont utilisés exclusivement après l’homologation d’un PA en application de l’article 8 (c.-à-d. après une conclusion selon laquelle les risques posés sont acceptables). Les défendeurs font valoir que cette mauvaise compréhension a mené la protonotaire à accepter qu’il existait une ligne de conduite à l’égard des avis visés à l’article 12, malgré le fait que la ligne de conduite alléguée n’avait rien à voir avec les conclusions recherchées (à savoir, l’invalidation des PA en litige), car une contestation fructueuse de la délivrance d’un avis visé à l’article 12 par l’ARLA n’invaliderait pas les homologations aux termes de l’article 8.

[138] Je ne suis pas d’accord pour dire que la protonotaire a mal compris le régime législatif. Elle a reconnu au paragraphe 11 de sa décision que « selon le paragraphe 8(1) de la Loi, le ministre (agissant par l’entremise de l’ARLA) doit homologuer un [PA] lorsque [les risques posés] sont “acceptables” ». La protonotaire a expliqué ce qui suit au paragraphe 12 :

Au moment de l’homologation, l’ARLA peut remettre au titulaire l’avis visé à l’article 12 de la Loi afin d’exiger de celui-ci qu’il effectue des essais, accumule des renseignements et surveille l’expérimentation du produit antiparasitaire et qu’il lui communique les renseignements supplémentaires ainsi obtenus dans le délai qu’elle précise. L’exécution de l’obligation énoncée dans l’avis visé à l’article 12 constitue une condition d’homologation du produit.

[Non souligné dans l’original.]

Elle a ajouté ce qui suit au paragraphe 13 :

Selon l’article 14 du [Règlement], si l’avis visé à l’article 12 est remis au titulaire lors de l’homologation du produit, l’homologation est conditionnelle et sa période de validité est d’environ trois ans.

[Non souligné dans l’original.]

[139] Le recours aux mots « renseignements supplémentaires » requis d’un « titulaire », « lors de l’homologation » par la protonotaire montre qu’elle n’était pas embrouillée à propos de l’application temporelle de l’article 12. Sa description du processus est exacte. Les motifs indiquent clairement que la protonotaire comprenait que les décisions d’homologation étaient rendues en application de l’article 8 et que les demandes de renseignements supplémentaires au moyen d’un avis visé à l’article 12 étaient formulées au moment de l’homologation, c.-à-d. simultanément à l’homologation.

XI. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans la qualification des demandes des demandeurs?

[140] Les défendeurs font valoir que la protonotaire a omis de faire une appréciation réaliste des avis de demande et que cela l’a menée à commettre une erreur en concluant à l’existence d’une ligne de conduite alléguée, qui n’était pas décrite dans les avis de demande. Les défendeurs font valoir qu’une appréciation réelle des avis de demande révèle qu’ils ciblent de nombreuses décisions hautement distinctes rendues en application de l’article 8.

[141] Comme je l’ai déjà indiqué, l’appréciation qu’a faite la protonotaire des avis de demande soulève des questions de droit et de fait, qui sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que les défendeurs puissent cerner une erreur de droit isolable (Apotex CAF, au paragraphe 9, Mahjoub, au paragraphe 74). Les défendeurs n’ont cerné aucune erreur de droit isolable. Les motifs de la protonotaire indiquent qu’elle comprenait le droit applicable et qu’elle l’a appliqué. Rien dans les motifs de la protonotaire ne laisse entendre qu’elle ait perdu de vue les principes régissant la façon de lire des actes de procédure. En conséquence, sa qualification des avis de demande appelle la retenue, à moins qu’elle ait commis une erreur manifeste et dominante (c.-à-d. une erreur évidence qui a une incidence sur l’issue de l’affaire (Mahjoub, aux paragraphes 62 et 64)). À mon avis, la qualification des avis de demande de la protonotaire ne contient aucune erreur de ce genre.

[142] Les avis de demande expliquent que l’ARLA peut uniquement homologuer des produits en application de l’article 8 lorsqu’elle s’est assurée que les risques posés par les PA sont acceptables. Les avis indiquent, en outre, que l’ARLA peut demander aux titulaires de fournir des renseignements supplémentaires sur les risques des produits au moyen d’un avis visé à l’article 12, ce qui transforme l’homologation en homologation conditionnelle. Les avis précisent que la LPA ne définit pas le terme [traduction] « homologation conditionnelle »; le Règlement prévoit plutôt que certaines dispositions de la Loi ne s’appliquent pas aux homologations conditionnelles. En outre, les avis contiennent une qualification exacte de l’incidence d’un avis visé à l’article 12 à l’égard d’un PA homologué, notamment le fait que les exigences autrement obligatoires en matière de consultation publique sont suspendues et que l’homologation est réputée valide pour une période de trois ans, sous réserve d’une prorogation lorsque les exigences énoncées dans l’avis visé à l’article 12 sont satisfaites. Dans la description de l’historique d’homologation des produits, les avis contiennent certaines allégations, dont les suivantes aux paragraphes 15 à 20 : [traduction]

  • Les PA en cause ont fait l’objet d’homologations conditionnelles.
  • Les données existantes présentent « une lacune majeure aux fins de l’évaluation du risque » des PA. Les demandeurs allèguent que ces renseignements auraient dû être demandés avant de rendre une décision en application de l’article 8.
  • Les titulaires ont tenté de convertir leurs homologations conditionnelles en homologations complètes lors de la présentation des données demandées au moyen d’un avis visé à l’article 12. Les homologations complètes n’ont pas été accordées, car les données n’ont pas encore été produites. Plutôt, l’ARLA a fixé de nouvelles échéances pour la présentation des données et a accordé d’autres homologations conditionnelles (qui seraient conditionnelles à la réception des données, comme demandé dans un nouvel avis visé à l’article 12).
  • L’ARLA a [traduction] « successivement prorogé les homologations des [PA] et a homologué de nouveaux [PA], et ce, sans [les renseignements nécessaires] ».

[143] Comme je l’ai déjà indiqué, la protonotaire a conclu (au paragraphe 20) que les demandeurs contestaient ce qui suit :

[...] la pratique apparemment illégale à laquelle l’ARLA se serait livrée en remettant des avis visés à l’article 12 qui ont eu pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires sur le risque de toxicité chronique que présentent la clothianidine, le thiaméthoxame et leurs préparations commerciales pour les insectes pollinisateurs, maintenant de ce fait en vigueur pendant plus d’une décennie les homologations conditionnelles de ces pesticides et de leurs préparations commerciales malgré l’absence d’études valides ou suffisantes.

[144] La protonotaire a conclu que l’utilisation inappropriée des avis visés à l’article 12 a été clairement invoquée et qu’elle correspondait à la ligne de conduite décrite et aux sanctions sollicitées dans les actes de procédure. La qualification de la protonotaire est conforme à la conduite alléguée dans les avis de demande.

[145] Comme le signalent les défendeurs et le reconnaissant les demandeurs, les avis de demande ne contiennent que quelques mentions particulières des avis visés à l’article 12. Cependant, lorsque les avis de demande sont interprétés de façon téléologique et pratique, comme l’exige la jurisprudence, le rôle principal de l’article 12 en ce qui concerne les allégations, ainsi que l’interaction entre les articles 12 et 8, est apparent.

[146] Par ailleurs, le fait qu’il n’y ait aucun avis visé à l’article 12 propre à chaque décision d’homologation est sans pertinence. Comme je l’ai déjà expliqué, l’article 15 du Règlement dispose qu’un avis visé à l’article 12 délivré pour un PA s’applique également aux PA liés ou connexes.

[147] L’importance accordée par les défendeurs au fait que le titre [traduction] « La conduite de l’ARLA est illégale » ne contient aucune mention de l’article 12 préfère la forme au fond. Ce titre est suivi d’une description de la façon dont le régime d’homologation a fonctionné, laquelle comprend l’allégation selon laquelle [traduction] « l’ARLA a homologué et successivement prorogé les homologations [...] sans renseignements suffisants » pour savoir si les risques posés par les PA étaient acceptables. Même si cet extrait n’invoque pas l’article 12, il n’invoque pas non plus d’autres dispositions de la Loi (p. ex. l’article 8). Il établit plutôt la ligne de conduite alléguée en fonction de la description de la Loi et de l’historique d’homologation des PA contenus dans les paragraphes précédents des avis de demande.

[148] La protonotaire n’a pas omis d’examiner l’argument des défendeurs, du procureur général du Canada et de Bayer voulant qu’une contestation judiciaire couronnée de succès à l’égard de la délivrance par l’ARLA d’un avis en application de l’article 12 ne permette pas d’invalider les homologations aux termes de l’article 8. Elle a traité cet argument dans le contexte de l’observation des défendeurs selon laquelle les demandeurs avaient qualifié différemment leurs actes de procédure en réponse à la requête en radiation. L’argument des défendeurs selon lequel même l’accueil d’un contrôle judiciaire des avis visés à l’article 12 n’invaliderait pas les homologations aux termes de l’article 8 porte à faux les allégations des demandeurs, lesquelles concernent l’interaction entre l’article 8 et l’article 12. Autrement dit, les demandeurs allèguent que l’article 12 a été utilisé d’une façon inappropriée afin de permettre l’homologation d’un PA en application de l’article 8, lequel n’aurait pas dû être homologué. Si une conclusion selon laquelle l’article 12 a été utilisé à cette fin était rendue, cela sous-entendrait (voire invaliderait) les décisions d’homologation individuelles rendues en application de l’article 8.

[149] De plus, la principale conclusion recherchée par les demandeurs n’est pas la cassation des décisions rendues en application de l’article 8, mais plutôt, comme il est établi au paragraphe 1A des avis de demande, la cassation des ordonnances en [traduction] « déclarant illégale la ligne de conduite de l’ARLA consistant à homologuer ou à modifier successivement [les PA] [...] tout en omettant de veiller à obtenir [les renseignements nécessaires manquants] ». Comme je l’ai fait remarquer, bien que chaque décision rendue en application de l’article 8 serait touchée par une telle déclaration, et même si la cassation des décisions est aussi expressément demandée, cela ne transforme pas le caractère essentiel des demandes en une attaque à l’égard de chacune des décisions d’homologation rendues aux termes de l’article 8, comme le font valoir les défendeurs.

[150] Dans la décision SRC, les demandeurs ont sollicité une déclaration selon laquelle la pratique systématique du défendeur de refuser de fournir des décisions de la Cour martiale non expurgées était illégale. Ils ont également demandé l’annulation de chaque décision de refus concernée. La Cour a néanmoins conclu que les demandeurs contestaient une même série d’actes. En l’espèce, comme dans la décision SRC, le fait que les demandeurs cherchent également à invalider des décisions n’élimine pas leur contestation relative à une ligne de conduite.

[151] La qualification des actes de procédure par la protonotaire ne renferme aucune erreur manifeste et dominante, peu importe le fait que les demandeurs sollicitent également la cassation des décisions d’homologation des PA. La nature essentielle des demandes est la contestation d’une ligne de conduite. La protonotaire comprenait la nature essentielle des demandes et l’a décrite de manière succincte dans sa décision.

XII. La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans sa compréhension de la jurisprudence régissant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles et dans sa conclusion portant qu’il y avait lieu de se demander si les avis de demande alléguaient une ligne de conduite?

[152] Tous les défendeurs font valoir que la protonotaire a commis une erreur dans son application de la jurisprudence pertinente et dans sa conclusion portant qu’il y avait lieu de se demander si les allégations des demandeurs pouvaient être décrites comme une ligne de conduite. Les défendeurs font valoir qu’il n’y a aucun débat et que, par conséquent, les exigences du paragraphe 18.1(2), qui impose un délai de prescription de 30 jours, et de l’article 302 des Règles, qui dispose qu’une seule décision peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, s’appliquent.

A. Les dispositions législatives pertinentes

[153] Les paragraphes 18.1(1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

[154] L’article 302 des Règles des Cours fédérales :

302 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302 Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

B. Les principes tirés de la jurisprudence

1) Paragraphe 18.1(2)

[155] En règle générale, les questions de délai (paragraphe 18.1(2)) sont traitées à l’étape de la demande et non lors de la présentation d’une requête en radiation (Hamilton-Wentworth (Regional Municipality) c Canada (Minister of The Environment) (2000), 187 FTR 287, [2000] ACF no 440) (Hamilton-Wentworth); voir également la décision James Richardson, au paragraphe 14).

[156] La jurisprudence a établi que le mot « objet » au paragraphe 18.1(1) a une portée plus générale que les termes « décision ou [...] ordonnance » au paragraphe 18.1(2). Le délai de prescription de 30 jours établi au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas lorsqu’un demandeur sollicite le contrôle d’un « objet » qui n’est pas une « [...] décision ou [une] ordonnance » (Krause c Canada, [1999] ACF no 476, au paragraphe 21, [1999] 2 CF 476 (CA) (Krause) Fisher, au paragraphe 72, SRC, au paragraphe 23).

[157] La jurisprudence donne une indication de ce qui constitue un « objet ». Un « objet » comprend une politique ou une ligne de conduite. Par exemple, des contestations de la légalité des politiques gouvernementales permanentes sont des objets qui ne sont pas assujettis au délai de prescription de 30 jours (voir les arrêts Sweet c Canada, [1999] ACF no 1539, au paragraphe 11, 249 NR 17 (CA) (Sweet) concernant une contestation d’une politique de double occupation dans les prisons; Moresby Explorers Ltd. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, [2008] 2 RCF 341 (Moresby), portant sur une contestation à l’égard d’une politique concernant la réserve d’un parc; May c CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, 420 NR 23, concernant une contestation à l’égard d’une politique du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes excluant un chef de parti d’un débat télévisé). De telles politiques peuvent être contestées en tout temps, même avant d’être appliquées au cas particulier d’un demandeur (Moresby, au paragraphe 24).

[158] Dans l’arrêt Krause, les demandeurs ont contesté le défaut systématique de la défenderesse de s’acquitter de ses obligations prévues par la loi en omettant de créditer certaines sommes au Compte de pension de retraite de la fonction publique pour chaque année budgétaire, comme l’exige la Loi sur la pension de la fonction publique. Le défaut de la défenderesse de le faire découlait de la mise en œuvre d’une procédure comptable. La Cour fédérale a radié la demande au motif du délai, concluant que la mise en œuvre de la procédure comptable était une « décision » assujettie au paragraphe 18.1(2). En appel, la Cour d’appel n’était pas d’accord et a conclu que la demande ciblait les décisions qui mettaient en œuvre la pratique comptable chaque année budgétaire et que cela constituait une ligne de conduite qui n’était pas assujettie au paragraphe 18.1(2). La Cour a indiqué ce qui suit au paragraphe 23 :

Il est vrai qu’à un moment donné, il y a eu décision interne au sein du ministère d’adopter les [pratiques comptables] et de les mettre en application au cours des exercices subséquents. Ce n’est cependant pas cette décision générale que vise le recours des appelants, mais les actes accomplis par les ministres responsables pour mettre à exécution cette décision et auxquels les appelants reprochent d’être invalides ou illégaux [...] [E]n faisant ce qu’ils ont fait au cours de l’exercice 1993-1994 et des exercices subséquents, ils ont contrevenu aux dispositions applicables de ces deux lois et n’ont donc pas rempli leurs obligations en la matière, et que ces agissements se poursuivront si la Cour n’intervient pas pour faire respecter l’état de droit. Ce n’est qu’après que la Section de première instance aura entendu le recours en contrôle judiciaire qu’on pourra savoir si cette prétention est fondée ou non.

[159] De même, dans la décision Airth c Canada (Revenu national), 2006 CF 1442, [2007] 2 CTC 149 (Airth), le demandeur a tenté de contester 42 demandes de renseignements délivrés par le défendeur. Ce dernier a présenté une demande en radiation pour le motif qu’elle contrevenait au paragraphe 18.1(2). La Cour s’est fondée sur l’arrêt Krause et a conclu que même si la demande de contrôle judiciaire ciblait plusieurs décisions, chaque décision faisait partie d’une ligne de conduite contestée par les demandeurs et qu’il s’agissait d’un objet qui n’était pas assujetti au paragraphe 18.1(2). La Cour a également souligné le critère exigeant à remplir pour obtenir la radiation d’une demande (citant l’arrêt David Bull) et elle a indiqué que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » (au paragraphe 11). La Cour a reconnu que la requête avait été présentée au début de l’instance et que sa conclusion « [...] ne port[ait] en rien atteinte à la capacité du juge qui instruira la demande de contrôle judiciaire à examiner la question de nouveau, ce qui est la voie habituelle et préférable lorsqu’on veut attaquer les défauts d’un avis de demande de contrôle judiciaire » (au paragraphe 13).

[160] Même si la Cour, dans la décision Airth, n’a pas mentionné l’article 302 des Règles, elle a ajouté au paragraphe 12, « [d]ans la mesure où il y a lieu de tenir compte du facteur de l’économie judiciaire dans la décision, je ne vois pas l’utilité de radier la présente demande de contrôle judiciaire pour voir contester de nouveau devant notre Cour la même ligne de conduite lorsque quelque autre mesure sera prise par suite des DR ». La Cour a également fait remarquer que le contrôle judiciaire de 42 décisions peut être difficile à gérer et elle a conclu que la gestion de l’instance était appropriée (au paragraphe 14).

[161] Des décisions subséquentes ont apporté des précisions sur ce que l’on considère comme une ligne de conduite. Dans la décision Fisher, le demandeur, une personne en liberté conditionnelle, a été touché par une résolution adoptée par la Commission des libérations conditionnelles en 1996, qui imposait des restrictions pour lesquelles il avait précédemment obtenu une exemption. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la résolution de 1996 de nombreuses années plus tard, faisant valoir qu’il ne contestait pas une décision, mais une politique continue. La Cour s’est fondée sur l’arrêt Krause et les décisions où les juges ont appliqué cet arrêt, et elle a décrit l’incidence de l’arrêt Krause au paragraphe 73 :

L’arrêt Krause fait autorité quant au principe voulant que la prise d’une décision générale ne fasse pas courir un délai qui empêche le contrôle des mesures de mise en œuvre, la logique inattaquable étant que nul ne devait être empêché de demander justice « du seul fait que le supposé acte […] illégal découle d’une décision antérieurement prise en la matière ». La Cour n’affirme pas dans l’arrêt Krause que la décision générale est elle-même susceptible de contrôle. Toutefois, la jurisprudence a ensuite appliqué l’arrêt Krause de manière à permettre à la cour de révision de se pencher sur la décision générale, sur les mesures de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement envers le demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

[162] Dans la décision Fisher, la Cour a également souligné que d’autres affaires, notamment la décision Airth, avaient saisi l’esprit de l’arrêt Krause, parce qu’elle fait ressortir clairement que « la question importante n’est pas celle de savoir si la politique elle‑même ou les mesures particulières prises pour la mettre en œuvre sont contestées, mais plutôt celle de savoir s’il existe une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales que le demandeur cherche à empêcher » (au paragraphe 79). La Cour a conclu qu’il existait une telle ligne de conduite liée; en conséquence, le paragraphe 18.1(2) ne s’appliquait pas à la contestation du demandeur relative à ladite résolution.

[163] Dans la décision SRC, les demandeurs ont sollicité l’examen du refus continu de l’administrateur des cours martiales (ACM) de fournir des copies non expurgées des décisions assujetties à une ordonnance de non-publication. Les demandeurs ont allégué qu’il s’agissait d’une pratique continue illégale. En concluant que la pratique continue alléguée constituait une ligne de conduite et qu’elle n’était pas assujettie au délai de prescription de 30 jours, la Cour a mentionné ce qui suit, aux paragraphes 26 et 27 :

[26] La demande de contrôle judiciaire ne découle pas d’une seule décision de l’ACM. La SRC a plutôt demandé, à différents moments, plusieurs décisions visées par une interdiction de publication et, à chaque occasion, l’ACM a informé la SRC qu’elle devait, conformément à l’interdiction de publication, supprimer tout renseignement qui pourrait divulguer l’identité du plaignant ou d’un témoin dans l’affaire. À mon avis, c’est la pratique continue de l’ACM d’expurger les décisions des cours martiales faisant l’objet d’une interdiction de publication qui est présumée illégitime et visée par le contrôle judiciaire.

[27] De plus, le recours demandé par la SRC dans son avis de demande de contrôle judiciaire confirme également que c’est une série d’actes qui est en cause : le recours demandé inclut une déclaration selon laquelle la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas aux dossiers des cours martiales, ainsi qu’une ordonnance de mandamus pour que l’ACM remette à la SRC des copies non expurgées des décisions demandées. Même si je reconnais que la SRC demande également une ordonnance annulant la décision de l’ACM de refuser de communiquer des copies non expurgées des quatorze (14) décisions en cour martiale, je ne crois pas que ce recours en particulier s’éloigne de la conclusion selon laquelle c’est une série d’actes qui est en cause. Fondamentalement, la SRC conteste la pratique adoptée par l’ACM d’expurger les décisions de la cour martiale qui font l’objet d’une interdiction de publication.

2) Article 302 des Règles

[164] La jurisprudence a également établi les circonstances pouvant justifier une exception à l’article 302 des Règles afin de permettre le contrôle judiciaire de plus d’une ordonnance. Les exceptions sont accordées lorsqu’un demandeur conteste une même série d’actes ou une ligne de conduite.

[165] Dans la décision Mahmood c Canada, [1998] ACF no 1345, 154 FTR 102 (1re inst.) (Mahmood), le demandeur a tenté de contester tant la révocation de son passeport que le refus des services consulaires par des fonctionnaires canadiens. La Cour a accueilli la requête du défendeur de radier la demande, en faisant remarquer ce qui suit, au paragraphe 10 :

Bien que la règle prévoie qu’une seule décision (à présent, une seule « ordonnance ») peut être contestée, la Section de première instance a également reconnu que les mesures ou les décisions qui se poursuivent peuvent également faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) [maintenant l’article 302 des Règles] (voir par exemple Puccini c. Canada (Ministère de l’Agriculture), [1993] 3 C.F. 557). Cependant, dans ces cas, les mesures en question étant de nature continue, le demandeur avait d’autant plus de difficultés à préciser pour quelle décision il pouvait demander une mesure de redressement auprès de la Cour. Il ne s’agissait pas, comme en l’espèce, de deux situations de fait différentes, de deux conclusions différentes recherchées ou de deux organismes décideurs différents. La Cour a conclu que les deux questions n’équivalaient pas à une « décision continue du même organisme ». La Cour a ajouté que le demandeur pouvait déposer un avis de requête introductive d’instance distinct après avoir présenté une demande d’autorisation de prorogation de délai pour ce faire.

[166] Dans la décision Truehope, la Cour a examiné la jurisprudence et a conclu, d’après les faits dont elle était saisie, qu’une exemption à l’article 302 des Règles était justifiée. La Cour a souligné que l’article 302 des Règles « exprime la politique dont l’objectif est d’assurer une méthode rapide et ciblée pour contester une seule décision ou ordonnance » (au paragraphe 5). La Cour a mentionné ce qui suit, au paragraphe 6 :

Les actes ou décisions continus peuvent faire l’objet d’un contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) [maintenant l’article 302 des Règles]; toutefois, les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents (Mahmood [...] (renvoi omis)).

[167] Dans la décision Mahmood, la Cour, en soulignant les similitudes et les différences dans les deux décisions, semble avoir simplement tiré des conclusions de fait concernant la question de savoir si la demande ciblait un acte continu. Cependant, dans la décision Truehope, la Cour semble avoir adopté les éléments de la décision Mahmood comme une règle. La Cour, dans la décision Truehope, a conclu que les deux décisions en litige pouvaient être contestées au moyen d’une seule demande (c.-à-d. exemptée de l’article 302 des Règles), en fonction des similitudes entre les décisions, notamment le décideur, le fondement des décisions, et les questions juridiques concernées (au paragraphe 18). La Cour a indiqué ce qui suit au paragraphe 19 :

À mon avis, les distinctions entre les deux décisions telles qu’elles ont été présentées par les défendeurs ne l’emportent pas sur les similitudes, et ces distinctions ne sont pas si complexes qu’elles risquent d’engendrer la confusion, et exiger que deux demandes de contrôle judiciaire distinctes soient présentées, compte tenu des similitudes, constituerait une perte de temps et d’efforts.

[168] Dans la décision Khadr c Canada (Ministre des Affaires Étrangères), 2004 CF 1145, 266 FTR 20 (Khadr), le demandeur a tenté de contester deux décisions, une alléguant le défaut du ministre de fournir à ce dernier des services consulaires et l’autre portant sur les interrogatoires menés par des fonctionnaires du ministère, alors que le demandeur se trouvait à Guantanamo. La Cour a invoqué la décision Truehope à l’appui de la proposition selon laquelle un demandeur ne peut pas contester deux décisions au moyen d’une seule demande « à moins qu’il ne puisse être démontré que les décisions en question faisaient partie d’une même série d’actes » (au paragraphe 9). La Cour a conclu que les deux décisions ne pouvaient pas être contestées dans la même demande comme une même série d’actes, car elles « [avaient] été prises à des époques différentes et [touchaient] des aspects différents » (au paragraphe 10). La Cour a également conclu qu’il existait des procédures parallèles dans lesquelles on demandait la même sanction.

3) L’article 302 des Règles et le paragraphe 18.1(2)

[169] Dans la décision Association des sourds du Canada c Canada, 2006 CF 971, [2007] 2 RCF 323 (Association des sourds du Canada), la Cour a examiné l’article 302 des Règles et le paragraphe 18.1(2). Elle a souligné dès le début que la demande sollicitait le contrôle judiciaire de plusieurs actes discriminatoires allégués commis à différentes occasions par diverses personnes travaillant pour des ministères différents. La Cour s’est penchée sur la question de savoir si les décisions étroitement liées de façon à constituer une même série d’actes ou un même objet. La Cour a souligné la jurisprudence concernant l’article 302 des Règles, notamment les décisions Khadr et Truehope, et concernant le paragraphe 18.1(2), notamment l’arrêt Sweet et la décision Puccini c Canada (Directeur général, Services de l’administration corporative, Agriculture Canada), 1993 CanLII 2973, [1993] 3 CF 557 (1re inst.) (qui a été également cité dans la décision Mahmood).

[170] En ce qui concerne l’article 302 des Règles, la Cour a conclu ce qui suit au paragraphe 66 :

En l’espèce, le point commun entre les quatre demandeurs, c’est que leur situation a découlé de l’application du même ensemble de lignes directrices visant la prestation de services d’interprétation. Bien que chaque incident ait mis en cause des faits et des décisionnaires distincts (des ministères et des fonctionnaires différents), le fond de la question a trait à l’application de la même politique à la même communauté. Je suis d’avis, par conséquent, qu’il serait déraisonnable de scinder la demande.

[171] Relativement au paragraphe 18.1(2), la Cour a considéré les décisions étroitement liées comme une politique continue, faisant remarquer ce qui suit, au paragraphe 72 :

J’admets la prétention des demandeurs selon laquelle le délai de trente jours n’est pas applicable lorsque la demande de contrôle judiciaire n’a pas trait à la décision ou à l’ordonnance d’un office fédéral. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17, paragraphe 11, [1999] A.C.F. no 1539 (QL), relativement à une politique de double occupation des cellules, celle‑ci est « d’application courante et peut être contestée à tout moment; le contrôle judiciaire avec les réparations y afférentes tels le jugement déclaratoire, les recours extraordinaires et l’injonction, est la procédure appropriée pour porter la contestation devant la Cour ».

[172] L’analyse de la Cour portant sur la même série d’actes alléguée par les demandeurs, qui consistait en un refus systémique d’offrir des services d’interprétation gestuelle, a orienté les conclusions concernant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles. La Cour a reconnu qu’un délai déraisonnable ou indu dans la présentation de la demande pourrait tout de même empêcher un contrôle judiciaire (au paragraphe 73). Cependant, elle a conclu que « le fond de la question [avait] trait à l’application de la même politique à la même communauté ». Bien que différents décideurs aient été concernés et que les décisions aient été rendues à des époques différentes, la Cour a conclu que la même politique était en litige et que la demande de contrôle judiciaire pouvait être entendue.

4) Résumé

[173] Pour résumer, la jurisprudence susmentionnée met en évidence ce qui suit :

  • Les questions de délai (c.-à-d. l’application du paragraphe 18.1(2)) sont généralement traitées à l’étape de la demande et non pas lors de la présentation d’une requête en radiation (décision Hamilton-Wentworth; voir également les décisions James Richardson, au paragraphe 14, et Airth, au paragraphe 13).
  • Le délai de prescription de 30 jours établi au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas lorsqu’un demandeur demande le contrôle d’un objet, qui n’est pas une décision ou une ordonnance (Krause, SRC).
  • Un objet comprend une politique ou une ligne de conduite (Airth, Sweet, Moresby).
  • Une ligne de conduite comprend une « décision générale, sur les mesures de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement » (Krause, Fisher).
  • Dans le contexte des décisions et des actes du gouvernement, l’accent porte sur la question de savoir s’il existe « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales » (Fisher, au paragraphe 79).
  • Une ligne de conduite peut également comprendre une pratique continue (SRC, au paragraphe 26).
  • Tant la jurisprudence relative à l’article 302 des Règles que celle relative au paragraphe 18.1(2) ont tendance à utiliser l’expression « ligne de conduite », et elles comportent un examen de la présence de décisions étroitement liées.
  • Plus d’une décision peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire au moyen d’une seule demandeà titre d’exception à l’article 302 des Règleset lorsqu’il s’agit d’un acte continu (Mahmood, Truehope) ou, comme on l’a qualifié dans la décision Khadr, une même série d’actes. Les facteurs à examiner pour déterminer s’il existe un acte continu ou une même série d’actes comprennent notamment la question de savoir si les décisions sont étroitement liées; la question de savoir s’il y a des similitudes ou des différences dans les faits, notamment le type de conclusions recherchées, les questions juridiques soulevées, le fondement de la décision et les organismes décisionnels; la question de savoir s’il est difficile de cerner une décision unique; et, en fonction des similitudes et des différences, la question de savoir si le fait de procéder à des contrôles judiciaires distincts entraînerait une perte de temps et d’énergie (Mahmood, Truehope).

C. La protonotaire n’a commis aucune erreur en associant l’article 302 des Règles au paragraphe 18.1(2) ou en déterminant qu’il y avait lieu de se demander s’il y existait une ligne de conduite.

1) La protonotaire n’a pas associé l’analyse du paragraphe 18.1(2) à celle de l’article 302 des Règles.

[174] Les défendeurs font valoir que, malgré le fait que l’expression « ligne de conduite » est utilisée dans la jurisprudence tant pour l’article 302 des Règles que pour le paragraphe 18.1(2), les justifications concernant les deux dispositions sont différentes et une analyse distincte est requise pour chacune d’elle. Ils font valoir que l’article 302 des Règles porte sur l’efficacité judiciaire, alors que le paragraphe 18.1(2) porte sur le caractère définitif. Par conséquent, la conclusion de l’existence d’une « ligne de conduite » aux termes d’une disposition ne peut être déterminante de l’issue aux termes de l’autre.

[175] Contrairement à l’observation des défendeurs, la jurisprudence n’a pas établi comme un principe clair que les analyses requises sont complètement différentes. Au lieu de cela, la jurisprudence a mis l’accent sur la question dont le tribunal était saisià savoir si le paragraphe 18.1(2) ou si l’article 302 des Règles était en cause.

[176] Aux fins d’une exception à l’article 302 des Règles ou au paragraphe 18.1(2), les facteurs pour trancher si les demandes sont liées à des décisions distinctes ou à une ligne de conduite sont similaires et dépendent des faits. Dans certains cas, une conclusion portant qu’une ligne de conduite existe aux termes du paragraphe 18.1(2) semble mener à la même conclusion selon l’article 302 des Règles. Par exemple, dans la décision du juge chargé de la gestion de l’instance dans l’affaire Apotex Inc c Canada (Santé), 2010 CF 1310, [2010] ACF no 1634, la Cour a conclu qu’il y avait lieu de se demander si l’objet constituait une ligne de conduite aux fins du paragraphe 18.1(2) (au paragraphe 12). La Cour a ensuite procédé à son analyse en application de l’article 302 des Règles, en soulignant qu’en vue de la conclusion selon laquelle l’objet de la demande « est une question pouvant faire l’objet d’un débat qui doit être tranché par le juge saisi de la demande, il s’ensuit que la question concernant l’application de l’article 302 des Règles devrait également être laissée au juge saisi de la demande » (au paragraphe 14). À l’étape de la demande, la Cour a conclu que celle-ci contrevenait à la fois au paragraphe 18.1(2) et à l’article 302 des Règles, mais, dans son analyse, elle n’a pas remis en cause le traitement singulier de la question en litige par le juge chargé de la gestion de l’instance ni établi une distinction entre les deux dispositions (Apotex Inc. c Canada (Santé), 2011 CF 1308, au paragraphe 21, 400 FTR 28).

[177] Dans certains cas, les facteurs habituellement examinés aux termes d’une disposition sont examinés aux termes de l’autre, ce qui suggère que les analyses ne sont pas très distinctes. Cela s’est produit dans la décision Airth, où la Cour s’est penchée sur l’application du paragraphe 18.1(2) et n’a pas examiné expressément l’article 302 des Règles. La Cour a conclu que la complexité du contrôle judiciaire de plusieurs (42) décisions constituait un facteur pertinent (qui est généralement examiné relativement à l’article 302 des Règles), en soulignant que cette question pouvait être tranchée par le juge chargé de la gestion de l’instance.

[178] À mon avis, lorsque la Cour conclut qu’une demande conteste « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales », qui peut attaquer [traduction] « une politique, les décisions de mise en œuvre ou une combinaison des deux » (comme dans les décisions Airth et Fisher ou dans l’arrêt Krause) – c.-à-d. des affaires où les tribunaux ont conclu que le paragraphe 18.1(2) ne s’appliquait pas – il est possible que, dans certains cas, cela soit répétitif ou redondant de mener une analyse entièrement distincte de la question de savoir si la conduite en litige concerne des décisions étroitement liées aux fins de l’article 302 des Règles. Bien que les objets des deux dispositions soient différents, la ligne de conduite alléguée serait la même.

[179] Comme je l’ai déjà indiqué, les défendeurs font valoir que la protonotaire a commis une erreur en associant l’analyse aux termes du paragraphe 18.1(2) et de l’article 302 des Règles. La défenderesse, Bayer, fait également valoir que la protonotaire a, dans les faits, uniquement effectué l’analyse relative à l’article 302 des Règles. La lecture des motifs de la protonotaire ne permet pas de justifier les arguments des défendeurs. La protonotaire a expressément souligné l’argument des défendeurs selon lequel l’examen de 79 décisions contrevenait à l’article 302 des Règles, la date de la plupart des décisions fondées sur l’article 8 dépassait le délai de prescription de 30 jours et ces dernières contrevenaient au paragraphe 18.1(2). La protonotaire a exprimé sa compréhension des différents objets des deux dispositions et elle a mentionné la jurisprudence où les tribunaux se sont penchés sur la question de savoir s’ils pouvaient conclure à une ligne de conduite dans le contexte de l’article 302 des Règles et du paragraphe 18.1(2), tout en faisant remarquer que l’expression « même série d’actes » est utilisée pour les deux dispositions. Elle a également mentionné les considérations pertinentes à l’égard du paragraphe 18.1(2) et de l’article 302 des Règles (aux paragraphes 8 et 9).

[180] La protonotaire a souligné, au paragraphe 34, que « la question de savoir si les demandes sous-jacentes concernent une même série d’actes – plutôt que plusieurs décisions isolées – est une question de fait ».

[181] Elle a ensuite examiné les faits, notamment en abordant de façon détaillée (aux paragraphes 34 et 35 de sa décision) les arguments des demandeurs et des défendeurs concernant les similitudes et les différences entre les décisions d’homologation.

[182] Même si une grande partie de l’analyse de la protonotaire consiste à relever les différences et les similitudes entre les décisions d’homologation contestées – ce qui est habituellement une considération aux termes de l’article 302 des Règles – on ne peut interpréter sa décision comme examinant uniquement l’article 302 des Règles. La protonotaire s’est également penchée sur la jurisprudence régissant le paragraphe 18.1(2), notamment l’arrêt Krause et la décision Fisher, et elle l’a appliquée. De plus, en concluant qu’il y avait lieu de se demander si les demandes visaient une ligne de conduite, l’analyse de la protonotaire est manifestement allée au-delà d’un examen des similitudes et des différences entre les décisions contestées. La protonotaire a souligné l’allégation des demandeurs selon laquelle l’ARLA a systématiquement « appliqué la Loi et le Règlement de la même façon » au fil des ans et portant que les « homologations conditionnelles des préparations commerciales de la clothianidine et du thiaméthoxame sont inexorablement liées entre elles de différentes façons depuis 2006 [...] » (au paragraphe 35). Il s’agit de considérations concernant la méthode ou la pratique adoptée pour rendre ces décisions et visant à déterminer s’il existe « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales que le demandeur cherche à empêcher » (Fisher), qui sont pertinentes à l’analyse relative au paragraphe 18.1(2).

[183] Même si la protonotaire n’a pas compartimenté son analyse relativement à l’application du paragraphe 18.1(2) et de l’article 302 des Règles, elle n’a manifestement pas fait fi du paragraphe 18.1(2); elle a examiné les deux dispositions. Son analyse visant à déterminer si les demandeurs tentaient de contester une ligne de conduite s’appliquait à l’article 302 des Règles et au paragraphe 18.1(2), car beaucoup de facteurs étaient pertinents aux deux dispositions.

2) La protonotaire n’a commis aucune erreur en n’effectuant qu’une partie de l’analyse relative à l’article 302 des Règles; elle a procédé à une analyse complète.

[184] La défenderesse, Bayer, affirme également que la protonotaire a commis une erreur dans son analyse visant à trancher si l’article 302 des Règles s’appliquait, notamment en n’examinant que les similitudes et les différences entre les décisions, et en omettant de tenir compte de l’efficacité judiciaire.

[185] L’argument selon lequel la protonotaire a commis une erreur dans son analyse relative à l’article 302 des Règles est sans fondement. La protonotaire a examiné attentivement les différences et les similitudes entre les décisions. Les différences soulignées par les défendeurs portent sur le fait que chaque décision a été rendue en fonction du dossier dont l’ARLA était saisie à l’époque et à l’égard des caractéristiques particulières de la demande d’homologation. Cependant, on ne peut faire fi des similitudes entre les décisions, notamment le fait que le même décideur a rendu toutes les décisions; que deux ingrédients actifs sont en cause malgré les préparations différentes; que les titulaires sont les quatre sociétés défenderesses et que les données demandées de façon répétée et systématique au moyen d’avis visés à l’article 12 sont très similaires, bien que non identiques. Ces facteurs correspondent à ceux soulignés dans la jurisprudence où on a conclu à une ligne de conduite, ou à « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales ».

[186] La protonotaire s’est penchée sur les arguments des défendeurs selon lesquels une ligne de conduite ne pouvait être établie, car les décisions étaient trop nombreuses et différentes, aucune politique n’était en litige et des décisions individuelles pouvaient être isolées. La protonotaire a cité la même jurisprudence que celle citée par les défendeurs devant la Cour.

[187] À l’égard de l’argument de la défenderesse, Bayer, voulant que la protonotaire ait uniquement procédé à l’analyse partielle fondée sur l’article 302 des Règles – en comparant les similitudes et les différences entre les décisions, mais en omettant de tenir compte de l’efficacité judiciaire – ce n’est pas le cas. La protonotaire a expressément mentionné les décisions Truehope et Whitehead, en notant que la Cour avait conclu que lorsque les similitudes entre les décisions contestées l’emportent sur leurs différences, leur contrôle devrait avoir lieu au moyen d’une seule demande, car l’audition de plus d’une demande de contrôle judiciaire constituerait une perte de temps et d’énergie (c.-à-d. que cela serait inefficace). Les décisions Truehope et Whitehead soulignent toutes deux que l’examen visant à trancher si l’audition de plus d’une demande constituerait une perte de temps et d’énergie est lié à l’évaluation des similitudes et des différences et il en découle, ce que la protonotaire a reconnu.

[188] La protonotaire s’est également penchée sur la question de savoir si l’instruction des demandes de contrôle judiciaire représenterait un gaspillage des ressources judiciaires dans le contexte de l’évaluation du caractère adéquat de l’autre recours (au paragraphe 45).

3) La protonotaire n’a commis aucune erreur à d’autres égards.

[189] En réponse à l’argument des défendeurs selon lequel il ne peut exister une ligne de conduite, car aucun élément de preuve ne démontre une décision générale de l’ARLA ou une politique concernant la délivrance des avis visés à l’article 12, la protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant que l’absence d’une politique explicite ou officielle n’est pas fatale. Dans l’arrêt Krause, les demandeurs ont soutenu qu’ils contestaient une « politique ou pratique continue » (au paragraphe 11, non souligné dans l’original). Dans la décision Airth, les demandeurs ont contesté l’argument selon lequel la délivrance de 42 demandes de renseignements constituait une ligne de conduite, faisant valoir qu’ils tentaient d’attaquer la « décision [...] d’agir par voie de DR » à leur endroit. Aucune politique continue n’était en litige dans la décision Airth. Les demandeurs contestaient plutôt une pratique prétendument illégale consistant à délivrer des DR à leur endroit. La Cour a conclu, en s’appuyant sur l’arrêt Krause, que la demande visait à contester à juste titre une ligne de conduite (au paragraphe 9).

[190] La décision SRC étaye aussi la thèse selon laquelle une pratique continue peut constituer une ligne de conduite. Dans cette affaire, la SRC a contesté le « refus continu de l’ACM de fournir des copies non expurgées des décisions des cours martiales », en fonction de sa compréhension portant que la Loi sur la protection des renseignements personnels empêchait le défendeur de le faire (au paragraphe 27). La SRC sollicitait une déclaration selon laquelle la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’appliquait pas et une ordonnance annulant chacune des décisions de refus attaquées. Il était constant qu’il n’existait aucune politique en soi qui régissait l’approche du défendeur. La Cour est arrivée à la conclusion que les demandeurs avaient contesté à juste titre une pratique continue qui correspondait à une ligne de conduite, qui n’était donc pas assujettie au délai de prescription ordonné au paragraphe 18.1(2). La Cour a tiré cette conclusion malgré le fait que les demandeurs contestaient également les décisions individuelles, ce qui, selon la conclusion de la Cour, ne « s’[éloignait] » pas du fait que, « [f]ondamentalement, la SRC [contestait] la pratique adoptée par l’ACM d’expurger les décisions de la cour martiale [...] ». De même, en l’espèce, les demandeurs sollicitent une déclaration selon laquelle la ligne de conduite alléguée – qui est décrite comme une pratique – est illégale, ainsi que des ordonnances déclarant que les homologations des produits sont invalides.

[191] Dans les décisions SRC et Airth, la Cour s’est penchée sur les contestations à l’égard d’une pratique et d’une méthode, respectivement, et non pas à l’égard d’une politique explicite. En l’espèce, la protonotaire a conclu que les demandeurs contestaient une « pratique [alléguée] apparemment illégale à laquelle l’ARLA se serait livrée en remettant des avis visés à l’article 12 qui ont eu pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires » (au paragraphe 20, non italisé dans l’original). Dans la décision Fisher, la Cour a souligné que l’accent portait sur la question de savoir s’il existait « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales ». Dans la décision Association des sourds du Canada, la Cour a conclu que « le fond de la question avait trait à l’application de la même politique [...] », même si les décisions avaient été rendues par des décideurs différents. En l’espèce, on allègue que le même décideur, l’ARLA, pour le compte du ministre de la Santé, a adopté la même approche ou a suivi la même pratique dans au moins 55 de 79 décisions (les autres étant liées).

[192] Malgré les éléments de preuve inhabituellement nombreux dans la présente requête en radiation, la Cour présume toujours que les faits allégués sont vrais. La preuve ne réfute pas la présomption. Les avis de demande allèguent que les décisions d’homologation ont été rendues en l’absence de renseignements suffisants, au moyen de l’article 12. La question consiste à décider s’il y a lieu de se demander si cela constitue une ligne de conduite alléguée. Bien qu’aucun élément de preuve dans ce dossier volumineux n’établisse qu’il existe une politique explicite relativement à l’utilisation des avis visés à l’article 12, les éléments de preuve présentés par l’ensemble de parties démontrent que l’historique des homologations des PA en cause comprend de nombreux avis visés à l’article 12, lesquels ont été délivrés pour demander des renseignements supplémentaires à propos des risques de toxicité pour les insectes pollinisateurs. La nature des renseignements demandés variait selon les demandes d’homologation examinées, il pouvait s’agir de demandes de conversion ou d’autres demandes, mais dans presque tous les cas, certains renseignements supplémentaires en application de l’article 12 ont été demandés afin de connaître les risques de toxicité à long terme pour les insectes pollinisateurs, et les homologations ont été prolongées en tant qu’homologations conditionnelles, et non pas en tant qu’homologations complètes. La conclusion de la protonotaire selon laquelle il s’agissait d’une pratique ou d’une approche uniforme, même s’il n’existait aucune politique explicite, ce qui pourrait être qualifié de ligne de conduite, est justifiée par les faits allégués dans les avis de demande, les éléments de preuve qu’elle a examinés et la jurisprudence.

[193] Je ne retiens pas l’argument des défendeurs voulant que la protonotaire ait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que des décisions individuelles pouvaient être isolées, ou que ce facteur empêchait de conclure à une ligne de conduite. Dans les décisions Khadr et Mahmood, la question essentielle était de déterminer s’il existait un acte continu ou une même série d’actes, et la capacité de cerner avec précision une décision unique a été mentionnée comme un facteur à considérer à l’occasion de cet examen. Cependant, la jurisprudence n’a pas établi que la capacité de cerner avec précision une décision est le facteur déterminant. Par ailleurs, aux paragraphes 23 et 24 de sa décision, la protonotaire a expressément examiné le même argument formulé par les défendeurs et elle l’a rejeté, faisant remarquer que la Cour avait conclu à une ligne de conduite dans des situations où des décisions individuelles étaient facilement isolables, notamment les arrêts Sweet et Krause et la décision Fisher. Dans la décision Airth, également examinée par la protonotaire, on a autorisé l’instruction d’une contestation malgré le fait que 42 décisions individuelles pouvaient être cernées. Dans la décision SRC, chaque refus de produire une copie non caviardée d’une décision aurait pu être examiné; cependant, la Cour a conclu que la ligne de conduite alléguée pouvait faire l’objet d’un contrôle.

[194] Je ne retiens pas non plus l’argument de la défenderesse, Syngenta, selon lequel la protonotaire a commis une erreur en concluant qu’il pourrait exister une ligne de conduite concernant les avis visés à l’article 12 étant donné que l’utilisation des avis en vertu de l’article 12 n’avait rien d’illégal, et qu’une ligne de conduite ne peut pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire, à moins que la conduite aille à l’encontre de la loi. Cet argument ne tient pas compte de la nature de la ligne de conduite alléguée, qui consiste en l’utilisation inappropriée des avis visés à l’article 12. Les demandeurs reconnaissent que la délivrance des avis visés à l’article 12 n’est pas illégale en soi. Leurs allégations portent que les avis visés à l’article 12 ont été utilisés d’une manière à laquelle ils n’étaient pas destinés, ce qui était illégal, et plus particulièrement, que les avis visés à l’article 12 constituaient le mécanisme au moyen duquel la réception des études et des données nécessaires a été reportée après l’homologation.

[195] Syngenta affirme que l’exigence relative au caractère illégal de la ligne de conduite elle-même ressort clairement de l’arrêt Krause. Cependant, la jurisprudence ayant appliqué l’arrêt Krause ne reflète pas ce point de vue. La nature d’un avis de demande de contrôle judiciaire consiste à alléguer qu’une décision ou une ligne de conduite est déraisonnable, erronée ou adoptée sans fondements législatifs – c.-à-d. illégale. La question de savoir si elle est illégale est tranchée à l’étape de la demande.

[196] Par exemple, dans la décision Airth, l’utilisation d’une demande de renseignements n’avait rien d’illégal en soi. On a conclu que l’objet de la contestation des demandeurs, à savoir la « décision du [défendeur] d’agir par voie de DR », c’est-à-dire la façon dont les demandes de renseignements ont été utilisées à leur endroit, constituait la ligne de conduite. En l’espèce, les demandeurs contestent la méthode ou la façon dont les avis visés à l’article 12 ont été utilisés et ils allèguent qu’elle était illégale.

[197] La défenderesse, Bayer, affirme également qu’une conclusion tirée à l’égard de l’article 302 des Règles ne saurait justifier une exemption au paragraphe 18.1(2) – ce qui semble être lié à l’argument de Bayer voulant que la protonotaire ait uniquement mené l’analyse fondée sur l’article 302 des Règles. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne suis pas d’avis que la protonotaire a uniquement procédé à l’analyse fondée sur l’article 302 des Règles ou que, ce faisant, elle a commis une erreur. Je ne suis pas d’avis non plus que la jurisprudence a établi un principe clair portant qu’une analyse distincte est requise dans tous les cas visés par le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles, lorsque les deux dispositions sont en litige. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la protonotaire a tenu compte du paragraphe 18.1(2) et de l’article 302 des Règles, et elle a conclu qu’il y avait lieu de se demander s’il existait une ligne de conduite relativement aux deux dispositions.

[198] La décision James Richardson, invoquée par Bayer pour faire valoir que des évaluations et des décisions distinctes sont nécessaires, et pour soutenir qu’une conclusion relative à une ligne de conduite selon l’article 302 des Règles ne peut pas être utilisée pour contourner le délai de prescription de 30 jours, n’établit pas de principes aussi clairs. Dans la décision James Richardson, la Cour a exprimé ce qui suit au paragraphe 22 :

Comme la jurisprudence l’a clairement établi, une ordonnance en application de l’article 302 des Règles de la Cour fédérale peut être refusée si elle permet au demandeur de prolonger le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (voir Lavoie c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no 1564). La question est alors de savoir si la nature continue du processus en cause en l’espèce doit être prise en compte pour relever JRI de son obligation de demander le contrôle judiciaire dans le délai prévu.

[199] La Cour n’a pas affirmé qu’une exemption à l’article 302 des Règles ne peut pas, voire, ne devrait pas, être accordée lorsqu’elle permettrait aussi à un demandeur de contourner le délai de prescription de 30 jours. La Cour a seulement mentionné que l’exemption peut être refusée lorsqu’elle aurait pour conséquence de contourner le délai de prescription – c.-à-d. qu’il existe un pouvoir discrétionnaire. En appel, la Cour d’appel s’est penchée uniquement sur la prorogation du délai en application du paragraphe 18.1(2) et elle a conclu que la Cour aurait dû examiner d’autres facteurs avant d’accorder une prorogation. À mon avis, l’extrait de la décision James Richardson appuie la thèse selon laquelle il existe des motifs qui justifient d’accorder une exemption permettant d’examiner deux décisions ou plus dans la même demande, la Cour pourrait accorder ou refuser l’exemption après la fin du délai de prescription, selon les considérations pertinentes. En l’espèce, la protonotaire a examiné l’article 302 des Règles et le paragraphe 18.1(2) – elle ne s’est pas appuyée sur l’article 302 des Règles pour trancher la question du délai.

[200] Dans la décision Whitehead, sur laquelle les défendeurs se sont également appuyés, la Cour, à l’occasion de la demande de contrôle judiciaire, a accepté d’examiner quatre décisions en même temps compte tenu de leurs similitudes, c.-à-d. à titre d’exception à l’article 302 des Règles. Relativement au paragraphe 18.1(2), la Cour a simplement énoncé, au paragraphe 54, que [traduction] « la Cour prend acte qu’aucune prorogation n’a été demandée ou appuyée par des affidavits ». Même si la demande était hors délai, la Cour s’est penchée sur son bien-fondé, mais elle a rejeté la demande. Le recours par les défendeurs à la décision Whitehead pour étayer leur argument selon lequel une exemption aux termes de l’article 302 des Règles ne justifiera pas une exemption visant le paragraphe 18.1(2) infère davantage du paragraphe 54 que ce qu’il contient. Par ailleurs, cette question n’est pas en litige.

[201] Relativement à l’argument de Bayer voulant qu’une ligne de conduite ou un objet puisse être conforme au paragraphe 18.1(2), mais tout de même contrevenir à l’article 302 des Règles, ou inversement – il ne correspond pas non plus à la question en litige, et il n’est pas en litige.

[202] De plus, la jurisprudence a insisté de façon répétée sur le fait qu’il est préférable d’examiner les questions liées au délai à l’étape de la demande. Par exemple, dans la décision Airth, la Cour a reconnu que la requête a été présentée aux premières étapes des procédures et que sa conclusion « [...] ne port[ait] en rien atteinte à la capacité du juge qui instruira la demande de contrôle judiciaire à examiner la question de nouveau, ce qui est la voie habituelle et préférable lorsqu’on veut attaquer les défauts d’un avis de demande de contrôle judiciaire » (au paragraphe 13; voir également la décision Hamilton Wentworth). En l’espèce, la protonotaire a souligné à juste titre que l’évaluation d’une ligne de conduite aux termes des deux dispositions consiste en une évaluation factuelle. Cette évaluation factuelle a été réalisée à l’égard des deux dispositions, plusieurs des mêmes considérations s’appliquant aux deux. La protonotaire a conclu que la question était discutable et, par conséquent, qu’elle devait être tranchée à l’occasion de la demande de contrôle judiciaire.

[203] La protonotaire a conclu son analyse en énonçant ce qui suit au paragraphe 36 :

Après avoir soupesé les similitudes et les différences des décisions en cause, je suis d’avis qu’il y a certainement lieu de se demander si les demandeurs cherchent à contester en bonne et due forme une même série d’actes. Étant donné que cette question n’est toujours pas tranchée, il n’est pas permis selon moi d’affirmer que les demandes n’ont aucune chance d’être accueillies au motif qu’elles vont à l’encontre de l’article 302 des Règles et du délai prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. C’est au juge saisi des demandes qu’il appartient de trancher la question importante de savoir s’il y a lieu d’affirmer que les demandes sous-jacentes concernent une même série d’actes [voir la décision Apotex, précitée, aux paragraphes 12-13].

[204] Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion. Si je devais procéder à un examen de novo, je tirerais la même conclusion portant qu’il n’existe aucune certitude – c.-à-d. qu’il y a lieu de se demander si les demandes des demandeurs concernent une ligne de conduite qui justifie une exemption au paragraphe 18.1(2) ou à l’article 302 des Règles. En conséquence, je conclurais également qu’il est préférable de trancher ces questions litigieuses à l’occasion de la demande de contrôle judiciaire.

XIII. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs?

[205] Les défendeurs font valoir que le caractère approprié de l’autre recours n’est pas discutable, car il existe manifestement un autre recours approprié (c.-à-d. la réévaluation (le PDR) et les demandes de conversion (le PDH)). Ils font en outre valoir que si la protonotaire avait correctement appliqué la jurisprudence, elle aurait également tiré cette conclusion. En conséquence, ils affirment que la protonotaire a commis une erreur en concluant que le caractère approprié de l’autre recours était discutable.

A. Les principes tirés de la jurisprudence

[206] L’examen de la question de savoir s’il existe un autre recours est lié au principe selon lequel, « [e]n principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif » (CB Powell, au paragraphe 31). La Cour d’appel a expliqué ce qui suit au paragraphe 31 :

[...] Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[207] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, une requête en radiation ne devrait pas être accueillie à moins que la demande présente un « vice fondamental et manifeste » (JP Morgan, au paragraphe 91). Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour a fait remarquer que, si après avoir établi la nature véritable de la demande, la Cour n’est pas certaine si un recours est possible ailleurs, maintenant ou plus tard; si le recours est approprié et efficace et si les « circonstances invoquées sont d’une nature inhabituelle ou exceptionnelle reconnue par la jurisprudence ou présentent des caractéristiques analogues », la Cour ne peut radier la demande de contrôle judiciaire.

[208] La décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Strickland oriente l’analyse qu’il faut effectuer pour déterminer le caractère approprié d’un autre recours. Les défendeurs et les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Strickland, mais ils en font une interprétation différente.

[209] Dans l’arrêt Strickland, la Cour, au paragraphe 42, s’est penchée sur la jurisprudence pertinente et a relevé les facteurs pertinents que les tribunaux devraient examiner, lesquels comprennent :

  • la commodité de l’autre recours;
  • la nature de l’erreur alléguée;
  • la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation;
  • l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige;
  • la célérité;
  • l’expertise relative de l’autre décideur;
  • l’utilisation économique des ressources judiciaires;
  • les coûts.

[210] La Cour a déclaré qu’« il n’est pas nécessaire que la procédure ou la réparation soit identique à celle que permet d’obtenir le contrôle judiciaire » pour être approprié et que le critère de base consiste à savoir si « l’autre recours [permet] en toutes circonstances de trancher le grief du demandeur » (au paragraphe 42, non souligné dans l’original).

[211] La Cour a ajouté des précisions aux paragraphes 43 à 45, en insistant sur le fait qu’il n’existe aucune liste de contrôle, que l’examen est plus poussé qu’un résumé des différences et des similitudes et que le caractère approprié de l’autre recours disponible et la demande de contrôle judiciaire devraient être examinés; cela requiert une analyse du type de la prépondérance des inconvénients. Les passages pertinents sont présentés intégralement ci-dessous :

[43] La liste des facteurs pertinents n’est pas limitée, car il appartient aux cours de justice de les cerner et de les soupeser dans le contexte d’une affaire donnée : Matsqui, par. 36-37, citant Canada (Vérificateur général), p. 96. Il ne s’agit donc pas, pour déterminer s’il existe un autre recours approprié, de suivre une liste de vérification axée sur les similitudes et les différences entre les recours potentiels. L’examen auquel il faut se livrer est encore plus poussé. La cour doit tenir compte non seulement de l’autre recours disponible, mais aussi de la pertinence et du caractère opportun du contrôle judiciaire dans les circonstances. Bref, la question ne consiste pas simplement à décider si quelque autre recours est adéquat, mais également s’il convient de recourir au contrôle judiciaire. En définitive, cela requiert une analyse du type de la prépondérance des inconvénients : Khosa, par. 36; TeleZone, par. 56. Comme l’a dit le juge en chef Dickson au nom de la Cour : « Se demander si l’autre recours disponible est approprié équivaut à examiner l’opportunité d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’accorder le contrôle judiciaire recherché. C’est aux tribunaux qu’il appartient d’identifier et de mettre en équilibre les facteurs applicables... » (Canada (Vérificateur général), p. 96).

[44] Cette mise en balance devrait prendre en compte les objectifs et les considérations de principe qui sous-tendent le régime législatif en cause : voir, p. ex., Matsqui, par. 41-46; Harelkin, p. 595. David Mullan a bien saisi la portée de l’analyse :

[traduction] Bien que les motifs discrétionnaires pouvant fonder le refus d’accorder une réparation soient nombreux, la plupart ont en commun de viser l’atteinte d’un équilibre entre les droits des personnes touchées et les impératifs du processus à l’examen. En particulier, les tribunaux se concentrent sur la question de savoir si la demande de réparation respecte comme il se doit le régime législatif dans le cadre duquel elle est présentée et le processus habituel de contestation de la mesure administrative établi par ce régime et la common law. Si la demande s’écarte inutilement du processus habituel [...] les tribunaux refuseront en général la réparation demandée. [Je souligne; p. 447.]

[45] Les facteurs dont il faut tenir compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne sauraient être réduits à une liste de contrôle ou à un énoncé de règles générales. Tous les facteurs pertinents, situés dans le contexte de l’affaire en cause, doivent être pris en considération.

B. La protonotaire n’a commis aucune erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs

[212] Les défendeurs font valoir que la protonotaire a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les éléments essentiels d’un critère juridique, comme il est indiqué dans l’arrêt Strickland. Les demandeurs répondent qu’il s’agit d’une tentative de reformuler une question de fait pour en faire une question de droit.

[213] Comme je l’ai déjà mentionné, dans l’arrêt Teal Cedar, la Cour suprême du Canada a mis en garde les instances inférieures contre le fait de conclure trop rapidement à des erreurs de droit isolables, faisant valoir que « les questions mixtes, par définition, comportent des aspects de droit », ajoutant que les avocats ont des raisons de « qualifie[r] stratégiquement une question mixte de question de droit ».

[214] J’ai tenu compte de la mise en garde contenue dans l’arrêt Teal Cedar. Contrairement aux observations des défendeurs, je ne suis pas d’avis que l’arrêt Strickland établit les éléments essentiels d’un critère juridique qu’un tribunal doit examiner dans chaque cas et que la protonotaire a commis une erreur de droit en n’appliquant pas chaque élément essentiel d’un tel critère. Au lieu de cela, la Cour a affirmé de façon répétée qu’il n’existait aucune liste de contrôle et que tous les facteurs pertinents devaient être examinés dans le contexte d’une affaire particulière.

[215] Au paragraphe 48 de sa décision, la protonotaire a mentionné qu’elle avait examiné les facteurs décrits dans l’arrêt Strickland. Même si elle n’a pas invoqué chaque facteur individuellement, elle a énoncé les facteurs pertinents au paragraphe 39 de sa décision. Cette approche est conforme à l’arrêt Strickland, qui indique clairement que les facteurs pertinents dépendront du contexte, et que la liste des facteurs n’est pas une liste de contrôle définitive ou stricte.

[216] La protonotaire a traité les observations des parties sur le caractère approprié de l’autre recours aux paragraphes 39 à 47, avant de souligner deux préoccupations particulières, au paragraphe 48 :

[48] Après avoir examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Strickland et les observations des parties, je ne suis pas convaincue que les demandeurs disposent d’un recours adéquat et efficace dans le cadre des procédures en cours de l’ARLA. Je suis particulièrement préoccupée par le fait que ces autres procédures ne seront pas expéditives et qu’elles ne permettront pas aux demandeurs d’obtenir la principale réparation qu’ils cherchent à obtenir de la Cour fédérale, soit des déclarations d’illégalité en ce qui concerne la conduite de l’ARLA.

[217] Les motifs de la protonotaire n’indiquent pas qu’elle a examiné uniquement deux facteurs ou qu’elle a jugé que seulement deux facteurs sont pertinents. Lorsqu’on les lit dans leur ensemble, il est clair qu’elle a traité toutes les observations des parties, qu’elle a examiné plusieurs facteurs pertinents – notamment la capacité de réparation de l’autre recours et sa célérité – et qu’elle a désigné la capacité de réparation et la célérité comme des préoccupations particulières. Apprécier la pertinence des différents facteurs énoncés dans Strickland et accorder plus d’importance à certains facteurs qu’à d’autres, dans le contexte de l’affaire en particulier, c’est exactement ce que la Cour suprême du Canada a indiqué aux décideurs de faire dans l’arrêt Strickland.

[218] La préoccupation de la protonotaire en ce qui a trait à la célérité était fondée sur les observations qui lui ont été présentées. Les défendeurs ont expliqué qu’à la fin de la réévaluation de l’ARLA (le PDR), prévue en décembre 2018, un processus d’avis d’opposition serait préalable à toute possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision définitive. La protonotaire a examiné l’expérience vécue des demandeurs relativement à un avis d’opposition et elle a également souligné que la présente demande de contrôle judiciaire serait entendue avant décembre 2018 (au paragraphe 48).

[219] Les défendeurs font également valoir que la protonotaire a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’elle a exprimé une préoccupation sur la question de savoir si les demandeurs pouvaient obtenir la « principale réparation qu’ils cherchent à obtenir » par l’intermédiaire de la réévaluation ou de demandes de conversion. Dans leurs observations, cela revient à demander une sanction identique ou la sanction privilégiée, ce qui, selon l’arrêt Strickland, n’est pas déterminant.

[220] Contrairement à ce que plaident les défendeurs, la protonotaire n’a pas cherché une sanction identique ou privilégiée. Elle a plutôt considéré la déclaration de conduite illégale comme la principale sanction demandée et elle a conclu qu’il y avait lieu de se demander si cette question serait traitée efficacement dans les autres processus proposés (la réévaluation et les demandes de conversion). Les conclusions de la protonotaire suivent son résumé détaillé des arguments des parties, notamment les préoccupations des demandeurs voulant que les autres processus ne permettent pas de trancher la légalité de la conduite de l’ARLA. Au paragraphe 44 de sa décision, la protonotaire a directement abordé cet argument, en faisant remarquer qu’il n’était pas nécessaire que les recours soient identiques, mais qu’ils devaient être appropriés.

[221] Même si la protonotaire n’a tiré aucune conclusion explicite concernant le caractère approprié du contrôle judiciaire, ce facteur n’a pas été écarté. En lisant les motifs dans leur intégralité, il est manifeste que la protonotaire s’est demandé si le contrôle judiciaire était approprié, tout comme elle s’est demandé si l’autre recours était approprié. Par exemple, au paragraphe 45, la protonotaire a traité l’argument du procureur général du Canada, à titre de défendeur, portant que la demande constituait un gaspillage de ressources judiciaires, car la sanction ultime serait la même que celle obtenue au moyen du processus de réévaluation. Cet argument ne l’a pas convaincue, puisque les demandeurs ne demandaient pas une réévaluation des décisions d’homologation.

[222] La protonotaire a reconnu que les questions en litige étaient complexes, mais que les demandes de contrôle judiciaire pourraient néanmoins être entendues avant décembre 2018. Au paragraphe 48, la protonotaire a énoncé ce qui suit :

Malgré la complexité des questions qu’elles soulèvent, les présentes demandes seront instruites avant la date limite actuellement fixée au 31 décembre 2018 pour la communication de la décision définitive en ce qui concerne les réévaluations relatives aux insectes pollinisateurs. Qui plus est, les demandeurs devront encore attendre après le 31 décembre 2018 avant de s’adresser à la Cour fédérale pour contester le résultat des procédures en cours de l’ARLA, car ils devraient d’abord suivre le processus de l’avis d’opposition, dont la célérité est loin d’avoir été établie, d’après la preuve dont j’ai été saisie à ce sujet.

[223] Cela indique que la protonotaire a, à la fois, examiné l’autre recours, notamment sa célérité, et le caractère approprié du contrôle judiciaire. En sa qualité de juge chargée de la gestion de l’instance, la protonotaire est bien placée pour évaluer de quelle façon les contrôles judiciaires pourraient se dérouler et être gérés, et il est clair qu’elle n’était pas intimidée par leur portée ou leur complexité.

[224] Contrairement à l’argument des défendeurs selon lequel la protonotaire a omis d’examiner le principe voulant que l’on doive permettre aux processus administratifs normaux ou continus de suivre leur cours avant de recourir au contrôle judiciaire, la protonotaire a catégoriquement abordé cette question, en soulignant que les circonstances de l’espèce n’étaient pas analogues à celles des affaires invoquées par les défendeurs sur lesquelles repose ce principe. Elle a affirmé ce qui suit au paragraphe 47 :

Les demandeurs ne se sont pas adressés à la Cour pour faire réviser une décision intérimaire rendue par un tribunal administratif ni ne se sont présentés à la Cour sans avoir d’abord suivi un processus d’appel énoncé en toutes lettres dans le régime législatif applicable. Les autres procédures que les défendeurs demandent à la Cour fédérale de considérer comme des recours appropriés ont été engagées sans la participation des demandeurs et sont bien différentes de la conduite qui est contestée dans les présentes demandes.

[225] Les défendeurs ont présenté des arguments similaires concernant la nécessité de respecter le processus administratif en cours dans le cadre du présent appel et de la requête en recevabilité de nouveaux éléments de preuve. Il s’agit d’une considération pertinente dans l’appréciation du caractère approprié de l’autre recours et du principe selon lequel on doit permettre aux processus administratifs de se terminer.

[226] Cependant, comme le font remarquer les demandeurs, l’examen entrepris par l’ARLA diffère d’un examen de la ligne de conduite alléguée par les demandeurs. Même si le PDR peut aborder la lacune dans les données faisant l’objet de la plainte, il ne traitera pas nécessairement la conduite illégale alléguée en l’espèce et il ne sera pas aussi expéditif que les présentes demandes. La protonotaire en a tenu compte en concluant que le caractère approprié de l’autre recours était discutable.

[227] En outre, l’autre processus – la réévaluation de l’ARLA (le PDR et le PDH) – que les défendeurs qualifient comme étant le [traduction] « processus normal », n’est pas interrompu par les présentes demandes de contrôle judiciaire, car le processus de réévaluation de l’ARLA est en cours depuis cinq ans et son achèvement n’est pas prévu avant décembre 2018.

[228] Les nouveaux éléments de preuve que les défendeurs ont tenté de faire admettre à l’occasion du présent appel, et que la Cour a examinés lors de sa décision concernant leur recevabilité, précisent que le processus d’avis d’opposition s’applique toujours à la réévaluation (le PDR), mais ne s’applique pas aux PDH (les demandes de conversion des homologations conditionnelles en homologations complètes) (voir la décision Suzuki 1).

[229] Selon les conclusions de la décision Suzuki 1, même si les décisions rendues aux termes du PDH n’exigeront pas le recours au processus d’avis d’opposition et que lesdites décisions définitives pourraient faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire à la fin du PDH, prévue en décembre 2018, ce changement n’offre aucune certitude quant à la célérité de l’autre recours et ne traite pas de la capacité de sanction. La question demeure discutable.

[230] La jurisprudence parle de « recours efficaces » (JP Morgan, CB Powell, Strickland). La protonotaire a conclu qu’il n’existait aucune certitude que l’autre recours proposé – (c’est-à-dire la réévaluation de l’ARLA, qui, comme je l’ai déjà indiqué, est en cours depuis 2012, ainsi que les demandes de conversion) – offrirait un recours efficace aux demandeurs. Les défendeurs sont les seuls à avoir cette certitude. À mon avis, la conclusion de la protonotaire selon laquelle il n’existe aucune certitude est amplement justifiée par les éléments de preuve dont elle était saisie, et cela sera toujours vrai, même si les nouveaux éléments de preuve devaient être admis.

[231] En conclusion, je ne peux conclure que la protonotaire a commis une erreur en tranchant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié. La protonotaire n’a commis aucune erreur en omettant d’appliquer un élément d’un critère juridique. La protonotaire a examiné une gamme de facteurs et elle a relevé deux préoccupations particulières. Lors de son évaluation, la protonotaire s’est penchée sur le caractère approprié du contrôle judiciaire, tirant la conclusion que, même s’il était complexe, il était gérable et qu’il serait entendu au plus tard en décembre 2018, avant que l’autre processus ait même déclenché une possibilité de demander un contrôle judiciaire.

[232] Par ailleurs, si j’avais relevé une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante et que j’avais procédé à un examen de novo de la requête en radiation, je serais parvenue à la même conclusion. Les facteurs pertinents issus de la jurisprudence appliquée dans les présentes circonstances n’offrent aucune certitude. Par exemple, la commodité de l’autre recours favoriserait les défendeurs uniquement; la capacité de sanction de l’autre recours diffère de celle d’un contrôle judiciaire et ne corrigerait pas nécessairement la conduite alléguée; l’expertise de l’ARLA pourrait être un facteur en faveur de l’autre recours, mais celle-ci a été en litige dans chacune des décisions contestées dans le cadre de la ligne de conduite alléguée; et l’utilisation économique des ressources judiciaires pourrait constituer un facteur aux prochaines étapes des présentes procédures, mais des ressources judiciaires ont déjà été consacrées à trois rondes de requêtes. En revanche, les demandes de contrôle judiciaire, bien qu’elles soient complexes, font l’objet d’une gestion de l’instance et sont en voie d’être entendues avant que les décisions définitives aux termes des autres processus soient rendues.

XIV. Conclusion

[233] La protonotaire n’a pas mal compris le régime législatif établi dans la LPA et n’a pas confondu l’objet et l’effet de l’article 8 et de l’article 12. Elle a compris que les décisions d’homologation ont été rendues en application de l’article 8 et que les avis visés à l’article 12 ont été délivrés au moment de l’homologation afin d’obtenir des données supplémentaires, ce qui a fait en sorte que les décisions d’homologation constituaient des homologations conditionnelles.

[234] La protonotaire n’a commis aucune erreur dans la qualification des demandes des demandeurs. La qualification des demandes constitue une question de droit et de fait. Par conséquent, à moins qu’elles ne présentent une erreur manifeste et dominante, les conclusions de la protonotaire appellent la retenue. La qualification de la protonotaire tient compte de la nature essentielle des demandes des demandeurs, qui a été judicieusement décrite au paragraphe 20 de sa décision.

[235] La protonotaire n’a commis aucune erreur dans sa compréhension ou dans son application de la jurisprudence régissant le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles. Elle a procédé à une appréciation factuelle de la question de savoir s’il existait une ligne de conduite alléguée relativement au paragraphe 18.1(2) et à l’article 302 des Règles. Comme je l’ai déjà indiqué, elle a examiné tous les arguments soulevés par les défendeurs et n’a pas omis d’appliquer les considérations pertinentes tirées de la jurisprudence. Sa conclusion selon laquelle il y avait lieu de se demander si la conduite alléguée constituait une ligne de conduite et que cette question devait être tranchée par le juge saisi des demandes de contrôle judiciaire est justifiée par les allégations contenues dans les avis de demande et par la jurisprudence.

[236] Enfin, la protonotaire n’a commis aucune erreur en concluant qu’il y avait lieu de se demander s’il existait un autre recours approprié pour les demandeurs. Elle n’a commis aucune erreur de droit en omettant d’appliquer un élément d’un critère juridique. Elle a plutôt appliqué les facteurs pertinents de la jurisprudence et elle est restée dans l’incertitude, plus précisément en raison de ses préoccupations sur la question de savoir si l’autre recours était expéditif ou s’il permettait d’accorder la sanction centrale demandée, et elle a raisonnablement conclu qu’il y avait lieu de se demander si l’autre recours était approprié.

[237] Les nouveaux éléments de preuve, qui n’ont pas été admis, mais qui ont été examinés au moment de trancher la requête en recevabilité de ces éléments de preuve présentée par les défendeurs, précisent qu’un volet du processus de réévaluation, le PDH, permettra le contrôle judiciaire à la suite d’une décision définitive, prévue en décembre 2018. Cependant, ces éléments de preuve ne changent rien aux faits examinés par la protonotaire qui lui auraient permis d’être certaine du caractère approprié de l’autre recours.

[238] La protonotaire n’a commis aucune erreur dans son application du critère permettant de radier une demande de contrôle judiciaire et dans sa conclusion portant que les avis de demande n’étaient pas « irréguli[ers] au point de n’avoir aucune chance d’être accueill[is] » (David Bull). Le « moye[n] exceptionne[l] » requis pour justifier la radiation des actes de procédure n’est pas présent lorsque les questions sont discutables.

[239] En l’espèce, les défendeurs ont examiné à la loupe la décision de la protonotaire et ils ont présenté des interprétations de la jurisprudence qui outrepassent son sens. Les questions en litige ont été jugées discutables. Les observations soigneusement rédigées et détaillées des deux parties, le dossier volumineux, les observations orales sur deux jours devant la protonotaire ainsi que les observations orales sur deux jours devant la Cour à l’occasion du présent appel mettent en évidence le fait que les questions sont effectivement discutables.

[240] Les demandeurs ont droit à leurs dépens dans le présent appel, ce qui comprend leurs dépens dans la requête en recevabilité de nouveaux éléments de preuve. Dans l’éventualité où les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens et sur la façon dont ils doivent être versés, des observations écrites doivent être présentées à la Cour conformément à l’échéancier présenté ci-dessous :

  1. Les demandeurs devront signifier et déposer des observations sur les dépens, d’au plus trois pages, dans les dix jours suivant la délivrance de la présente ordonnance.

  1. Les défendeurs devront signifier et déposer des observations en réponse, d’au plus trois pages, dans les sept jours suivant la réception des observations des demandeurs.
  2. Les demandeurs devront déposer des observations sur les dépens en réponse, s’il y a lieu, d’au plus deux pages, dans les sept jours suivant la réception des observations des défendeurs.
  3. Les parties peuvent modifier l’échéancier établi ci-dessus, sur consentement, et, le cas échéant, elles doivent aviser la Cour de l’échéancier révisé.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. L’appel de l’ordonnance rendue par la protonotaire Aylen le 13 juillet 2017 est rejeté.
  2. Les défendeurs doivent verser les dépens du présent appel aux demandeurs, ce qui comprend leurs dépens dans la requête en recevabilité des nouveaux éléments de preuve.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’août 2020

Lionbridge


ANNEXE A

Le régime législatif

L’ARLA est responsable de l’homologation des produits antiparasitaires (PA). Un PA, qui comprend un ingrédient actif et une préparation commerciale, ne peut être utilisé au Canada à moins qu’il ait déjà été dûment homologué aux termes de la Loi (article 6). Un demandeur qui sollicite l’homologation d’un PA doit présenter une demande à l’ARLA (article 7). L’article 8 dispose que l’ARLA doit homologuer le PA si elle estime que les risques posés par le PA sont « acceptables », lequel terme est défini au paragraphe 2(2) de la manière suivante : « s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées ». Si on juge que le risque est inacceptable, l’ARLA doit refuser la demande. Le même processus de base s’applique lorsqu’un titulaire présente une demande en vue de modifier, de renouveler ou de rétablir un PA homologué précédemment. Une homologation aux termes de l’article 8 peut être valide pour un maximum de cinq ans, même si l’ARLA peut imposer une période de validité plus courte (Règlement, article 13).

Le processus établi par l’ARLA pour décider si un PA pose ou non un risque acceptable varie selon la nature propre de chaque demande. Cependant, dans tous les cas, l’ARLA doit examiner si le demandeur a fourni des renseignements suffisants pour rendre une décision quant à l’acceptabilité du risque (paragraphes 7(1) et (2)). Si les renseignements ne suffisent pas, l’ARLA peut demander d’autres renseignements avant de rendre une décision d’homologation (paragraphe 7(4)).

L’étendue des évaluations menées par l’ARLA varie en fonction de plusieurs facteurs, notamment : la question de savoir si le PA correspond à un nouvel « ingrédient actif » ou à une préparation commerciale contenant un « ingrédient actif » homologué précédemment, l’utilisation prévue du PA ainsi que la question de savoir si la demande vise l’homologation d’un nouveau PA ou simplement la modification d’une homologation existante.

Une consultation publique peut être requise dans le cadre du processus, par exemple, lorsqu’un demandeur sollicite l’homologation d’un ingrédient actif jamais homologué auparavant, ou lorsque l’on juge que le PA pose un risque considérablement accru (alinéa 28(1)a)).

Lorsque l’ARLA estime que les risques sont acceptables et, par conséquent, décide que le PA sera homologué en application de l’article 8, elle peut également demander des renseignements supplémentaires à propos des risques posés par le PA au moyen d’un avis visé à l’article 12. Lorsque des renseignements supplémentaires sont requis, cette exigence devient une condition d’homologation (paragraphe 12(2)) et l’homologation est réputée être une homologation conditionnelle (Règlement, article 14). Une homologation conditionnelle n’est valide que pour une période maximale de trois ans, par opposition à la période maximale de cinq ans lorsque l’homologation n’est pas conditionnelle (Règlement, alinéa 14(1)a)). En outre, comme l’a expliqué la déposante du procureur général du Canada, Neilda Sterkenburg, l’exigence relative à une consultation publique est suspendue jusqu’au [TRADUCTION] « moment où l’homologation est renouvelée, maintenue ou convertie en une homologation complète, selon la première de ces éventualités ». (Règlement, alinéa 14(1)b)).

Lorsque le titulaire respecte l’avis visé à l’article 12 et qu’il fournit les renseignements supplémentaires à la satisfaction de l’ARLA, la validité du PA est alors prorogée de trois ans à cinq ans (Règlement, paragraphe 14(6)). La période de validité d’une homologation conditionnelle peut également être prorogée par l’ARLA pour lui permettre de tenir des consultations publiques (Règlement, paragraphe 14(7)). Autrement, la période de validité d’une homologation conditionnelle ne peut être prorogée (Règlement, paragraphe 14(5)).

Le Règlement dispose également que les homologations et homologations conditionnelles peuvent être renouvelées (Règlement, paragraphes 16(1) et 16(2)). Une demande de renouvellement nécessite de fournir les mêmes renseignements que ceux requis pour homologuer un nouveau PA (ou pour modifier une homologation existante) (Règlement, paragraphe 16(4)). En d’autres termes, l’ARLA doit disposer de renseignements suffisants pour la convaincre que le risque découlant de la décision d’accueillir la demande de renouvellement est acceptable aux termes de l’article 8 de la Loi. Si une homologation conditionnelle est renouvelée en application de l’article 16, le Règlement exige la délivrance d’un nouvel avis visé à l’article 12 au titulaire, et la période de validité de trois ans pour les homologations conditionnelles renouvelées recommence à courir (Règlement, paragraphe 16(2)). Une homologation conditionnelle peut également se poursuivre après l’évaluation des données par la délivrance d’un autre avis visé à l’article 12. Cette homologation conditionnelle maintenue est valide pour une période de trois ans (Règlement, paragraphe 14(2)). L’ARLA peut également rétablir une homologation conditionnelle arrivée à échéance en délivrant d’autres avis visés à l’article 12. Une homologation conditionnelle rétablie est valide pour une période de trois ans (Règlement, paragraphe 14(2)). Que la demande concerne le renouvellement, le maintien ou le rétablissement d’un PA, l’ARLA doit d’abord déterminer que les risques posés par le PA demeurent acceptables en conformité avec l’article 8.

L’alinéa 28(1)a) de la Loi dispose que l’ARLA doit consulter le public à l’égard des décisions proposées lorsque le demandeur sollicite l’homologation d’un ingrédient actif n’ayant jamais été homologué auparavant, ou lorsqu’il est déterminé que le PA pose un risque considérablement accru. Le respect de cette obligation de consultation publique est l’élément qui donne ouverture au droit d’une personne de déposer un avis d’opposition à une décision d’homologation. Après le dépôt d’une opposition, l’ARLA doit d’abord décider s’il convient de mettre sur pied un comité d’examen. Si un tel comité est mis sur pied, celui-ci recommande ultimement la confirmation, l’annulation ou la modification de la décision (LPA, article 35).

L’article 16 de la Loi dispose que l’ARLA peut entreprendre une « réévaluation » d’un PA si elle est convaincue qu’il y a eu un changement dans les renseignements requis pour évaluer les risques. L’ARLA est également tenue de mener une réévaluation dans les 16 ans suivant la dernière décision liée au PA qui a fait l’objet d’une consultation publique. Les deux types de réévaluation doivent permettre la tenue d’une consultation publique (alinéa 28(1)b)). Ce type de consultation sera également assujettie à la procédure d’avis d’opposition visée à l’article 35 de la Loi.

L’alinéa 28(1)c) permet à l’ARLA de tenir une consultation à propos de « toute autre question, s[i elle] juge qu’il est dans l’intérêt public de tenir une telle consultation ». La consultation menée en application de cette disposition n’est pas assujettie à la procédure d’avis d’opposition prescrite à l’article 35 de la Loi.

Comme je l’ai déjà expliqué, un PA peut faire l’objet d’une homologation conditionnelle en raison de la délivrance d’un avis visé à l’article 12. Cependant, un PA peut aussi faire indirectement l’objet d’une homologation conditionnelle, par l’intermédiaire d’un PA [TRADUCTION] « lié ». Lorsqu’un avis visé à l’article 12 a été délivré à l’égard d’un ingrédient actif, l’homologation de tout PA contenant cet ingrédient actif est réputée être conditionnelle (Règlement, paragraphe 15(1)). De même, lorsqu’un avis visé à l’article 12 est délivré à l’égard d’une préparation commerciale, l’ingrédient actif qu’elle contient est réputé faire l’objet d’une homologation conditionnelle (paragraphe 15(2)). En conséquence, plusieurs PA peuvent faire l’objet d’homologations conditionnelles au moyen d’un seul avis visé à l’article 12.

L’article 14 du Règlement, qui dispose de l’effet des homologations conditionnelles, a été abrogé le 30 novembre 2017.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1070-16

 

INTITULÉ :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ONTARIO NATURE ET WILDERNESS COMMITTEE c LE MINISTRE DE LA SANTÉ, SUMITOMO CHEMICAL COMPANY LIMITED, BAYER CROPSCIENCE INC. ET VALENT CANADA INC.

 

ET DOSSIER :

T-1071-16

 

INTITULÉ :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ONTARIO NATURE ET WILDERNESS COMMITTEE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET SYNGENTA CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 15 ET 16 NOVEMBRE 2017

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Charles Hatt et Kaitlyn Mitchell

 

POUR LES DEMANDEURS

 

W. Grant Worden, Jeremy Opolsky et Tosh Weyman

 

POUR LA DÉFENDERESSE (BAYER CROPSCIENCE INC.)

 

Matthew Fleming et Dina Awad

 

POUR LES DÉFENDERESSES (SUMITOMO CHEMICAL COMPANY ET VALENT CANADA)

 

John P. Brown, Kara Smith, Brandon Kain et Stephanie Sugar

 

POUR LA DÉFENDERESSE (SYNGENTA CANADA)

 

Michael H. Morris, Andrew Law et Andrea Bourke

 

POUR LES DÉFENDEURS (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Tory LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (BAYER CROPSCIENCE INC.)

 

Dentons LLP Canada

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES (SUMITOMO CHEMICAL COMPANY ET VALENT CANADA)

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (SYNGENTA CANADA)

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

 

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